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Recherchée
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 18:54

Текст книги "Recherchée"


Автор книги: Karin Alvtegen


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Триллеры


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Il respira profondément avant de continuer.

– Rune a emporté notre amour dans la tombe. Mais toute la sympathie est allée à elle. Chacun est venu la voir, lui apporter à manger et est resté des heures à écouter ses sornettes sur l'injustice du destin. Plusieurs fois, j'ai été tenté d'y aller, moi aussi, et de lui crier à la face, sa sale face de rat, que c'était moi qu'il aimait! Pas elle. C'était de chez moi qu'il revenait quand il a eu cette collision avec un élan, sur la route. Il sortait de mon lit. C'était mes mains qui avaient été les dernières à caresser son corps.

Il tendit ses longs doigts en l'air pour qu'elle saisisse mieux.

Il était vraiment en transe. Ses mains tremblaient et sa respiration était saccadée. Un instant, elle crut qu'il allait se mettre à pleurer. Sa lèvre inférieure vibrait de colère contenue. Peut-être était-ce la première fois qu'il pouvait exprimer sa peine. Ces paroles étaient restées prisonnières de sa bouche pendant treize mois.

La première fois.

Et sans doute la dernière.

– Après, elle est retournée travailler. Elle s'est pavanée, en prenant le café avec les autres, et s'est vantée d'avoir fait en sorte que Rune ne soit pas mort pour rien et qu'il ait sauvé quatre vies, avec ce qui restait de son corps.

Il secoua la tête d'un air de dégoût.

– J'avais envie de vomir, merde alors. C'est ça, l'amour? Hein? Ouvrir le corps de celui qu'on dit qu'on aime et semer ses restes à tout vent!

Il se leva si brusquement qu'elle eut un réflexe de recul en même temps que sa chaise à lui basculait et se renversait sur le sol. Il la releva, alla chercher la cafetière sur l'évier et revint en la tenant à la main.

– Encore un peu de café?

Elle secoua la tête, sans trop savoir ce qu'elle faisait, et il s'en versa à lui-même, à la place. Elle profita de ce qu'il allait reporter la cafetière pour faire le tour de la pièce des yeux. Derrière elle se trouvait une porte.

– Je croyais que ça passerait si je partais d'ici quelque temps. Si je ne voyais plus sa face de sainte-nitouche, tous les jours, dans la salle où on prend le café, au travail.

Elle n'était séparée que par environ deux mètres de cette porte close.

– Il ne restait plus qu'une seule place, à l'agence de voyages. C'était la première fois que le Seigneur se manifestait dans ma vie, mais je ne le savais pas, alors.

Il était maintenant totalement détendu. Il avala une gorgée de café et regarda par la fenêtre. Deux amis en train de prendre le café et qui avaient beaucoup à se dire.

– À Malte, il y a une ville qui s'appelle Mosta et qui possède une cathédrale. C'était là que le Seigneur voulait que je me rende. J'avais pris une place dans un voyage organisé, pour ne plus être seul. Et il a bouleversé ma vie.

Il joignit les mains et les posa devant lui, sur la table.

– C'était comme si un voile était tombé de mes yeux. Comme si je pouvais enfin voir.

Il rayonnait de gratitude.

– Le 9 avril 1942, cette église était remplie de fidèles. Des gens ordinaires, qui étaient allés à la messe comme d'habitude. Soudain, une bombe a traversé la coupole. Elle a fait voler le toit en miettes et est tombée devant l'autel. Mais elle n'a pas explosé. Dieu a fait un miracle et elle n'a pas explosé. Les fidèles ont tous pu sortir de là indemnes, jusqu'au dernier. C'est un miracle, ça, hein?

S'il espérait une réponse, il dut être bien déçu.

– C'était un avion anglais qui avait lâché cette bombe par erreur.

Il la regarda fixement.

– Tu ne comprends donc pas?

Elle secoua la tête.

– Leur heure n'était pas encore arrivée. Dieu n'avait appelé aucun de ceux qui se trouvaient dans cette église. Ils ne devaient pas encore mourir. C'est pourquoi Il est intervenu et a fait en sorte que rien ne se passe.

