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Recherchée
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 18:54

Текст книги "Recherchée"


Автор книги: Karin Alvtegen


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Триллеры


сообщить о нарушении

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Maman savait que je n'étais pas comme les autres. C'est pourquoi elle avait toujours peur de me décevoir. Chaque fois que je désirais vraiment quelque chose, elle faisait de son mieux pour me préparer à ce que je ressentirais si je ne l'obtenais pas. Pour me protéger de la souffrance, elle s'efforçait de m'habituer à ne pas trop espérer.

Mais si, à chaque fois, on se prépare à échouer, l'échec finit par devenir votre véritable but.

Je ne peux plus vivre ainsi. Plus maintenant.

Rune a été ce que j'ai le plus désiré, dans ma vie. J'avais toujours espéré rencontrer quelqu'un comme lui et, soudain, il a été là. Pour moi, il était plus grand que la vie.

Je T'ai demandé bien des fois si c'était pour cette raison que je méritais le châtiment.

Le péché de la chair que nous avons commis était si grand, Seigneur, que Tu ne pouvais fermer les yeux et Te réjouir de notre amour. Tu me l'as pris, mais Tu ne l'as pas accueilli dans Ton royaume.

Je T'ai demandé, mon Dieu, ce qu'il fallait pour que Tu lui accordes le pardon.

Car, lorsqu'il existe un testament, il faut qu'il soit attesté que celui qui l'a rédigé est mort. Seule la mort lui confère sa validité. En revanche, il n'est pas valable tant que son auteur est vivant. C'est pourquoi l'alliance précédente n'a pas été scellée sans qu'il soit versé de sang, non plus. La loi stipule que presque tout doit être lavé dans le sang et, s'il n'en est pas versé, il n'est pas accordé de pardon.

Je te remercie, Seigneur, de m'avoir permis de comprendre ce que je dois faire.

Elle se réveilla en entendant quelqu'un cogner à la porte. Prise de court, elle se leva et se mit à chercher ses vêtements. Bon sang, comment avait-elle pu laisser passer l'heure? Le radioréveil indiquait neuf heures moins le quart. Toute la question était de savoir si Grundberg avait compris qu'elle l'avait mené en bateau ou s'il s'était réveillé avec une érection encore plus pénible que d'habitude.

– Un instant!

Elle se précipita dans la salle de bains et rassembla en hâte ses vêtements.

– Ouvrez, s'il vous plaît. Je voudrais vous poser quelques questions.

Merde alors. Ce n'était pas Grundberg, c'était une voix de femme. Sans doute un membre du personnel qui l'avait reconnue, malgré sa nouvelle perruque.

Merde. Merde. Merde.

– Je ne suis pas encore habillée.

Pas de réponse. Elle traversa rapidement la chambre et alla regarder par la fenêtre. Impossible de quitter l'hôtel par là.

– C'est la police. Si vous voulez bien avoir l'amabilité de vous dépêcher.

La police! Bon sang de merde!

– Je suis presque prête. Dans une ou deux minutes.

Elle alla coller l'oreille à la porte et entendit des pas qui s'éloignaient. Juste devant son nez était affiché un petit avis plastifié indiquant les issues de secours. Elle l'étudia soigneusement tout en attachant l'épingle de nourrice de sa jupe. D'après son numéro de chambre, elle n'était qu'à deux portes de l'escalier de secours. Elle entrouvrit prudemment et regarda dans le couloir. Personne. Sans hésiter, elle ouvrit en grand, sortit dans le couloir et referma la porte en faisant aussi peu de bruit que possible. L'instant d'après, elle se trouvait dans un petit escalier qu'elle dévala vers ce qu'elle espérait être une issue donnant sur la rue. C'est alors qu'elle s'aperçut qu'elle avait oublié sa mallette dans sa chambre, la 312. Elle s'arrêta brusquement, hésita une seconde, mais finit par comprendre qu'elle devait y renoncer. Ainsi qu'à la perruque restée accrochée dans la salle de bains. 740 balles de perdues. Elle avait espéré que cet investissement lui vaudrait plusieurs nuits de sommeil tranquille. Et elle n'avait même pas eu le temps de prendre le savon et les petits flacons de shampooing.

