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Recherchée
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 18:54

Текст книги "Recherchée"


Автор книги: Karin Alvtegen


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Триллеры


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Naturellement, sa mère avait imposé sa volonté.

Quand Micke avait l'occasion de venir à Vetlanda, il passait la chercher à la sortie du lycée. Elle faisait exprès de manquer le bus de ramassage et, très fière et vibrante de joie, allait discrètement le retrouver dans sa De Soto, à quelques pâtés de maisons du lycée. Elle se blottissait sur le siège du passager et se laissait ramener à Hultaryd, à quarante kilomètres de là. Mais jamais à la maison. Elle se faisait toujours déposer à bonne distance.

Une fois, sur le chemin du retour, il s'était engagé sur une route de forêt. Elle l'avait regardé du coin de l'œil mais il ne quittait pas la route des yeux. Ils ne disaient rien, ni l'un ni l'autre.

Il avait arrêté la voiture, ils étaient descendus et s'étaient regardés. Puis elle s'était abandonnée à lui avec un sentiment de bonheur complet et d'être celle qu'il avait choisie.

Il l'avait prise, doucement, sur la couverture à carreaux.

Elle était toute à lui. Il était tout à elle.

Elle l'avait observé à la dérobée, se demandant quel plaisir elle pouvait lui procurer. Il était comme absorbé par sa présence, toutes ses pensées étaient concentrées sur elle, son corps était en extase devant le sien, devant elle.

Ils ne faisaient plus qu'un.

Elle aurait donné n'importe quoi pour une seconde de ce sentiment d'intimité.

N'importe quoi.

Les pommes de terre formaient une boule dans sa bouche. Ses parents mangeaient en silence.

Cette attente insupportable.

Impossible d'avaler.

Deux fourchettes dans la même main. Trois.

La table qui dansait.

Faut que j'avale.

Cette peur qui lui serrait le ventre.

Avale, bon sang. Avale! N'aggrave pas les choses.

Pardonnez-moi. Pardon. Dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour qu'on me pardonne mais ne me faites plus attendre.

Je ferais n'importe quoi pour que vous me pardonniez.

N'importe quoi.

Béatrice Forsenström posa son couteau et sa fourchette et c'est sans regarder Sibylla qu'elle creusa l'abîme qui s'ouvrit sous ses pieds, au moyen d'une simple remarque.

– J'ai entendu dire que tu montais dans des voitures de voyous.

C'est une femme promenant un bouledogue qui la sauva. Sibylla la vit gesticuler, au coin de Gräsgatan, d'où partait l'allée conduisant aux jardins ouvriers d'Eriksdal. Ce n'est qu'en approchant d'elle qu'elle vit l'écouteur noir dans son oreille et le fil le reliant au téléphone portable et qui, d'après les dernières découvertes, permettait d'empêcher que l'utilisateur ait le cerveau en grande partie détruit par les rayons émis par l'appareil. Elle avait lu cela dans les journaux.

– C'est un véritable scandale!

Sibylla ralentit et prêta l'oreille. Le bouledogue s'était assis et regardait attentivement sa maîtresse exprimer sa révolte.

– On n'est quand même pas dans un État policier, bon sang. Je me fiche pas mal de savoir qui vous recherchez. Je suis suédoise et je prétends avoir le droit de me promener où je veux sans me retrouver soudain avec un pistolet braqué sur la figure. C'est révoltant!

Sibylla s'arrêta près d'elle.

– Non, je n'ai pas l'intention de me calmer. Je veux déposer plainte. Ils ne se sont même pas excusés et il a fallu que je montre mes papiers pour qu'ils me laissent passer. C'est un véritable scandale!

La femme se tut et prêta une seconde l'oreille à ce que disait son correspondant, à l'autre bout du fil. Elle jeta un coup d'œil à Sibylla, au passage, et celle-ci se dépêcha de détourner le visage.

– Oui... Non, je refuse. Si vous n'acceptez pas ma plainte, je vais appeler un autre commissariat.

Elle coupa la communication et mit le téléphone dans sa poche. Le chien se dressa sur ses pattes.

– Viens, Kajsa.

Elle traversa la rue, suivie par le chien. Sibylla demeura sur place, perplexe.