Il se tut et regarda un instant par la fenêtre avant de poursuivre:

– Mais Rune... Rune, lui, son heure était venue. Je ne sais pas pourquoi Dieu l'avait appelé, j'attends toujours qu'il me donne une réponse. Peut-être le fera-t-Il quand j'aurai mené ma mission à bien.

Sibylla avala sa salive. Elle avait peur, maintenant qu'elle voyait que sa confession touchait à son terme.

– Mais elle ne l'a pas laissé mourir, elle. Elle s'est arrogé le privilège de Dieu et l'a maintenu en vie, parmi nous, sur la terre... Elle l'a rattrapé alors qu'il était à mi-chemin du royaume des cieux.

Son visage était maintenant déformé par une grimace.

– Comment aurais-je pu tolérer ça?

Il joignit les mains devant lui.

– Je me mettrai en colère, je les punirai et j'exercerai sur eux une terrible vengeance. Ils comprendront ainsi que je suis le Seigneur.

Il se tut.

La peur, qui un instant avait fait place à une sorte de désir d'agir, reprit possession d'elle avec une force redoublée.

Il fallait qu'elle gagnât du temps.

– Et ceux que vous avez tués? Qu'est-ce qu'il en dit, Dieu?

– Mais tu n'as donc pas compris?

Elle n'osa même pas secouer la tête.

– Dieu les avait appelés. Ils devaient mourir. De quel droit nous opposons-nous à Sa volonté?

Que répondre à cela? Lui dire qu'il était fou n'aurait servi à rien.

– Et moi, là-dedans? finit-elle par demander.

Il sourit à nouveau.

– Toi aussi, tu as été élue.

C'était une sorte de compliment, dans sa bouche.

– Le Seigneur a fait de toi aussi Son instrument. Nous devons tous les deux mener notre mission à son terme.

Il ne fallait plus tarder, maintenant.

– Et quelle est ma mission, à moi?

Son sourire gagna son visage tout entier.

– Me protéger.

L'instant d'après, elle fut sur ses jambes. Sans hésiter, elle se jeta en arrière et réussit à poser la main sur la poignée de la porte. La chance était avec elle car elle ouvrait sur une autre pièce et, avant qu'il ait eu le temps de faire le tour de la table, elle refermait la porte derrière elle. Il la suivit quelques secondes plus tard, appuya sur la poignée et poussa de toutes ses forces. Elle sentit le poids de son corps, de l'autre côté, et pesa de toutes ses forces, elle aussi, pour empêcher la porte de s'ouvrir, car il n'y avait pas de clé dans la serrure.

Elle inspecta les lieux. Elle se trouvait dans son atelier de peinture. La pièce était remplie de pots de peinture et derrière elle se trouvait un chevalet soutenant un Christ en croix à moitié terminé. Sur le mur situé à sa droite s'ouvrait une autre porte, mais celle-ci n'avait pas de clé non plus. Elle sentit soudain que la poussée avait cessé et se pencha rapidement pour regarder par le trou de la serrure.

Il n'y avait plus personne.

Elle fit deux pas en arrière et se cogna à une table. Une boîte de peinture et des pinceaux tombèrent sur le sol. La peur lui picotait le corps et elle alla se placer au centre de la pièce. Soudain, elle entendit un bruit et sut qu'il revenait. Au même instant, elle vit sa main se glisser par l'entrebâillement de l'autre porte et se poser sur la tranche. Elle n'hésita pas un instant et se jeta de toutes ses forces. Elle entendit le bruit que firent ses doigts lorsque le battant se referma sur eux.

Il ne cria pas. Ses doigts se raidirent sous l'effet de la douleur, mais elle n'entendit pas le moindre bruit. Uniquement sa propre respiration accélérée. Puis il donna une violente poussée à la porte et elle y résista de son mieux. Mais le petit interstice ainsi créé lui avait permis de retirer sa main.

