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Recherchée
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 18:54

Текст книги "Recherchée"


Автор книги: Karin Alvtegen


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Триллеры


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Elles restèrent là sans que ni l'une ni l'autre ne dise quoi que ce soit.

L'autre femme était habillée de blanc, sous son manteau, et tenait à la main un vase vert, en forme de cornet, contenant des tulipes.

– Laissez mon mari tranquille, maintenant qu'il est dans sa tombe, finit-elle par dire.

C'était donc bien elle, la veuve de Rune Hedlund.

– J'enlevais seulement les feuilles mortes.

La femme respira plusieurs fois par le nez, comme si elle s'efforçait de se concentrer.

– Comment connaissiez-vous mon mari?

– Je ne le connaissais pas.

Soudain, la femme se mit à sourire, mais ce fut sans aucune douceur. Sibylla sentit la peur s'insinuer en elle. Cette femme l'aurait-elle reconnue? La police avait-elle averti la veuve de Rune Hedlund qu'on avait consulté le fichier des dons d'organes et lui avait-elle suggéré d'ouvrir l'œil? Afin de pouvoir enfin établir un lien entre Sibylla Forsenström et Rune Hedlund et, de ce fait, trouver un mobile.

Sibylla scruta l'horizon. Peut-être les flics étaient-ils déjà là?

– Vous ne croyez pas que j'ai tout compris depuis longtemps?

Sibylla ne répondit pas et la femme poursuivit:

– Les fleurs, le jour de l'enterrement, ont suffi à me mettre la puce à l'oreille, dit-elle en pouffant de mépris. Qui est-ce qui peut envoyer un bouquet de roses anonyme, un jour pareil? Pour quoi faire, hein? Ce n'est pas Rune qui a pu en être heureux.

Le mépris luisant dans ses yeux était tel que Sibylla dut baisser les siens.

– S'il vous avait vraiment préférée à moi, il l'aurait fait de son vivant, non? Mais il est resté avec moi. N'est-ce pas? C'est pour cette raison qu'il a fallu m'humilier avec toutes ces fleurs?

Sibylla la regarda à nouveau. La femme de Rune Hedlund secoua la tête, comme si elle voulait exprimer par là son aversion.

– Tous les vendredis, chaque semaine, une nouvelle rose sur sa tombe. Pour me punir? Parce que je l'ai gardé?

Sa voix se brisa, mais Sibylla vit qu'elle n'avait pas encore dit tout ce qu'elle avait sur le cœur – et qui attendait depuis longtemps de sortir.

Sibylla ne savait plus quoi penser. Elle s'était trompée. Cette femme, on lui avait demandé son avis. Elle faisait partie de ces proches qui devaient donner leur consentement. Mais il y avait quelqu'un d'autre, quelque part, qui était amer d'avoir été trahi et qui voulait reprendre ce qu'on lui avait pris.

Il fallait qu'elle en ait le cœur net.

– La police vous a appelée? demanda-t-elle.

– La police? Non. Pourquoi l'aurait-elle fait?

La veuve de Rune Hedlund fit un pas en avant. Elle s'accroupit et enfonça la pointe du vase dans le sol, parmi les crocus, qui s'écartèrent comme s'ils avaient peur.

Sibylla observa son dos. Il montait et descendait au gré d'une respiration que la révolte rendait violente. Sibylla crut comprendre qu'elle attendait ce moment depuis longtemps. Qu'elle avait soigneusement répété ce qu'elle dirait le jour où elle se trouverait face à face avec l'inconnue qui était la maîtresse de son mari.

Mais elle s'était donné beaucoup de mal pour rien.

Elle ne savait pas que la femme à laquelle elle parlait avait fait bien pire encore que de venir mettre des fleurs sur la tombe de son amant et Sibylla ne tenait pas à être celle qui lui apprendrait la nouvelle.

La femme de Rune Hedlund se releva et, quand elle regarda Sibylla, elle avait des larmes dans les yeux.

– Vous êtes malade, vous savez.

Elle ne répondit pas. Le mépris que dardaient les yeux de l'autre femme était presque physique. Cela réveilla de vieux souvenirs en Sibylla et elle baissa les yeux pour leur échapper.

– Vous ne pouvez même pas le laisser tranquille dans sa tombe.