– Ne descendez pas vers les jardins. Sibylla eut un petit sourire.

– Ah bon, pourquoi?

– Ça grouille de flics, là-bas. Seulement on ne les voit pas avant de se retrouver avec un pistolet braqué sur la tempe. Je ne sais pas ce qu'ils font. Mais c'est un véritable scandale.

Sibylla acquiesça de la tête.

– Merci. Je crois que je vais aller ailleurs, alors.

La femme et le chien poursuivirent leur chemin et Sibylla poussa un gros soupir de soulagement.

Uno Hjelm avait fait son petit boulot de judas, le salaud.

Il fallait qu'elle quitte le secteur, et vite.

Combien de temps tiendrait-elle?

Survivre était une chose. Elle en avait l'habitude. Mais fuir, se terrer.

Elle pressa le pas, s'imaginant qu'ils l'avaient déjà repérée et qu'ils étaient sur ses talons.

Comment Hjelm avait-il pu savoir que c'était elle? Il ne pouvait pas l'avoir reconnue d'après la photo des journaux. C'était impossible. Ou alors elle était perdue. Elle ne serait en sécurité nulle part.

Il fallait absolument qu'elle change de coiffure.

Elle approchait du boulevard circulaire et il y avait maintenant beaucoup de monde. Elle fit de son mieux pour disparaître dans la foule.

Est-ce que les gens ne la regardaient pas d'une façon bizarre? Lui, là, cet homme qui arrivait en face d'elle. Pourquoi la fixait-il comme cela? Son cœur se mit à battre. Elle baissa les yeux. L'homme passa à côté d'elle sans rien dire.

Et qui la croirait, si elle disait la vérité? Mais peut-être parviendraient-ils à comprendre qu'elle désirait dormir dans un vrai lit, une fois de temps en temps. Et puis elle avait l'intention de s'acquitter. Plus tard, bien sûr, mais elle le ferait. Il se trouvait seulement qu'elle avait perdu son portefeuille. Et c'était vrai.

La bouche de métro grouillait de monde.

Elle passa sans s'arrêter.

Mais où aller?

Parvenue dans Renstiernasgata, elle monta l'escalier menant au parc de Vitaberg. L'église Sainte-Sophie se dressa au-dessus d'elle comme une citadelle, puissante et sûre. Elle était fatiguée et eut l'idée d'aller s'y asseoir un moment. Elle se retourna pour s'assurer que l'allée descendant vers la rue était déserte et que personne ne la suivait.

Un silence total régnait dans l'église. Un homme était assis dans une cabine en verre, à droite de l'entrée, et il la salua gravement de la tête. Elle lui répondit de la même façon et ôta son sac à dos.

Un homme portant une queue-de-cheval était assis sur l'un des bancs, en dessous de la chaire, mais, à cette exception près, l'église était vide. Elle le reconnut d'ailleurs pour l'avoir vu une ou deux fois à la Mission évangélique. Il dormait, le menton contre la poitrine.

Elle posa son sac sur le banc situé au fond de l'église et ferma les yeux.

Le calme. Son seul désir.

L'homme dans la cabine se mit à tousser et l'écho s'en répercuta dans tout le bâtiment. Puis le silence s'abattit de nouveau.

Dieu entend les prières, était-il marqué sur une affiche apposée à l'entrée.

Elle ouvrit les yeux et regarda le grand retable, devant le chœur. Au cours des siècles, une quantité considérable d'êtres humains avaient remis leur destin entre Ses mains, ils avaient construit ces immenses églises et Lui avaient adressé leurs prières. Elle avait fait de même, étant petite. Chaque soir la même prière demandant à Dieu de protéger les petits enfants et de ne pas faire mourir leur père et leur mère. Peut-être l'avait-Il entendue, d'ailleurs? Après tout, elle était encore en vie et en bonne santé. Mais Il ne l'avait guère protégée, pourtant. Peut-être était-Il du côté des autres?

Les autres. Ceux qui avaient trouvé leur place dans la société.