En bas de l'escalier, elle se trouva devant une porte métallique surmontée de la lampe verte indiquant les issues de secours. Elle actionna le mécanisme, entrebâilla la porte et regarda à l'extérieur. Une voiture de police était parquée à une vingtaine de mètres de là, mais elle était vide, et elle puisa en elle le courage d'oser sortir dans la rue. Elle regarda autour d'elle et comprit qu'elle se trouvait sur l'arrière du Grand Hôtel. Dans Stallgatan, la circulation était arrêtée et, sans avoir l'air trop stressée, elle put se faufiler entre les voitures et traverser Blasieholmtorg. Parvenue à Arsenalgatan, elle prit à droite, passa devant le restaurant Berns et gagna Hamngatan. Apparemment, elle n'était pas suivie, mais, pour plus de sûreté, elle traversa Norrmalmstorg et enfila Biblioteksgatan. Là, elle réduisit l'allure et, en passant devant le salon de thé, elle décida d'y entrer et de rassembler ses idées.

Elle prit place à une table située aussi loin de la vitrine que possible et s'efforça de se calmer.

Jamais sans doute elle ne l'avait autant échappé belle, depuis qu'elle avait commencé à s'offrir ces nuits gratuites. Le Grand Hôtel était donc à rayer de ses tablettes pour un bon moment. Ce qu'elle n'arrivait pas à comprendre, c'était comment Grundberg s'était aperçu de la supercherie. Peut-être un membre du personnel l'avait-il reconnue et avait-il informé sa victime par téléphone? Mais pourquoi l'avoir laissée passer la nuit tranquille, alors? Elle ne parviendrait jamais à comprendre et cela valait aussi bien, après tout.

Elle regarda autour d'elle.

Plusieurs personnes prenaient leur petit déjeuner et elle regretta de ne pas avoir d'argent sur elle.

C'est alors qu'elle ressentit une douleur à la gorge. Elle se demanda si elle n'avait pas un peu de fièvre, aussi, et se tâta le front. Difficile à dire.

Elle chercha la date du jour sur sa montre, mais celle-ci s'était à nouveau arrêtée. Il est vrai qu'elle la portait depuis sa communion, dix-sept ans auparavant. Un cadeau de papa et maman, avec leurs souhaits de bonheur et de réussite.

Tiens.

Mais, après tout, elle était relativement heureuse, maintenant qu'elle avait décidé de tenter de faire quelque chose de sa chienne de vie et commençait à croire qu'elle allait y arriver. En tout cas, elle était beaucoup plus heureuse que lorsqu'elle était la fille bien élevée d'un directeur de société. Elle avait d'abord cessé d'être bien élevée, même si elle n'avait pas vraiment compris comment cela s'était passé. Lorsque ses autres défauts étaient apparus au grand jour, au foyer, la patience avait atteint ses limites et elle avait dû cesser d'être fille de directeur de société, également.

Mais chaque mois, tous les ans, une enveloppe blanche sans mention d'expéditeur atterrissait dans une boîte postale de Drottninggatan. Et, chaque mois, elle contenait exactement mille cinq cents couronnes.

Jamais un mot ou une demande de nouvelles. Sa mère s'achetait ainsi une bonne conscience, comme avec les enfants du Biafra.

Quant à son père, sans doute ignorait-il tout de ces versements.

À déduire, le montant de la location de la boîte postale: 62 couronnes. Par mois.

Une jeune serveuse portant un anneau dans le nez vint lui demander ce qu'elle désirait. Elle aurait aimé commander quelque chose, si elle avait eu de l'argent. Elle se contenta de secouer la tête, de se lever, de sortir dans Biblioteksgatan et de prendre la direction de la gare centrale. Il fallait qu'elle change de vêtements.

