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Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir)
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Автор книги: Alexandre Dumas



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XXIX

CE QUI SE PASSAIT A PORTSMOUTH LE 23 AOUT 1628

Felton prit congé de milady comme un frère qui va faire une simple promenade prend congé de sa sœur, en lui baisant la main.

Toute sa personne paraissait dans son état de calme ordinaire: seulement une lueur inaccoutumée brillait dans ses yeux, pareille à un reflet de fièvre; son front était plus pâle encore que de coutume: ses dents étaient serrées, et sa parole avait un accent bref et saccadé qui indiquait que quelque chose de sombre s’agitait en lui.

Tant qu’il resta sur la barque qui le conduisait à terre, il demeura le visage tourné du côté de milady, qui, debout sur le pont, le suivait des yeux. Tous deux étaient assez rassurés sur la crainte d’être poursuivis: on n’entrait jamais dans la chambre de milady avant neuf heures; et il fallait trois heures pour venir du château à Londres.

Felton mit pied à terre, gravit la petite crête qui conduisait au haut de la falaise, salua milady une dernière fois, et prit sa course vers la ville.

Au bout de cent pas, comme le terrain allait en descendant, il ne pouvait plus voir que le mât du sloop.

Il courut aussitôt dans la direction de Portsmouth, dont il voyait en face de lui, à un demi-mille à peu près, se dessiner dans la brume du matin les tours et les maisons.

Au delà de Portsmouth, la mer était couverte de vaisseaux dont on voyait, les mâts, pareils à une forêt de peupliers dépouillés par l’hiver, se balancer sous le souffle du vent.

Felton, dans sa marche rapide, repassait ce que deux années de méditations antiques et un long séjour au milieu des puritains lui avaient fourni d’accusations vraies ou fausses contre le favori de Jacques VI et de Charles Ier.

Lorsqu’il comparait les crimes publics de ce ministre, crimes éclatants, crimes européens, si on pouvait le dire, avec les crimes privés et inconnus dont l’avait chargé milady, Felton trouvait que le plus coupable des deux hommes que renfermait Buckingham était celui dont le public ne connaissait pas la vie. C’est que son amour si étrange, si nouveau, si ardent, lui faisait voir les accusations infâmes et imaginaires de lady Winter, comme on voit au travers d’un verre grossissant, à l’état de monstres effroyables, des atomes imperceptibles en réalité auprès d’une fourmi.

La rapidité de sa course allumait encore son sang; l’idée qu’il laissait derrière lui, exposée à une vengeance effroyable, la femme qu’il aimait ou plutôt qu’il adorait comme une sainte, l’émotion passée, la fatigue présente, tout exaltait encore son âme au-dessus des sentiments humains.

Il entrait à Portsmouth vers les huit heures du matin; toute la population était sur pied; le tambour battait dans les rues et sur le port: les troupes d’embarquement descendaient vers la mer.

Felton arriva au palais de l’Amirauté, couvert de poussière et ruisselant de sueur; son visage, ordinairement si pâle, était pourpre de chaleur et de colère. La sentinelle voulut le repousser; mais Felton appela le chef du poste, et tirant de sa poche la lettre dont il était porteur:

–Message pressé de la part de lord Winter, dit-il.

Au nom de lord Winter, qu’on savait l’un des plus intimes de Sa Grâce, le chef du poste donna l’ordre de laisser passer Felton, qui, du reste, portait lui-même l’uniforme d’officier de marine.

Felton s’élança dans le palais.

Au moment où il entrait dans le vestibule, un homme entrait aussi, poudreux, hors d’haleine laissant à la porte un cheval de poste qui en arrivant tomba sur les deux genoux.

Felton et lui s’adressèrent en même temps à Patrick, le valet de chambre de confiance du duc. Felton nomma le baron de Winter, l’inconnu ne voulut nommer personne, et prétendit que c’était au duc seul qu’il pouvait se faire connaître. Tous deux insistaient pour passer l’un avant l’autre.

Patrick, qui savait que lord Winter était en affaires de service et en relations d’amitié avec le duc, donna la préférence à celui qui venait en son nom. L’autre fut forcé d’attendre, et il fut facile de voir combien il maudissait ce retard.

