355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Karin Alvtegen » Recherchée » Текст книги (страница 8)
Recherchée
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 18:54

Текст книги "Recherchée"


Автор книги: Karin Alvtegen


Жанр:

   

Триллеры


сообщить о нарушении

Текущая страница: 8 (всего у книги 14 страниц)

– C'est tout ce que tu possèdes, ça?

– Oui, on peut le dire.

Il parcourut des yeux le tapis de sol et le sac à dos. Elle suivit son regard. Il avait l'air assez impressionné.

– Supercool!

C'était pour elle une expérience assez étrange que d'être, pour une fois, considérée comme un modèle de vie, mais elle estima qu'ils avaient assez parlé d'elle.

– Et toi, qu'est-ce que tu fais ici? Tu ne sais pas que le plancher peut s'effondrer?

– Ouais! C'est vachement dangereux!

Pour bien montrer à quel point il se souciait peu du danger, il se mit à sauter à pieds joints. Elle posa la main sur son bras.

– Arrête. Ce serait pas drôle si tu passais à travers.

– Bah!

Il dégagea son bras mais cessa de sauter. Elle le regarda en silence pendant un moment. Sa soudaine apparition dans sa cachette constituait une menace. Toute la question était de savoir si c'était vraiment dangereux. Il fallait qu'elle parvienne à le savoir avant qu'il parte. Elle ramassa un vieux stencil bleuté sur le sol pour avoir l'air plus décontractée.

– Vous venez souvent ici?

Il attendit un peu trop longtemps avant de répondre.

– Parfois.

Il mentait, mais elle n'arrivait pas à déterminer pour quelle raison.

– T'es en quelle classe?

– En troisième.

– Et les autres, où est-ce qu'ils sont? Ils vont monter, aussi?

Il secoua la tête. Elle comprit alors qu'il était seul à venir là.

– Alors, c'est toi qui as défait les vis du cadenas?

Il prit sa respiration tout en répondant.

– Ouais.

Elle comprit qu'il était une ivraie comme elle, déjà exclu par la grande masse homogène.

– Tu te plais ici? Ça marche, à l'école? Il la regarda comme si elle était folle.

– Vachement, tiens!

Le langage de l'ironie. Elle l'avait déjà rencontré. C'était celui de tous les jeunes de l'époque, apparemment. En tout cas de ceux, très rares, avec lesquels elle avait eu l'occasion de parler.

Il donna un coup de pied dans un livre qui se trouvait à ses pieds. Celui-ci vint buter contre son tapis de sol et s'arrêta. Elle vit que c'était un manuel de mathématiques.

– Tu touches des allocs? demanda-t-il.

Elle secoua la tête. Il s'était déjà informé de ses futurs droits de SDF.

– Qu'est-ce que tu croûtes, alors? Me dis pas que tu vas fouiller dans les poubelles.

Il prit un air dégoûté, pour dire cela.

– Ça m'est arrivé.

– Bon sang, c'est dégueulasse.

– C'est ce qui t'arrivera à toi aussi, si c'est l'avenir que tu choisis.

– On peut avoir des allocs. Pour la bouffe et tout ça.

Elle n'eut pas la force de répondre. Elle aurait pu lui dire que, dans ce cas, il y aurait toujours des gens pour lui dire ce qu'il fallait qu'il fasse et ne fasse pas.

La cloche se mit à sonner, mais il ne bougea pas.

– Mais je sais pas vraiment. Je vais peut-être essayer de trouver un boulot à la télé.

– Tu ne retournes pas en classe?

Il haussa les épaules.

– Si, j'y vais, mais y a pas le feu.

Il poussa un soupir et fit quelques pas vers la porte. Elle ne savait toujours pas avec certitude s'il allait la dénoncer ou non. Cela commençait à devenir urgent et elle se rendit compte que le meilleur moyen d'en avoir le cœur net était de le lui demander.

– Tu vas rien dire, hein?

– À propos de quoi?

– De moi. Que je dors ici.

Apparemment, cela ne lui était même pas venu à l'idée.

– Pourquoi que je le ferais?

– Je sais pas, moi.

Il descendit les quelques marches menant à la porte.

– Comment tu t'appelles?

Il se tourna vers elle.

– Tabben. Et toi?

– Sibylla, mais on m'appelle Sylla. Et toi, ton petit nom, tu l'as choisi toi-même?

