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Recherchée
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Автор книги: Karin Alvtegen


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Karin Alvtegen

RECHERCHÉE

ROMAN

Traduit du suédois par Philippe Bouquet

Plon

RECHERCHÉE

Karin Alvtegen, née à Stockholm en 1965, est la petite-nièce d'Astrid Lindgren, créatrice de "Fifi Brindacier". Son premier roman publié en France (Plon, 2003), a été très bien reçu par la presse française (couronné Meilleur Roman policier nordique en 2000). Elle est autant reconnue que Hennig Mankell dans les pays Scandinaves.

TEXTE INTÉGRAL

TITRE ORIGINAL

Saknad

ÉDITEUR ORIGINAL

Bokför Jaget Natur och Kultur, Stockholm

© Karin AIvtegen, 2000

ISBN original: 91-27-09017-5

ISBN 978-2-02-066227-7

(ISBN 2-259-19685-3, 1re publication)

© Éditions Plon, 2003, pour la traduction française

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À maman et papa.

Et à Elisabeth.

En remerciement de votre constante présence.

Nous devons être considérés comme des serviteurs du Christ et des gardiens des secrets de Dieu. Ce qu'il faut surtout attendre de nous, c'est la fidélité. Peu m'importe que l'on s'arroge le droit de nous juger – que ce soit un individu ou un quelconque tribunal humain. J'irai jusqu'à dire que je ne me reconnais pas le droit de me juger moi-même. Mon innocence ne suffit pas à me justifier. Le seul qui ait qualité pour me juger, c'est le Seigneur.

Ne jugez donc pas avant que le moment ne soit venu, avant que le Seigneur ne soit parmi nous. C'est Lui qui fera apparaître au grand jour ce qui est celé dans les ténèbres et qui manifestera le secret des cœurs.

Et alors, chacun sera récompensé selon ses mérites.

Merci, Seigneur, de me donner le courage. De m'avoir prêté l'oreille, d'avoir entendu ma prière et de m'avoir montré le chemin.

Fais de moi l'instrument de Tes volontés. Permets-moi de les châtier de leurs péchés et accueille l'être que j'aime près de Toi pour la vie éternelle.

Ce n'est qu'alors que je retrouverai l'espoir.

Ce n'est qu'alors que je trouverai la paix.

Son tailleur était vert et de bonne marque et nul de ceux qui la voyaient ne pouvait se douter qu'il avait été acheté d'occasion pour moins de cent couronnes. Le bouton fermant la jupe avait été arraché et remplacé par une épingle de nourrice, mais cela, personne ne pouvait le remarquer.

Elle fit signe à un serveur et le pria de lui servir un autre verre de vin blanc.

L'homme qu'elle avait choisi, ce soir-là, était assis deux tables plus loin et celle qui les séparait était vide. Elle n'avait pas encore commencé son manège et ne pouvait donc savoir s'il s'était vraiment avisé de sa présence.

Il n'en était encore qu'à l'entrée. Elle avait donc tout son temps.

Elle but une gorgée de ce second verre de vin. Il était sec et juste à la température qu'il fallait. Il devait valoir son prix, également. Elle ne s'était pas souciée de s'en enquérir, car cette question lui était totalement indifférente.

Du coin de l'œil, elle nota qu'il l'observait. Elle s'arrangea pour que son propre regard croise le sien, comme par hasard, par-dessus le verre de vin, mais fit ensuite, des yeux, le tour de la salle avec l'indifférence convenable.

Le restaurant français du Grand Hôtel de Stockholm était vraiment l'endroit idéal. Elle y était déjà venue à trois reprises mais, ce soir, ce serait la dernière pour un certain temps. C'était dommage, car il y avait toujours des fruits frais dans la chambre et les serviettes de toilette y étaient d'une épaisseur supérieure à la normale et, de plus, en telle quantité qu'une ou deux pouvaient sans risque se retrouver dans sa mallette.

Mais il ne fallait pas défier inconsidérément le destin. Cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques, si tel ou tel membre du personnel venait à la reconnaître.