Elle était au milieu de Norrmalmstorg lorsqu'elle vit l'affichette jaune à gros caractères noirs. Mais elle dut la relire trois fois avant de comprendre vraiment ce qui était marqué dessus:

Dernière minute:

Crime bestial, cette nuit, au Grand Hôtel

TT (Agence de presse, équivalent de l'AFP (N.d.T.)), Stockholm

Tard hier soir, un homme a été assassiné dans sa chambre, au Grand Hôtel. L'homme, qui venait d'une ville du centre du pays, était en voyage d'affaires et logeait dans l'établissement depuis deux nuits. D'après le personnel, il devait quitter Stockholm dans le courant de la journée de vendredi. La police garde le silence sur les circonstances de ce meurtre, révélant seulement que le cadavre a été trouvé, peu après minuit, par un membre du personnel. Un pensionnaire avait alors attiré son attention sur des taches de sang devant la porte. D'après la police, le corps porte des traces de profanation.

La police ne dispose pas encore de piste mais elle espère que les diverses investigations menées auprès du personnel et des pensionnaires de l'hôtel permettront de faire la lumière sur cette affaire. À l'heure où nous mettons sous presse, les constatations sur place ne sont pas encore terminées et le Grand Hôtel est toujours, pour l'instant, interdit au public. Au cours de la matinée, le corps sera transféré à l'institut médico-légal de Solna pour autopsie. On s'attend à ce que l'audition du personnel et des éventuels témoins prenne toute la journée. Ce n'est qu'ensuite que l'hôtel pourra redevenir accessible au public.

C'était tout.

Une photo pleine page montrait le Grand Hôtel et le reste de l'article évoquait d'autres cas de meurtres suivis du dépeçage du cadavre ayant été commis en dehors de la Suède ces dix dernières années, le tout soigneusement illustré au moyen d'images des victimes, avec leur nom et leur âge.

C'était donc pour cela qu'on était venu frapper à sa porte. Elle fut plus que reconnaissante d'avoir réussi à filer. Sinon, comment aurait-elle pu expliquer sa présence dans l'un des hôtels les plus coûteux de Stockholm? Alors qu'elle n'avait pas de quoi se payer une tasse de café dans un salon de thé. Comment pourrait-elle leur faire admettre qu'à intervalles réguliers elle s'offrait une nuit dans un vrai lit? Toujours aux dépens de quelqu'un qui s'en apercevait à peine. Elle était certaine que personne ne comprendrait cela. Personne n'ayant eu l'occasion d'en faire l'expérience personnelle.

– On n'est pas dans une bibliothèque, ici. Tu le veux, ce journal, ou pas? lui demanda l'homme qui tenait le kiosque.

Elle ne répondit pas et se contenta de reposer bruyamment le journal à sa place.

Il faisait froid et elle avait vraiment mal à la gorge. Elle se dirigea vers la gare centrale, car elle avait besoin d'argent et il restait encore deux jours avant que le mandat suivant n'atterrisse dans sa boîte postale: elle ne pourrait donc pas le toucher avant le lundi.

Près de la consigne de la gare se trouvait un changeur de monnaie automatique. Elle appuya à plusieurs reprises sur le mécanisme.

– Allons bon, qu'est-ce qui se passe?

Elle avait pris soin de parler assez fort pour que personne, autour d'elle, ne puisse éviter de l'entendre. Elle appuya à nouveau plusieurs fois, poussa un soupir et regarda autour d'elle. Le préposé à la consigne la regarda. Elle alla le trouver.

– Y a un problème? demanda-t-il.

– Il ne fonctionne pas, votre appareil. Il a pris mon billet de cent mais ne m'a pas rendu la monnaie. Et mon train part dans huit minutes...

L'homme appuya sur un bouton et le tiroir-caisse tinta.

– Encore. C'est déjà arrivé plusieurs fois. Sacré coup de pot.

Il compta dix billets de dix couronnes et les posa dans la paume qu'elle lui tendait.

– Tenez. Comme ça, vous pourrez le prendre, votre train.

Elle le remercia d'un grand sourire et fourra l'argent dans son sac à main.