– Je me souviens plus, répondit-il, haussant les épaules.

Il avait posé la main sur la poignée de la porte.

– Mais ton vrai nom, c'est quoi?

– C'est p't-être Jeopardy ou quelque chose comme ça, répondit-il avec un geste de la main.

Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il voulait dire.

– Je me demandais seulement.

Il poussa un soupir, lâcha la poignée de la porte, se retourna et la regarda.

– Patrik. C'est Patrik que je m'appelle.

Elle lui sourit et, après une seconde d'hésitation, il lui rendit son sourire. Puis il se retourna à nouveau et posa la main sur la poignée.

– Bye.

– Salut, Patrik. À bientôt, peut-être?

Mais il avait déjà disparu.

Bien entendu, on l'avait renvoyée à l'hôpital. Quelques heures après l'incident des légumes, une voiture était venue se ranger devant la maison. Une minute plus tard, la sonnette retentissait.

Lorsque Béatrice Forsenström alla ouvrir, Sibylla était déjà assise sur la plus haute marche de l'escalier, sa valise faite.

Personne ne prêta attention à elle.

– Merci d'être venus si vite.

Sa mère leur ouvrit la porte et les laissa entrer. Le plus jeune d'entre eux regarda autour de lui, de toute évidence impressionné par la splendeur du hall. Comme s'il se demandait comment on pouvait tomber fou dans une maison pareille.

Sa mère dispersa rapidement tous ses doutes.

– Je n'arrive plus à rien, avec elle. Elle est absolument impossible.

L'autre infirmier hocha gravement la tête.

– Pouvez-vous dire si elle est à nouveau en état de crise?

– Je ne sais pas. Elle ne cesse de proférer des accusations contre nous. Je sais qu'il ne faut pas la contrarier, mais...

Sa mère se mit la main devant les yeux. Sibylla entendit la porte du bureau s'ouvrir et, avant qu'il n'apparaisse sous la balustrade, elle reconnut le bruit des chaussons de son père sur le dallage. Il s'avança, la main tendue.

– Henry Forsenström.

– Hakan Holmgren. Nous sommes venus chercher Sibylla.

Il opina du chef.

– Oui, dit-il avec un soupir. Je crois que c'est ce qu'il y a de mieux à faire.

Sibylla se leva et commença à descendre l'escalier.

– Me voilà, je suis prête.

Tous les regards se braquèrent vers elle. Sa mère fit un pas vers son mari et il passa un bras protecteur autour de ses épaules. Peut-être avaient-ils peur que leur fille ne soit prise d'une crise d'une sorte ou d'une autre. Lorsqu'elle fut en bas de l'escalier, le petit groupe se dispersa pour la laisser passer. Une fois sur le perron, elle se retourna. Les deux hommes n'avaient pas bougé d'un pouce.

– Alors, qu'est-ce que vous attendez?

Celui qui répondait au nom de Hakan Holmgren fit un pas dans sa direction.

– Eh bien, on y va. Tu as tout ce dont tu as besoin?

Sibylla ne répondit pas. Elle leur tourna le dos et se dirigea vers la voiture qui était parquée devant le perron. Sans dire un mot, elle ouvrit la portière et s'assit sur le siège arrière.

Les autres ne vinrent la rejoindre qu'au bout d'un moment. Sans doute avaient-ils besoin d'un petit briefing, avant de partir.

Elle s'abstint de les regarder à nouveau.

Ils pouvaient dire tout ce qu'ils voulaient sur elle, là-bas, elle s'en fichait complètement.

Au bout de quelques jours, on lui donna une chambre particulière. Dès son arrivée dans le service, l'une des autres malades s'était avisée qu'elle était la Vierge Marie et qu'elle portait dans son ventre le nouvel Enfant Jésus. Elle pouvait penser ce qu'elle voulait, mais le personnel avait fini par se lasser d'entendre cette vieille femme parler sans cesse de la rémission des péchés et la meilleure solution avait alors été de donner une chambre à part à Sibylla. Celle-ci remercia intérieurement la vieille femme et referma la porte derrière elle avec gratitude.

Avant tout, elle désirait qu'on la laisse en paix.

Son ventre grossissait.