Mais celui qu'on appelait le Chef de gare, cet homme qui, après quatre tentatives manquées d'empoisonnement, s'était jeté du haut d'un pont, le mois dernier. Ses prières, à lui, qu'en était-il advenu? Ou encore Lena, cette femme qui faisait le tour de la ville à bord de l'autobus de l'Armée du Salut pour distribuer du café chaud et qui avait soudain appris qu'elle avait une tumeur inopérable au cerveau: qu'est-ce qu'elle avait fait pour mériter cela? Ou encore Tova, Jönsson ou Smirre? Ils étaient tous morts, après avoir vécu un enfer pendant des années, sans que leurs prières aient été entendues.

Alors quoi, Dieu?

Et Jörgen Grundberg? Quoi que Tu aies eu à lui reprocher, Tu n'avais pas besoin de me mêler à cela, hein?

À moins que Tu ne veuilles me punir, moi aussi? Dans ce cas, QUAND EST-CE que Tu en auras terminé?

Elle se leva et hissa le sac sur son dos. Ce n'était pas là qu'elle trouverait la paix.

Sans un regard pour l'homme dans sa cabine de verre, elle quitta l'église.

Quand elle se retrouva à l'extérieur, le soleil avait commencé à se coucher. Elle fit un pas de plus pour voir l'horloge. Cinq heures et quart.

Cette nuit, elle voulait vraiment dormir dans un lit. Mais l'hôtel était trop risqué et elle n'osait pas se rendre dans une institution de charité. Il n'y avait jamais assez de place pour tout le monde et, si quelqu'un se voyait refuser l'entrée au profit de quelqu'un d'autre, il pouvait toujours aller trouver les flics – échange de bons procédés.

Elle posa la main sur la pochette contenant son argent. Pour la première fois depuis qu'elle avait pris sa décision, elle fut tentée de procéder à un prélèvement et de s'offrir une bonne cuite, afin d'oublier pendant un moment.

Toute cette merde, bon sang.

Elle prit le raccourci pour regagner Skanegatan. Au bout d'une dizaine de mètres, elle passa devant une porte de couleur verte qui s'ouvrait dans une palissade passée au rouge de Falun. Un monument historique. À droite de cette porte on voyait le pignon, de couleur brune, d'une petite maison en bois en assez mauvais état. Elle s'arrêta. Il y avait une ouverture au niveau du sol, sur le pignon, mais celle-ci avait été bouchée à l'aide de planches. En revanche, celle qui se trouvait un mètre plus haut était simplement fermée à l'aide d'une cheville en bois.

Elle regarda autour d'elle.

Le parc était désert.

Elle ôta rapidement son sac à dos, ouvrit le panneau de bois et se glissa à l'intérieur.

Les jeudis nous appartenaient. Ces jours-là, il venait me retrouver. Il suffit que je ferme les yeux pour le voir devant moi, ouvrir la barrière et remonter l'allée. La chaleur dans ma poitrine. Il faisait attention à essuyer ses pieds sur le paillasson. Puis il était là. Avec ses bras puissants. Ce n'était pas un péché, Seigneur, c'était de l'amour, le genre d'amour que Tu nous as enseigné. Je Te remercie de m'avoir permis de le connaître.

Je faisais toujours le ménage, avant qu'il vienne. Je voulais qu'il sente à quel point j'attendais sa visite. Chaque fois j'espérais qu'il resterait pour de bon, mais, à quatre heures au plus tard, il était forcé de partir. Je savais alors que j'avais sept longues journées et sept longues nuits à attendre avant de le revoir. Et maintenant une vie entière.

Pourtant, je Te remercie, Seigneur, de me montrer le chemin. De m'avoir prouvé que je pouvais l'aider à parvenir dans Ton royaume. Ainsi, je sais qu'il m'attend, là-haut. Merci, Seigneur, de m'avoir permis d'être à Ton service et de faire en sorte que je sois en mesure de redresser les erreurs et les injustices des êtres humains.

Je vous annonce une grande nouvelle: nous ne nous endormirons pas pour l'éternité, nous serons tous métamorphosés, en un instant, lorsque retentira la dernière trompette. Car elle retentira et alors les morts ressusciteront sous une forme impérissable. Car ce qui est périssable doit se revêtir de l'impérissable et la mort se muer en immortalité.