Elle sentit qu'il la regardait à nouveau. Elle sortit alors son agenda de sa mallette, l'ouvrit à la date du jour et tapota le plateau de la table avec la pointe de ses ongles vernis, en signe de légère contrariété: comment avait-elle pu prendre deux rendez-vous à la même heure? Et avec deux de ses meilleurs clients, par-dessus le marché!

Du coin de l'œil, elle vit qu'il l'observait toujours.

Un serveur passa près d'elle.

– Auriez-vous un téléphone que je puisse utiliser?

– Bien sûr, madame.

Le serveur se dirigea vers le comptoir du bar et elle le suivit du regard. Quand il revint, il tenait un portable à la main.

– Voici, madame. Faites le zéro pour obtenir la ligne.

– Merci.

Elle chercha dans son agenda et composa un numéro.

– Bonjour. Caroline Fors, de Swedish Laval Separator, à l'appareil. Je suis navrée, mais je viens de m'apercevoir que j'ai pris deux rendez-vous à la même heure, demain matin, et je voulais vous aviser que je ne pourrai venir que deux heures plus tard que prévu.

Vingt heures, vingt-cinq minutes, trente secondes. Top.

– Parfait... Eh bien, c'est entendu. À demain donc.

Avec un soupir de soulagement, elle écrivit le premier mot qui lui vint à l'esprit – ce fut: salami – en face de 14 heures et referma l'agenda.

Par hasard, leurs regards se croisèrent au moment où elle levait à nouveau son verre. Elle était maintenant sûre de son coup.

– Quelque chose ne va pas? lui demanda-t-il avec un sourire.

Elle eut une petite moue gênée et haussa les épaules.

– Ce sont des choses qui arrivent, poursuivit-il en regardant autour de lui.

Il s'apprêtait déjà à mordre à l'hameçon et ne la lâchait pas du regard.

Elle remit son agenda dans sa mallette. Il n'y en avait plus pour longtemps. Quand elle eut reposé la mallette sur le sol, elle le regarda à nouveau juste au moment où il repoussait son assiette et levait son verre dans sa direction.

– Un peu de compagnie?

Alors qu'elle venait à peine de commencer! Un petit sourire suffirait à ferrer la proie. Mais pas trop vite, pourtant. Un peu de résistance ne servait qu'à renforcer l'attrait. Elle ne répondit donc à sa question qu'après une ou deux secondes d'hésitation.

– Volontiers, mais je ne vais pas tarder à me retirer.

Il se leva, prit son verre et vint s'asseoir en face d'elle.

– Jörgen Grundberg. Enchanté de faire votre connaissance, dit-il en lui tendant la main.

– Caroline Fors, répondit-elle en la serrant.

– Joli nom qui convient parfaitement à une jolie femme. À votre santé.

Une mince alliance brillait à sa main gauche. Elle leva son verre.

– À la vôtre!

Le serveur apporta le plat de résistance de monsieur Grundberg et s'arrêta net en voyant que celui qui l'avait commandé n'était plus à sa place. L'intéressé lui fit signe.

– Je suis venu m'installer ici. La vue est plus belle, n'est-ce pas?

Elle eut un petit sourire forcé, mais, heureusement, monsieur Grundberg ne paraissait pas beaucoup s'attacher à l'état d'esprit des autres.

Le serveur déposa devant lui une assiette blanche surmontée d'une cloche en argent. Jörgen Grundberg déplia sa serviette, la posa sur ses genoux et se frotta les mains.

Cet homme se réjouissait à l'avance de la suite de la soirée.

– Vous ne mangez pas?

Elle ressentit des tiraillements dans l'estomac.

– Non, je n'ai pas vraiment faim.

Il souleva la cloche, un délicat parfum d'ail et de romarin vint frapper ses narines et elle sentit l'eau lui venir à la bouche.

– Il faut manger, voyons.

Il ne la regardait pas, trop concentré sur les filets d'agneau qu'il attaquait.

– Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger, c'est un principe bien connu, pourtant, poursuivit-il en portant une fourchette bien garnie à sa bouche.

Ce n'était pas franchement une nouvelle. Sa mère, en particulier, le lui avait souvent répété, mais ce n'était qu'une raison de plus de s'abstenir. Pourtant, elle avait vraiment faim, maintenant. Elle ne pourrait se rassasier de la corbeille de fruits de sa chambre.

