Текст книги "Recherchée"
Автор книги: Karin Alvtegen
Жанр:
Триллеры
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Elle n'osait pas encore sortir.
Elle reposa le sac à dos et poussa un profond soupir.
– Ce n'est pas un jeu, Patrik, murmura-t-elle.
– Je sais bien, mais qu'est-ce que tu proposes d'autre?
Elle lâcha la poignée et se retourna. Il se baissa et se mit à rassembler les feuilles qu'elle avait jetées par terre. Elle finit par se décider à l'aider. Une fois qu'ils les eurent mises en tas, sur le bureau, elle s'assit à nouveau sur le lit.
– Et comment comptes-tu y parvenir?
Il se pencha vers elle et lui parla avec fièvre.
– Écoute un peu. La police ne recherche personne d'autre que toi. Et si on essayait de mettre la main sur le vrai meurtrier, nous?
– Mais comment? On ne sait absolument rien.
Il se rejeta en arrière et la regarda.
– Promets-moi que tu vas pas te fâcher.
– Comment pourrais-je te le promettre?
Elle vit qu'il hésitait et elle fut de plus en plus intriguée de savoir ce qui risquait de la mettre en colère, selon lui.
– Ma mère est dans la police.
Elle le fixa des yeux mais il ne bougea pas d'un pouce. Dès que le sens de ces paroles lui apparut clairement, elle sentit son pouls battre à tout rompre. Elle se leva.
– Il faut que je file. Vérifie si la voie est libre.
– Attends une seconde.
– Tout de suite, Patrik.
Elle avait élevé la voix de façon inconsidérée. Il s'exécuta, avec un soupir. Il ouvrit d'abord la porte à moitié, puis toute grande.
Elle prit son sac à dos et passa devant lui.
– Tu veux vraiment pas m'écouter?
Elle marchait d'un bon pas le long du trottoir, mais il était sur ses talons. Elle tourna le coin de la rue et arriva dans Folkungagatan. L'écouter, ah oui, pour sûr! Alors que sa mère était dans la police! Il l'avait attirée dans un guet-apens, tout simplement. Elle s'arrêta brusquement et se retourna. Comme il ne s'attendait pas à ce mouvement, il vint buter contre elle.
– Enfin quoi, bon sang, qu'est-ce que tu crois qu'il se serait passé, si ta mère était rentrée?
Elle sentait l'adrénaline monter dans son corps.
– Mais je t'ai dit qu'elle était en stage!
Elle le regarda et secoua la tête. Il était encore trop jeune pour comprendre. Mais que pouvait-elle demander?
– Tu ne saisis pas que c'est ma vie qui est en jeu? Elle aurait pu tomber malade et rentrer un peu plus tôt. Je ne sais pas, moi, n'importe quoi. Et alors, j'aurais été fraîche. Mais c'est peut-être ce que tu voulais?
Il recula légèrement, s'arrêta et la regarda.
– Eh bien, va te cuiter, si tu préfères ça.
Elle sentit sa colère s'apaiser. Elle avait un seul ami et elle était en train de le perdre. Il n'avait pas eu le temps de passer un manteau et il se battait les flancs pour tenter de se réchauffer.
Elle n'avait plus la force de réfléchir. Sa situation n'était déjà pas facile auparavant, mais maintenant elle était en quelque sorte responsable de ce qui allait arriver à ce gamin, en plus. Qui pouvait dire ce qu'il allait faire dès qu'elle l'aurait perdu de vue? Mais elle n'avait à s'en prendre qu'à elle-même. C'était elle qui l'avait mêlé à cette affaire.
Elle poussa un grand soupir.
– Va chercher quelque chose à te mettre.
Il la regarda d'un air méfiant.
– Pourquoi?
– Parce que tu vas attraper froid.
Il la regarda à nouveau.
– Tu me prends pour un idiot? Quand je reviendrai, t'auras filé depuis longtemps.
– Et alors?
Ils se soupesèrent du regard. Puis il sortit son portefeuille de sa poche-revolver et alla le glisser dans celle de la veste de Sibylla.
– Garde-moi ça jusqu'à ce que je revienne.