Sibylla leva à nouveau les yeux. La femme s'était retournée et s'éloignait.

Elle resta sur place et la suivit des yeux.

Et elle comprit soudain que la veuve de Rune Hedlund ne savait pas elle-même à quel point elle avait raison.

Elle s'attarda dans le cimetière. Elle avait choisi un banc à une certaine distance de la tombe de Rune Hedlund, mais elle pouvait la voir de l'endroit où elle se trouvait. Les tulipes jaunes faisaient l'effet d'un point d'exclamation, de loin.

Ils n'étaient pas nombreux à venir se recueillir sur la tombe des leurs, ce jour-là, et les rares visiteurs étaient soit trop vieux, soit en couple.

Mais elle n'était pas pressée.

Elle pouvait rester assise là jusqu'à ce que la femme qu'elle attendait fasse son apparition.

Elle viendrait forcément, tôt ou tard.

Lorsque la nuit commença à tomber, elle sortit son tapis de sol et son sac de couchage. La division des incinérés était entourée d'un mur de pierre sèche et, contre celui-ci, se trouvait un buisson dans lequel elle avait dissimulé son sac à dos. Bien que les branches ne fussent pas encore couvertes de feuilles, elles lui offriraient un abri suffisant pendant la nuit.

Elle ne pensait pas vraiment que quelqu'un pourrait venir à une heure aussi tardive, mais la personne qu'elle attendait avait plus d'un tour dans son sac.

Elle était bien décidée à ne pas la manquer.

Le lendemain, elle choisit un autre banc. Celui-ci était moins bien placé, mais le bouquet de tulipes l'aidait à localiser la tombe. Elle ne quitta son poste d'observation qu'une dizaine de minutes, le temps d'aller à la station-service pour acheter un peu de pain et utiliser les toilettes. Puis elle reprit sa garde, mais personne n'approcha de la tombe de Rune Hedlund.

La deuxième nuit, elle dormit. Elle aurait été incapable de dire combien de temps, mais, quand elle se précipita vers la tombe de Rune Hedlund, celle-ci était toujours dans le même état.

Personne n'était venu déposer une rose rouge.

Le mercredi, elle sentit pour la première fois son pouls s'accélérer. Une femme dans la quarantaine approcha, seule et d'un pas résolu, venant du parking. Parvenue au coin, là-bas près de la fontaine, elle obliqua pour emprunter l'allée menant à l'enclos des incinérés.

Sibylla se leva et franchit une petite pelouse pour mieux voir où elle s'arrêtait. Mais elle fut déçue de constater qu'elle passait devant le bouquet de tulipes jaunes et allait se baisser devant une autre tombe, un peu plus loin.

Elle poussa un soupir et regagna son banc.

Au début de l'après-midi, elle commença à avoir vraiment faim. Elle avait tellement pris l'habitude de prélever de l'argent sur sa réserve, maintenant, que cela ne lui faisait plus grand-chose et, après avoir jeté un dernier coup d'œil sur le cimetière désert, elle quitta une fois de plus son poste d'observation et se dirigea vers la station-service.

Ils avaient des saucisses grillées avec du pain et elle en acheta deux. Tandis que la vendeuse mettait de la moutarde et du ketchup dessus, elle se rendit aux toilettes, plutôt par précaution que par nécessité.

Quand elle revint dans le cimetière, un homme était accroupi devant la tombe de Rune Hedlund. Elle le vit de derrière et put constater qu'il avait un début de calvitie et portait une veste de daim de couleur brune.

Elle hésita un instant mais comprit vite qu'il ne fallait pas qu'elle laisse passer cette occasion. Qui que ce fût, il était évident qu'il connaissait Rune Hedlund; or, c'était pour en savoir autant que possible sur le compte de ce dernier qu'elle était venue monter cette garde. Elle se hâta d'avaler le dernier morceau de saucisse et de vider sa bouche, tout en approchant de ce dos courbé. Sur une tombe, à sa droite, se trouvait un vase contenant des narcisses. Elle se pencha et s'empara du bouquet au passage.

Nécessité fait loi. Elle espérait que Sigfrid Stalberg lui pardonnerait cet emprunt.