Mais lorsque ceci sera consommé, alors se réalisera la prédiction:

"Mort, où est ta victoire? Mort, où est ton aiguillon?"

L'aiguillon de la mort, c'est le péché et le pouvoir du péché est fondé sur la loi. Mais Dieu soit loué, qui nous donne la victoire par l'intermédiaire de Notre Seigneur Jésus-Christ!

Je veux aussi Te remercier, Seigneur, de Ta protection. De ne pas m'avoir laissé agir en solitaire et d'avoir envoyé une femme pour m'assister. De lui permettre d'expier ses péchés afin de Te servir.

De tout cela je Te remercie, Seigneur.

Amen.

À son réveil, elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle se trouvait. Cela n'avait rien d'inhabituel, soit, mais ce matin-là elle mit plus de temps pour se repérer. La lumière pénétrait par les interstices de la paroi de bois et éclairait un vaste bric-à-brac. Mais ce n'est que lorsque l'église Sainte-Sophie sonna sept heures qu'elle sut où elle était.

Elle se mit sur son séant et sortit la dernière banane de son sac à dos.

Autour d'elle, le sol était couvert de sciure et, la veille au soir, elle avait dû ôter quelques planches et les placer en travers des verrous pour étaler son tapis de sol. Elle n'avait plus mal à la gorge. Tout en mangeant, elle observa la poussière qui voltigeait dans les rayons de lumière. Après une telle nuit, elle aurait besoin d'une douche. Mais elle n'osait pas aller à la gare centrale. Pas plus que dans une institution caritative.

Depuis qu'elle avait oublié son agenda au Grand Hôtel, elle ne savait plus exactement quel jour c'était, mais, si elle ne s'était pas trompée, son aumône mensuelle devait être arrivée. Pourtant, il fallait d'abord qu'elle fasse quelque chose à propos de ses cheveux. Elle pourrait prélever un peu d'argent sur sa réserve pour une teinture, puis aller chercher celui du mois.

Elle savait que l'autobus n°76 était à destination de Ropsten. Elle évitait en général ce moyen de transport, car il était plus facile de prendre le métro sans payer. Elle sortit un billet de vingt couronnes de la pochette accrochée autour de son cou et se dirigea vers l'arrêt d'autobus de Renstiernasgata.

Pour la première fois depuis six ans, elle venait d'enfreindre la règle qu'elle s'était fixée.

Les salauds, c'est eux qui l'avaient forcée.

Au début, elle fut seule à l'arrêt d'autobus, mais au bout de quelques minutes elle eut de la compagnie. Personne ne s'occupait d'elle, mais elle s'efforça d'éviter de croiser le regard des autres.

Lorsque l'autobus arriva, il y avait pas mal de place, bien que ce fût l'heure de pointe du matin. Le trajet coûtait quatorze couronnes. Une petite fortune.

Elle alla s'asseoir au fond du véhicule et posa son sac à dos sur le siège, à côté d'elle. Ce n'est qu'à l'Écluse que tous les sièges furent occupés. Une femme lança alors un regard courroucé en direction de son sac. En temps normal, elle ne s'en serait pas souciée mais, ce jour-là, elle désirait éviter d'attirer l'attention sur elle.

Elle mit donc son sac sur ses genoux. La femme s'assit à côté d'elle et sortit un journal de son porte-documents.

Sibylla regarda par la fenêtre. Ils étaient maintenant sur Skeppsbron. L'autobus s'arrêta au feu rouge juste devant un bureau de tabac. Le buraliste était en train d'installer les affichettes des journaux de la journée et, au moment où l'autobus démarrait, il bougea, lui permettant de voir ce qui était marqué.

En fait, ses yeux lurent d'eux-mêmes et firent ensuite parvenir l'information à son cerveau.

Ce n'était pas possible!

Elle resta un moment à regarder dans le vide, devant elle. La peur le disputait en elle à la perplexité, comme si un lacet se resserrait lentement autour de sa gorge.

Elle s'avisa soudain que quelqu'un la regardait et cela rompit le charme. D'instinct, elle plaça son sac à dos entre eux, à la manière d'un rempart. Ce geste eut pour conséquence qu'elle put voir le journal étalé sur les genoux de la femme qui était assise à côté d'elle.