Soudain, une pendule se mit à sonner, derrière elle. Cela suffit à lui faire perdre ce qu'il lui restait de maîtrise d'elle-même. Elle fit demi-tour et partit en courant. Elle ouvrit violemment la porte de la cuisine et s'engouffra dans le hall. Parvenue là, elle hésita une seconde et regarda autour d'elle. La porte d'entrée était fermée à clé, elle le savait. S'engager dans l'escalier revenait à se jeter un peu plus profondément encore dans la gueule du loup. Mais un bruit en provenance de la pièce voisine la priva de toute alternative. Elle fit un pas en avant et vit ses pieds par l'ouverture de la porte. Il était assis sur le sol, le dos contre la porte et les jambes tendues devant lui. Elle se glissa très vite dans l'escalier et l'entendit se lever. En haut des marches se trouvait un petit couloir sur lequel donnaient trois portes fermées. Sur l'une d'entre elles, la clé était dans la serrure. Elle était fermée mais s'ouvrit à la première tentative.

– N'entre pas là! l'entendit-elle lui crier.

Mais elle était déjà à l'intérieur.

Malgré ses mains qui tremblaient, elle réussit à glisser la clé dans la serrure, de son côté, et à la tourner. Un instant plus tard, elle vit la poignée qui s'abaissait.

– Ne fais pas de bêtises, Sibylla.

Elle se retourna.

Au milieu de la pièce se trouvait un lit défait. Le drap de dessous et l'oreiller, qui avaient jadis été blancs, étaient maintenant gris et couverts de taches.

Contre le mur était adossée une commode en bois sombre – peut-être du chêne – surmontée d'une glace. Devant celle-ci était posé un chandelier en argent d'environ cinquante centimètres surmonté d'une bougie allumée. Mais elle n'avait vu semblable cierge dans aucune église. Devant le chandelier était placée une bible.

– Ouvre cette porte, Sibylla.

Elle avança jusqu'à la fenêtre. L'espagnolette n'avait pas été actionnée depuis longtemps et elle dut tirer très fort pour la faire bouger. Mais un raclement lui indiqua qu'elle consentait finalement à faire son office.

– N'ouvre pas cette fenêtre, Sibylla! Attention que le cierge ne s'éteigne pas!

Il se mit à cogner sur la porte.

Elle se retourna et regarda le chandelier. La flamme de la bougie vacillait sous le courant d'air.

Elle se pencha. En dessous d'elle se trouvaient les marches du perron et si, contre toute attente, elle parvenait à éviter d'aller cogner contre la rambarde en fer, elle s'écraserait sans doute sur les dalles.

– Ferme la fenêtre, Sibylla! dit-il d'une voix impérieuse.

Elle la laissa ouverte et avança vers la commode. Le répit que lui procurait cette porte fermée à clé lui permit de reprendre ses esprits.

Attention que le cierge ne s'éteigne pas.

À côté du chandelier en argent se trouvaient deux bougies de la même taille que celle qui était allumée, mais entourées de plastique, et non loin de là, quatre autres, du genre de celles utilisées dans les cimetières, elles aussi dans de petits récipients en plastique.

De quoi brûler pendant environ soixante heures.

Elle prit la bible et l'ouvrit à la première page. À l'intérieur de la couverture, quelqu'un avait écrit ces lignes qu'elle parcourut rapidement:

Car l'amour est aussi fort que la mort

son désir aussi indomptable que le royaume des morts

sa flamme est telle celle du feu,

car c'est la flamme du Seigneur.

Elle comprit soudain que c'était maintenant elle qui avait le dessus. Cette flamme allait être son arme.

Elle entendit quelque chose racler dans la serrure. Elle reposa la bible et se dépêcha de refermer la fenêtre.

– Si vous entrez, j'éteins le cierge, s'écria-t-elle.

L'espagnolette reprit sa place initiale et le bruit dans la serrure s'arrêta.

– Cela brûle depuis qu'il est mort, n'est-ce pas?

Elle n'obtint pas de réponse, mais elle n'en avait pas besoin. Telle la flamme olympique, il avait maintenu ce cierge allumé en souvenir de l'être qu'il aimait.

Elle venait de se procurer un nouveau répit.

Mais que pouvait-elle en faire?

Elle regarda autour d'elle.

Mis à part le lit et la commode, la pièce était vide. Le sol était recouvert d'une moquette de couleur brune sur laquelle étaient posés trois tapis de lirette dépareillés. Elle regarda le lit. Le drap serait peut-être assez long pour lui permettre d'atteindre le sol. Mais ensuite? Il n'aurait pas de mal à la rattraper.