Elle alla se placer juste derrière l'homme accroupi. Les rôles étaient inversés, cette fois, par rapport à ce qui s'était passé quelques jours plus tôt.

Il ne l'avait pas entendue et continuait à s'activer, près de la pierre, mais elle ne voyait pas ce qu'il faisait.

Soudain, elle fut prise de scrupules. Si elle voulait gagner la confiance de cet homme, le meilleur moyen n'était pas vraiment de l'espionner et de le prendre par surprise.

Elle se racla donc la gorge.

Il réagit à peu près comme elle l'avait fait quelques jours plus tôt. Il perdit l'équilibre et dut poser une main par terre, avant de se remettre debout.

– Excusez-moi de vous avoir fait peur, dit-elle très vite.

Il était plus jeune qu'elle ne l'aurait cru. Quarante-cinq ans, peut-être. Son début de calvitie l'avait abusée.

Il se remit rapidement de son émotion et lui répondit avec un sourire:

– C'est dangereux de prendre les gens par surprise comme ça. Ils peuvent avoir une crise cardiaque.

– Ce n'était pas mon intention. C'est la faute des semelles de mes chaussures.

Il baissa les yeux vers ses grosses chaussures moulantes puis son regard remonta vers son visage.

Il se racla légèrement la gorge, passa la main sous son nez et baissa les yeux vers la pierre.

– Vous venez aussi sur la tombe de Rune?

Zut alors. Il l'avait devancée.

Elle eut un mouvement de la tête pouvant être interprété comme un oui prononcé à contrecœur ou comme un non évasif. Il n'avait qu'à choisir.

– Vous le connaissiez? se hâta-t-elle de demander afin de reprendre la direction des opérations.

Il la regarda, mais pas de façon méfiante ou déplaisante, plutôt avec un certain intérêt, comme s'il était véritablement curieux.

Il oscilla légèrement la tête.

– Tout dépend de ce qu'on entend par connaître. On travaillait ensemble, là-bas, à Abro.

– Ah bon?

– Et vous? Vous êtes de la famille?

– Non.

Elle avait répondu un peu trop vite. Il eut un petit sourire.

– Vous m'intriguez. Vous n'êtes pas d'ici, hein?

Elle secoua la tête. En baissant les yeux, elle s'avisa du bouquet de narcisses qu'elle tenait à la main. Aller chercher un vase lui donnerait le temps de respirer.

– Je vais chercher quelque chose pour mettre ces fleurs.

Sans lui laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit, elle fit demi-tour et se dirigea vers le lieu de rassemblement, derrière la clôture.

Il réagissait vite. Sans doute parce qu'il était curieux. Elle comprit tout de suite qu'elle ne pourrait pas se débarrasser de lui avant de lui avoir dit qui elle était.

Mais qui était-elle, au juste?

Elle ne se pressa pas de revenir. Elle prit un vase en plastique assez profond, parmi ceux qui étaient à la disposition du public, et le rinça soigneusement sous le robinet. Les pensées se bousculaient dans sa tête, comme dans le tambour d'une machine à laver.

Qui pouvait-elle être, sans éveiller ses soupçons?

Pourquoi était-elle allée le trouver, d'ailleurs?

Au quatrième rinçage, elle poussa un grand soupir et revint vers la tombe. Il était à nouveau à genoux devant celle-ci.

– Vous pouvez les mettre là, dit-il en écartant quelques crocus de la main.

Elle vit qu'il avait de la peinture sur les mains. Ses doigts étaient longs et minces et ne portaient pas d'alliance ni de chevalière.

Elle fit comme il disait. Un crocus se redressa et elle dut le repousser avec la main gauche pour mettre le vase en place.

– Elle est curieuse, cette montre, dit-il en posant l'index sur sa montre-bracelet.

– Elle est surtout vieille, dit-elle avec un sourire gêné, en tirant sur sa manche. Elle ne marche même plus.

Elle l'observa du coin de l'œil. Ses yeux semblaient rivés sur la pierre tombale.

– Ingmar!

Cette fois, ils faillirent tous deux tomber à la renverse.

– Qu'est-ce que tu fais là? Et avec cette femme!

La veuve de Rune Hedlund semblait scandalisée et sa voix était lourde de reproches mais aussi d'étonnement.