La bouche pleine, il fit signe au serveur. Celui-ci accourut aussitôt et attendit gentiment, près de la table, que monsieur Grundberg ait fini sa bouchée.

– La même chose pour madame, s'il vous plaît. Mettez cela au compte de la chambre 407, dit-il avec un sourire, en lui montrant la carte servant de clé.

– Chambre 407, bien monsieur, répondit le serveur avant de s'éloigner.

– J'espère que vous ne m'en voulez pas?

– J'ai les moyens, vous savez.

– Je n'en doute pas. Mais c'est une façon de me faire pardonner de m'être ainsi imposé.

Il était pardonné d'avance.

Elle but une nouvelle gorgée. C'était presque trop beau pour être vrai. Il allait au-devant de tous ses désirs, cet homme. Il continua à déguster ses filets d'agneau, totalement absorbé par son repas. Il parut même un moment oublier qu'il avait de la compagnie à table.

Elle en profita pour l'observer: la cinquantaine, apparemment, costume chic et le portefeuille sûrement bien garni puisque, sans sourciller, il avait commandé deux plats chauds dans ce restaurant dont les prix étaient à la hauteur de sa réputation.

Il était vraiment parfait.

Il avait l'air habitué à bien manger. Son col de chemise lui bridait le cou et ses plis retombaient sur son nœud de cravate.

Un œil peu entraîné aurait pu se laisser tromper par les apparences, mais elle n'était pas aussi facile que cela à abuser. C'était sans nul doute un parvenu. Sa façon de se comporter à table prouvait que personne, au cours de sa jeunesse, n'avait consacré beaucoup de temps à son éducation sur ce point. Personne ne lui avait dit de ne pas mettre les coudes sur la table et ne l'avait repris quand il portait son couteau à sa bouche.

On ne pouvait que l'en féliciter.

En outre, il s'était trompé de couvert et mangeait sa viande avec celui de l'entrée.

Quand le serveur lui apporta son assiette, à elle, il avait déjà presque fini la sienne. Le serveur ôta la cloche en argent et elle dut faire un effort pour ne pas se jeter sur le plat avec la même ardeur que son compagnon de table. Elle coupa un petit morceau de viande et le mâcha consciencieusement pendant qu'il raclait le reste de sa sauce avec son couteau et suçait celui-ci sans la moindre gêne.

– Hum, c'est excellent, dit-elle. Merci.

You're welcome, répondit-il avec un sourire en tentant de masquer un rot derrière sa serviette.

Il repoussa son assiette et sortit de sa poche une boîte de médicaments de couleur blanche. Il l'ouvrit, sortit une gélule de la plaquette en appuyant dessus et l'avala avec une gorgée de vin.

– Ainsi, vous travaillez pour Swedish Laval Separator. Pas mal.

Il remit la boîte dans sa poche. Elle continua à manger mais haussa légèrement les épaules. L'instant était critique.

– Si l'on veut. Et vous?

Dire que ça marchait toujours. Comme si tous les hommes en costume de prix étaient les clones du même ancêtre. Dès que les questions de carrière venaient sur le tapis ils oubliaient tout le reste.

– Import-export. Dans l'électronique. Je recherche des produits nouveaux à lancer et les fais fabriquer en Lettonie ou Lituanie. Là-bas, les coûts de fabrication sont réduits des deux tiers si...

Pendant qu'il débitait ce discours sur son idée de génie, elle dégustait chaque bouchée de son repas en le regardant de temps en temps avec un petit hochement de tête. Mais toute son attention était concentrée sur l'arôme de la viande.

Lorsque son assiette fut vide, elle se rendit compte qu'il avait cessé de parler et elle leva les yeux. Il la dévisageait. Il était grand temps de passer à la phase numéro 2. Il lui restait encore la moitié de son verre de vin, mais tant pis.

– C'était vraiment excellent. Merci.

– Alors j'avais raison, n'est-ce pas?

Elle posa son couvert sur son assiette. Il était bon qu'il y ait au moins une personne, à cette table, qui connaisse les bonnes manières. Pourtant, il avait l'air parfaitement content de lui.