Il était déjà à cinq ou six mètres et disparut derrière le coin des maisons. Il n'était pas bête, ce petit morveux. Il promettait. Elle sortit le portefeuille de sa poche et le soupesa. Puis elle ferma les yeux et ne put s'empêcher de rire.
– Je t'attends dehors. Je vais aller m'asseoir dans le jardin public.
Il n'était toujours pas entièrement convaincu qu'elle n'allait pas filer. Elle vit qu'il hésitait.
– Promis.
Cette fois, elle parlait sérieusement. Il hocha la tête et traversa Götaland. Elle le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il ait franchi les portes de la bibliothèque de Medborgarplatsen.
Quand il était revenu un peu plus chaudement habillé, son visage s'était fendu d'un sourire qui pouvait faire fondre n'importe quelle femme injustement soupçonnée de meurtre. Elle n'avait pas pu s'empêcher de lui rendre son sourire et elle l'avait écouté lui confier quel allait être leur premier coup. Il allait envoyer un mail à la police et lui fournir un alibi pour la nuit dernière. Elle avait hésité et lui avait demandé de ne pas révéler où ils se trouvaient et surtout pas qui il était. Il l'avait alors regardée, avec son air je-suis-quand-même-pas-débile-à-ce-point-là. Et il lui avait expliqué que, s'il voulait qu'ils sachent qui il était, il n'avait qu'à faire ça depuis chez lui. Pour préserver son identité, il suffisait qu'il utilise l'ordinateur de la bibliothèque du quartier.
Elle était donc assise sur un banc, dans le jardin public, en train de l'attendre. Sur Medborgarplatsen, les gens flânaient comme ils le font volontiers le samedi, mais, heureusement, elle ne vit pas de visage connu sur les autres bancs.
Au bout de dix minutes, il fut de retour.
– Qu'est-ce que tu leur as dit?
– Que Sibylla Forsenström est en train de les attendre à Medborgarplatsen mais qu'elle est innocente.
Elle se laissa prendre une seconde, puis soupira:
– C'est même pas drôle, Patrik.
– Non, j'ai dit que je voulais pas révéler qui j'étais mais que j'étais sûr à cent pour cent que t'étais pas coupable.
Une idée lui vint à l'esprit.
– Comment le sais-tu? J'aurais très bien pu tuer tous les autres. Mis à part celui de cette nuit.
– Oh, la vache! Tu sais que t'as l'air super dangereuse!
Elle n'en démordit pas.
– Sérieusement? Tu crois que c'est moi?
Il la regarda en fronçant les sourcils.
– C'est toi?
Elle attendit une seconde avant de répondre. Puis elle eut un sourire.
– Non. Mais tu vois: tu n'en es même pas sûr.
– Si je le suis, c'est toi qui dis des conneries.
Il avait l'air vexé et elle l'était également. Elle n'avait pas l'intention d'être un petit joujou passionnant avec lequel il pourrait se distraire pendant un certain temps.
– Je veux seulement te mettre en garde: ne gobe pas tout ce qu'on te dit.
Son froncement de sourcils ne fit que s'accentuer. Il ne comprenait vraiment pas ce qu'elle voulait dire.
Parfait. Cela lui permettrait de conserver la maîtrise de la situation.
Il s'assit près d'elle et ils gardèrent le silence un instant. Les gens passaient près d'eux et ils les suivaient du regard, mais personne ne semblait attacher d'importance à ce couple un peu étrange assis sur un banc.
Soudain, deux voitures de police descendirent la côte de Götaland à toute allure et vinrent se ranger sur la place. Elles n'actionnaient pas leurs sirènes, mais leurs feux rotatifs bleus suffisaient à faire le vide devant elles. Dès qu'elles furent arrêtées, les portières s'ouvrirent et deux agents descendirent et pénétrèrent dans la bibliothèque au pas de course.
Il valait mieux ne pas faire de vieux os à cet endroit.
Ils se regardèrent et se levèrent. Ils pressèrent le pas le long de Tjärhovsgatan et tournèrent pour monter en direction de la place de Mosebacke. Toujours en silence, ils s'assirent sur un banc. Ce jour-là, le soleil avait enfin réussi à percer la masse nuageuse compacte qui avait recouvert Stockholm au cours de ces dernières semaines. Sibylla posa son sac à dos près d'elle, se rejeta en arrière et ferma les yeux. Ah, pouvoir partir à l'étranger, vers un pays où le soleil brillait en permanence et où personne ne serait à ses trousses. Elle n'était encore jamais sortie de Suède. Ses parents, eux, étaient allés à Majorque une ou deux fois, quand elle était petite, mais pas elle. Et maintenant, elle n'avait pas de passeport.