– Mais voyons, Kerstin, dit l'homme qui répondait au nom d'Ingmar, en faisant un pas dans sa direction. Je ne suis pas avec elle. Je croyais que c'était une amie de la famille.

Il se retourna et regarda Sibylla. Il n'avait pas tardé à se dédouaner et elle restait seule à être couverte d'opprobre et à avoir un pied dans les crocus. Elle eut du mal à distinguer si c'était de la haine ou de la peine qu'elle voyait dans les yeux de Kerstin Hedlund, mais ce regard était si condescendant qu'elle aurait pu demander pardon de n'importe quoi. L'homme qui s'appelait Ingmar cessa de regarder Kerstin au profit de Sibylla. La curiosité finit par l'emporter.

– Mais qui est-elle?

Il s'efforça de poser cette question sur un ton neutre. Kerstin Hedlund ne la lâchait pas du regard.

– Personne, dit-elle. Mais je te serais très reconnaissante si tu pouvais faire en sorte qu'elle disparaisse d'ici.

Il regarda Sibylla, qui hocha rapidement la tête. N'importe quoi pour échapper à ce supplice.

– Venez.

Il eut un geste d'impatience de la main. Sibylla s'exécuta mais, pour plus de sûreté, fit un détour de quelques pas pour éviter cette femme de si méchante humeur.

Ni l'un ni l'autre ne dit rien avant de se retrouver sur le parking. Son sac à dos était resté dans le buisson, mais elle ne pouvait pas retourner le chercher. Elle aviserait plus tard.

Il se retourna pour la regarder.

– Qu'est-ce que c'est que cette histoire?

Sibylla n'hésita que quelques secondes. Mais que pouvait-elle faire d'autre que dire la vérité?

– Elle croit que j'ai été la maîtresse de Rune.

Il éclata de rire. Elle se demanda un instant si elle devait jouer les offensées.

– La maîtresse de Rune? Qu'est-ce qui lui fait croire ça?

Il avait toujours le sourire aux lèvres et elle ne comprit pas sa réaction.

– Apparemment, il en avait une. Elle vient déposer des fleurs sur sa tombe chaque semaine.

– Vous connaissez Kerstin? demanda-t-il.

– Non.

Il jeta un coup d'œil en direction du cimetière, comme pour s'assurer qu'elle ne les avait pas suivis.

– Je comprends que vous preniez ça mal, mais essayez de lui pardonner.

– Lui pardonner? C'est moi qui ne comprends pas ce que vous voulez dire.

Il poussa un soupir comme pour signifier qu'il avait scrupule à dire du mal de quelqu'un en son absence.

– C'est Kerstin elle-même qui dépose ces fleurs. Mais elle ne l'a pas plus tôt fait qu'elle l'oublie. Ce n'est pas la première fois qu'elle s'en prend à des gens, dans ce cimetière. Elle n'est plus elle-même depuis la mort de Rune.

Sibylla le fixa des yeux. Peut-être se rendit-il compte de sa perplexité car, sans qu'elle ait besoin de lui poser la question, il poursuivit ses explications.

– C'est pour cela que je suis venu, aujourd'hui. Pour mettre de l'ordre dans mes pensées. Je ne sais pas quoi faire pour lui venir en aide. Mais il me semble que je dois bien cela à Rune.

Sibylla ne comprenait plus rien. S'il n'y avait pas de maîtresse, alors...

Elle alla jusqu'au bout de son idée.

– Elle n'est plus elle-même, dites-vous. Mais de quelle façon?

Il baissa les yeux vers le sol, toujours gêné.

– Cela fait plusieurs mois qu'elle est en congé maladie. Elle était infirmière, ici, mais... Enfin, ils ont trouvé qu'elle était devenue bizarre. Mais cela n'a fait qu'empirer depuis qu'elle a cessé de travailler.

Sibylla se souvint alors de la tenue blanche que Kerstin Hedlund portait sous son manteau lors de leur première confrontation.

– Mais elle porte toujours sa tenue d'infirmière.

Il hocha tristement la tête.

– Oui. Je sais.

Sa première idée avait donc été la bonne. C'était elle. La femme aux yeux pleins de haine. Grâce à son travail, elle avait obtenu le nom des victimes et était tout simplement allée reprendre ce qu'elle considérait lui appartenir.