– Je sais toujours ce que désirent les femmes, dit-il. Elle se demanda si cela valait aussi pour celle à laquelle il était marié.

– Eh bien, merci pour cet excellent repas et cette agréable compagnie. Mais il est temps que je me retire, dit-elle en pliant sa serviette.

– Pourquoi ne pas terminer par un petit verre dans ma chambre? demanda-t-il en la regardant par-dessus son vin.

– Merci, mais j'ai une longue journée devant moi, demain.

Avant qu'il ait eu le temps de l'arrêter, elle avait fait signe au serveur. Celui-ci accourut.

– La note, s'il vous plaît.

Le serveur s'inclina poliment et commença à desservir la table. Il eut un regard étonné en direction du couvert de Grundberg, qui était posé en croix sur son assiette.

– Vous avez terminé, monsieur?

L'ironie de la question était presque imperceptible, mais elle n'en dissimula pas moins un sourire en plongeant le nez dans son verre de vin, alors que Grundberg, qui n'avait rien compris à la situation, se contentait de hocher la tête.

– Ce sera sur mon compte, dit-il. C'était ce dont nous étions convenus, n'est-ce pas?

Il tenta de poser sa main sur la sienne mais elle parvint à la retirer à temps.

– Laissez-moi au moins payer le vin.

Elle décrocha son sac à main, suspendu au dossier de sa chaise, mais il fut intraitable.

– Il n'en est pas question.

– J'ai l'habitude de décider moi-même de ce que je fais.

Le serveur s'éloigna et Grundberg sourit. Il commençait à lui porter sur les nerfs mais elle avait répondu sur un ton plus vif qu'elle n'en avait l'intention. Il ne fallait pas qu'elle gâche tous ses efforts et elle se força donc à lui rendre son sourire. Son sac était maintenant sur ses genoux et elle l'ouvrit pour en sortir son portefeuille. Elle en explora les deux compartiments et s'exclama.

– Oh, mon Dieu!

– Qu'est-ce qu'il y a?

– Mon portefeuille a disparu.

Elle se remit à fouiller énergiquement dans son sac puis masqua son visage derrière sa main gauche en poussant un soupir de désespoir.

– Ne nous affolons pas. Il est peut-être dans votre mallette.

L'espoir rayonna un instant sur son visage – surtout à l'intention de l'homme assis en face d'elle – et elle la prit pour la poser sur ses genoux. Heureusement, il ne pouvait en voir l'intérieur car, autrement, il aurait été étonné de constater que, en dehors de l'agenda, elle ne contenait qu'un demi-saucisson et un couteau suisse.

– Non, il n'y est pas. On me l'a sûrement volé.

– Bon, bon. Pas de panique. Je m'en charge.

Le serveur revint avec les deux notes posées sur un petit plateau en argent et Grundberg se hâta de sortir sa carte American Express.

– Pour les deux.

Le serveur la regarda pour s'enquérir de son assentiment et elle le lui signifia d'un simple hochement de tête. Il tourna les talons et s'éloigna.

– Ce sera remboursé dès que possible.

– Aucune importance.

Elle dissimula à nouveau son visage derrière sa main.

– Et moi qui ai eu la bêtise de laisser le bon de prise en charge de ma chambre dans mon portefeuille. Je suis bonne pour aller coucher sous les ponts, conclut-elle avec emphase.

– Ça aussi, je m'en occupe. Excusez-moi seulement un instant, dit-il en se préparant à se lever de table.

– Mais je ne peux quand même pas...

– Bien sûr que si. Nous en reparlerons quand vous aurez retrouvé votre portefeuille. Je vais régler cela à la réception, c'est l'affaire d'un instant.

Il se leva et s'éloigna pendant qu'elle finissait son verre.

À ta santé.

Dans l'ascenseur et sur tout le chemin jusqu'à la porte de sa chambre, elle remercia sa bonne étoile. Il avait monté deux verres de whisky et, devant la porte, il se livra à une dernière tentative.

– Pas de regrets, pour ce petit verre? Avec un clin d'œil pour le moins appuyé.

– Je suis désolée, mais il faut que je passe quelques coups de fil pour bloquer mes comptes.