Parfois, une sage-femme venait y appliquer un cornet, afin de s'assurer que tout allait bien à l'intérieur. Ce devait être le cas, car elle ne revint pas très souvent. On lui donna à lire un livre sur la grossesse et les accouchements. Mais elle le fourra dans le tiroir de sa table de chevet à roulettes.

On la laissait maintenant se déplacer librement à l'intérieur de l'hôpital, car cela lui faisait du bien de bouger un peu. Chaque jour, elle passait une ou deux heures dehors. Le tour de la clôture, à lui seul, représentait une belle promenade. Les bâtiments de pierre blanche étaient en fait jolis à voir de l'extérieur, du moins de loin, et en fermant un peu les yeux elle pouvait croire qu'elle se trouvait dans le parc d'un château.

L'homme qui voulait qu'elle parle ne revenait pas très souvent. Sans doute avait-il des malades ayant plus besoin de lui. D'ailleurs, elle n'était plus folle, seulement enceinte. Il n'y pouvait rien si c'était à peu près la même situation que dans le foyer d'où elle venait.

On attendait d'elle qu'elle se conduise bien, un point c'est tout.

Elle était à deux semaines de son terme lorsque survinrent les premières douleurs. Si brutalement qu'elle eut l'impression de recevoir un coup de massue. Puis cela disparut. Elle était seule dans la chambre et elle eut si peur qu'elle alla se coucher. Qu'est-ce qui lui arrivait? La douleur revint. Lourde et implacable. Quelque chose se brisait en elle.

Puis elle vit un liquide qui coulait entre ses jambes. Elle se dit qu'elle allait mourir, que c'était sa punition. Quelque chose s'était brisé en elle et elle perdait son sang.

La douleur s'atténua une nouvelle fois et elle regarda ses jambes. Mais elle ne vit pas de sang. Peut-être avait-elle uriné, en fait, sans s'en rendre compte?

Lorsque la douleur revint, elle se mit à crier très fort. Une minute plus tard la porte s'ouvrit et une infirmière entra en coup de vent. Elle tâta le drap humide et Sibylla fut prise de honte.

– Soyez gentille, aidez-moi. Je suis en train de me vider.

Mais l'infirmière se contenta de sourire.

– Ce n'est rien, Sibylla. Tu vas avoir ton bébé, c'est tout. Je vais aller demander l'ambulance.

Elle sortit aussi vite qu'elle était entrée. L'ambulance? Où allait-on la transporter?

– Bonne chance, Sibylla.

C'est sur ces mots qu'ils enfournèrent dans la voiture la civière sur laquelle elle était étendue.

Et maintenant elle était seule dans une chambre d'un autre hôpital.

– Faut-il prévenir le mari?

Elle secoua la tête. Il s'ensuivit un silence gêné.

– Ou quelqu'un d'autre?

Elle n'avait pas répondu, se contentant de fermer les yeux pour empêcher, en vain, la vague de douleur suivante de l'atteindre. Rien de ce qu'elle faisait ne pouvait mettre un terme à la souffrance insupportable qui s'était emparée d'elle. Elle n'était plus qu'un corps. Un corps totalement soumis à cette force qui essayait d'ouvrir en elle un trou suffisamment grand pour laisser sortir ce qu'il y avait dans son ventre. Elle n'avait pas la parole. Elle était privée de toute volonté et livrée en pâture à cette force démente et obstinée qui ne la laisserait pas en paix tant qu'elle n'aurait pas obtenu ce qu'elle voulait.

Elle allait donner la vie.

Sur le mur, en face d'elle, se trouvait une pendule murale de couleur blanche. La seule preuve que le monde suivait son cours, quelque part, était le fait que l'aiguille des minutes faisait un bond vers l'avant, à intervalles réguliers.

Des intervalles très longs.

Les heures passaient.

Personne ne venait s'occuper d'elle. Elle entendit une autre femme crier, dans la chambre d'à côté.

Sa mère avait-elle connu cela, quand elle lui avait donné naissance? Était-ce pour cela qu'elle ne l'avait jamais acceptée? Comment pouvait-on demander qu'on vous aime, si vous causiez une telle douleur aux autres?

Lorsque l'aiguille des minutes eut fait quatre fois le tour du cadran, sans se presser, et qu'elle eut presque perdu connaissance, ils vinrent à nouveau fourrer leurs doigts en elle. Le moment était venu. Elle s'était ouverte de quatre centimètres. Mais ils avaient dû se tromper dans leurs calculs. Son corps était en morceaux, rien n'était plus en place.