Sans se soucier qu'elle réduisait en miettes l'existence de Sibylla Forsenström, par la même occasion. Peut-être même cela avait-il été une incitation supplémentaire, une occasion à saisir.

Elle ferma les yeux.

Elle sentit le désir de faire du mal à cette femme monter en elle. À cause de cette inquiétude, cette angoisse qu'elle lui avait causée. Mais surtout de la perte financière. De son avenir ruiné.

Elle fit demi-tour et se dirigea vers l'entrée du cimetière.

– Où allez-vous? lui cria-t-il.

Sibylla ne répondit pas, mais, une fois franchie la barrière, elle vit que l'endroit était désert. Kerstin Hedlund était sortie par une autre issue.

Elle resta un instant immobile avant de revenir sur ses pas.

– Où est-ce qu'elle habite?

Il eut l'air presque inquiet de cette question.

– Comment ça?

– J'aimerais lui dire deux mots.

Il hésita avant de répondre:

– Vous êtes sûre que c'est une bonne idée?

Elle pouffa.

Une bonne idée? Comme si c'était elle, Sibylla Forsenström, qui avait fixé les règles du jeu.

Peut-être vit-il à quel point elle était décidée. En tout cas, il ne fit rien pour la faire changer d'avis. Au lieu de cela, il poussa un soupir, comme s'il eût aimé ne pas se trouver mêlé à cette histoire.

– Je peux vous emmener en voiture, si vous voulez, finit-il par dire. Ce n'est pas tout près.

Elle en oublia son sac à dos. Tout ce qu'elle avait à l'esprit, c'était de rendre coup pour coup. De punir.

Ingmar ne disait rien.

Sans rien dire, il pilota la vieille Volvo à travers le centre de Vimmerby, passa devant un lotissement mais sans s'y arrêter. À nouveau la forêt des deux côtés de la route, mais Sibylla ne la vit pas.

Malheur à qui prive l'innocent de son droit.

Ces mots résonnaient dans sa tête comme un sinistre présage.

Elle ne remarqua même pas qu'ils s'étaient arrêtés.

– On dirait qu'elle n'est pas encore rentrée. Sa voiture n'est pas là.

La voix la tira de sa torpeur et la ramena sur le siège du passager de la Volvo. Elle regarda par la vitre. Une maison en bois de couleur jaune aux stores baissés.

– Je peux attendre.

Elle se prépara à ouvrir la portière.

– Il pleut, constata-t-il.

C'était exact. Le pare-brise ruisselait.

– J'habite là-bas. Voulez-vous prendre une tasse de café, en attendant?

Du café. Rien ne pouvait moins l'intéresser pour l'instant. Mais, d'un autre côté, c'était stupide de refuser un peu de nourriture gratuite. Les saucisses étaient seulement venues combler une partie d'un vide beaucoup plus vaste dans son estomac.

Elle hocha la tête et il embraya.

Avant d'avoir passé la seconde, il franchit une barrière, entre deux poteaux, devant une maison à crépi vert qui se trouvait presque en face de celle de Kerstin Hedlund.

Ainsi, ils étaient voisins, en plus.

Sibylla sortit de la voiture.

Il pleuvait toujours. Ingmar la précéda et ils se hâtèrent de gagner la maison, le long de l'allée de gravier. Sur le perron, elle se retourna pour voir si la voiture de Kerstin Hedlund n'arrivait pas, mais la route était déserte.

– Vous l'entendrez arriver, l'assura-t-il. Nous sommes les seuls à habiter par ici.

Elle entra dans le hall de la maison. Une odeur de dissolvant frappa ses narines.

– Ah, dit-il, j'ai dû oublier de sortir la boîte d'essence.

Il disparut à sa vue et revint très rapidement avec une boîte de verre dans laquelle trempaient des pinceaux.

– L'odeur ne va pas tarder à disparaître. Je vais la mettre dehors.

Il ouvrit la porte d'entrée, posa la boîte sur le seuil, puis tira la porte derrière lui et la ferma à clé. Elle ôta sa veste et l'accrocha sous une étagère fixée au mur.

– Vous êtes peintre? demanda-t-elle.