C'était une raison qu'un homme comme lui devait pouvoir accepter, car il lui remit l'un des verres de whisky avec un soupir.

– Dommage.

– Une autre fois, peut-être.

Il pouffa légèrement en lui tendant sa clé.

– Merci beaucoup pour toute l'aide que vous m'avez apportée.

Elle enfonça la carte servant de clé dans la fente située sous la poignée et s'apprêta à rentrer dans sa chambre. Il posa la main sur la sienne.

– Au cas où vous auriez des remords, j'ai la chambre 407. Et le sommeil léger.

Il était vraiment mordu. Elle dut faire appel à toute sa volonté pour dégager doucement sa main.

– Je promets d'y penser.

Le mécanisme actionnant la serrure ne fit pas entendre le petit clic habituel et la porte ne s'ouvrit pas. Elle essaya à nouveau.

– Oh, dit-il avec un sourire. Je crois que je me suis trompé de clé. Qui sait, c'est peut-être bon signe?

Elle se retourna vers lui et le regarda. Il tenait sa clé entre le pouce et l'index. Elle sentait que la moutarde n'allait pas tarder à lui monter au nez, il fallait donc qu'elle fasse vite. Elle prit le petit rectangle de plastique et glissa l'autre dans la poche de Grundberg. Cette fois, la porte s'ouvrit aussitôt.

– Bonne nuit.

Elle pénétra dans la chambre et s'apprêta à refermer la porte. Il avait l'air d'un enfant à qui on venait de refuser une confiserie. Pourtant, elle devait reconnaître qu'il avait poussé très loin la gentillesse, voire la générosité. Elle aurait pu lui donner un petit bonbon.

– Je promets de me manifester, si la solitude me pèse trop, dit-elle à mi-voix.

Son visage s'éclaira et c'est sur cette vision qu'elle ferma la porte et la verrouilla de l'intérieur.

Have a nice life.

Après avoir ouvert en grand les robinets de la baignoire elle ne put attendre une seule seconde pour ôter sa perruque. Son cuir chevelu la démangeait et elle se pencha en avant pour enfoncer ses ongles dans ses cheveux. En se redressant, elle regarda son visage dans la glace. La vie y avait déjà laissé des traces. Elle n'avait que trente-deux ans, mais, si on lui avait demandé de deviner son âge, elle aurait spontanément ajouté une dizaine à ce chiffre. Les déceptions avaient tissé un mince réseau de rides autour de ses yeux, même si elle était encore jolie. Suffisamment, en tout cas, pour attirer des hommes comme Jörgen Grundberg, et elle n'en demandait pas plus.

La baignoire était pleine au point que, lorsqu'elle se plongea dans l'eau chaude, celle-ci déborda sur le sol de la salle de bains. Elle tendit alors la main pour écarter le tailleur qu'elle avait jeté négligemment sur le tapis, mais ce geste eut l'effet inverse à celui recherché. Elle allait devoir sécher le vêtement à l'aide du sèche-cheveux.

Pour l'instant, elle se rejeta en arrière afin d'apprécier la situation. C'était le genre de chose qui donnait un sens à la vie. Du moins si l'on était aussi philosophe qu'elle. Le temps qu'elle avait passé à dormir dans un sac de couchage lui avait enseigné le goût des petites choses de l'existence. Celles qui étaient si évidentes pour la plupart des gens qu'ils ne les remarquaient même pas.

Elle avait d'ailleurs compté à leur nombre, jadis – même si cela commençait à dater passablement. Elle savait donc de quoi elle parlait.

Sibylla Wilhelmina Béatrice Forsenström, fille de directeur de société. Lorsqu'elle vivait sous ce nom, elle prenait des bains tous les jours que Dieu faisait, comme si c'était l'un des droits de l'être humain. Peut-être était-ce le cas, d'ailleurs, mais, comme toujours, c'était lorsque la possibilité n'en existait plus qu'on en découvrait toute la valeur.

Sibylla Wilhelmina Béatrice Forsenström.

Qu'y avait-il d'étrange à ce qu'elle n'ait jamais réussi à trouver sa place, sur cette terre? Dès son baptême, elle avait été affligée d'un sérieux handicap.