On la fit asseoir sur un siège de travail, jambes écartées, le bas-ventre exposé à la vue de tous. Et on lui dit de pousser.

Elle essaya de faire ce qu'on lui disait, mais elle avait le sentiment que, si elle obéissait, elle allait se fendre en deux. Depuis le menton jusqu'à la nuque. Elle gémit et supplia qu'on lui épargne cette douleur, mais les autres étaient au service de cette force, eux aussi. Ils ne feraient rien pour lui venir en aide.

Soudain, elle les entendit dire qu'ils voyaient la tête. Il fallait qu'elle se retienne.

Une tête. Ils voyaient une tête. Une tête était en train de sortir d'elle.

Plus qu'une fois, Sibylla, et ce sera fini. Soudain, les cris d'un enfant percèrent le silence de la salle et la douleur perdit peu à peu de son intensité, l'abandonnant aussi vite qu'elle était venue.

Elle tourna la tête et aperçut une petite tête aux cheveux bruns qui disparaissait par la porte, dans les bras d'une infirmière.

L'aiguille des minutes fit encore un petit saut. De façon aussi régulière que si tout avait été normal.

Un être humain venait de sortir d'elle.

Un petit être humain, avec une petite tête affublée de poils bruns.

Il s'était mis à grandir en elle sans qu'elle lui en donne la permission et ne s'en était pas plus soucié quand il avait décidé de la déchirer afin de sortir.

La tête lourdement appuyée sur le dossier du siège de travail, les jambes toujours écartées, elle observa l'aiguille des minutes faire un pas de plus, dans sa marche à travers le temps.

Et elle se demanda pourquoi personne ne lui avait demandé la permission.

Les jours et les nuits passèrent, dans ce grenier glacial. Les grandes aiguilles firent un grand nombre de fois le tour du cadran blanc.

Elle avait trouvé une salle de douches pour laquelle il n'y avait pas besoin de clé et, chaque nuit, elle s'y glissait. Elle restait longtemps sous le jet d'eau chaude qui la dégelait lentement. Mais l'eau ne parvenait pas à lui rendre son courage.

Elle avait d'abord décidé de tout remballer et de quitter cet endroit, dès que son visiteur inattendu aurait disparu.

Mais pour aller où?

Elle n'en avait pas la moindre idée et cela l'avait incitée à rester.

Elle n'avait plus envie.

Advienne que pourra.

Elle prit cependant, à titre de précaution, la décision de mettre ses affaires derrière le pan de mur. Elle aurait plus loin à aller pour gagner la porte, mais elle risquait moins d'être prise au dépourvu.

Le troisième jour, il revint. Elle entendit la porte s'ouvrir et se fermer. Elle resta immobile et prêta l'oreille.

– Sylla?

C'était lui. Elle se détendit légèrement. Mais elle ne pouvait pas voir la porte, de là où elle était, et ne savait donc pas s'il était seul.

– Sylla. C'est Tabben... Enfin: Patrik. T'es là?

Elle passa la tête. Il l'aperçut et son visage s'éclaira. Il était seul.

– Merde alors. J'ai eu peur que tu sois partie.

Elle soupira et se leva.

– J'en ai eu l'intention, mais je n'ai pas tellement d'endroits où aller.

C'est alors qu'elle vit qu'il avait un tapis de sol en mousse sous le bras et un sac bien rempli sur le dos.

– Où est-ce que tu vas?

– Je viens ici.

– Ici?

– Oui. Je voudrais pieuter ici, si t'as pas d'objection.

Elle secoua la tête d'un air navré.

– Mais pourquoi?

– C'est super. Je veux savoir comment ça fait.

Elle poussa un soupir et regarda autour d'elle.

– Ce n'est pas un jeu, Patrik. Si je dors ici, moi, ce n'est pas parce que je trouve ça drôle.

– Pourquoi, alors?

Elle fut légèrement contrariée.

– Parce que je n'ai nulle part où aller.

Il laissa tomber son sac à dos sur le sol. Il avait dû se préparer à devoir la convaincre car, l'instant d'après, elle vit qu'il tenait un emballage à la main.

– Des côtes de porc. T'aimes ça?