Le valet de chambre fit traverser à Felton une grande salle dans laquelle attendaient les députés de La Rochelle conduits par le prince de Soubise, et l’introduisit dans un cabinet où Buckingham, sortant du bain, achevait sa toilette, à laquelle, cette fois comme toujours, il accordait une attention extraordinaire.

–Le lieutenant Felton, dit Patrick, de la part de lord Winter.

–De la part de lord Winter! répéta Buckingham, faites entrer.

Felton entra. En ce moment Buckingham jeta sur un canapé une riche robe de chambre brochée d’or, pour endosser un pourpoint de velours bleu tout brodé de perles.

–Pourquoi le baron n’est-il pas venu lui-même? demanda Buckingham, je l’attendais ce matin.

–Il m’a chargé de dire à Votre Grâce, répondit Felton, qu’il regrettait fort de ne pas avoir cet honneur, mais qu’il en était empêché par la garde qu’il est obligé de faire au château.

–Oui, oui, dit Buckingham, je sais cela, il a une prisonnière.

–C’est justement de cette prisonnière que je voulais parler à Votre Grâce, reprit Felton.

–Eh bien! parlez.

–Ce que j’ai à vous en dire ne peut être entendu que de vous, milord.

–Laissez-nous, Patrick, dit Buckingham, mais tenez-vous à portée de la sonnette; je vous appellerai tout à l’heure.

Patrick sortit.

–Nous sommes seuls, monsieur, dit Buckingham, parlez.

–Milord, dit Felton, le baron de Winter vous a écrit l’autre jour pour vous prier de signer un ordre d’embarquement relatif à une jeune femme nommée Charlotte Backson.

–Oui, monsieur, et je lui ai répondu de n’apporter ou de m’envoyer cet ordre et que je le signerais.

–Le voici, milord.

–Donnez, dit le duc.

Et, le prenant des mains de Felton, il jeta sur le papier un coup d’œil rapide. Alors, s’apercevant que c’était bien celui qui lui était annoncé, il le posa sur la table, prit une plume et s’apprêta à signer.

–Pardon, milord, dit Felton arrêtant le duc, mais Votre Grâce sait-elle que le nom de Charlotte Backson n’est pas le véritable nom de cette jeune femme?

–Oui, monsieur, je le sais, répondit le duc en trempant la plume dans l’encrier.

–Alors Votre Grâce connaît son véritable nom? demanda Felton d’une voix brève.

–Je le connais.

Le duc approcha la plume du papier. Felton pâlit.

–Et, connaissant ce véritable nom, reprit Felton, monseigneur signera de même?

–Sans doute, dit Buckingham et plutôt deux fois qu’une.

–Je ne puis croire, continua Felton d’une voix qui devenait de plus en plus brève et saccadée, que Sa Grâce sache qu’il s’agit de lady Winter...

–Je le sais parfaitement, quoique je sois étonné que vous le sachiez, vous!

–Et Votre Grâce signera cet ordre sans remords?

Buckingham regarda le jeune homme avec hauteur.

–Ah çà, monsieur, savez-vous bien, lui dit-il, que vous me faites là d’étranges questions, et que je suis bien simple d’y répondre?

–Répondez-y, monseigneur, dit Felton, la situation est plus grave que vous ne le croyez peut-être.

Buckingham pensa que le jeune homme, venant de la part de lord Winter, parlait sans doute en son nom et se radoucit.

–Sans remords aucun, dit-il, et le baron sait comme moi que milady Winter est une grande coupable, et que c’est presque lui faire grâce que de borner sa peine à l’exportation.

Le duc posa la plume sur le papier.

–Vous ne signerez pas cet ordre, milord! dit Felton en faisant un pas vers le duc.

–Je ne signerai pas cet ordre! dit Buckingham, et pourquoi?

–Parce que vous descendrez en vous-même, et que vous rendrez justice à milady.

–On lui rendrait justice en l’envoyant à Tyburn, dit Buckingham; milady est une infâme.

–Monseigneur, milady est un ange, vous le savez bien, et je vous demande sa liberté.

–Oh çà! dit Buckingham, êtes-vous fou, de me parler ainsi?

–Milord, excusez-moi! je parle comme je puis; je me contiens. Cependant, milord, songez à ce que vous allez faire, et craignez d’outrepasser la mesure!