Ce prénom de Sibylla.

Même les élèves les plus attardés de l'école élémentaire de Hultaryd faisaient preuve d'imagination lorsqu'il s'agissait d'inventer des rimes sur son nom. Pour comble de malheur, le kiosque du centre de la ville vendait des saucisses portant ce nom, et c'était même fièrement proclamé à la face des passants par une enseigne au néon, pour plus de sûreté. Et, quand on connaissait ses autres prénoms, Wilhelmina Béatrice, cela ne faisait bien entendu qu'aggraver les choses.

Notre enfant est unique en son genre! Sans aucun doute. Comme tous les autres!

Mais, naturellement, il ne fallait pas qu'on risque de la confondre avec l'un de ces enfants d'ouvriers très ordinaires avec lesquels elle avait partagé son existence quotidienne, à l'école, pendant sa jeunesse. La mère de Sibylla ne manquait pas une occasion de souligner ce en quoi sa fille se distinguait des autres élèves, ce qui n'avait fait que justifier la distance que les autres mettaient entre elle et eux. Pour sa mère, il était important que Sibylla sache où elle se situait dans la hiérarchie sociale et surtout que son entourage en soit conscient. À ses yeux, rien n'était vraiment chic si ce n'était pas, d'abord, désirable à ceux des autres. Seules leur envie et leur admiration donnaient une valeur aux choses.

Presque tous les parents de ses camarades de classe travaillaient dans l'usine de son père. Celui-ci occupait en outre une place très en vue au sein du conseil municipal et ses paroles pesaient lourd. L'emploi dépendait de lui, dans la commune, et tous les enfants le savaient. Mais ils n'étaient pas encore en âge d'en chercher un et la plupart nourrissaient des ambitions plus élevées que de prendre un jour la place de leurs parents derrière une machine de la Société des forges et industries métallurgiques Forsenström.

Monsieur Forsenström, lui, avait d'autres chats à fouetter. Il était très occupé par la marche de son entreprise familiale et n'avait donc ni le temps ni la disponibilité d'esprit nécessaires pour s'occuper de l'éducation de sa progéniture et on ne pouvait guère lui reprocher d'avoir usé le tapis de haute laine de la chambre de Sibylla dans la belle maison de maître qu'occupait la famille. Il partait le matin et revenait le soir, et ils prenaient seulement le dîner ensemble. Mais il occupait l'une des extrémités de la table, la plupart du temps plongé dans ses pensées, ses papiers et ses graphiques. Quant à ce qui se passait derrière cette façade, sa fille n'était jamais parvenue à le savoir. Elle prenait gentiment ses repas et quittait la table dès que la permission lui en était donnée.

– Bien. Monte te coucher, maintenant.

Sibylla se leva et fit mine de porter son assiette dans la cuisine.

– Laisse. Gun-Britt s'en chargera.

À l'école, en revanche, chacun devait débarrasser son assiette et son couvert. Alors, il était toujours un peu difficile de se rappeler ce qu'il fallait faire, quand on était à la maison et à l'école. Elle laissa donc son assiette sur la table et alla rapidement embrasser son père.

– Bonsoir, papa.

– Bonsoir.

Puis elle se dirigea vers la porte. Tu n'as rien oublié, Sibylla?

Elle se retourna et regarda sa mère.

– Tu ne montes pas me dire bonne nuit?

– Sibylla. Tu sais très bien que, le mercredi soir, je vais à mon club. Quand apprendras-tu à t'en souvenir?

– Pardon.

Sibylla alla donner un rapide baiser sur la joue de sa mère, qui sentait la poudre de riz et le parfum vieillot.

– Si tu as besoin de quelque chose, demande-le à Gun-Britt.

Gun-Britt était la bonne. Elle s'occupait du ménage, de la cuisine et du travail scolaire de Sibylla, choses pour lesquelles madame Forsenström n'avait pas le temps. Mon Dieu, pensez donc, il fallait qu'elle s'occupe de ses œuvres de charité. Que deviendraient les pauvres enfants du Biafra si Béatrice Forsenström n'existait pas?