– C'est uniquement un passe-temps. Mais venez. Vous désiriez un peu de café, n'est-ce pas?

Il se pencha pour dénouer ses lacets et elle suivit son exemple. Puis il l'invita à pénétrer dans la cuisine.

Elle regarda autour d'elle. Cet homme ne vivait pas seul. Devant la fenêtre étaient accrochés des rideaux de dentelle, maintenus de chaque côté par une embrasse rose. Sur le rebord étaient posées des plantes en pots bien soignées dont elle ne connaissait pas le nom et, en dessous, un mince chemin de table au crochet qui pouvait fort bien avoir été fait à la maison.

Il se dirigea vers l'évier et versa de l'eau dans une bouilloire.

– Asseyez-vous, dit-il.

Elle fit comme il l'en priait. Par la fenêtre, elle pouvait voir la route. Il sortit une boîte en métal fort usagée et y prit quelques cuillers de café. Elle le regarda. Cette cuisine avait quelque chose d'étrange. Elle était certes propre et bien rangée, mais tout y était démodé. Les placards semblaient d'origine et l'évier lui arrivait en haut des cuisses. Celui qui vivait là ne s'intéressait guère au confort moderne, mais elle était assez mal placée pour le critiquer.

– Vous vivez seul? demanda-t-elle.

Il la regarda, mais presque timidement, cette fois.

– Oui, depuis que maman est morte, je suis seul.

– Ah bon. C'est récent?

La cafetière se mit à bouillir.

– Oh non, il y a près de dix ans de cela.

Mais tu n'as pas changé les rideaux, pensa-t-elle.

– Voulez-vous quelque chose à grignoter?

– Oui, volontiers.

Il se dirigea vers le réfrigérateur. C'était un vieux modèle qui s'ouvrait au moyen d'un bouton. Gun-Britt en avait un comme cela, à Hultaryd, vingt-cinq ans auparavant.

La main sur la poignée, il hésita.

– Ah, c'est vrai, dit-il en retirant sa main. J'ai oublié de faire des provisions. Je crains de ne pouvoir vous offrir autre chose qu'une tasse de café.

– Ça ne fait rien.

Il ouvrit un placard et sortit des tasses et des soucoupes, à la place. De belles petites tasses avec des fleurs bleu clair. Il les posa sur la table et ouvrit un tiroir situé sous la table.

Une voiture arriva sur la route. Elle regarda par la fenêtre, mais le véhicule passa sans s'arrêter.

Ingmar sortit des serviettes qu'il plia avec soin. De ces serviettes en papier, très minces et au bord légèrement ondulé, comme elle n'en avait pas vu depuis l'époque où elle participait aux thés de sa mère, à Hultaryd. Mais, à la campagne, le temps ne passait pas aussi vite qu'à la ville.

– Il faut bien faire les choses, quand on a de la visite.

Elle l'observa replier soigneusement la toile cirée, après avoir refermé le tiroir. Il avait l'air très excité. Comme s'il n'avait pas fait ce genre de chose depuis longtemps. Peut-être n'était-il pas très habitué aux visites féminines.

Avant de verser le café, il alla chercher un petit plateau en argent sur lequel étaient posés un sucrier et un petit pot à lait du même service que les tasses. Il regarda alors l'ensemble et eut l'air satisfait de lui. Puis il s'assit en face d'elle avec un sourire.

– Je vous en prie.

– Merci.

Elle regarda le pot vide. Elle aurait bien aimé un peu de crème, mais n'osa pas en demander. Elle prit la tasse par la petite anse et but une gorgée. Sur le mur, derrière lui, était accrochée une de ces petites tentures au point de croix portant la maxime bien connue: L'amour est plus fort que tout.

– Que voulez-vous dire à Kerstin? demanda-t-il.

La question la surprit. Il n'y avait certes rien d'étonnant à ce qu'il se soit interrogé à ce sujet pendant le trajet en voiture, mais elle ne put s'empêcher de penser, aussi, qu'il ne savait toujours pas qui elle était.

Elle baissa les yeux.

– Je voulais seulement parler un peu avec elle.

Il souriait toujours, comme machinalement.

– Pourquoi donc?

Elle fut un peu contrariée. Sans doute n'avait-il que de bonnes intentions, mais elle n'avait que faire de celles-ci.