–Plaît-il?... Dieu me pardonne! s’écria Buckingham, mais je crois qu’il me menace!

–Non, milord, je prie encore, et je vous dis: Une goutte d’eau suffit pour faire déborder le vase plein, une faute légère peut attirer le châtiment sur la tête épargnée malgré tant de crimes.

–Monsieur Felton, dit Buckingham, vous allez sortir d’ici et vous rendre aux arrêts sur-le-champ.

–Vous allez m’écouter jusqu’au bout, milord. Vous avez séduit cette jeune fille, vous l’avez outragée, souillée; réparez vos crimes envers elle, laissez-la partir librement, et je n’exigerai pas autre chose de vous.

–Vous n’exigerez pas! dit Buckingham regardant Felton avec étonnement et appuyant sur chacune des syllabes des trois mots qu’il venait de prononcer.

–Milord, continua Felton s’exaltant à mesure qu’il parlait, milord, prenez garde, toute l’Angleterre est lasse de vos iniquités; milord, vous avez abusé de la puissance royale, que vous avez presque usurpée; milord, vous êtes en horreur aux hommes et à Dieu; Dieu vous punira plus tard, mais, moi, je vous punirai aujourd’hui.

–Ah! ceci est trop fort! cria Buckingham en faisant un pas vers la porte.

Felton lui barra le passage.

–Je vous le demande humblement, dit-il, signez l’ordre de mise en liberté de lady Winter; songez que c’est la femme que vous avez déshonorée.

–Retirez-vous, monsieur, dit Buckingham, ou j’appelle et je vous fais mettre aux fers.

–Vous n’appellerez pas, dit Felton en se jetant entre le duc et la sonnette placée sur un guéridon incrusté d’argent; prenez garde, milord, vous voilà entre les mains de Dieu.

–Dans les mains du diable, vous voulez dire, s’écria Buckingham en élevant la voix pour attirer du monde, sans cependant appeler directement.

–Signez, milord, signez la liberté de lady Winter, dit Felton en poussant un papier vers le duc.

–De force! vous moquez-vous! holà, Patrick!

–Signez, milord!

–Jamais!

–Jamais!

–A moi! cria le duc, et en même temps il sauta sur son épée.

Mais Felton ne lui donna pas le temps de la tirer: il tenait tout ouvert dans sa poitrine le couteau dont s’était frappée milady; d’un bond il fut sur le duc.

En ce moment Patrick entrait dans la salle en criant:

–Milord, une lettre de France!

–De France! s’écria Buckingham avec enthousiasme, oubliant tout en pensant à celle de qui lui venait cette lettre.

Felton profita du moment et lui enfonça dans le flanc le couteau jusqu’au manche.

–Ah! traître! cria Buckingham, tu m’as tué...

–Au meurtre! hurla Patrick.

Felton jeta les yeux autour de lui pour fuir et, voyant la porte libre, s’élança dans la chambre voisine, qui était celle où attendaient, comme nous l’avons dit, les députés de La Rochelle, la traversa tout en courant et se précipita vers l’escalier; mais, sur la première marche il rencontra lord Winter, qui, le voyant pâle, égaré, livide, taché de sang à la main et à la figure, lui sauta au cou en s’écriant:

–Je le savais, je l’avais deviné une minute trop tard! oh! malheureux, malheureux que je suis!

Felton ne fit aucune résistance; lord Winter le remit aux mains des gardes, qui le conduisirent, en attendant de nouveaux ordres, sur une petite terrasse dominant la mer, et s’élança dans le cabinet de Buckingham.

Au cri poussé par le duc, à l’appel de Patrick, l’homme que Felton avait rencontré dans l’antichambre se précipita dans le cabinet.

Il trouva le duc couché sur un sofa, serrant sa blessure dans sa main crispée.

–La Porte, dit le duc d’une voix mourante, La Porte, viens-tu de sa part?

–Oui, monseigneur, répondit le fidèle portemanteau d’Anne d’Autriche, mais trop tard peut-être.

–Silence, La Porte! on pourrait vous entendre; Patrick, ne laissez entrer personne; oh, je ne saurai pas ce qu’elle me fait dire! mon Dieu! je me meurs!

Et le duc s’évanouit.