Heureusement, elle avait pris soin de mettre la clé de la consigne automatique dans la poche de sa veste et non dans la mallette qu'elle avait oubliée à l'hôtel.

Après avoir retiré son sac à dos elle entra dans les toilettes publiques et, quelques minutes plus tard, en ressortit, en jeans et blouson, bien décidée quant à la conduite à tenir: une nuit chez les Johansson, pas moyen de faire autrement.

En chemin vers les jardins ouvriers d'Eriksdal, elle acheta une boîte de haricots, du pain, deux pommes, une bouteille de boisson gazeuse et une tomate fraîche. Les premières gouttes de pluie se mirent à tomber au moment où elle traversait Eriksdalsgatan. Ces derniers jours, le ciel avait été d'un gris de plomb et celui-ci ne faisait pas exception à la règle.

Les cabanes avaient l'air désertes et elle fut heureuse que le temps maussade n'ait pas incité les propriétaires à venir travailler dans leur jardin. Le moment n'était peut-être pas encore venu. Même s'il n'y avait plus de neige depuis longtemps, le sol était sans doute encore gelé.

Elle n'était jamais venue là au milieu de la journée. Elle prenait des risques, c'était évident, mais elle était lasse et démoralisée et avait besoin d'être un peu en paix. Elle était sûre d'avoir de la fièvre, maintenant.

La clé était dans le bac à fleurs suspendu, comme d'habitude. Le géranium qui le décorait l'été précédent n'était plus là, mais la clé restait dissimulée au même endroit. C'était là qu'elle avait commencé par chercher lorsqu'elle était venue la première fois, près de cinq ans auparavant.

Kurt et Birgit Johansson, les heureux propriétaires de ce jardin, ne se doutaient nullement qu'ils hébergeaient Sibylla. Elle prenait toujours grand soin de laisser les lieux dans l'état où elle les avait trouvés et surtout de ne rien casser. Si elle avait choisi leur cabane, c'était d'abord à cause de la clé mais aussi du fait que leurs meubles de jardin étaient pourvus de coussins d'une épaisseur inhabituelle sur lesquels on pouvait dormir confortablement et qu'ils avaient en outre le bon goût de laisser dans leur petit paradis un poêle à mazout équipé d'une plaque chauffante. Elle avait soigneusement observé leurs habitudes et savait qu'ils venaient surtout pendant l'été. Sauf malchance extraordinaire, elle pourrait rester là plusieurs jours, en paix.

L'intérieur de la cabane était froid et humide. Bien que ce fût l'une des plus grandes du voisinage, elle ne comportait qu'une seule pièce d'environ dix mètres carrés. Le long du mur du fond étaient placés deux placards de cuisine et un petit évier en zinc. Elle ouvrit l'un des placards pour vérifier que le seau était toujours à sa place, sous le tuyau d'évacuation sectionné.

Près de la fenêtre se trouvait une petite table pour deux personnes, à la peinture écaillée, avec une chaise de cuisine de chaque côté. Les rideaux à fleurs étaient couverts de chiures de mouches. Elle les tira, prit un bougeoir métallique sur l'étagère et l'alluma. Comme elle grelottait, elle remonta jusqu'au menton la fermeture Éclair de son blouson et se dirigea vers le poêle. Le bidon était presque vide et, un peu plus tard dans la journée, il faudrait qu'elle aille le remplir à la station-service. Après avoir allumé le poêle, elle sortit une coupe du placard, y mit les pommes et la tomate et la posa sur la table. La vie lui avait appris à apprécier les petites choses de l'existence, et l'une de celles-ci consistait à se donner l'illusion d'un peu de confort douillet. Elle sortit son sac de couchage du sac à dos et plaça les gros coussins sur le sol. Mais ils étaient humides et elle dut étendre son tapis de sol dessus avant de se glisser dans le sac.

Les bras sous la tête, elle observa les lattes du plafond et décida d'oublier le Grand Hôtel. Personne ne savait qu'elle y était allée et il serait encore plus difficile de percer à jour son identité.

S'étant ainsi débarrassée de ses inquiétudes et de tout mauvais pressentiment, elle se laissa lentement aller à un long sommeil réparateur.