– C'est une chose entre elle et moi, finit-elle par dire.

Ingmar ne la lâcha pas du regard.

– Vous en êtes certaine?

Le café n'était vraiment pas bon. Il avait mis trop peu de poudre. Et puis elle n'avait plus la force de poursuivre cette conversation. Elle se leva.

– Merci pour le café et de m'avoir ramenée en voiture. Mais je crois que je vais aller l'attendre dehors.

Il ne répondit pas et continua à sourire. Un instant, il lui vint à l'idée qu'il était peut-être un peu dérangé. Il souriait de façon si niaise qu'elle avait presque envie de le remettre en place. On aurait dit qu'il pensait à une histoire drôle qu'il gardait pour lui.

Elle passa dans le hall et remit ses chaussures. Quand elle se redressa, elle vit qu'il se tenait devant la porte. Il souriait encore plus qu'avant.

– Vous ne partez pas déjà?

C'était presque un ordre. Elle changea alors d'attitude du tout au tout.

– Si. Je ne bois jamais de café sans crème.

– Ah bon. Je ne vous aurais pas crue si difficile.

Il avait frappé comme un cobra. Sans hésiter un instant. Comme s'il n'avait plus à peser ses mots.

Elle sentit la moutarde lui monter au nez et décrocha sa veste.

– Qu'est-ce que vous voulez dire par là? finit-elle par demander, mais d'une voix qui n'était plus aussi assurée.

Il avait sûrement perçu ce changement de ton, car il se remit à sourire de toutes ses dents.

– Je veux dire que les gens de votre espèce doivent se contenter de peu.

Elle fit de son mieux pour le dissimuler, mais elle avait vraiment peur, maintenant. Il n'avait pas l'air très robuste, mais elle s'était déjà méprise sur les forces physiques d'autres que lui. Si les hommes voulaient vraiment parvenir à leurs fins, elle n'était pas de taille à leur résister. Mais elle n'avait pas l'intention de se laisser faire aussi facilement.

– Mais qu'est-ce que c'est que ce bled? dit-elle soudain. Une meurtrière qui dépèce ses cadavres et un violeur qui habitent l'un en face de l'autre? Vous êtes certain que l'eau du robinet n'est pas empoisonnée?

Elle jeta un coup d'œil à la porte. Il avait ôté la clé de la serrure.

– C'est fermé à clé, dit-il, suivant son regard. Mais il faut que je vous corrige sur un point. S'il y a quelque chose dont je n'ai vraiment pas envie, c'est de coucher avec vous.

Elle ne fut pas du tout persuadée qu'il disait vrai. Elle recula d'un pas mais alla cogner du dos contre la rampe de l'escalier.

– En revanche, nous avons d'autres sujets de conversation.

Elle avala sa salive.

– Je ne pense pas.

Il sourit à nouveau.

– Oh si, Sibylla!

Tout d'abord, elle fut incapable de répliquer quoi que ce soit. La seule chose qu'elle comprenait, c'était que rien n'allait comme il fallait.

– Comment savez-vous mon nom?

– Je l'ai lu dans le journal.

Il ne pouvait pas l'avoir reconnue. Pas avec sa nouvelle coiffure.

Une voiture passa sur la route. Elle la vit distinctement, par la fenêtre de la cuisine.

– Inutile de guetter Kerstin. Elle habite de l'autre côté de la ville. La maison d'en face appartient à des Allemands et, en général, ils ne viennent pas avant le mois de juin.

Elle voulait sortir. Sortir et s'enfuir.

– Que me voulez-vous? demanda-t-elle.

Il ne répondit rien.

– On pourrait s'asseoir. Le café refroidit.

Elle regarda à nouveau en direction de la porte. Le hall était dépourvu de fenêtre.

– Inutile d'y penser, Sibylla. Tu ne partiras pas avant que je t'en donne la permission.

Prisonnière.

Elle ferma les yeux pendant quelques instants et tenta de reprendre ses idées. Il s'éloigna du chambranle de la porte et, comme elle n'avait pas le choix, elle revint dans la cuisine.

– Si tu veux bien enlever tes chaussures.

Elle se retourna vers lui et le regarda.

Bon sang.