Elle ne voulait pas voir mais, une fois encore, ses yeux furent plus forts qu'elle.

Le titre suffit à lui donner la nausée, elle n'eut pas la force de lire le reste. Pendant la fin du trajet, elle garda le regard obstinément fixé sur son sac à dos et ce n'est que lorsque la femme referma le journal et descendit qu'elle osa bouger à nouveau.

Au terminus, il ne restait plus qu'elle dans l'autobus. En se levant pour sortir, elle vit que la femme avait laissé son journal sur le siège.

Elle ne voulait pas le faire.

Mais elle savait qu'elle était obligée.

Les salauds.

Avant de descendre de l'autobus, elle fourra le journal dans son sac.

Sur le chemin de Nimrodsgatan, elle entra dans un magasin Konsum et acheta un flacon de teinture pour cheveux. C'était la deuxième fois qu'elle prélevait sur son trésor. Mais, dès qu'elle aurait retiré son argent à la poste, elle remettrait ce qu'elle avait pris.

L'immeuble locatif de Nimrodsgatan était pour elle, et pour bien d'autres dans sa situation, une véritable providence. Le genre de trésor dont on se gardait bien de parler, parmi les gens comme elle. Un jour, elle avait dû payer pour avoir eu la langue trop bien pendue.

Mais pas en argent.

La porte d'entrée de l'immeuble était ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les appartements ne disposaient pas de douches et c'était la raison pour laquelle il en avait été installé au sous-sol. Bien carrelées et avec de l'eau chaude et du papier hygiénique à volonté.

Elles étaient certes fermées à clé, mais elle était une des rares à savoir où était cachée la clé de secours. À mi-chemin de l'escalier descendant au sous-sol, près de la porte donnant accès à ce havre, il y avait une vieille trappe en fer. Derrière celle-ci, les locataires avaient déposé une clé de secours fixée à un morceau de bois de cinquante centimètres de long, pour que personne ne l'emporte par mégarde.

Cette clé valait son pesant d'or, sinon plus.

Une fois à l'intérieur, on pouvait fermer derrière soi.

Et être tranquille.

Elle fit d'abord couler de l'eau dans le lavabo des toilettes et mit sa culotte à tremper. En guise de lessive, elle versa quelques gouttes de shampooing. Puis elle ôta tous ses vêtements et tourna le robinet d'eau chaude de la douche. Elle avait de la chance. Quelqu'un avait oublié un flacon de savon liquide.

Elle ferma les yeux, mais la seule chose qu'elle vit fut l'image de la page de journal de l'autobus.

Quand est-ce que cela s'arrêterait?

Quand son cauchemar prendrait-il fin?

La femme du Grand Hôtel frappe à nouveau meurtre rituel à Västervik

– Depuis combien de temps est-ce que cela dure?

Pour une fois, c'était son père qui lui adressait la parole.

Sibylla avala sa salive. La table dansait toujours.

– Quoi?

Béatrice Forsenström pouffa.

– Ne fais pas l'idiote, Sibylla. Tu sais très bien de quoi nous parlons.

Elle le savait, en effet. Quelqu'un avait dû la voir dans la voiture de Micke.

– On s'est rencontrés au printemps dernier.

Ses parents se regardèrent par-dessus la table. On aurait dit qu'ils étaient reliés par des élastiques.

– Comment s'appelle-t-il?

C'était à nouveau son père qui lui posait cette question.

– Mikael. Mikael Persson.

– Est-ce que nous connaissons ses parents?

– Je ne crois pas. Ils habitent Värmamo.

Un instant de silence dont Sibylla tenta de jouir pleinement.

– Et qu'est-ce qu'il fait, à Hultaryd? Je suppose qu'il a un métier.

Sibylla hocha la tête.

– Il est mécanicien. Il est incollable dans son domaine.

– Ah bon.

Ses parents se regardèrent à nouveau. Les élastiques verts et rouges qui les reliaient semblaient ne faire que croître en nombre. Mais ils n'avaient plus de visage. Sibylla baissa les yeux vers la table.