Elle ne put s'empêcher de lui éclater de rire au nez. Il avait tout prévu: même de quoi acheter son accord. Il posa à nouveau sa question, la tête légèrement de côté.

– Alors, je peux... coucher ici cette nuit?

Elle écarta les bras en un geste d'impuissance.

– Je ne peux pas t'en empêcher, moi. Mais qu'est-ce que vont dire tes parents, si tu ne rentres pas chez toi?

– Bah...

Elle fut soudain prise d'inquiétude. Que leur avait-il dit, au juste?

– Est-ce qu'ils savent que tu es ici?

Il la regarda, l'air de dire: t'es cinglée ou quoi?

– Mon paternel fait le taxi de nuit et ma mère est partie faire une formation.

– Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre qui sait que tu es là?

Ce fut à son tour de pousser un soupir.

– T'inquiète. Non, y a personne qu'est au courant.

Tu serais inquiet, toi aussi, si tu savais que tu allais passer la nuit dans un grenier en compagnie de quelqu'un qui est recherché pour meurtre avec circonstances aggravantes.

– Bon, eh bien, installe-toi.

Il ne se fit pas prier. Il chercha aussitôt du regard un endroit convenable pour mettre ses affaires et arrêta très vite son choix sur la plate-forme en dessous de l'horloge. Elle le regarda déballer son sac et préparer ce qui allait lui servir de lit. Pour sa part, elle tira son tapis de sol de l'autre côté du pan de mur, pour qu'ils puissent se voir depuis leur couche respective. Quand il eut terminé, il observa le résultat avec une satisfaction évidente, puis il la regarda, l'air d'attendre des compliments.

– T'as faim?

– Plutôt, oui. Les haricots, ça va un certain temps.

– Si t'en as trop pour toi.

Il ouvrit l'emballage et le posa sur le sol, devant lui. Puis il sortit de son sac, comme par magie, une salade de pommes de terre, un sac de chips et deux canettes de Coca-Cola.

– Sers-toi.

C'était la fête! Elle alla s'asseoir à côté de lui. Il avait l'air d'avoir aussi faim qu'elle et ils mangèrent en silence. Les côtes de porc furent bientôt débarrassées de leur chair, avant d'être remises dans l'emballage avec celles qui n'étaient pas encore mangées. Lorsque les deux tas furent d'égale hauteur, elle dut se rejeter en arrière pour digérer un peu.

– T'as déjà plus faim? s'étonna-t-il. Et moi qui en ai acheté plus en pensant à toi.

– Oui, je vois ça. Mais on peut les garder pour demain.

Il jeta un coup d'œil en direction de son ventre.

– C'est p't-être ton estomac qu'a rétréci, dit-il la bouche pleine. Ça arrive, quand on mange pas beaucoup.

C'était peut-être vrai. Mais ce n'était pas le cas du sien, à lui, car il venait d'attaquer un nouveau morceau de viande. Il eut de la graisse jusque sur les joues.

– Pouah, j'ai les mains collantes! Où est-ce qu'on peut se laver, ici?

Sibylla haussa les épaules.

– C'est le genre de chose auquel il faut s'habituer, quand on est SDF. L'eau courante, c'est un luxe.

Il regarda ses mains poisseuses, puis celles de Sibylla. Elle les lui montra, pour qu'il les voie mieux. Elle avait pris soin de ne toucher la viande qu'avec le pouce et l'index d'une seule main. Il se décida à lécher les siennes et à les essuyer sur la jambe de son pantalon.

Puis il regarda autour de lui.

– Bon, qu'est-ce qu'on fait, maintenant?

– Qu'est-ce que tu veux dire?

– Eh bien, on va pas rester là comme ça. Qu'est-ce que tu fais, d'habitude?

Ce petit être humain était encore très naïf, malgré son corps déjà presque adulte.

– Et toi? Quand tu joues pas les SDF dans les greniers?

– Je suis à mon ordinateur.

Elle hocha la tête et avala une gorgée de boisson.

– Ça risque d'être difficile, à l'avenir, si tu deviens SDF.

Il ricana légèrement.

– Ouais, je vais p't-être prendre ce boulot à la télé, après tout.

Elle retourna s'allonger sur son tapis de sol et se couvrit avec le sac de couchage. Elle mit ses mains sous ses aisselles pour les réchauffer, tourna la tête et lui lança un coup d'œil.