Elle alla soulever le chandelier. Prudemment, sachant que le fait de maintenir cette flamme allumée était sa meilleure assurance vie.

– Vous pouvez entrer, s'écria-t-elle.

– Mais, pour ça, il faut m'ouvrir la porte.

Elle hésita un instant.

– Comptez jusqu'à trois avant d'entrer. Sinon, j'éteins le cierge.

Il ne répondit pas. La moquette rendit ses pas inaudibles. Elle tourna la clé dans la serrure et recula vivement.

Au bout de trois secondes, la poignée s'abaissa.

Ils se retrouvèrent face à face, avec ce cierge allumé entre eux.

La colère se lisait dans ses yeux. Il tendait devant lui sa main meurtrie et elle suivit son regard dans cette direction.

Ses doigts étaient profondément entaillés et l'auriculaire semblait totalement sectionné.

Ni l'un ni l'autre ne dit quoi que ce soit. La flamme était la seule chose qui bougeait dans la pièce.

– Pourquoi fais-tu ça? finit-il par demander. Qu'est-ce que tu crois que tu vas y gagner?

– Appelez la police, dit-elle.

Il secoua la tête. Non pas tant pour refuser que pour lui faire comprendre à quel point il était fâché.

– Tu ne comprends donc pas que c'était écrit, tout ça? Nous avons été élus pour cela, toi et moi. On n'y peut rien... Pose ce cierge.

Elle pouffa en signe de refus et ce souffle fit vaciller la flamme. Cela lui fit comprendre à quel point l'avantage qu'elle avait sur lui était fragile et, tout à coup, la panique s'empara à nouveau d'elle.

Peut-être le vit-il sur elle, peut-être en sentit-il l'odeur. Mais un sourire vint éclairer son visage.

– Nous sommes pareils, toi et moi. J'ai lu tout ce qui a été écrit sur toi, dans le journal.

Comment faire pour sortir de cette pièce?

– Ils ont posé des questions à une de tes anciennes camarades de classe, tu n'as pas lu ça?

Si elle mettait les pieds dehors, la flamme s'éteindrait. Elle ne pouvait jouir de ce répit que tant qu'elle restait à l'intérieur.

– J'étais un solitaire, moi aussi.

– Où est le téléphone?

– Dès la première année d'école, cela se voyait que je n'étais pas comme les autres. C'était évident pour tous les gens...

– Faites demi-tour et descendez, sinon je souffle.

Son sourire se figea mais il ne bougea pas.

– Et après, Sibylla? dit-il posément. Qu'est-ce que tu feras, après?

Il s'écoula une éternité et, au moment où elle pensait que son cœur allait éclater à force de battre, il se retourna enfin. Il sortit lentement dans le couloir et elle le suivit, à quelques mètres de distance, tentant vainement de dissimuler sa respiration haletante. Une marche à la fois. Ils descendirent l'escalier en une sorte de défilé de la Sainte-Lucie inversé, dans lequel celle qui portait la flamme ne venait pas en tête. Elle la protégeait avec la main et il tendait toujours la sienne, ensanglantée, devant lui. Elle avait les jambes qui tremblaient. Elle tenta de penser à ce qui allait se passer. Devait-elle le laisser téléphoner? Ne serait-il pas mieux qu'elle le fasse elle-même? Il ne restait plus que quatre marches. Une fois en bas, il s'arrêta.

– Continuez.

Il fit ce qu'elle lui disait et entra dans la cuisine. Le chandelier était lourd. Elle n'arrivait plus à le tenir aussi haut. Elle l'abaissa lentement et, en même temps, posa le pied sur le sol du hall.

Elle ne le vit plus.

– Placez-vous dans l'embrasure de la porte!

Rien ne bougea dans la cuisine. Elle changea de main.

– Je vais souffler!

Mais elle comprit qu'il avait saisi, aussi bien qu'elle, la vanité de cette menace. Que faire, alors?

Elle passa la tête à l'intérieur de la pièce qui se trouvait à sa gauche. Un canapé et une table basse. Et la même moquette que dans la chambre, à l'étage. La porte de l'atelier était entrouverte. Elle fit un pas dans la pièce. Le poids du chandelier la força à s'en saisir à deux mains.