Sibylla se souvenait comme elle enviait ces enfants qui habitaient très loin et qui avaient peur à tel point que des dames vivant à l'autre bout du monde prenaient le temps de se consacrer à eux. À l'âge de six ans, elle avait décidé de tenter de remédier à cela et, une nuit, était allée dormir dans l'affreux grenier ténébreux de la maison, dans l'espoir d'avoir peur, elle aussi. Elle avait pris son oreiller et était allée s'allonger sur un tas de vieux tapis, à l'insu de tous. Naturellement, Gun-Britt l'avait trouvée, le matin, et avait aussitôt raconté cela à sa mère. Il en était résulté un savon qui avait duré plus d'une heure et après lequel sa mère avait été prise de migraines qui avaient duré plusieurs jours, elles. Par la faute de Sibylla, bien entendu.

Pourtant, elle devait être reconnaissante à sa mère d'une chose. Après dix-huit ans passés dans ce foyer, elle avait acquis une faculté presque surnaturelle de deviner l'état d'esprit des autres. Tel un sismographe, elle avait appris, par pur instinct de conservation, à prévoir et à éviter les changements d'humeur et accès de colère de sa mère et possédait désormais un sens très affûté des indications que pouvaient fournir les autres par leurs gestes, mimiques et attitudes. Et cela lui était très utile dans la vie qu'elle menait maintenant.

L'eau du bain commençait à tiédir. Elle se leva et se secoua pour se débarrasser des gouttes d'eau aussi bien que de ses souvenirs. Un gros peignoir très doux était suspendu à une conduite d'eau chaude, près de la baignoire. Elle se drapa dedans et gagna la chambre. La télévision passait une sitcom américaine avec rires enregistrés. Elle s'assit pour la regarder quelques instants tout en ôtant soigneusement son vernis à ongles.

Règle numéro un: toujours rester propre.

C'était ce qui la différenciait désormais des SDF de sa connaissance et lui avait permis de sortir de la misère la plus noire.

L'important, c'était ce que l'on paraissait être.

Et rien d'autre.

Le respect était réservé aux gens donnant l'impression d'accepter les conventions et de ne pas trop se distinguer de la masse. Ceux qui n'arrivaient pas à s'adapter ne pouvaient s'attendre qu'à être traités de même. La faiblesse était toujours une provocation. Cela fichait la trouille aux gens de voir des êtres dépourvus de fierté, se comportant n'importe comment et ne sachant pas ce qu'était la honte. Car on ne pouvait pas devenir ainsi sans l'avoir mérité, d'une façon ou d'une autre. On avait le choix, n'est-ce pas? Et, si on y tenait, libre à vous de vivre dans la crasse. Si vous êtes gentils, on vous donnera quelques sous prélevés sur nos impôts, mais uniquement pour que vous ne mourriez pas de faim. Nous ne sommes pas des monstres, vous savez, nous versons tous les mois une certaine somme pour venir en aide aux gens comme vous. Mais ne venez pas fourrer vos mains sales sous notre nez, dans le métro, pour en demander encore. C'est très déplaisant, vous savez. On s'occupe de nos affaires, occupez-vous des vôtres. Si vous n'êtes pas contents, vous n'avez qu'à prendre un boulot. Secouez-vous. Un logement, comment ça? Est-ce que vous croyez que le nôtre, on l'a eu gratuitement? Si vraiment c'est de ça qu'il s'agit, vous n'avez qu'à construire un endroit, quelque part, où les gens comme vous pourront vivre. Dans notre quartier? Jamais de la vie. Nous devons penser à nos enfants. Nous ne voulons pas ici de toute une racaille qui vole, se drogue et jette ses seringues n'importe où. Ailleurs, pas d'objection.

Car c'est vraiment affreux qu'il y ait des gens qui n'aient nulle part où habiter.

Elle s'enduisit d'une crème de beauté bleutée et regarda ce lit qui n'attendait qu'elle. C'était un sentiment magnifique que d'être assise là, propre et bien au chaud, et de savoir qu'on allait bientôt pouvoir se coucher dans un vrai lit et dormir toute la nuit sans être dérangée.

Elle décida de rester encore un peu debout pour profiter de ce délicieux sentiment.


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