Après un quart d'heure de silence, au moins, il se tourna vers elle.
– Je vais aller voir sur l'ordinateur de ma mère, à son boulot.
Pas plus compliqué que ça.
– Tu n'as pas le droit.
– Je sais bien, mais je vais le faire quand même.
– Je te l'interdis. Je ne veux pas que tu sois mêlé à cette affaire.
Il pouffa.
– Je le suis déjà, non?
Il était difficile de le nier. Mais si elle avait pu se douter à l'avance de ce qu'il allait entreprendre, ou même de la moitié, elle aurait laissé tomber. À l'âge de Patrik, elle restait toujours muette comme une carpe et écoutait poliment ce que les adultes avaient à dire.
Mais quand on connaissait le résultat...
– Tu peux vraiment le faire sans risque?
– Il suffit que je dise que je vais voir ma mère et ensuite de demander à l'attendre dans son bureau.
– Mais tu m'as dit qu'elle était en stage.
– Ils le savent pas, à la réception.
– Mais s'ils le savaient?
Il commençait à se lasser d'un pareil manque d'enthousiasme.
– Je trouverai un autre moyen, alors.
Il était trop fort pour elle. Comment faire?
– Et s'ils te surprennent?
– C'est pas possible.
– J'ai dit si...
Il ne semblait pas avoir l'intention de répondre à cela. Il se tapa sur les cuisses et se leva.
– On y va?
– Où ça?
Il eut l'air de se demander pourquoi il fallait tout lui expliquer deux fois.
– Là où bosse ma mère!
Elle le regarda en silence. Il était ou bien son ange gardien ou bien celui qui allait la précipiter dans le gouffre. Mais ce genre de chose, on ne le savait qu'après coup.
– T'as pas d'objection à ce que je ne t'accompagne pas pour cette tentative d'effraction dans un local de police?
Il eut un petit sourire.
– Où est-ce qu'on se retrouve?
Elle ne l'entendit pas arriver. Elle l'attendait, assise sur un banc, sur le quai de l'Hôtel-de-Ville. Lorsque l'aiguille des minutes de l'horloge du clocher de l'église de Riddarholm eut fait un tour complet sur elle-même, elle avait commencé à songer sérieusement à partir.
Mais elle était restée.
Une demi-heure plus tard, une feuille de papier se mit à danser juste devant son nez.
Il était arrivé sans faire de bruit et, quand elle se retourna, elle vit la fierté luire dans ses yeux, derrière ses lunettes cerclées de métal.
Elle prit la feuille et se mit à lire. Le premier nom était celui de Jörgen Grundberg. Il était suivi de trois autres. Un homme et deux femmes. Quatre inconnus que la police l'accusait d'avoir tués.
– La liste des victimes. Avec leur adresse et leur numéro national d'identification.
Il se pencha par-dessus son épaule.
– Apparemment, celle de cette nuit vivait à Stocksund. C'est à Stockholm, ça, hein?
Elle opina. Son alibi ne valait donc plus grand-chose. Elle aurait parfaitement pu y aller et en revenir pendant que Patrik dormait du sommeil du juste dans le grenier de l'école. Elle le regarda. Il ne semblait pas s'être fait cette réflexion. Pas encore. Il était tout à son exploit.
Elle baissa la feuille de papier et regarda Riddarfjärden. L'eau étincelait sous les rayons du soleil. Quelques canards passèrent devant eux en flottant sur l'eau.
– Bon. Qu'est-ce que tu crois qu'il faut qu'on fasse, maintenant?
Il plongea la main dans sa poche et en tira une nouvelle liasse de papiers.
– J'ai imprimé ce que j'ai trouvé.
– Personne ne t'a vu?
– Non. J'ai pas pu me mettre à l'ordinateur de ma mère, mais celui de Kenta était branché, dans le bureau d'à côté. J'ai profité qu'il allait aux chiottes.
Sibylla secoua la tête.
– T'es vraiment dingue, tu sais.
– Il est resté longtemps, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Je crois que ni lui ni ma mère ne s'occupent de cette enquête. J'ai seulement trouvé des renseignements d'ordre général, sur son courrier électronique.
Il déplia les feuilles de papier et lui montra la première.
– Regarde ça. C'est le genre de trucs que l'assassin laisse derrière lui sur le lieu du crime.
La photo en noir et blanc représentait un crucifix. La croix était en bois de couleur sombre et le Christ avait l'air d'être en argent ou en un métal quelconque. Les mesures étaient clairement indiquées, à côté, en millimètres.
Elle tendit la main vers la feuille suivante.
C'était aussi une photo en noir et blanc. Elle montrait un mur recouvert d'une tapisserie à fleurs. En bas se trouvait un lit défait portant de grosses taches sombres. Et puis il y avait ce texte, rédigé en grosses lettres, au-dessus.
Malheur à qui prive l'innocent de son droit. Sibylla.
Elle le regarda et il lui tendit rapidement la dernière feuille. C'était la photo d'une paire de gants en plastique transparent. NUTEX 8, était-il marqué à côté.
– Ils en utilisent des comme ça dans les hôpitaux.
Elle hocha la tête. Cela ne devait pas être difficile.
– C'est tout ce que j'ai eu le temps de prendre. Mais, au moins, on a les noms.
– Qu'est-ce que tu veux qu'on en fasse?
Il se tourna de façon à pointer les genoux vers elle. Il chercha un peu ses mots mais finit par dire:
– Tu sais ce que je pense.
Non, je n'en ai pas la moindre idée.
– Je crois que tu as renoncé. Comme si, en fait, tu attendais que cette affaire se résolve d'elle-même. Comme si tu te foutais pas mal de ce que ça va donner.
– Et puis alors? C'est tellement étonnant?
– Quand je dis des trucs comme ça, mon vieux me dit qu'il faut pas passer son temps à s'apitoyer sur soi. Qu'il faut faire quelque chose pour se sortir de la merde.
Il a drôlement bien réussi son coup, ton père.
– Hier, tu m'as dis qu'on s'intéressait pas aux SDF et aux autres du même genre, que vous n'aviez aucune chance et tout le reste. Mais, quand tu en as une, de chance, tu la prends pas.
Il commençait à s'exciter. Elle le regarda avec un intérêt nouveau. Elle ne parvenait pas encore à savoir si elle avait été insultée ou éclairée, mais il était certain qu'il avait raison.
– Bon, dit-elle en se levant. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse, maintenant, chef?
– On va aller à Västervik.
Elle écarquilla les yeux.
– Tu blagues?
– Non. J'ai téléphoné pour savoir. Y a un bus qui part dans une demi-heure. Ça coûte 466 couronnes aller et retour. Je te les prête, si tu veux. On sera là-bas à cinq heures moins vingt et on aura deux heures vingt sur place, avant le retour.
Elle secoua la tête.
– T'es complètement dingue.
– On sera revenus à onze heures et quart.
Elle utilisa l'argument du désespoir.
– Mais il faut que tu sois rentré pour dix heures.
– Non. Parce que je vais au ciné. J'ai téléphoné à mon père pour le prévenir.
Le paysage défilait de l'autre côté de la vitre. Södertälje. Nyköping. Norrköping. Söderköping. Patrik était plongé dans les renseignements qu'il avait dérobés à la police, comme s'il pensait y trouver un indice quelconque. Sibylla, elle, regardait surtout par la fenêtre.
Elle avait payé elle-même sa place. Elle était allée aux toilettes, dans le hall de la gare routière et avait sorti un billet de mille couronnes de sa pochette. Quand elle était revenue, Patrik avait acheté deux sacs de chips et une bouteille de deux litres de boisson fraîche, comme provisions de route. Il avait écarquillé les yeux quand il avait vu le billet avec lequel elle acquittait le prix du voyage.
Mais il n'avait pas posé de question.
C'était parfait.
– Pourquoi est-ce que tu fais ça, au juste?
Il haussa légèrement les épaules.
– C'est fendard.
Elle n'avait pas l'intention de se satisfaire de cette réponse.
– Non: sérieusement. Tu n'as pas de copain plus drôle à fréquenter qu'une bonne femme de trente-deux ans?
– T'es pas plus vieille que ça? ricana-t-il.
Elle ne répondit pas. Il avait sûrement lu son âge dans le journal à plusieurs reprises. Elle continua à l'observer et il finit par replier ses papiers et les fourrer dans sa poche intérieure.
– Je pige pas ce que les gens ont à reprocher à aimer être seul. Mon vieux et ma vieille, ils arrêtent pas de me le reprocher. J'y peux rien, moi, si j'aime pas le hockey ou le foot. Je me fous pas mal si c'est AIK ou Djurgarden qu'est champion de Suède.
Elle secoua la tête pour mettre un terme à cette diatribe.
– Bon, bon. Je me demandais seulement.
Elle se mit à nouveau à regarder par la fenêtre et il retourna à ses papiers.
Sören Strömberg, 7-2-1936 4639.
Ils se rendaient chez la famille de cet homme. Sibylla se souvenait encore de la visite qu'elle avait rendue à Lena Grundberg. Elle était pleine de confiance et de courage, alors.
Les choses avaient bien changé, depuis.
Le car était à l'heure et, à cinq heures moins vingt-cinq, ils étaient à Västervik. Patrik se dirigea aussitôt vers le kiosque à journaux et demanda où se trouvait Sivertsgatan, où habitait jadis Sören Strömberg. Sibylla vit la vendeuse lui montrer de la main et lui expliquer le chemin.
Ce n'était pas loin. Ils n'en eurent pas pour plus de cinq minutes.
Plus ils approchaient, plus elle se sentait mal. Patrik marchait légèrement devant elle. Il n'avait peur de rien et on aurait dit qu'il se rendait, plein d'enthousiasme, à un bon dîner attendu depuis longtemps.
La maison avait deux étages et un toit mansardé. Alors que c'était encore à la mode, quelqu'un avait eu le mauvais goût de recouvrir la façade de matériau isolant. Au milieu, devant la porte, la même personne, sans doute, avait recouvert le perron d'une petite véranda de plastique dur de couleur verte, ce qui avait porté le coup de grâce au charme de la maison.
Ils s'arrêtèrent devant la barrière et se regardèrent. Sibylla secoua la tête d'un air découragé, pour signifier à Patrik qu'elle trouvait que c'était une très mauvaise idée. Ceci le décida. Il ouvrit la barrière et se dirigea vers la porte d'entrée.
Elle le suivit, non sans un soupir. Elle ne pouvait pas rester où elle était, de toute façon.
– Qu'est-ce que tu vas dire? lui demanda-t-elle à voix basse.
Il n'eut pas le temps de répondre. À l'étage supérieur de la maison voisine, une fenêtre s'ouvrit et une femme d'un certain âge passa la tête.
– Vous venez voir Gunvor?
Ils se regardèrent.
– Oui, répondirent-ils d'une seule voix.
– Elle est dans sa maison de campagne. À Segersvik. Y a une commission à lui faire?
Patrik approcha de la limite du terrain de la voisine.
– C'est loin d'ici?
– Une vingtaine de kilomètres. Vous êtes en voiture?
– Oui, répondit Patrik sans hésiter.
– Alors, c'est sur la vieille route de Gamleby, celle qui passe par Piperskärr. C'est à une dizaine de kilomètres de là. Je crois qu'il y a un panneau indicateur.
– Merci de votre aide.
Il tourna le dos à la femme, la privant ainsi de toute possibilité de lui poser d'autres questions. Ils retournèrent à la barrière et, en la franchissant, ils entendirent la voisine refermer sa fenêtre.
– C'est là qu'il a été assassiné, dit-il à voix basse. C'était marqué dans le journal qu'il a été tué dans sa maison de campagne.
Ils s'éloignèrent du champ de vision de la voisine. Au bout de la rue, Sibylla s'arrêta.
– Qu'est-ce qu'on fait? On ne va pas avoir le temps d'y aller, si on veut revenir par le car.
– On prend un taxi.
Elle fronça les sourcils.
– J'ai de l'argent, expliqua-t-il.
Elle ne fut pas satisfaite de cette réponse.
– Comment se fait-il que tu aies tellement d'argent? Ce n'est pas très courant, à ton âge, hein?
Il ne répondit pas et baissa les yeux.
– Merde. Me dis pas que tu l'as volé.
– Non. Emprunté.
– À qui?
Il se remit à marcher en direction de la gare routière, où ils avaient vu qu'il y avait une station de taxis. Sibylla ne bougea pas.
– Je ne ferai pas un pas tant que tu ne m'auras pas dit à qui tu l'as fauché.
Il s'arrêta et se retourna.
– Je l'ai emprunté à la maison. Sur l'argent des commissions. T'inquiète. Je rembourserai sans qu'ils s'en aperçoivent.
– Ah bon. Et sur quel argent?
– Bah. On verra bien.
Il se retourna et se remit à marcher, mais elle ne bougeait toujours pas. Il s'en aperçut, se retourna et lui cria:
– Est-ce qu'on reste plantés là à s'engueuler ou bien on essaie de faire quelque chose?
– Combien as-tu pris? lui cria-t-elle.
Il hésita un instant.
– Mille balles.
Elle sortit sa pochette et y préleva un nouveau billet. Puis elle referma la fermeture Éclair et s'avança vers lui.
– Tiens, dit-elle en lui tendant l'argent. Mais si tu recommences, je te préviens que je file. Compris?
Il hocha la tête, l'air étonné, et regarda le billet.
– Je t'ai demandé si tu as compris?
– OUI!
Il lui prit le billet des mains. Elle passa devant lui et le précéda vers la station de taxis.
– C'est de bon cœur.
Au bout d'une dizaine de mètres, elle se retourna. Il n'avait pas bougé.
– Est-ce qu'on reste plantés là à s'engueuler ou bien tu viens?
Il hésita encore un instant puis, à contrecœur, il se mit à courir derrière elle pour la rattraper.
Lorsque le compteur du taxi afficha plus de deux cents couronnes, elle secoua la tête
Prendre un taxi!
Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas gaspillé son argent de cette façon.
Ils avaient dépassé depuis longtemps Piperskärr et l'asphalte venait de prendre fin brusquement, laissant la place à la terre battue. Ils traversaient tantôt des parties boisées, tantôt des champs, montaient de petites buttes et faisaient des crochets pour éviter des gros rochers et des petits bois.
Ils n'échangèrent pas un seul mot pendant toute la durée du trajet. Heureusement, le chauffeur était du genre taciturne et Patrik avait totalement perdu la parole après le récent incident.
Elle se sentit un peu mieux. Elle avait repris le commandement des opérations.
Ils passèrent devant un hangar à bateaux vide, puis un parking sur lequel des embarcations tirées au sec attendaient l'arrivée du printemps, recouvertes de bâches et de housses en plastique. Puis ils pénétrèrent à nouveau dans la forêt et, au bout d'environ un kilomètre, le paysage s'ouvrit en direction de l'eau, sur leur gauche. À l'ouest, le soleil était en train de disparaître et coloriait le ciel en rose.
– C'est à la ferme que vous allez?
Le chauffeur désigna de la tête un groupe de maisons. Sibylla regarda Patrik qui, lui, observait le paysage par la fenêtre. Il était clair qu'il n'avait pas l'intention de lui apporter la moindre aide. Elle se pencha vers le conducteur du taxi.
– Je ne sais pas exactement. Nous allons voir Gunvor Strömberg. Il paraît qu'elle a une maison de campagne ici.
– Je ne sais pas, moi, maugréa-t-il. Vous n'avez pas d'adresse plus précise?
Il franchit lentement les piliers d'entrée d'une propriété et, après un brusque virage vers la droite, une petite maison rouge apparut. Le compteur affichait 260 couronnes.
Sibylla avala sa salive et préleva un nouveau billet sur sa réserve. Patrik l'observait du coin de l'œil, mais elle ne croisa pas son regard.
– Arrêtez-vous ici.
Le chauffeur se rangea de son mieux et ils descendirent de voiture. Il la laissa prendre elle-même son sac à dos dans le coffre. Elle n'avait pas cru bon de laisser de pourboire.
La voiture alla faire demi-tour un peu plus loin. Quand elle disparut derrière le virage, Sibylla s'avisa qu'ils n'avaient rien prévu pour le retour. Elle poussa un soupir, hissa le sac sur ses épaules et se retourna. Devant eux se trouvait une barrière, assez large pour laisser passer une voiture, et l'une des bornes portait une boîte aux lettres verte en métal.
Strömberg.
Elle se retourna et regarda Patrik.
– C'est là. Au bord de l'eau.
– Ahah, fit-il.
– Tu vas continuer longtemps à me faire la tête?
Il ne répondit pas mais avança vers elle.
Une fois la barrière franchie, l'allée descendait et, au bout de quelques mètres, ils virent le toit et l'arrière d'une maison. Ils en étaient séparés par un gros buisson, dont ils durent faire le tour. Sibylla marchait en tête et Patrik derrière. Une fois le buisson contourné, ils se retrouvèrent au bord de l'eau. Devant eux, un ponton s'avançait dans l'eau.
La vue était magnifique. Comment pouvait-on être assassiné dans un endroit pareil?
– Vous désirez?
Sibylla se retourna rapidement et vit une femme, un peu au-dessus d'eux, sous le balcon de la maison dont ils avaient vu l'arrière.
Elle chercha quelque chose d'intelligent à dire. Patrik ne comptait pas s'en mêler, elle le vit sur son visage quand elle se tourna vers lui. Cette fois, il lui faudrait se débrouiller seule.
La femme posa le râteau qu'elle tenait à la main et avança vers eux. Patrik, lui, se dirigea vers le ponton. Sibylla avala sa salive et fit quelques pas vers la femme. Elle avait dans les soixante-cinq ans et boitait un peu. Elle resta un instant sans rien dire, tandis que Sibylla sentait son cœur battre la chamade.
– Vous êtes intéressés par l'achat de la maison?
Magnifique.
– Oui, c'est ça.
Sibylla eut un sourire de gratitude. Bien sûr qu'ils voulaient acheter la maison.
– Ah bon, dit la femme avec un sourire. Excusez-moi d'être méfiante, mais il y a tellement de curieux qui viennent rôder par ici.
Elle se racla la gorge, puis il y eut un instant de silence.
– Vous avez de la chance de me trouver. L'agence ne m'a pas prévenue.
– Non, nous passions par hasard.
La femme ôta ses gants de jardin et lui tendit la main.
– Gunvor. Gunvor Strömberg.
Sibylla hésita un moment avant de répondre:
– Margareta Lundgren.
Elle prit la main de la femme. Celle-ci était moite, après le temps passé dans le gant en caoutchouc.
– C'est votre fils, je suppose?
Sibylla suivit son regard et vit le dos de Patrik.
– Oui, se hâta-t-elle de répondre. C'est ça.
Patrik s'était mis à faire des ricochets. Sibylla, elle, avait le cœur qui battait. Elle se demandait à quel point elle avait pu le vexer pour qu'il se comporte de la sorte. Peut-être allait-il même tenter de lui faire payer cela?
– Ce ponton ne nous appartient pas, mais nous avons un droit d'usage, c'est marqué dans l'acte de propriété. Mais, le plus souvent, on était seuls à s'en servir.
Elle se tut et regarda vers le large. Puis elle reprit ses esprits.
– Je suppose que vous voulez voir l'intérieur?
– Eh bien oui, merci, répondit Sibylla avec un sourire.
– Et lui, ça l'intéresse? demanda-t-elle en montrant de la tête Patrik, toujours en train de jeter des pierres.
– Patrik, est-ce que tu veux voir l'intérieur de la maison? cria-t-elle.
Il ne se pressa pas et jeta une nouvelle pierre avant de se retourner. Gunvor Strömberg regarda Sibylla avec un sourire.
– C'est l'âge difficile. Je sais ce que c'est. On n'y peut rien, malheureusement.
Sibylla s'efforça de montrer, en souriant, qu'elle partageait cette opinion. Mais en se disant intérieurement que, âge difficile ou pas, il allait en entendre parler, après.
La femme remonta l'allée et Sibylla attendit Patrik, qui arrivait sans se presser. Quand il fut à sa hauteur, elle lui siffla à l'oreille:
– Arrête de faire l'imbécile. Elle croit qu'on veut acheter la maison.
Il la regarda en haussant les sourcils.
– Eh bien, achète-la. Puisque t'as de l'argent.
Il passa alors devant elle.
C'était étrange. C'était la deuxième fois en l'espace d'une semaine que deux personnes étaient déçues de constater qu'elle avait de l'argent. Comment était-ce possible?
Gunvor Strömberg était déjà sur le pas de la porte et Sibylla pressa le pas pour la rejoindre. Patrik tendit la main et se présenta poliment et correctement.
– Entrez et allez regarder. Je vous attends ici.
Ils échangèrent un regard, puis montèrent le petit perron de pierre et ouvrirent la porte.
– Ce n'est pas bien grand, mais il y a à peu près tout ce dont on a besoin, leur lança Gunvor Strömberg. Le chauffe-eau est un peu vieux et il faudra sans doute bientôt le changer.
Sibylla opina de la tête et franchit le seuil.
L'assassin avait fait de même, peu auparavant.
Elle regarda autour d'elle. Au bout de deux pas, elle se retrouva dans une petite cuisine. Tout était bien rangé. C'était une maison où on avait pris ses habitudes et qui en portait la trace. Les chaises de cuisine avaient laissé des marques sur le plancher, après avoir été tirées des centaines de fois. L'émail de la poignée du four était écaillé, lui aussi, pour avoir été saisi année après année par des mains impatientes.
On respirait une légère odeur de peinture.
Patrik s'était enfoncé un peu plus loin et avait ouvert la porte d'une autre pièce. Il se tenait maintenant sur le seuil de celle-ci et lui faisait signe d'approcher.
La chambre était peinte en blanc mais vide de meubles.
Il sortit alors les papiers qu'il avait rangés dans sa poche intérieure, trouva celui qu'il cherchait et le lui tendit.
– C'est ce mur-là, dit-il à voix basse.
Sibylla regarda la photo du lit ensanglanté et lut une nouvelle fois l'inscription que l'assassin avait laissée sur le mur en la signant de son nom.
Elle n'avait qu'un désir: sortir de là.
Gunvor Strömberg s'était éloignée jusque sur le ponton. Elle tournait le dos à la maison et regardait le large. Sibylla hésita une seconde. Patrik sortit et vint se placer à côté d'elle.
– Va lui parler.
Elle le regarda.
– On n'a encore rien trouvé d'intéressant, poursuivit-il. Pendant ce temps-là, je continue à chercher.
Il avait raison. Après être venus aussi loin, autant ne pas repartir bredouilles.
Gunvor Strömberg ne semblait pas consciente que quelqu'un était venu la rejoindre sur le ponton. Elle continua à regarder au loin et ce n'est que lorsque Sibylla se racla la gorge qu'elle porta la main à son visage pour essuyer une larme. Mais elle ne se retourna pas.
– C'est vraiment un endroit magnifique, hasarda Sibylla.
La femme ne répondit pas. Sibylla observa le mutisme, elle aussi. Le silence finirait par forcer l'aînée des deux à parler.
Cet endroit était vraiment la réalisation de ses rêves. Isolé. Calme. Et puis cette vue splendide. Mais elle n'aurait jamais les moyens de se l'offrir. Jamais de la vie. Bientôt, elle n'aurait même plus les moyens de quoi que ce soit.
– Autant que je vous le dise moi-même, plutôt que vous l'appreniez par d'autres, dit soudain la femme en se tournant vers elle. Vous n'êtes pas d'ici, hein?
– Non.
Elle hocha la tête et se tourna à nouveau vers le large.
– Je l'ai bien vu.
Sibylla vint se placer à côté d'elle. Le mieux était de la laisser parler.
– Mon mari a été assassiné, ici même, il y a six jours.
Elle continua à observer la mer, mais Sibylla fit de son mieux pour paraître surprise.
– Ce n'est pas quelqu'un du coin qui a fait ça, vous n'avez pas besoin d'avoir peur.
Elle se tut à nouveau. Sibylla regarda son visage. Il faisait encore assez clair pour qu'elle puisse distinguer les larmes qui coulaient le long de ses joues.
– C'est pour cela que vous la vendez? demanda-t-elle.
La femme secoua la tête dans un sanglot.