Elle alla s'asseoir à la table. Elle vit alors qu'il était en colère. Il ouvrit un placard, prit une balayette et une pelle et ôta quelque saleté invisible sur le sol. Puis il alla remettre ces instruments en place et vint s'asseoir en face d'elle.

Il ne souriait plus.

– À partir de maintenant, tu vas devoir faire ce que je te dirai.

À partir de maintenant? Qui était-ce, ce type, au juste? Pourquoi diable ne parlait-il pas clairement?

– Vous n'avez pas le droit de me retenir, dit-elle.

Il feignit la surprise.

– Non? Ça alors. Tu veux peut-être appeler la police?

Voyant qu'elle ne répondait pas, il éclata de rire et elle se dit en elle-même que le moment était peut-être venu. D'appeler la police.

Ils se regardèrent, épiant chacun de leurs mouvements. Une autre voiture passa sur la route et Sibylla le lâcha un moment des yeux au profit du véhicule.

Le silence était rompu.

– Je dois reconnaître que j'ai été surpris, quand je t'ai vue, au cimetière. Un don du ciel. Dieu prend vraiment soin des siens.

Elle le fixa des yeux sans comprendre.

– Je n'en ai pas cru mes yeux, quand j'ai vu ta montre. Sans elle, je ne t'aurais pas reconnue.

Il désigna sa montre-bracelet d'un signe de la tête et elle suivit son regard. Il sourit, rejeta la tête en arrière et ferma les yeux.

– Merci, Seigneur, de m'avoir prêté l'oreille, d'avoir sauvé mon âme et d'avoir amené ici cette femme. Merci de...

– Ma montre? coupa-t-elle.

Il se tut. Quand il rouvrit les yeux, ceux-ci étaient réduits à de minces fentes.

– Ne m'interromps jamais, quand je parle avec le Seigneur, dit-il lentement, en se penchant sur la table pour donner plus de poids à ses paroles.

Soudain, tout prit son sens.

Malheur à qui prive l'innocent de son droit.

La vérité se fit jour en elle avec la brutalité d'un rayon laser, la privant de la parole, tandis que la peur lui faisait venir un goût de sang à la bouche.

Ce qui importait, c'était ce que l'on paraissait être. Comment avait-elle pu l'oublier, ne fût-ce qu'un instant? Elle avait été victime de ses propres préjugés. Elle lut sur son visage qu'il avait compris qu'elle savait, maintenant.

– J'ai déjà vu cette montre une fois. Dans le restaurant français du Grand Hôtel. Alors que tu tenais compagnie à Jörgen Grundberg, au cours de son dernier repas.

Ils restèrent face à face comme deux arcs bandés, se surveillant des yeux. Chacun attendait le signal.

Une éternité s'écoula et elle fit de son mieux pour rapprocher l'une de l'autre toutes les parcelles de vérité qu'elle détenait et en faire un ensemble.

Elle ne s'était pas trompée.

Et pourtant si.

Rune Hedlund n'avait pas eu une maîtresse, mais quelque chose d'encore plus secret: un amant.

C'étaient ces mains noueuses reposant sur cette table de cuisine entre eux qui avaient commis ces atrocités dont on l'accusait. Avec leurs traces de peinture, reste d'un passe-temps favori, dissimulées sous des gants en plastique, elles avaient plongé dans le corps de leurs victimes pour reprendre ce qu'elles avaient perdu.

– Pourquoi? finit-elle par demander tout bas.

Sa question le détendit et marqua le début d'une nouvelle phase. Ils n'avaient plus besoin de faire semblant ni de parler à mots couverts. Il ne restait plus que la confrontation finale. Pendant laquelle ce serait elle qui poserait les questions et lui qui répondrait.

Et après cela...?

Il retira ses mains et les posa sur ses genoux en prenant presque l'air de s'apprêter à prononcer un discours.

– Es-tu déjà allée à Malte?

La question était si inattendue qu'elle ne put s'empêcher de frissonner. Peut-être prit-il cela pour un éclat de rire, car il se mit à nouveau à sourire.

– J'y suis allé, moi, poursuivit-il. Six mois, environ, après l'accident de Rune.

Il cessa de sourire et baissa les yeux vers ses mains.

– Personne ne savait la peine que je ressentais...


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