– Avancez, pour que je vous voie, s'écria-t-elle.

Elle ne vit pas de téléphone. Elle se dirigea vers l'atelier. Aucun bruit en provenance de la cuisine. Une fois le seuil franchi, elle ferma rapidement la porte derrière elle.

L'appareil était posé sur la table ronde qui se trouvait au centre. C'était un modèle Cobra, en forme de serpent dressé, couvert de taches de peinture de toutes les couleurs.

Mais il fallait le saisir à deux mains, puisque le cadran était placé en dessous.

Sans lâcher du regard la porte de la cuisine, elle posa prudemment le chandelier, souleva l'appareil et passa ses doigts tremblants sur le cadran. Elle avait peur au point d'avoir mal.

Elle était si près du but et pourtant si loin aussi.

C'est alors qu'il se jeta sur elle.

La porte de la salle de séjour s'ouvrit brutalement, elle perçut un cri, mais, avant qu'elle ait eu le temps d'esquisser un mouvement, il la frappa avec une chaise de cuisine. Elle tomba sur le sol, ses yeux se brouillèrent sous le coup de la douleur et, lorsqu'il s'assit sur elle, elle sentit qu'une de ses côtes se brisait.

– Ne fais plus jamais ça! siffla-t-il.

Elle secoua la tête, s'efforçant en vain d'écarter la douleur.

– Le Seigneur est avec moi, poursuivit-il. Tu ne pourras pas m'échapper.

Elle secoua à nouveau la tête. Elle aurait donné tout pour qu'il se lève. N'importe quoi pourvu qu'il ne pèse plus sur sa côte brisée.

Il regarda autour de lui.

– Ne bouge pas!

Elle acquiesça de la tête et il se leva enfin. Près du téléphone était posé un chiffon de coton blanc. Il en banda sa main blessée. Elle se demanda s'il était droitier. Dans ce cas, il serait sérieusement handicapé.

Mais il en allait de même pour elle.

Et cette maudite flamme qui brûlait toujours.

Elle n'était même pas parvenue à l'éteindre.

Bon sang de bordel de merde.

Alors qu'elle était si près du but.

Elle bougea légèrement, pour tenter d'atténuer la douleur. Mais sa veste formait une sorte de boule sous elle, juste à l'endroit où cela lui faisait le plus mal. Il nota ce mouvement et posa le pied sur son ventre.

– Je t'ai dit de ne pas bouger!

La douleur fut si violente qu'elle en perdit le souffle. Son visage fut déformé par un rictus et elle vit trente-six chandelles. Puis elle sentit qu'il ôtait le pied et, au bout d'un moment, elle ouvrit à nouveau les yeux. Il était toujours debout près d'elle. Il était blême et tenait devant lui sa main bandée. Dans l'autre se trouvait un crucifix qu'elle avait déjà vu. Sur le document de Patrik.

– Tiens, dit-il, en le laissant tomber sur elle.

Il n'était pas très lourd mais elle banda machinalement ses muscles et son corps fut traversé par une nouvelle vague de douleur.

– Porte-le, poursuivit-il. Ce sera ta montée au Golgotha.

Si elle avait pu, elle lui aurait demandé ce qu'il voulait dire par là.

– Lève-toi! On va sortir!

Elle parvint à se mettre debout. De sa main valide, il l'empoigna par la nuque et la força à avancer, penchée en avant, les yeux rivés sur le sol et le crucifix dans la main gauche.

Le soir avait commencé à tomber.

La douleur au côté lui parut moins violente, une fois qu'elle fut debout. Sans lâcher prise, il lui fit descendre les marches du perron.

– Où allons-nous? lui demanda-t-elle.

Il ne répondit pas et se contenta de la pousser devant lui, vers la route. Elle se dit que, si vraiment elle était l'élue de Dieu, celui-ci pourrait bien faire passer une voiture.

Mais ce ne fut pas le cas.

Ils traversèrent et, aussitôt après, elle comprit où ils se rendaient. Dans la maison jaune.

– Qu'est-ce qu'on va faire? demanda-t-elle.

– Tu vas te tuer.

Elle tenta de se redresser, mais il la força à rester penchée.