Il était visible qu'il commençait déjà à s'ennuyer. Faute de mieux, il se mit à débarrasser les restes de leur repas.

Derrière lui, l'horloge indiquait six heures dix.

Quand il eut fait place nette, il suivit son exemple, après avoir sorti un sac de couchage de son sac à dos. Il n'était pas très épais et elle se dit qu'il allait avoir froid, au cours de la nuit. Parfait. Ainsi, il se lasserait peut-être assez vite. Pour l'instant, il était couché, les bras sous la nuque et fixait le toit.

– Pourquoi t'es SDF? T'as jamais habité nulle part?

Elle poussa un soupir.

– Si.

– Où ça?

– Dans le Småland.

– Pourquoi t'en es partie?

– C'est une longue histoire.

Il tourna la tête et la regarda.

– Ah bon, j'aimerais la connaître. On a tout le temps qui faut, pas vrai?

Après cela, ils l'avaient aidée à prendre une douche et l'avaient ramenée à la maternité, allongée sur une civière roulante. L'un des lits était vide, dans la chambre. Les quatre autres étaient occupés par des femmes venant d'accoucher et leurs bébés. Toutes la saluèrent gentiment, lorsqu'elle fit son entrée. Son lit était près de la fenêtre et il lui suffisait de se mettre sur le côté pour ne pas les voir. Mais les bruits, il n'était pas aussi facile de les éliminer.

Les rideaux étaient rayés de bleu et se terminaient par une frange, en bas.

Personne ne lui demanda quoi que ce soit. Chacune de ces femmes avait assez à faire avec ce qui la concernait.

Les nouveau-nés.

Son ventre était toujours aussi gros. Mais il était vide, maintenant. Elle le sentait bien. Cela faisait longtemps qu'elle souhaitait pouvoir se coucher sur le ventre, mais cela lui était toujours impossible. En outre, elle avait la poitrine douloureuse.

Au bout d'environ une heure, on vint la chercher. On l'aida à s'asseoir puis à mettre le pied par terre. Mais cela lui fit mal. C'était sans doute dû aux points de suture qu'ils lui avaient faits, d'après ce qu'ils lui avaient dit.

Vint le moment de parler au médecin. Elle préféra rester debout, quand il lui offrit de s'asseoir dans le fauteuil du visiteur. Il hocha la tête et consulta le dossier brun.

– Eh bien, ça s'est passé de façon satisfaisante.

Elle le regarda.

Voyant qu'elle ne répondait pas, il leva les yeux mais continua à feuilleter son dossier.

– Comment vas-tu?

Vide. Vidée. Usée. Abandonnée.

– Qu'est-ce que c'est? demanda-t-elle.

– Quoi?

– Eh bien oui: qu'est-ce que j'ai eu?

Il était clair que la question le gênait. Ici, c'était lui qui posait les questions, d'habitude.

– Un garçon.

Il continua à lire.

Un garçon. Elle avait donné naissance à un petit garçon aux cheveux bruns.

– Est-ce que je peux le voir?

Il se racla la gorge. La conversation prenait un tour qu'il n'avait pas prévu.

– Non. Nous avons des règles à observer. Dans ce genre de cas, ce n'est pas souhaitable. C'est pour ton propre bien, d'ailleurs.

Pour son propre bien.

Pourquoi ne lui demandait-on jamais son avis, avant de décider ce qu'il fallait faire "pour son propre bien". Comment se faisait-il que les autres sachent toujours mieux qu'elle?

Il avait mis fin à l'entretien sitôt qu'il avait pu. Quand elle ouvrit la porte de sa chambre, les mamans lui sourirent à nouveau. Elle se recoucha, avec l'aide d'une infirmière, et leur tourna le dos.

L'après-midi, à l'heure des visites, la chambre fut envahie de pères et de frères et sœurs qui venaient admirer le nouveau membre de la famille. Personne ne prêta attention au dos qu'elle tournait à tout le monde.

La nuit tomba. Seule sa voisine immédiate dormait. Les autres étaient maintenues éveillées par leurs bébés. Elle les entendit bavarder les unes avec les autres. Il n'a pas encore fait son caca, c'est pour ça qu'il pleure. Je ne comprends pas, elle veut seulement prendre un sein, pas l'autre. Vous avez vu comme il est mignon?