Dès qu'elle entendit frapper de cette façon impérative à la porte de la classe, elle sut qui se trouvait de l'autre côté.

C'était en cours de géographie, en classe de cinquième, et tous les élèves avaient les yeux braqués sur la porte fermée.

– Entrez.

L'institutrice poussa un soupir et posa le livre qu'elle tenait à la main. Béatrice Forsenström ouvrit et entra.

Sibylla ferma les yeux.

Elle savait que l'institutrice n'aimait pas plus qu'elle ces visites impromptues de sa mère. Ces brèves apparitions qui perturbaient la concentration des élèves et se terminaient toujours par la demande d'un traitement de faveur pour Sibylla.

Cette fois-ci, il s'agissait de la vente des couronnes de Noël. Plusieurs parents d'élèves s'étaient réunis, un jeudi soir, et avaient tressé des couronnes et confectionné divers petits objets que les élèves devaient ensuite aller vendre en faisant du porte-à-porte, afin de réunir l'argent du voyage scolaire du printemps.

Béatrice Forsenström n'avait pas été au nombre de ces parents. Ce genre d'activités collectives n'était pas fait pour elle et passer tout un jeudi soir à ces bêtises bonnes pour des paysans était au-dessous de sa dignité – de même qu'il était au-dessous de celle de sa fille d'aller les vendre. Il était totalement exclu qu'elle aille frapper aux portes comme une mendiante. Elle avait donc fait une boule du mot que Sibylla avait rapporté de l'école et l'avait jeté à la corbeille.

– Combien attend-on que chaque élève rapporte de ce porte-à-porte? demanda-t-elle sur un ton sans ambiguïté.

L'institutrice alla s'asseoir derrière son bureau.

– Cela dépend, dit-elle. Je ne sais pas vraiment combien nous pouvons espérer réunir.

– Je serai heureuse de le savoir le moment venu, car ma fille ne participera pas à cette vente.

L'institutrice regarda Sibylla. Celle-ci baissa les yeux vers le livre ouvert sur son bureau, dans lequel étaient énumérées les rivières de Suède.

– Je crois que les enfants aiment beaucoup cela, tenta de dire l'institutrice.

– C'est possible, mais ce n'est pas le cas de Sibylla. C'est pourquoi je remettrai moi-même la somme dès que je saurai à combien elle se monte.

– Mais c'est justement pour que les parents ne soient pas obligés de verser de l'argent pour le voyage du printemps que nous avons pris cette initiative.

Béatrice Forsenström eut soudain l'air ravie. Sibylla comprit qu'elle était parvenue à piéger l'institutrice et que cela allait lui fournir l'occasion de dire le fond de sa pensée sur ce genre de choses.

Elle ferma les yeux.

– Je dois dire que je trouve étonnant que l'école prenne ce genre de décisions sans que tous les parents puissent donner leur avis. Certains d'entre eux estiment peut-être que c'est une bonne solution, étant donné les circonstances, mais pour ma part je préfère payer pour ma fille si besoin est. À l'avenir, mon mari et moi aimerions être consultés avant que soient prises des décisions qui valent pour tous les élèves.

L'institutrice ne répondit pas.

Sibylla entendit sa mère tourner les talons et sortir.

Elle qui devait aller avec Erika. L'institutrice les avait réparties par groupes de deux, pour que personne ne soit oublié, et Sibylla attendait ce moment depuis une semaine.

La porte s'était à peine refermée qu'une voix s'éleva.

– Madame! Je trouve que c'est pas juste si Sibylla n'est pas obligée de faire comme les autres.

– Est-ce que je pourrai aller avec Susanne et Eva, à la place? demanda Erika.

Torbjörn, assis juste devant Sibylla, se retourna vers elle.

– Si t'es aussi riche que ça, tes parents ont qu'à payer tout le voyage.

Elle sentit ses yeux la piquer. Elle ne détestait rien tant que de se trouver soudain exposée aux regards de tous.

– Bon. Si on allait en récréation?