– Ils te trouveront au mois de juin, quand ils viendront. Avec le crucifix sur le ventre. Ainsi, tout sera clair et on comprendra que Sibylla s'est punie elle-même de ses crimes. Kerstin pourra t'identifier et je me tiendrai près d'elle pour lui apporter mon aide.

Ils étaient arrivés devant la maison. Sibylla glissa sa main libre dans la poche de sa veste et sentit sa lime à ongles.

– Les clés sont dans ma poche, dit-il. Prends-les.

Ses doigts se saisirent de l'étui en plastique. La prise sur sa nuque se relâcha.

– Dans la poche droite.

Elle se redressa et se tourna vers lui. Ils se regardèrent un bref instant, puis elle lui planta violemment la lime à ongles dans le visage.

Elle n'eut pas le temps de voir où le coup avait porté. Pendant qu'il couvrait son visage de ses mains, elle pivota sur ses talons et partit en courant. La forêt commençait de l'autre côté de la petite clôture en bois et, malgré la douleur, elle l'enjamba sans ralentir.

Elle ne se retourna pas. Cette fois non plus, il ne cria pas.

Des branches la frappèrent au visage, au passage, mais rien ne put la ralentir. La pénombre n'était pas encore assez avancée pour qu'elle puisse se contenter de s'arrêter et de se dissimuler derrière un arbre. Il fallait qu'elle s'éloignât le plus possible avant qu'il ne se lançât sur ses traces.

Elle n'aurait pas su dire pendant combien de temps elle avait couru, en trébuchant sur des pierres et en s'éclaboussant jusqu'aux cuisses dans les flaques d'eau. À bout de forces, elle tomba la tête la première sur quelque chose qu'elle ne parvint pas à identifier, dans l'obscurité, et resta allongée sur le ventre. Ses poumons la brûlaient, sous l'effort. À intervalles réguliers, elle réfréna son haleine pour tenter de discerner des bruits.

Mais elle n'entendit rien d'autre que le vent dans les arbres et ses halètements constituaient presque un vacarme, en comparaison.

Elle resta longtemps dans cette position. Sans bouger, mais aux aguets.

À quel point avait-elle réussi à lui faire mal?

Elle n'était pas encore sauvée.

Soudain, elle entendit sa voix. Assez distante, mais parfaitement distincte, dans l'obscurité.

Sibylla... Tu ne nous échapperas pas... Dieu voit tout, tu le sais bien...

La peur, à nouveau.

Et la lune qui sortait soudain de derrière les nuages et l'éclairait, telle une lampe céleste.

Juste devant elle se trouvait un sapin dont les branches traînaient jusque sur le sol. Elle se glissa prestement dans cette obscurité propice.

Sibylla... Où es-tu?

La voix était beaucoup plus proche, maintenant. Et sa respiration oppressée risquait de la trahir.

Elle finit par l'apercevoir. Comme guidé par un fil invisible, il venait droit vers sa cachette.

– Je sais que tu es là, tout près.

Elle pouvait maintenant distinguer son visage. Il ruisselait de sang et le blanc de l'un de ses yeux, écarquillé, luisait dans la pénombre.

Plus que dix mètres.

Et soudain, le noir complet.

En un instant, la lune avait disparu derrière un nuage providentiel et l'avait sauvée. Elle l'entendit pousser un cri et comprit qu'il avait trébuché et s'était rattrapé avec sa main blessée.

Bien fait pour toi, espèce de salaud!

Elle sentit qu'elle souriait et que la disparition de la lune lui avait rendu l'espoir. Elle n'était plus condamnée. Pendant un moment, il avait réussi à lui faire croire qu'elle l'était.

– Tu n'as pas la moindre chance... Tôt ou tard, nous te retrouverons.

Sa voix s'éloignait.

Elle était momentanément sauvée.

Peut-être dormit-elle, à certains moments, elle n'aurait su le dire. L'obscurité était si compacte que cela ne faisait aucune différence qu'elle ait les yeux ouverts ou non. Lorsque les premiers contours commencèrent à se dessiner, à l'aube, elle sortit de sa cachette à quatre pattes pour tenter de trouver une route.