Elle se leva prudemment. Si elle faisait ce mouvement en restant sur le côté, elle avait mal seulement au moment où elle posait le pied par terre.

Le couloir était désert.

Elle passa devant la fenêtre du bureau des infirmières, mais personne ne fit attention à elle.

La salle suivante était celle où dormaient les bébés. Elle ouvrit lentement la porte. La pièce était vide, mais, au milieu, se trouvait une de ces caisses en plastique montées sur roues comme en avaient les autres mères de sa chambre.

Elle avait le cœur qui battait. Elle ferma tout doucement la porte derrière elle et fit un pas.

Une petite tête. Une petite tête avec des cheveux bruns. Elle sentit qu'elle tremblait. Elle était maintenant près du petit lit et pouvait lire le numéro d'identification inscrit au-dessus de la petite tête.

C'était bien son enfant qui était là.

Son fils.

Elle dut mettre ses mains devant sa bouche pour ne pas laisser échapper un cri.

Il avait grandi en elle, fait partie d'elle. Et maintenant, il était là, seul.

Seul et abandonné.

Il était tout petit. Il dormait sur le côté et sa tête était si petite qu'elle tenait dans la paume de la main.

Elle passa délicatement l'index sur ses cheveux bruns. Il sursauta et prit une profonde respiration, comme s'il venait de pleurer. Elle se pencha sur lui et mit le nez contre son oreille.

Soudain, elle fut prise d'un sentiment de révolte.

Non, ils n'avaient pas le droit de lui faire cela. C'était son enfant et elle préférait qu'ils la tuent plutôt que le leur laisser. Soudain elle sut que, quoi qu'il arrive, jamais elle ne l'abandonnerait. Jamais elle ne le trahirait et ne le laisserait seul, à pleurer jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir, dans un chariot en plastique.

Cette décision lui redonna courage. Doucement, elle glissa ses mains sous son petit corps et le souleva. Elle le serra contre elle et sut que c'était là qu'il fallait qu'il soit.

Il dormait toujours. Elle respira son odeur et sentit les larmes couler le long de ses joues.

Elle tenait son enfant dans ses bras.

Il n'était plus seul.

La porte s'ouvrit alors.

– Qu'est-ce que tu fais?

Elle ne bougea pas d'un pouce.

L'infirmière – celle qui l'avait accompagnée auprès du docteur ce jour-là – se dirigea vers elle.

– Pose cet enfant, Sibylla. Retourne dans ta chambre.

– C'est mon enfant.

La femme parut hésiter. Elle tendit les bras pour lui prendre le bébé. Sibylla lui tourna le dos.

– Je n'ai pas l'intention de vous le laisser.

Elle sentit la main de la femme se poser sur son épaule. Elle eut un geste vif, pour s'en débarrasser, mais cela eut pour effet de réveiller l'enfant, dans ses bras. Il grogna et elle lui caressa la tête pour le calmer.

– Maman est là. Ne t'inquiète pas.

La femme sortit de la pièce. Sibylla plaça la main derrière la tête du bébé et le tint légèrement à distance. Il avait ouvert les yeux. De petits yeux bleu foncé qui cherchaient quelque chose sur quoi se poser.

Juste après, ils entrèrent. Cette fois, ils étaient quatre. L'un d'entre eux était un homme. Il s'avança vers Sibylla et lui dit d'une voix forte:

– Pose cet enfant, Sibylla.

– Il est à moi.

L'homme hésita un instant puis tira une chaise.

– Assieds-toi.

– Non, merci. Je ne peux pas m'asseoir.

L'une des quatre autres personnes s'avança à son tour.

– Ça ne sert à rien, Sibylla. Ça ne fait qu'aggraver les choses.

– Ah bon, comment ça?

Ils se regardèrent. À tour de rôle. L'une des quatre sortit de la pièce.

– Tu sais parfaitement qu'il a été convenu que l'enfant serait adopté. Il sera bien. Tu n'as pas à t'inquiéter.

– Je n'ai convenu de rien. J'ai l'intention de le garder.

– Je suis navré, Sibylla. Je comprends que ce soit dur, pour toi, mais on ne peut rien y faire.