– Nous ne voulons pas que notre fille se promène dans une voiture de voyou.

C'est ainsi qu'ils qualifiaient une De Soto Firedome modèle 59.

– Nous ne voulons pas que tu fréquentes qui que ce soit parmi ce genre de garçons.

Sibylla eut l'impression que sa tête pesait soudain du plomb et se mettait à tomber de côté sans qu'elle puisse la retenir.

– C'est mes copains.

– Tiens-toi bien, quand on te parle!

Sa tête se redressa automatiquement mais son cou n'avait plus la force de la tenir droite. Elle retomba en arrière et alla cogner contre le dossier de sa chaise.

– Mais enfin, Sibylla, qu'est-ce qui te prend? Qu'est-ce qui se passe?

Sa mère s'était levée de table et, du coin de l'œil, Sibylla la vit s'approcher d'elle. Sa tête était comme collée au dossier de la chaise. Au moment où sa mère arriva près d'elle, elle sentit que sa tête glissait sur le côté et que son corps la suivait dans sa chute.

– Sibylla? Comment ça va, Sibylla?

Elle était allongée sur quelque chose de moelleux et c'était la voix de sa mère qu'elle entendait. Quelque chose de froid et d'humide était posé sur son front et elle ouvrit les yeux. Elle était couchée dans son lit et sa mère était assise sur le bord de celui-ci. Son père était debout au milieu de la pièce.

– Tu nous as fait peur, ma petite.

Sibylla regarda sa mère.

– Pardon.

– On parlera de ça plus tard.

Henry Forsenström s'approcha du lit.

– Comment vas-tu? Veux-tu qu'on appelle le docteur Wallgren?

Sibylla secoua la tête. Son père hocha la sienne pour signifier qu'il avait compris et quitta sa chambre. Sibylla regarda sa mère.

– Je veux dire: pardon de m'être évanouie.

Béatrice ôta la compresse de son front.

– On ne peut rien à ce genre de chose, Sibylla, et il n'y a pas de quoi demander pardon. Mais, pour le reste de ce que nous disions, il en sera comme ton père et moi t'avons dit. Il ne faut plus que tu ailles là-bas.

Sibylla sentit qu'elle était sur le point de se mettre à pleurer.

– Sois gentille, maman.

– Inutile de nous faire une scène. C'est pour ton propre bien, tu le sais.

– Mais ce sont mes seuls amis.

Sa mère se redressa. Sibylla sentit que sa patience était à bout et qu'il n'était pas question de discuter.

Pas plus que d'autre chose, d'ailleurs.

Une bonne douche, en paix, était pour elle la meilleure façon de retrouver le goût de vivre.

Mais, cette fois-là, elle ne servit à rien.

En sortant de la douche et en s'essuyant, elle se sentit encore plus découragée qu'auparavant. Comme si l'espoir avait été évacué avec l'eau sale.

Elle essora sa culotte maintenant propre et gagna la buanderie, de l'autre côté du couloir. La clé y donnait également accès. Elle plaça sa culotte et sa serviette dans un séchoir qu'elle mit en marche et s'enferma ensuite dans la douche pour s'occuper de sa nouvelle coiffure.

Elle coupa ses cheveux, qui lui arrivaient aux épaules, et ils tombèrent sur le sol. Elle eut du mal à les égaliser sur la nuque et elle comprit que, plus elle les raccourcirait, plus elle aurait de difficultés à faire son petit numéro de charme pour se procurer une nuit gratuite à l'hôtel, à l'avenir.

Mais, en fait, cette possibilité n'existait déjà plus.

Elle suivit les instructions figurant sur le flacon de teinture et appliqua le produit sur ce qui lui restait de cheveux. Une fois que ce fut terminé, elle eut l'air d'une punk brune ayant légèrement dépassé l'âge.

Uno Hjelm lui-même ne la reconnaîtrait pas.

Elle prit soin de bien nettoyer derrière elle. C'était un point d'honneur parmi les rares personnes ayant le privilège de connaître cet établissement de luxe clandestin, car la moindre trace de leur passage pourrait inciter les locataires à cacher la clé à un autre endroit.