Elle n'avait pas l'intention de revenir sur ses pas, mais jusqu'où la forêt s'étendait-elle, dans l'autre sens? Elle décida donc de partir à angle droit par rapport à la direction qu'elle avait suivie jusqu'alors. De la sorte, elle devrait pouvoir parvenir à une route, mais assez loin de chez lui.

Elle grelottait de froid. Maintenant qu'elle avait l'esprit plus libre, la douleur revenait. Chaque pas lui causait une brûlure dans la cage thoracique.

L'aube se levait rapidement. La forêt se faisait moins dense, également. À cet endroit, il n'y avait plus que des pins, sans végétation à leur pied. Il fallait qu'elle trouve rapidement une route, sinon il risquait de la voir de loin.

Elle entendit une branche craquer, quelque part. Elle s'immobilisa pour tenter de localiser le bruit. Puis survint un autre bruit. Mais dans une autre direction.

C'est alors qu'elle les vit.

– À plat ventre! s'écria l'un d'eux.

Il était en uniforme et braquait sur elle un pistolet qu'il tenait à deux mains.

Si elle n'avait pas eu aussi peur, elle aurait été contente de leur arrivée. Elle n'aurait jamais cru qu'elle serait aussi heureuse de voir un uniforme de police.

Elle s'exécuta. Lentement, pour ne pas trop raviver la douleur, elle s'allongea, face contre terre. Puis elle tourna la tête et leva les yeux. Elle vit alors quatre policiers en armes qui approchaient d'elle, la tenant toujours en joue.

– Je ne sais pas où...

– Ta gueule! s'écria l'un d'eux. Ne bouge surtout pas!

Tout se mit alors en place en un instant, dans son esprit.

L'un d'entre eux lui plaqua le visage contre la mousse et elle sentit des mains qui tâtaient son corps, du haut en bas.

– Saleté d'assassin, siffla quelqu'un.

Elle comprit qu'il l'avait à nouveau prise de vitesse.

Elle obéit à leurs ordres. Pendant tout le trajet de retour jusqu'à Vimmerby, elle ne souffla mot.

En sortant de la voiture elle fut aveuglée par un flash et, quand elle put y voir à nouveau, elle eut le temps d'apercevoir un homme assez jeune tenant une énorme caméra devant lui.

– Pourquoi t'as fait ça? lui lança quelqu'un, avant que quelqu'un d'autre ne la pousse dans l'entrée du poste de police. La pièce grouillait de gens, en uniforme et en civil, qui suivaient ses moindres mouvements avec une expression de dégoût sur le visage.

– Par ici!

L'homme qui était resté assis à côté d'elle, sur le siège arrière de la voiture, la précéda et la foule s'écarta légèrement sur son passage. Quelqu'un la poussa dans le dos et sa côte cassée lui arracha une grimace de douleur. Une porte s'ouvrit devant elle et elle entra.

– Assieds-toi.

Elle tira la chaise vers elle, avec ses mains menottées, et s'assit. Deux autres hommes entrèrent et vinrent s'asseoir de chaque côté d'elle.

– Roger Larsson, se présenta l'un d'eux.

Son collègue pressa sur la touche d'enregistrement d'un magnétophone et hocha la tête, après s'être assuré que l'appareil fonctionnait bien.

– 3 avril 1999, 8 h 45, interrogatoire de Sibylla Forsenström. Sont présents, outre la prévenue, l'officier de police Mats Lundell et le commissaire Roger Larsson.

Il se redressa.

– Tu es bien Sibylla Forsenström?

Elle acquiesça de la tête.

– Je te prie de répondre à haute et intelligible voix à nos questions.

– Oui!

– Peux-tu nous dire ce que tu fais à Vimmerby!

Elle regarda la bobine du magnétophone qui tournait. Ils l'observaient, pleins d'expectative. On frappa discrètement à la porte et une femme entra avec un papier à la main. Elle le remit à l'homme qui s'appelait Roger, qui le lut rapidement et le posa ensuite, à l'envers, sur la table. Puis il leva à nouveau les yeux vers elle.

– Ce n'est pas moi qui ai fait ça, dit-elle.

– Quoi donc?

La question la prit de court. Elle était fatiguée, elle avait faim et du mal à se concentrer. Et elle venait de les mettre elle-même sur la piste.

– C'est Ingmar qui les a tués.

Les deux hommes se regardèrent, de l'autre côté de la table. Elle eut l'impression qu'ils masquaient un sourire.

– Tu veux dire Ingmar Eriksson, le gardien de l'hôpital de Vimmerby? Il s'est présenté au service des urgences, hier soir, avec la main droite écrasée et un œil crevé par une lime à ongles. C'est bien lui que tu veux dire?

Il y avait de la colère dans sa voix. Elle baissa le regard vers ses mains. Si elle parvenait à dissimuler la chaîne qui les reliait, on pourrait croire qu'elle portait deux bracelets en argent.

L'homme qui s'appelait Roger posa quelque chose sur la table.

– Pourquoi transportais-tu ça dans la poche de ta veste?

Elle leva les yeux et vit que c'était le crucifix. Il était posé devant elle dans une pochette en plastique.

– C'est lui qui me l'a donné, dit-elle à voix basse. Il avait l'intention de me tuer.

– Pourquoi donc?

– Pour faire retomber la culpabilité sur moi.

– La culpabilité de quoi?

Elle poussa un soupir.

– Il avait une liaison avec Rune Hedlund.

Roger Larsson eut un sursaut presque imperceptible.

– Avec qui?

– Rune Hedlund. Il est mort dans un accident de voiture le quinze mars de l'année dernière.

Les deux hommes se regardèrent. Ils ne dirent rien mais elle n'eut aucune difficulté à interpréter ce regard. Ils avaient devant eux une folle. Peut-être n'avaient-ils pas tort, après tout.

Lune ou pas, Dieu n'avait jamais été de son côté.

– Demandez à Patrik. Il sait que ce n'est pas moi.

– Qui ça, Patrik?

– Pat...

Comment s'appelait-il déjà? Elle avait lu son nom sur sa porte, au passage, mais ce souvenir s'était effacé de sa mémoire, pour l'instant.

– Sa mère est dans la police. Elle habite Sagargatan, dans le quartier de Söder.

– Tu veux dire: à Stockholm?

On frappa de nouveau à la porte et la femme apporta un nouveau document. Deux têtes curieuses passèrent par l'ouverture de la porte. L'homme qui s'appelait Roger lut et hocha la tête. Puis il regarda la pendule.

– Fin de l'interrogatoire à neuf heures trois. Sibylla ferma les yeux.

– Nous sommes obligés de nous interrompre. Veux-tu attendre ici ou en cellule?

Elle le regarda: quelle différence?

– Est-ce qu'il y a un lit, dans la cellule? finit-elle par demander, infiniment lasse.

Il hocha la tête.

– Alors je prends la cellule.

Il s'écoula plusieurs heures sans que rien ne se passe. Elle dormit par à-coups, sur la couchette de la cellule. Un sommeil agité de cauchemars portant sur une fuite éperdue, bien qu'au ralenti, devant un poursuivant invisible.

On lui donna également à manger, mais personne ne lui dit ce qu'on attendait. Si elle en avait eu la force, elle l'aurait peut-être demandé.

La porte fermée à clé lui inspirait moins d'inquiétude qu'elle ne l'avait redouté. En fait, il n'était pas désagréable de pouvoir se cacher et d'être dégagée de toute responsabilité. Elle avait fait ce qu'elle avait pu, et même plus que cela, et elle ne pouvait qu'accepter son échec, maintenant.

Ils avaient gagné et elle avait perdu.

Ce n'était pas plus grave que cela.

Au début de l'après-midi, Roger Larsson vint lui dire qu'ils attendaient la brigade criminelle de Stockholm. Elle ne répondit pas et se borna à constater intérieurement qu'on lui envoyait l'équipe première. On ne laissait pas à de minables petits flics de province le soin de s'occuper de redoutables assassins de son genre.

– Tu as droit à l'assistance d'un avocat, ajouta-t-il.

– Je n'ai rien fait.

– Je crois que tu ferais mieux d'en prendre un, dit-il en se dirigeant vers la porte.

Peu après, un homme d'une cinquantaine d'années vint la trouver à son tour. Ou bien il était très nerveux, ou bien il était vraiment stressé.


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