Les chaises raclèrent le sol et, lorsque Sibylla leva à nouveau les yeux, elle était seule dans la salle de classe avec l'institutrice, qui était restée derrière son bureau.

Celle-ci eut un petit sourire, accompagné d'un soupir, à l'adresse de Sibylla, qui sentit son nez couler et fut obligée de renifler pour ne pas que sa morve tombe sur le bureau.

– Je suis navrée, Sibylla, mais je ne peux rien faire.

Sibylla hocha la tête, avant de la baisser à nouveau. Ses yeux s'humectèrent et la planche décorative fixée au mur se brouilla.

L'institutrice approcha et vint poser la main sur son épaule.

– Tu peux rester en classe pendant la récréation, si tu veux.

Elle éprouva un sentiment de malaise, à son réveil. Elle avait dû faire un mauvais rêve. Sa gorge était enflée et elle avait mal quand elle avalait.

Le poêle était éteint et elle décida d'aller acheter un peu de mazout. Elle avait déjà son blouson sur elle, il lui suffisait de passer ses grosses chaussures. Celles-ci étaient glaciales et le froid se communiqua à ses jambes. Elle souleva le bord du rideau et regarda à l'extérieur. Tout semblait encore désert aux alentours. En sortant, elle prit une pomme dans la coupe, au passage. Il ne pleuvait plus mais le ciel était si gris qu'il était étrange que la lumière parvînt à filtrer à travers les nuages. Elle sortit sur le petit perron, et tira la porte derrière elle.

Le petit jardin avait été bien préparé pour l'hiver. Ses propriétaires n'avaient pas ménagé leur peine pour suivre les instructions du manuel de jardinage. Toutes les fleurs fanées avaient été coupées et jetées sur le tas de fumier, près de la clôture, et les plates-bandes recouvertes de rameaux de sapin. Sans doute était-ce là que les plantes les plus délicates des Johansson avaient passé l'hiver.

– Vous cherchez quelqu'un?

Elle sursauta et se retourna. L'homme se tenait de l'autre côté de la clôture, avec quelques brindilles à la main, dans la direction que l'on ne pouvait voir de la fenêtre de la cabane.

– Bonjour. Vous m'avez fait peur!

Il l'observait d'un regard soupçonneux. L'expérience lui avait enseigné que le parc d'Eriksdal était à certaines périodes un repaire de drogués et c'est pourquoi elle décida d'adopter un profil bas.

– Kurt et Birgit m'ont demandé de m'occuper un peu de leur cabane, pendant qu'ils sont aux Canaries.

Elle alla lui serrer poliment la main par-dessus la clôture. C'était peut-être un peu risqué de parler des Canaries, mais il était trop tard pour revenir en arrière.

– Je m'appelle Monika. Je suis la nièce de Birgit.

Il prit la main qu'elle lui tendait et se présenta à son tour.

– Uno Hjelm. Excusez-moi, mais on se donne un coup de main pour surveiller. Y a tellement de types bizarres qui rôdent par ici.

– Oui, je sais. C'est pour ça qu'ils m'ont demandé de venir jeter un coup d'œil.

Il hocha la tête et elle vit qu'il avait avalé ce gros mensonge.

– Alors comme ça, ils sont partis aux Canaries. Ils m'en ont rien dit, la semaine dernière, les cachottiers.

Pas étonnant.

– Ça les a pris brusquement. Ils ont eu une occasion, un voyage soldé.

Il leva les yeux vers le ciel.

– Eh bien, j'espère que le temps est plus beau là-bas qu'ici. Ce ne serait pas une mauvaise idée de fiche le camp quelques jours.

– Ah ça non, alors.

Il parut s'absorber dans des rêves de voyage et elle saisit l'occasion pour mettre fin à la conversation.

– Je vais faire une petite promenade, mais je repasserai un peu plus tard.

– Très bien. Je ne sais pas si je serai toujours là. Je ne vais pas tarder à m'en aller; il n'y avait pas grand-chose à faire, en réalité.

Sur un dernier signe de tête, elle se dirigea vers la petite barrière. Il ne restait plus qu'à espérer que Kurt et Birgit ne jugent pas bon de se pointer pendant qu'elle se rendait à la station-service.

Sinon, monsieur Hjelm risquait de se poser des questions.

Elle marcha aussi vite qu'elle le put. D'après ce qui était marqué sur l'étiquette de son sac de couchage, celui-ci était efficace jusqu'à moins quinze degrés. Pourtant, elle était frigorifiée, après son petit somme. Elle regretta de ne pas avoir de pastilles contre le mal de gorge. Pourquoi pas aller en demander chez les sœurs de charité?

Elle était presque arrivée à la station-service, lorsqu'il se remit à pleuvoir. Les vêtements mouillés étaient très difficiles à faire sécher et elle courut se mettre à l'abri sous l'auvent. Dommage qu'elle n'ait pas de parapluie pour le retour. Mais, par un temps pareil, il faudrait attendre pour aller chez les bonnes sœurs.

Près de la porte de la station étaient apposées les affichettes des journaux du soir. Elle y jeta un coup d'œil en passant. L'une d'entre elles était jaune et ne contenait que quelques mots répartis sur deux lignes. Mais ils suffirent pour la faire stopper net.

Crime du Grand Hôtel

La police recherche une mystérieuse femme

Elle n'eut pas de mal à reconnaître l'homme qui figurait sur la photo accompagnant ce titre: c'était Jörgen Grundberg.

– Il faut vraiment que tu soulèves la question en ce moment précis? demanda Béatrice Forsenström. Mets plutôt ta robe.

Sibylla était assise sur le lit, en sous-vêtements. Elle avait pris son courage à deux mains et choisi soigneusement son moment. S'il y avait un instant où il était possible que sa mère cède, c'était bien lorsqu'elle s'apprêtait à partir pour la fête de Noël de l'entreprise. Elle était toujours de bonne humeur, alors. Pleine d'ardeur et d'espoir, elle courait partout dans la maison pour que tout soit parfait. C'était l'un des rares moments de l'année où elle pouvait faire étalage de sa richesse et en jouir, car ce n'était pas chose facile, dans un coin perdu comme Hultaryd.

– Dis, est-ce que je peux aller avec les copines, pour la vente. Un jour, seulement?

Elle mit la tête de côté pour avoir encore un peu plus l'air d'implorer. Peut-être cela pourrait-il inciter sa mère, en ce grand moment, à faire preuve de magnanimité et accéder à son désir.

– Mets tes chaussures noires, répondit sa mère en se dirigeant vers la porte.

Sibylla avala sa salive. Il fallait qu'elle essaye encore une fois.

– Dis...?

Béatrice Forsenström s'arrêta sur le chemin de la porte et se retourna. Elle regarda sa fille en fronçant les sourcils.

– Tu n'as pas entendu ce que je t'ai dit? Je ne veux pas que ma fille aille quémander aux portes pour participer à un malheureux voyage scolaire. Si vraiment tu tiens à y aller, ton père et moi nous paierons ce que cela coûtera. Et je trouve que tu devrais faire preuve d'un peu de gratitude, plutôt que de me faire une scène juste au moment où nous nous apprêtons à partir pour la fête de Noël de l'entreprise de ton père.

Sibylla baissa les yeux et sa mère quitta la pièce.

Cela signifiait que la discussion était close. Comme toujours. Comme s'il y en avait vraiment eu une. Tenter de remettre en question une décision de sa mère était déjà à la limite de l'insolence et elle savait qu'elle aurait à le payer au cours de la soirée. Elle était parvenue à faire perdre sa bonne humeur à sa mère. Or, on ne le faisait pas impunément.

Cela ne présageait rien de bon. Les choses allaient déjà assez mal comme cela.

La fête de Noël de la société Forsenström était un événement et Sibylla l'attendait avec autant d'impatience que si elle devait aller se faire plomber une dent. À cette occasion, monsieur et madame Forsenström faisaient étalage de leur générosité en offrant un repas aux membres du personnel et à leur famille. La participation de Sibylla s'imposait et elle devait bien entendu prendre place à la table d'honneur, sur la petite estrade dressée dans la salle polyvalente de la localité. Nul autre enfant qu'elle n'avait le droit de s'y trouver. Tous les autres étaient relégués à une table à part et la distance entre elle et eux était encore plus grande que d'habitude, lors de cette fête.

La robe posée sur le lit semblait lui ricaner au nez. Sa mère l'avait achetée dans une belle boutique de Stockholm et il ne serait jamais venu à l'idée de Sibylla de demander la permission de ne pas aller à la fête de Noël. On ne pouvait tout de même pas attacher d'importance au fait qu'elle avait douze ans et que toutes les autres filles de son âge seraient en jeans et pull à col en V de marque Fruit of the Loom. Sa place était sur cette estrade, pour contempler la masse aux côtés de ses parents.

Elle enfila sa robe et se regarda dans la glace. Elle lui bridait la poitrine, qui avait commencé à pousser. La soirée promettait d'être affreuse.

– N'oublie pas de mettre tes broches à cheveux bleues, lui cria sa mère. Gun-Britt n'aura qu'à t'aider.

Une heure plus tard, les deux broches à leur place, elle était assise sur l'estrade, entre le directeur des ventes de la firme et sa femme, qui sentait mauvais. Elle ne cessait de lorgner du côté de la table des jeunes, tout en répondant poliment aux questions mielleuses de ses voisins de table sur la façon dont cela marchait, à l'école. Elle sentait que sa mère l'observait à intervalles réguliers et elle se demandait de quelle façon celle-ci avait l'intention de lui faire payer de s'être montrée récalcitrante.

Elle dut attendre le dessert pour avoir la réponse.

– Sibylla. Tu vas nous chanter quelque chose, n'est-ce pas?

Un gouffre s'ouvrit sous sa chaise.

– Mais maman, il faut vraiment...?

– Tu n'as qu'à choisir une des chansons de Noël que tu connais.

Le chef des ventes eut un sourire d'encouragement.

– Oui, ce serait très bien. Sainte nuitou quelque chose comme cela.

Elle savait qu'elle ne pourrait y échapper. Elle regarda autour d'elle. Les yeux de tous les convives étaient braqués vers elle et l'impatience s'y lisait. Quelqu'un se mit à frapper dans ses mains et la nouvelle ne tarda pas à se répandre dans la salle que Sibylla Forsenström allait chanter. À la table des jeunes, tous les visages se tournèrent vers l'estrade et on se mit à scander son nom pour l'obliger à se lever:

– Si-byl-la! Si-byl-la! Si-byl-la!

– Tu aimes vraiment te faire prier, dit sa mère. Tu vois bien que tout le monde attend.

Elle repoussa lentement sa chaise et se mit debout. Dans la salle, le tumulte s'apaisa et elle prit sa respiration pour en avoir fini le plus vite possible.

– On voit rien! s'écria quelqu'un à la table des jeunes. Monte sur ta chaise!

Elle regarda sa mère d'un air de supplication, mais celle-ci se contenta d'un petit geste de la main pour signifier qu'elle avait la permission.

Ses jambes tremblaient et elle avait peur de perdre l'équilibre. Elle regarda dans la direction de la table des jeunes et ne put éviter de remarquer le sourire moqueur qui s'affichait sur tous les visages. Cela promettait d'être le grand moment de la soirée.

Elle prit à nouveau sa respiration et se mit à chanter d'une voix qui tremblait. Dès le début, elle se rendit compte qu'elle avait attaqué beaucoup trop haut et que les notes aiguës de la fin seraient impossibles. C'est ce qui se produisit. Elle se mit à chanter faux, sous les ricanements étouffés de la salle, qui la frappèrent comme des coups de fouet. Elle se rassit, le visage écarlate, et, au bout de quelques secondes, le chef des ventes se mit à applaudir. Les autres se laissèrent convaincre, après une certaine hésitation. Elle croisa le regard de sa mère, par-dessus la table, et vit que le châtiment était terminé.


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