Une fois qu'elle eut terminé et fut rhabillée, elle s'assit sur le siège de toilette pour attendre que sa petite lessive soit sèche. Le journal était posé à l'envers sur le sol, devant elle. Elle n'avait pas encore eu le courage de le lire et avait fait tout son possible pour retarder au maximum ce moment. Mais elle ne pouvait plus reculer, maintenant. Elle prit sa respiration, se pencha en avant et prit le journal.

Pages 6, 7, 8 et pages du milieu.

Sibylla Forsenström, 32 ans, déjà recherchée depuis avant-hier pour le meurtre de Jörgen Grundberg au Grand Hôtel, a commis hier après-midi un nouvel assassinat empreint de sauvagerie. Un homme de 63 ans a été tué, vers 15 h dimanche après-midi, dans sa maison de campagne, au nord de Västervik. Il était seul chez lui et dormait probablement lorsqu'il a été frappé. Les circonstances de ce drame sont identiques à celles du meurtre commis au Grand Hôtel, mais la police refuse d'en dire plus pour ne pas gêner l'enquête. Il semble pourtant qu'il s'agisse de véritables exécutions. Les deux corps ont été sauvagement profanés et des organes ont été prélevés sur eux, mais la police refuse de préciser lesquels. Les enquêteurs ont donc de bonnes raisons de suspecter Sibylla Forsenström de meurtre et de profanation de cadavre. On ignore encore le mobile de ces crimes, mais il semble que les victimes aient été choisies au hasard.

Elle n'eut pas le courage d'en lire plus et tourna la page. La première chose qu'elle vit alors fut un dessin représentant son propre visage et lui ressemblant à un point qui avait tout pour l'inquiéter. Apparemment, le serveur avait bonne mémoire et Hjelm avait pu compléter ses dires en ce qui concernait ses cheveux, puisqu'il l'avait vue sans perruque, lui.

Mais cela n'allait plus servir à grand-chose.

Bon sang de bordel de merde.

Comment était-ce possible?

La police ne dispose toujours d'aucune piste en ce qui concerne Sibylla Forsenström, mais elle s'efforce d'obtenir des renseignements parmi les marginaux de Stockholm. Elle a recueilli divers témoignages selon lesquels la jeune femme aurait été vue à la gare centrale de la capitale, entre autres endroits, ainsi que près de jardins ouvriers du quartier de Söderhamn. Après le meurtre de Västervik, un mandat d'arrêt national a été lancé contre elle. D'après une source non confirmée, elle aurait déposé, près des cadavres, un message à caractère religieux dans lequel elle revendiquerait la responsabilité de ces meurtres. Mais on ignore toujours le mobile de ces actes.

Elle dut se lever pour vomir dans le lavabo. Comment diable un peu de teinture pourrait-il lui permettre d'échapper au filet, alors que toute la police de Suède était maintenant à ses trousses et la soupçonnait non seulement d'être une meurtrière, mais également de dépecer les cadavres?

Son corps était encore agité de soubresauts, bien qu'elle n'eût plus rien à vomir. Elle tenta de boire un peu d'eau. Mais, au même moment, on frappa à la porte.

– Vous avez bientôt fini?

Elle se regarda dans la glace. Son visage était couleur de cendre et ses mèches noires se dressaient sur sa tête. Jamais elle n'avait autant ressemblé à une droguée.

– Je suis sous la douche.

Elle ferma les yeux et pria Dieu que l'homme qui se trouvait à l'extérieur se contente de cette réponse et aille prendre sa douche dans la cabine d'à côté. Mais pourquoi changerait-il d'avis?

– Si vous voulez bien vous dépêcher. L'autre cabine est occupée, elle aussi.

– Oui, oui.

Le silence retomba. Elle sortit son nécessaire à maquillage de son sac à dos et se mit du rouge sur les joues et sur les lèvres. Cela n'arrangeait certes pas son portrait, mais elle s'était donné tout le mal qu'elle pouvait.

Elle prit un peu de papier de toilette pour nettoyer le lavabo des restes de banane qu'elle avait rendus. Puis elle colla l'oreille à la porte et écouta. Tout ce qu'elle entendait, c'était le tambour du séchoir qui tournait, dans la pièce voisine. Elle n'avait pas le choix. Plus elle aurait l'air honteuse, plus on aurait de raisons de la soupçonner de quelque chose. Elle déverrouilla donc la porte d'un geste décidé, avant de l'ouvrir.

– Ce n'était pas pressé à ce point-là. Mais merci quand même.

L'homme était assis par terre, en train de lire. Il se leva en entendant la porte s'ouvrir. Sibylla esquissa un sourire. Elle vit qu'il s'étonnait de son sac à dos.

– Ma lessive, expliqua-t-elle.

Il opina de la tête. Elle tenait à la main le morceau de bois auquel était fixée la clé et fit un pas en direction de la porte de la buanderie. Sa main tremblait et elle eut du mal à glisser la clé dans la serrure.

– Vous êtes nouvelle dans l'immeuble?

La porte s'ouvrit enfin. Pour ne pas avoir à affronter son regard, elle se dirigea aussitôt vers le séchoir.

– Oui.

– Enchanté de faire votre connaissance, alors.

Va prendre ta douche, avant que je te fiche sur la gueule, espèce de...

Elle ouvrit le séchoir et sortit sa culotte et sa serviette. Du coin de l'œil, elle vit qu'il se retournait, avant d'entrer dans la cabine. Aussi rapidement qu'elle le put elle fourra sa lessive seulement à moitié sèche dans son sac à dos et le hissa sur son épaule. Quand elle pivota sur ses talons pour sortir, elle vit qu'il s'était retourné à nouveau et la regardait. Il tenait le journal dans sa main gauche. Elle se figea aussi brusquement que si elle avait mis le pied dans du béton frais.

Pendant un instant, il eut l'air un peu perplexe. Puis il lui tendit le journal.

– Pas de panique. Vous avez seulement oublié ça.

La fête de Noël de l'année. Celle de ses dix-sept ans.

La table d'honneur.

Elle avait demandé à ne pas y aller. Sa mère avait eu un haut-le-corps, sous le coup de la surprise.

– Tu ferais bien de sortir un peu. Cela fait des mois que tu restes enfermée.

C'était exact. Cela faisait soixante-trois jours et neuf heures qu'elle n'avait pas vu Micke. Gun-Britt allait la chercher tous les jours à la sortie du lycée, à Vetlanda, dans la Renault. Et elle n'avait plus le droit de sortir seule, pour cause de confiance abusée.

– Je ne veux pas.

Sans rien dire, sa mère gagna la penderie et ouvrit la porte pour en extraire une tenue convenable à l'intention de sa fille.

– Pas de bêtises. Bien sûr que tu vas venir.

Sibylla s'assit sur le lit et observa sa mère en train de fouiller parmi ses vêtements.

– Je viens si je peux être à la table des jeunes.

Béatrice Forsenström resta muette de stupeur devant la violence de cet ultimatum.

– Et pour quelle raison veux-tu y être, si je puis me permettre?

– Pour être avec ceux de mon âge.

Sa mère avait une curieuse expression sur le visage, lorsqu'elle se retourna pour la regarder. Sibylla sentit son cœur battre. Elle avait pris sa décision. Maintenant, elle avait Micke. Elle n'était plus seule. Dans six mois, elle aurait dix-huit ans et elle pourrait agir à sa guise. En attendant, elle était décidée à vendre chèrement sa peau.

– Sinon, je ne viens pas.

Sa voix n'avait même pas tremblé. Sa mère n'en croyait pas ses oreilles. Elle-même non plus, d'ailleurs. Mais elle s'inquiétait de ne pouvoir interpréter l'expression du visage de sa mère. Un rien de crainte se glissa sous sa peau, une vague sensation de peur.

– Tu sais que, pour ton père et pour moi, c'est la soirée la plus importante de l'année et c'est ainsi que tu te comportes. Pourquoi ne penses-tu jamais aux autres?

L'horloge déchira le silence.

Sibylla était sur le point de déclencher un tremblement de terre et il ne pouvait régner le moindre doute quant à l'identité de la victime de celui-ci. Elle fut soudain prise de panique. Cette peur se vit peut-être sur son visage, car sa mère profita de l'occasion pour mettre fin à la conversation.


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