Elle se sentit impuissante. Ils étaient trois contre une et la quatrième personne n'allait sûrement pas tarder à revenir. Peut-être était-elle même allée chercher du renfort. Ils étaient tous dans le camp opposé, celui de ses ennemis. Tous sauf ce bébé qu'elle tenait entre ses bras.

Elle et lui face au monde entier. Elle ne l'abandonnerait jamais.

– Il y a deux façons de régler cette affaire, dit l'homme en repoussant sa chaise. Ou bien tu poses cet enfant de ton plein gré. Ou bien nous t'y forcerons.

Son cœur cognait contre sa poitrine.

Ils allaient le lui reprendre.

– Soyez gentils. Je suis sa mère, tout de même. Vous le savez bien. Vous ne pouvez pas me le prendre. Il est tout ce que j'ai.

Elle pleurait. Son corps était secoué de sanglots et elle sentit sa tête se mettre à tourner. Elle ferma les yeux.

Surtout ne pas tomber malade à nouveau.

Quand elle rouvrit les yeux, il était trop tard.

L'homme tenait son fils dans ses bras et quittait déjà la pièce. Deux des autres personnes en blanc la saisirent par les bras, lorsqu'elle voulut se lancer à sa poursuite. Elle entendit les cris de son enfant s'éloigner dans le couloir.

Plus jamais elle ne le reverrait.

– Merde alors! Ils ont le droit de faire ça?

Elle ne répondit pas. Elle se demanda ce qui l'avait poussée à lui raconter cela. Elle ne l'avait encore jamais fait. Elle avait enduré cette perte, l'avait portée en elle comme un morceau de verre acéré se déplaçant sans cesse dans son corps pour maintenir la plaie ouverte, mais jamais encore elle n'avait mis des mots sur cette peine.

Peut-être était-ce dû au fait qu'il avait à peu près le même âge que son fils, maintenant. Peut-être à cause des circonstances.

C'était sans espoir.

Plus la peine d'en faire mystère.

– Et après? Qu'est-ce qui s'est passé, après?

Elle avala sa salive. C'étaient des souvenirs qu'elle avait longtemps tenté d'oublier.

– J'ai été internée. Je suis restée près de six mois enfermée dans un hôpital psychiatrique. Mais, à un moment, je n'ai pas pu supporter ça plus longtemps et j'ai filé.

– Alors t'étais... comme qui dirait folle?

Elle n'eut pas la force de répondre. Le silence se fit.

– T'as filé comment? Tu veux dire: tu t'es évadée?

– Oui. Mais je ne crois pas qu'ils m'aient beaucoup cherchée. Je n'étais pas vraiment un danger public.

Les choses avaient bien changé.

– Ton vieux et ta vieille? Qu'est-ce qu'ils ont dit?

– Eh bien, simplement que je ne pouvais plus vivre chez eux. Que j'étais majeure, désormais, et que je n'avais qu'à m'en tirer par mes propres moyens.

– Les salauds!

– Tu l'as dit.

– Et après? Qu'est-ce que t'as fait?

Elle tourna la tête et le regarda.

– Tu poses toujours autant de questions?

– J'ai encore jamais parlé avec des SDF, alors...

Elle poussa un soupir et leva à nouveau les yeux vers le toit. C'était un élève appliqué.

– D'abord, je me suis retrouvée à Växjö. Mais j'avais peur qu'on me mette la main dessus et qu'on me renvoie à l'hôpital. J'ai tourné en rond pendant un ou deux mois, là-bas, je vivais dans des sous-sols et je mangeais ce que je trouvais.

– Quel âge t'avais?

– Je venais d'avoir dix-huit ans.

– Trois de plus que mézigue.

– Que moi.

Il tourna la tête et la regarda.

– Quoi?

– On dit: plus jeune que moi.

Elle l'entendit ricaner.

– Eh, dis donc, t'es pas chargée de corriger mes fautes.

Elle sourit, dans la pénombre. Non, en effet. Mais elle n'avait jamais été chargée de rien, alors...

– Non, mais j'étais bonne en suédois, à l'école.

– Pourquoi t'as pas pris un boulot?

– Je n'osais pas dire mon nom. J'avais peur qu'on me reconnaisse. Je pensais que j'étais toujours recherchée.

Ce mot la ramena au présent. Qu'était-elle en train de faire? Il était grand temps de mettre fin à cette conversation.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю