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Франция в эпоху позднего средневековья. Материалы научного наследия
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Текст книги "Франция в эпоху позднего средневековья. Материалы научного наследия"


Автор книги: Юрий Малинин


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История


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Mais même si nous savions son nom, il n'ajouterait presque rien à son portrait, tel qu'il est dépeint dans l'œuvre. Et ce portrait est suffisamment précis et clair pour connaître cet homme et appréhender son univers mental. Sous ce rapport, notre texte est bien supérieur à la description poétique de la joute de Tarascon dont l'auteur est Louis de Beauvau. Le nom de celui-ci est connu, puisqu'il est indiqué au début du texte, mais sa personnalité reste, à la lecture de son œuvre, terne, sans relief. Et il est impossible de dire à son sujet quoi que ce soit, en dehors de ce qui est déjà connu par d'autres sources.

Il est clair que notre auteur était un moine, et plus précisément un moine augustin. C'est ainsi qu'il est représenté dans une miniature montrant la scène de la présentation du manuscrit au roi René et c'est ainsi qu'il se présente lui-même quand il dit:

 
Je sui presque demy sauvage,
N'ay congnoissance hors ce boucaige,
Nuls temps ne voy gens de paraige
Fors en ville, court ou festaige. (str. 238)
 

Il souligne très expressivement la vaillance d'un des participants à la joute en disant que:

 
Pour l'arceveschié de Rouen
N'eusse valu estre son pleige
Non туе d'Angiers gran doyan. (str. 129)
 

À ses yeux ces deux dignités ecclésiastiques sont les plus hautes dont il puisse rêver, et le fait qu'il mentionne justement celles-là prouve qu'il est Angevin.

La description poétique de la joute a été composée selon les propres mots de l'auteur «soubs la noble obéissance», c'est-à-dire sur l'ordre du roi René (str. 9). Ici se posent deux questions: quand l'œuvre fut-elle commandée et quand fut-elle achevée? Il n'arriva à Saumur, écrit-il, que pour la fin des festivités, le 3 août (str. 8). Et bien qu'il dise qu'il se rendit là pour recueillir des témoignages dignes de foi et «au vray escripre» les événements, comme s'il avait reçu la commande avant son arrivée il semble bien qu'il ne la reçut qu'à son arrivée à Saumur. Sinon, il aurait dû venir plus tôt.

Quoi qu'il en soit, une des raisons, sinon la principale, qui l'amenaient là, était cette «bonne curiosité», qu'il employa d'après lui, pour observer la joute (str. 239). La curiosité est d'autant plus compréhensible que les combats de chevalerie l'enthousiasmaient. Il écrit à propos de l'un des duels:

 
La eusses veu plaisans debas!
...
La veissés jeunesse florir,
Haulte noblesse seigneurir
Soubz le ciel n'avoit plus bel estre;
Homme ne feust, peu enveillir,
Estre malade ne mourir:
De toute joye secourir
Pouvoit chascun et s'i repestre! (str. 133)
 

Il était manifestement animé d'un grand respect pour la chevalerie et la culture courtoise. Arrivé à Saumur, il fit

 
maints tours
Par ces salles et ces tours,
Visé les dames et leurs atours,
Leur gent port et doulce manière…
(str. 240)
 

Et tout cela, comme il le dit, pour faire une description exacte. Ses projets, qu'il expose au début de son œuvre, étaient très ambitieux. Fier de ce que «premier feray conte» sur les fêtes (str. 5) il se propose de raconter

 
Des rois, ducz, contes et barons.
De la dame, de son atour,
De son issue, de son retour
Et comme l'omme d'armes part
Du chastel et vient celle part
Ou est le naym et le liepart… (str. 5–6)
 

Pourtant nous ne trouverons pas dans son œuvre tout ce qu'il voulait y décrire, loin de là. Ni salles de festins, ni atours féminins, ni manières, si soigneusement énumérés.

Des festivités, il ne retient presque exclusivement que les duels sur la lice. En outre ce ne sont pas les combats ni leurs résultats qui l'intéressent surtout. Bien souvent il ignore l'issue des engagements car pour lui c'est autre chose qui est important. Il aurait pu connaître les résultats des duels par des notes ou des témoignages, mais il néglige tout cela et ne trouve même pas nécessaire de s'excuser et de se justifier du fait qu'il ne sait ou ne se rappelle pas qui a obtenu le rubis et qui le brillant. En revanche, il présente chaque fois ses excuses ou une justification quand il ne sait ou ne se rappelle pas ce qui pour lui est le plus important: les noms des participants engagés dans le duel, leurs armes, les timbres avec les différentes figures symboliques, et la couleur des caparaçons. Ainsi quand il ignore la couleur du caparaçon du comte de Tancarville, il dit:

 
Mais dire ne puis vrayement
Quelle coulleur car proprement
N'ay peu savoir mes briefvement
N'en enquerray plus plainement:
Après enferay mencion. (str.51)
 

Incapable de décrire en détail le timbre du seigneur de la Pous-sonière, il se justifie à nouveau:

 
Son tymbre n'estoit mie entier:
D'une esgrete demye antiere
Naissant d'un lion, par manière
Dont n'ay cognoissance planiere
Du lieu estoye bien arrière
Ou estoient ce jour les esbas. (str.161)
 

Il fait ainsi allusion au fait qu'il n'était pas encore à Saumur. Et quant à Guillaume Goffier, il ne connaît ni la couleur du caparaçon (houssure) ni le timbre. Cas exceptionnel qui a une cause aussi exceptionnelle:

 
Si je faulz, vueillez supplier:
Ceste heure estoie sus l'eau
Et doubte avoye de noyer
Tout me commançoit ennuyer;
Housseure et tymbre oublier
Me fit ce jour, puis me fut beau. (str. 141)
 

Ainsi c'est au catalogue presque protocolaire des noms des participants, des écus, de la couleur des caparaçons et des figures des timbres, que se limite la commande. Et son but est parfaitement clair: imprimer dans la mémoire de la postérité les hauts faits des vaillants chevaliers:

 
Affin qu'il en soit longuement
En très hault honneur souvenance. (str. 8)
 

C'est là que se trouve le sens de toute la littérature de chevalerie, qui avait pour mission d'assurer à ses héros une immortalité terrestre.

Il n'était d'ailleurs pas si important pour un chevalier de remporter la victoire ou d'être vaincu. L'honneur, la valeur la plus haute de la chevalerie, qui se cristallise à la fin du Moyen Âge, ne dépendait pas du succès, mais de la vaillance et de la vertu.

À ce propos Antoine de la Salle, un des juges de la joute de Saumur, donne par la bouche de l'héroiine de son roman le Petit Jehan de Saintré, ces instructions: «Pensez de bien faire et vertueusement perdez ou gaignez honnorablement, car quoy que de vous ad-viengne à ung tel et sy puissant homme, vous n'y povez avoir que honneur».{637} Aussi l'auteur du Pas de Saumur, ne trouve-t-il pas, semble-t-il, nécessaire d'expliquer qui est sorti vainqueur de chaque duel, car ce n'était pas tant la victoire qui avait du prix que la vaillance et l'honneur.

Mais si l'indication des noms de tous les participants était la condition sine qua non d'une telle description et si l'auteur suit ici une ancienne tradition, la description des armes sur les écus, des caparaçons et surtout des timbres, était vraisemblablement une exigence particulière du roi René. De fait celui-ci accordait une très grande importance aux armes et aux timbres, à la différence des autres organisateurs de tournois et de joutes. A. de la Salle y fait allusion dans son ouvrage «Des anciens tournois et faicts d'armes», qui rappelle la joute organisée par le roi René en 1445 à Nancy à l'occasion du départ pour l'Angleterre de sa fille Marguerite. Le roi ordonna alors de faire savoir par des hérauts que tous ceux qui désiraient prendre part à la compétition devaient obligatoirement avoir sur leur heaume les timbres convenables et aussi des lambrequins et des écus avec leurs armes. Cette exigence ne se généralisa pas dans les tournois et les joutes, et La Salle remarque donc que:

«Et ce fist-il, pour eux josnes et simples gentilshommes recorder leurs haichemens et blasons d'armes, par leurs simplesses oublyez. Et car nul ne devoit jouster, se il n'avoit son haichement sur son heaume, et son escu couvert de ses armes, furent plusieurs bien nobles hommes de ce royaume, qui à moy vinrent, se je savoye quelz armes ils portoient, dont l'un… me dist: “ha, mon père, se vous ne me secourez, je suis empeschierz, car vous savez que on ne peust jouster, qui n'a son tymbre sur son chief et son escu de ses armes, et par ma foi, je ne le sçay pas bien”».{638}

Aussi a-t-on d'assez bonnes raisons de supposer que si l'auteur reçut la commande de composer pour le roi René une description poétique de la joute, il lui fut indiqué précisément ce qui devait être représenté. Voilà pourquoi la description des armes, des caparaçons, et des timbres tient une place si essentielle. Mais de qui reçut-il cette commande? Car, dit-il, il ne connaissait aucune des personnalités.

Pourtant trois des participants lui étaient connus. Et d'abord le plus proche compagnon d'armes du roi René, le sénéchal de Poitou et de Provence Louis de Beauvau, et sa femme, Jeanne de Beauvau. Il dit lui-même qu'il connaît celle-ci, lorsqu'il parle de la présence de dames à la fête et remarque:

 
De dames y eut habondance
Desquelles je n'ay cognoissance
Fors de la plus doulce en France:
Ma dame de Beauvau. (str.42)
 

Cette épithète de «la plus doulce en France», il n'en gratifie même pas l'épouse de René, la reine Isabelle, à laquelle, bien sûr, il rend un hommage positif. Il ne dit pas expressément qu'il connaît Louis de Beauvau, mais les éloges dont il le comble, l'attestent assurément (str. 70). Notre auteur ne prodigue des éloges aussi généreux qu'à un seul personnage, Jehan de Montejean dont il écrit en particulier:

 
Jure a Dieu et a sainte Luce
Que, si j'avoie esté en Pruce,
Sa layaulté recouvrée eusse.
Autant vouldroie son renom
Que proesse que avoir sceusse:
En luy n'a desdaing ne repusse
Et trop mains mal qu'en une pusse.
Et par tous lieux tel le tien on. (str. 190)
 

Sur le caparaçon de son cheval étaient cousues les lettres J et B. Étaient-ce les initiales de Jeanne de Beauvau?

Bien sûr tout ceci nous autorise seulement à dire que notre auteur connaissait quelque peu ces gens. Louis de Beauvau, si l'on en juge par les éloges que notre auteur fait de sa générosité, avait vraisemblablement été à un moment ou à un autre son bienfaiteur. Enfin on peut supposer que connaissant parfaitement les goûts du roi René, il fut le commanditaire de la description de la joute. Louis de Beauvau n'était lui-même pas étranger aux exercices poétiques, et il écrivit plus tard un poème sur la joute de Tarascon de 1449. Et si de quelque façon il connaissait notre auteur, il a pu aussi connaître sa capacité à s'acquitter d'une telle tâche.

Notre auteur, effectivement, est un assez bon versificateur, il observe avec rigueur dans chaque strophe le système des rimes, ce qui est chez lui une préoccupation particulière (str. 242). Cela montre que c'était un homme cultivé et qu'il avait déjà composé des œuvres poétiques. Lesquelles? On ne le sait pas, mais on peut dire avec certitude que décrire des fêtes de chevalerie était pour lui une nouveauté. Il se sent trop mal assuré dans cette carrière et craint trop de dire les choses autrement qu'il faut. Il s'excuse de

 
mon entendement mineur
Qui n'a sentement de bien dire
En chouse qui soit de valeur. (str. 244)
 

Il ne s'agit pas ici d'humilité et d'autodénigrement, si caractéristiques des écrivains médiévaux, particulièrement d'état religieux, mais précisément de la peur de paraître gauche et malhabile aux yeux des gens du monde;

 
La rime changée n'ay point,
Doubtant que de mondanité
Aucun m'eust argué et point.
Homs suis non usant de prepoint. (str. 242)
 

Aussi en s'excusant pour sa langue et son style, il parle de sa modeste position et de l'éducation qu'il a reçue dans son ermitage forestier. La véracité du récit constitue son souci particulier:

 
Affin que devant le doctour
Je ne sois trouvé mentour. (str. 6)
 

Il ne manque pas une occasion de dire d'où il tire telle ou telle information, car quant à lui il est arrivé en retard à la fête et a dû ou questionner les témoins oculaires ou utiliser les notes des secrétaires qui étaient présents à la tribune aux côtés des juges. Mais souvent il lui manque quelques éléments, et alors il s'explique et promet de découvrir plus tard ce qui lui échappe encore. Sous ce rapport notre auteur se comporte comme beaucoup d'autres auteurs de son temps pour qui la vérité était un des buts les plus importants de la relation d'événements. Et cette vérité était atteinte avant tout par l'expérience, c'est-à-dire par l'observation personnelle, et aussi grâce au questionnement de témoins oculaires. Mais à la différence de beaucoup d'autres, la quête de la vérité est chez notre auteur colorée d'une charge émotionnelle particulière. Comme s'il craignait les reproches, il insiste constamment sur la véracité de ses paroles et même s'écrie:

 
Je veul mon compaignon pendu
Si de tout cecy je vous mens. (str. 218)
 

Quand a-t-il travaillé sur son œuvre? Il en a reçu la commande, on peut le supposer, lors de son arrivée à Saumur, bien qu'à la vérité on ne puisse exclure la possibilité qu'il ait eu spontanément l'intention de décrire les festivités, en dehors de toute commande, mais celle-ci le força à diriger l'attention sur ce qui intéressait le roi René.

Jusqu'à ce qu'on se séparât il rassembla des informations mais il n'eut pas le temps d'en obtenir beaucoup, ce dont il se plaint au début de son poème. Exposant le vaste plan de sa description, il remarque que

 
Des preux vous feray mention
Le mieub a mon entencion
Ne puis si toust car action
Nay de l'escript ne instruction… (str. 7)
 

Néanmoins, malgré le défaut d'informations, il se mit au travail sans désemparer. Pendant qu'il compose il reçoit sans cesse de nouveaux renseignements que, semble-t-il, quelqu'un lui communique. Parlant de l'un des participants à la joute, Jean Cosse, il remarque

 
Du tymbre ne peu bonnement
Deviser mes présentement
Ay receu par escript comment
Tymbre estoit, dont vous diray
Quant ressaudra prochinement,
Et des autres pareilement,
Dont n'ay fait au commencement.
Mension, je m'acquicteray. (str. 64)
 

Il veut dire qu'il donnera la description des heaumes au fur et à mesure que ces chevaliers apparaîtront en lice au cours du récit, car beaucoup d'entre eux furent engagés plusieurs fois.

Les informations nécessaires apparemment ne manquaient pas, aussi notre auteur promet-il qu'il donnera plus tard une description plus complète et plus accomplie des festivités. De ce qu'il a écrit, voici ce qu'il dit:

 
cest dictier notement fait
Qui n'est encor, a mon advis,
Parachevé, mes se je vye,
En la correction des vifs
Mectray mon pouvre diet mal fait. (str. 214)
 

Il compte pour son travail à venir sur la collaboration des participants qu'il n'a pas vus et avec lesquels il n'a pas eu le temps de s'entretenir, mais il craint qu'ils ne soient plus de ce monde. Aussi citant l'un ou l'autre de ceux-ci, il ajoute assez souvent:

 
Je prie a Dieu, s'ils ne sont vifs,
Qu'en vueille héberger leurs âmes
Au royaume de paradis. (str. 130)
 

Ou

 
S'il est mort, Dieu luy dont pardon. (str. 208)
 

Il donne l'impression d'avoir écrit assez longtemps après la joute, à un moment où beaucoup avaient déjà eu le temps de mourir. Mais cette impression est fausse, et il s'est mis au travail très vite après la clôture de la joute. Mais la vie humaine était alors fragile et courte, particulièrement la vie d'un soldat. Bien que la trêve entre les rois anglais et français ne datât que de la veille, la guerre civile et ses affrontements ne cessaient pas, et un chevalier pouvait mourir à n'importe quel moment. Aussi notre auteur a-t-il des craintes pour la survie des participants.

En outre il compte sur ses futurs lecteurs, qui s'intéresseront à son œuvre quand tous les personnages cités par lui seront sans doute déjà morts depuis longtemps, et il veut que l'on prie pour le salut de leurs âmes. Parlant du roi René, il écrit:

 
Du prince dont chascun dira
Honneur, qui ce dit, cy lira
Et pour son âme priera
Qu'elle soit en paradis mise. (str. 174)
 

Notre auteur note assez précisément, comme le remarque avec justesse G. Bianciotto,{639} l'époque de la composition de son?uvre. De fait, s'adressant au roi, il dit que

 
Ce dit fait ce darrain esté. (str. 244)
 

Dans cette phrase, pas d'indication de l'année, et cela pouvait être l'été 1446 mais pas obligatoirement. L'année paraît clairement dans une autre phrase:

 
Le pas d'armes, qui commença
En juing, qui nagueres passa. (str. 14)
 

Dans ce cas il s'agit sans aucun doute de 1446. Selon G. Bianciotto, la composition alla d'août 1446 à février 1447, puisqu'en février le roi René partit pour la Provence, où notre auteur figurait vraisemblablement dans sa suite.{640} Aussi se hâta-t-il de terminer son travail, dont il dit:

 
Pardonnez moy si je m'avance;
Pour le voyage de Prouvence
Je fais ung peu de proveancs
Et m'en suis plustoust délivré.
Aiez ung peu de pascience,
Suppliez a mon inscience
D'user de si sote science:
Tantoust auray le dit livré. (sir. 209)
 

Pourtant, selon moi, on peut lui faire tout à fait confiance quand il dit que «ce dit fait ce darrain esté». Il est vraiment difficile d'admettre qu'il a terminé son travail au bout de douze mois, c'est-à-dire à la fin août. Mais il faut se rappeler qu'au Moyen Âge, on appelait été toute la saison chaude de l'année, que l'on divisait ainsi simplement en été et hiver. Aussi l'été comprenait une bonne partie de l'automne, et dans ce cas notre auteur pouvait parfaitement terminer son travail pendant «l'été».

Quel est l'univers intellectuel et moral de notre auteur et quelle culture avaitil reçu dans l'ermitage dont il parle? Ce qui saute aux yeux, ce sont ses connaissances historiques, car il évoque souvent des personnages historiques ou mythologiques, qui font partie presque exclusivement des héros du passé et forment une sorte de panthéon de la chevalerie. Il ne distingue naturellement pas les figures de la réalité des figures légendaires. Ils sont tous pour lui de vaillants chevaliers auxquelles il compare les participants de la joute de Saumur. Ce sont le roi Artur, et Charlemagne, et Perceval, et Roland, et Jules César, et Hannibal.

Mais ses connaisances historiques sont très confuses.

 
Alexandre qui conquis plus,
Aussi Julius Gayus,
Ces trois juits et deux païens.
(str. 236)
 

A qui pense-t-il pour Gaius et Julius et qui est le troisième Juif? On pourrait supposer que Gaius et Julius ne sont autres que Caius Julius César, mais il le nomme un peu plus loin:

 
Julius César et les siens,
Pompée, Cartaige et Priens
Qui tant conquisdrent de biens… (str. 236)
 

Derrière toute cette confusion, il y a une culture historique tout à fait caractéristique de cette époque, une culture romanesque, c'est-àdire tirée des romans de chevalerie. Il a certes lu quelque chose à côté. C'est ainsi qu'il cite Végèce, quelques «histoires de Grèce, d'Albion, de Troie et de Lutèce», sans qu'on sache clairement à quoi il pense en parlant de ces «histoires».

Il ne cite précisément qu'une oeuvre historique: «les histoires de Beauvoir». C'est sans doute «le Miroir historique» de Vincent de Beauvais (str. 138). On peut attribuer la faute d'orthographe (r au lieu de s) à un copiste. Il renvoie à cette œuvre en expliquant l'origine du comté de Clermont, qui avait été au départ institué pour un des fils du roi Louis IX le Saint, mais notre auteur laisse là passer deux fautes dont on peut difficilement rendre responsable le copiste. Il appelle le fils du roi, Haubert, alors qu'il s'appelait Robert et il écrit qu'il était le second fils du roi, alors qu'en réalité il en était le sixième.

Notre auteur était profondément pénétré des idées de son temps, bien que, vu le caractère et le genre de son œuvre, elles ne soient pas exposées dans un système logiquement développé. Pourtant on peut percevoir ses idées socio-politiques au travers de pensées, remarques et épithétes isolées.

Ainsi reproduit-il exactement le schéma de l'organisation sociale en trois classes, caractéristique du Moyen Âge: guerriers, orants et laborants. De plus, citant ces trois niveaux sociaux, il met à la première place les guerriers, la noblesse:

 
Es nobles la lance et la lame
A l'orateur chante de game,
Au laboureur, clerc ou bigame,
Son labeur en loyal endroit. (str. 233)
 

Une telle logique selon laquelle la noblesse est plus haute que les autres classes et surtout que le clergé, puisqu'elle défend le peuple entier les armes à la main, était à cette époque propre aux œuvres des laïcs, des chevaliers, tandis que le clergé défendait la priorité de sa classe. Mais notre auteur, on peut le supposer, était plus attaché aux œuvres des écrivains de chevalerie.

Son interprétation des bases de l'organisation sociale est excessivement naturaliste: elles sont prédéterminées par la nature et la raison en tant que principaux biens naturels de l'homme. Il écrit à ce propos:

 
Raison, qui est sus tout la dame
Et doit dominer homme et femme,
Donneroit a tout estât blasme
Si chascun ne usoit de son droit
Qui autrement faire vouldroit,
A nature son train tousdroit
Et condicion deffauldroit,
Règle et loy perdroint leur saison. (str. 233)
 

Recourant à cette allégorie de la raison, habituellement représentée sous les traits d'une noble dame, il généralise par là-même l'idée de raison, en y voyant l'intendant universel, qui gère le droit naturel ou la loi de nature. Cette loi est pour partie le droit de chaque condition sociale et de chaque homme, selon lequel chacun doit vivre et s'occuper de la tâche qui lui est fixée.

Ses idées politiques sont également traditionnelles, surtout sa conception des obligations du souverain. Ainsi écrit-il à propos du roi René:

 
Qui tant a mis tout son pouvoir,
Son entendement et savoir
Et largement de son avoir
Au bien de la chouse publique. (str. 228)
 

Le souverain idéal est celui qui soutient le bien de la société en assurant la justice et en maintenant l'ordre naturel et raisonnable.

Cependant, les idées socio-politiques et les réminiscences historiques ne sont que des éléments disséminés dans un texte poétique, inspiré par l'idéal courtois et chevaleresque. Son auteur est typiquement le clerc français qui renonce sans problème aux graves pensées sur la mort et sur Dieu pour les vivantes formes qui le ravissent de la culture courtoise et chevaleresque. Une seule fois il se livre à une réflexion sur la mort (str. 20), après quoi dit-il:

 
Retournons a ceulx du ehastel
Et prenons langaige nouvel.
Laissons celluy qui n'est pas bel
Ny bien consonant a nature
Trop plus plaisant est renouvel
D'armes, de lance ou de coustél. (str. 21)
 

Et qu'estime-t-il le plus? Posant la question: «Ou est plus riche le trésor!» (str. 21), il répond:

 
Le parsonnaige, la facture,
Le bel maintien et la stature,
Au gré de noble créature,
Cent mille fois trop plus que d'or. (str. 21)
 

Ce qui nous donne envie de tenter une supposition sur l'âge de notre auteur. Vraisemblablement, il est jeune. Plus mûr, il aurait montré plus de prudence dans ses jugements, surtout étant moine.

Toute son œuvre est pénétrée de l'esprit courtois; et sous ce rapport il traduit fidèlement l'atmosphère des fêtes de Saumur. C'est en cela d'ailleurs que se distinguent tous les tournois et joutes du Moyen Âge. Mais les compétitions organisées par le roi René se signalent par un rituel courtois extrêmement élaboré. La joute de Saumur «entreprins fut pour une dame, au gré d'amours», (str. 2). L'auteur ne cite pas son nom et se contente de remarquer: «sus mon âme on ne saurait plus belle eslire». (str. 2). On a émis la supposition qu'il s'agissait de Jeanne de Laval, que le roi René épousa plus tard, après la mort d'Isabelle de Lorraine. Mais elle n'était pas présente aux fêtes, aussi G. Bianciotto at-il raison de remarquer à propos de cette dame qu'ici «la fiction amoureuse est présente et en aucune façon voilée».{641}

Les participants, écrit l'auteur au début de son poème, étaient:

 
Tous actains d'amoureuse flamme,
Sans villain penser n'aultre blasme. (str. 2).
 

Le symbole de la joute était «la nouvelle fleur», que l'on commençait depuis peu de temps à cultiver «l'a pensée». L'écu, qui avait été hissé sur la colonne de marbre, était couvert de ces fleurs, ainsi que les caparaçons des chevaux et les écus des «tenants» commandés par le roi. Ainsi le roi René avait-il renouvelé l'esprit de la compétition. Il marchait avec ses chevaliers en qualité non pas de défenseur du «pas» comme c'était l'habitude dans l'organisation d'un «pas d'armes», mais de défenseur de la fleur qui, on peut le supposer, était un symbole de l'amour.

Bien que notre auteur ne connût, parmi la multitude de dames qui s'étaient rassemblées là, que la seule dame de Beauvau, il parle avec enthousiasme de toutes celles qui se rassemblèrent dans le château où règne «vraie amour», il leur attribue toutes les qualités possibles et pathétiquement s'écrie en conclusion:

 
…et si j'avoie cent mille âmes
Pour elles les mectroie es flammes
Des après feux d'ardant désir
Pour repprouver tous les infâmes,
Faulx langaigiers, plains de diffames,
Murtriers d'onneurs, venons et famés,
Qui ont a mal parler plaisir. (str. 43)
 

Pourquoi tant de passion à condamner les calomniateurs des belles dames? La question a son importance, car il ne s'agit pas simplement de rhétorique. La défense de l'honneur des dames était un élément essentiel de la conception de l'amour courtois, dans la mesure où cet amour était pensé presque exclusivement comme hors du mariage. Habituellement le bon renom d'une dame devait être sauvegardé au détriment du secret de l'amour, dont personne, sauf les amants, ne devait avoir connaissance. En outre la responsabilité principale incombait a l'homme, qui se présentait comme le garant du secret amoureux et de l'honneur de sa bien-aimée, et la divulgation qu'il faisait de ce secret était regardée comme un crime contre l'amour. André Le Chapelain, auteur du plus célèbre traité sur l'amour courtois, donne à ce propos cet exemple:

«Un chevalier divulgua honteusement les secrets de son amour et ses intimes affaires de cœur. Tous ceux qui servent dans la chevalerie d'amour demandent que ce délit soit très sévèrement puni, de peur qu'en laissant impuni l'exemple d'une telle trahison, on ne donne aux autres l'occasion de la suivre. Une cour de dames fut donc réunie en Gascogne, et l'on décida à l'unanimité que cet individu serait désormais frustré de toute espérance d'amour, et considéré comme indigne et méprisable aux yeux de tous».{642}

L'univers intellectuel et moral de notre auteur s'était formé sans doute sous l'influence des idées d'amour courtois. Et dans ses conceptions tous les chevaliers qui étaient descendus à Saumur, prirent part à la joute

 
Pour l'onneur d'armes aquerir,
Et pour oster sans mesprison
Celle amoureuse poison
Dont nul n'a jamés guerison
Sans dame humblement requérir. (str.281)
 

Comme l'écrivait le roi René dans le livre des tournois pour en expliquer la nécessité et l'utilité, «par aventure pourra-il advenir que tel jeune chevalier ou escuier, par bien y faire, y acquerra mercy, grâce ou augmantation d'amour de très gente dame et cellée maistresse».{643}

Pour tous deux, conformément à l'ancienne tradition, l'amour devait absolument être lié à la sauvegarde du bon renom de la dame et à sa défense contre les calomniateurs. Notre auteur consacre à cet objet une strophe de son oeuvre et, s'en prenant aux «murtri-ers d'onneurs, renons et famés» (str.43), il exalte «loyalle dame Renommée», qui «es armes du pas fut présente tous les jours jusques a quarante» (str. 44). Recourant à cette allégorie, il fait comprendre que les participants à la compétition étaient fidèles aux commandements de l'amour et n'étaient pas capables de calomnier les femmes.

Le roi René se présente à son tour comme un authentique paladin de l'honneur et du «renom» des femmes. Dans son Traité sur les tournois, il prévoit même une cérémonie particulière et un tribunal spécial qui permettront de protéger le bon renom de la dame. La veille de la compétition, tous les participants, selon l'idée du roi, rassembleront leurs heaumes avec les timbres dans une galerie du cloître, après quoi

«viendront toutes dames et damoiselles, et tous seigneurs, chevaliers et escuiers, en les visitant d'ung bout à autre… et y aura ung hérault ou poursuivant, qui dira aux dames selon l'endroit où elles seront le nom de ceulx à qui sont les timbres, ad ce que s'il y en a nul qui ait des dames mesdit, et elles touchent son timbre, qu'il soit le lendemain pour recommandé. Touttefois nul ne doibt estre batu oudit Tournoy, se non par l'advis et ordonnance des juges, et le cas bien desbatu et attaint au vray, estre trouvé tel qu 'il mérite pugnicions et lors en ce cas doibt estre si bien batu le mesdisant, que ses espoules s'en sentent très bien, et par manière que une autreffois ne parle ou mesdie ainsi deshonettement des dames, comme il a acoustumé».{644}

Et dans les statuts de l'ordre de la Demi-Lune, fondé par le roi René en 1448, il est entre autres imposé à tous ses membres «de ne mesdire de femmes de quelques estât qu'elles soient pour chose qui doibve advenir».{645}

Il semble que toutes les invectives de notre auteur contre les détracteurs de l'honneur féminin ainsi que les exigences du roi René de ne pas médire des femmes, et d'autant plus les sanctions qu'il prévoit dans ce cas, témoignent d'une certaine évolution dans la conception de l'amour courtois. Evolution dans le sens d'une plus grande liberté morale pour les femmes dans l'amour hors mariage. Si auparavant la condition sine qua non de l'amour était le secret, pour conserver le bon renom de la dame, on insiste maintenant de plus en plus sur l'exigence de ne pas le dénigrer, ce qui suppose la possibilité d'aimer plus ouvertement. Cela se comprend encore mieux si l'on se transporte au siècle suivant et qu'on se tourne vers l'œuvre célèbre de Brantôme, La vie des dames galantes. Cet auteur montre de façon convaincante combien à la cour de France au XVIe siècle s'étaient affirmées des normes de rapports amoureux assez libres où les femmes pouvaient entrer en craignant de moins en moins les atteintes à leur honneur. Ainsi François Ier «a bien aymé les dames, et encor qu 'il eust opinion qu 'elles fussent, fort inconstantes et variables… ne voulut point qu 'on en medist en sa cour, et voulut fort qu'on leur portast un grand honneur et respect».{646} Un jour il faillit même envoyer à l'échafaud un jeune courtisan qui s'était permis de s'exprimer irrespectueusement à propos d'une dame. Henri II ne supportait pas non plus qu'on calomniât les femmes et s'il aimait écouter les anecdotes sur la fourberie féminine, il ne tolérait que celles qui ne s'attaquaient pas à leur honneur.{647} Était-il dès lors nécessaire de cacher les rapports amoureux? Bien que Brantôme dise que «les dames doivent estre respectées par tout le monde, leurs amours et leurs faveurs tenues secrètes»,{648} toute la culture de l'amour courtois tendait à ce qu'on ne se cachât plus et qu'on obtînt la reconnaissance, ce pour quoi il était indispensable de déraciner la médisance, si insultante pour les femmes. Ce n'est pas par hasard que le même François Ier non seulement ne cachait pas ses liaisons, mais, selon le témoignage de Brantôme, exigeait habituellement des courtisans qu'ils vinssent à la cour avec leur bienaimée, sans la cacher.


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