Cependant, lord Winter, les députés, les chefs de l’expédition, les officiers de la maison de Buckingham, avaient fait irruption dans sa chambre; partout des cris de désespoir retentissaient. La nouvelle qui emplissait le palais de plaintes et de gémissements en déborda bientôt et se répandit par la ville.

Un coup de canon annonça qu’il venait de se passer quelque chose de nouveau et d’inattendu.

Lord Winter s’arrachait les cheveux.

–Trop tard d’une minute! s’écriait-il, trop tard d’une minute! oh, mon Dieu, mon Dieu, quel malheur!

En effet, on était venu lui dire dès sept heures du matin qu’une échelle de corde flottait à une des fenêtres du château; il avait couru aussitôt à la chambre de milady, avait trouvé la chambre vide et la fenêtre ouverte, les barreaux sciés, s’était rappelé la recommandation verbale que d’Artagnan lui avait fait transmettre par son messager, avait tremblé pour le duc, et, courant à l’écurie, sans prendre le temps de faire seller un cheval, avait sauté sur le premier venu, était accouru ventre à terre, avait sauté à bas dans la cour, avait monté précipitamment l’escalier, et, sur le premier degré, avait, comme nous l’avons dit, rencontré Felton.

Cependant le duc n’était pas mort: il revint à lui, rouvrit les yeux, et l’espoir rentra dans tous les cœurs.

–Messieurs, dit-il, laissez-moi seul avec Patrick et La Porte. Ah! c’est vous, de Winter! vous m’avez envoyé ce matin un singulier fou, voyez l’état dans lequel il m’a mis!

–Oh! milord! s’écria le baron, je ne m’en consolerai jamais.

–Et tu aurais tort, mon cher de Winter, dit Buckingham en lui tendant la main, je ne connais pas d’homme qui mérite d’être regretté pendant toute la vie d’un autre homme; mais laisse-nous, je t’en prie.

Le baron sortit en sanglotant.

Il ne resta dans le cabinet que le duc blessé, La Porte et Patrick.

On cherchait un médecin, qu’on ne pouvait trouver.

–Vous vivrez, milord, vous vivrez, répétait, à genoux devant le sofa du duc, le fidèle serviteur d’Anne d’Autriche.

–Que m’écrivait-elle? dit faiblement Buckingham tout ruisselant de sang et domptant, pour parler de celle qu’il aimait, d’atroces douleurs. Que m’écrivait-elle? Lis-moi sa lettre.

–Oh! milord! fit La Porte.

–Obéis, La Porte; ne vois-tu pas que je n’ai pas de temps à perdre?

La Porte rompit le cachet, et plaça le parchemin sous les yeux du duc; mais Buckingham essaya vainement de distinguer l’écriture.

–Lis donc, dit-il, lis donc, je n’y vois plus; lis donc! car bientôt peut-être je n’entendrai plus, et je mourrai sans savoir ce qu’elle m’a écrit.

La Porte ne fit plus de difficulté, et lut:

«Milord.

»Par ce que j’ai souffert depuis que je vous connais, par vous et pour vous, je vous conjure, si vous avez souci de mon repos, d’interrompre ces grands armements que vous faites contre la France et de cesser une guerre dont on dit tout haut que la religion est la cause visible, et tout bas que votre amour pour moi est la cause cachée. Cette guerre peut non seulement amener pour la France et pour l’Angleterre de grandes catastrophes, mais encore pour vous, milord, des malheurs dont je ne me consolerais pas.

»Veillez sur votre vie, que l’on menace et qui me sera chère du moment où je ne serai pas obligée de voir en vous un ennemi.

»Votre affectionnée,

»ANNE.»

Buckingham rappela tous les restes de sa vie pour écouter cette lecture; puis, lorsqu’elle fut finie, comme s’il eût trouvé dans cette lettre un amer désappointement:

–N’avez-vous donc pas autre chose à me dire de vive voix, La Porte? demanda-t-il.

–Si fait, monseigneur: la reine m’avait chargé de vous dire de veiller sur vous, car elle avait eu avis qu’on voulait vous assassiner.

–Et c’est tout, c’est tout? reprit Buckingham avec impatience.

–Elle m’avait encore chargé de vous dire qu’elle vous aimait toujours.

–Ah! fit Buckingham, Dieu soit loué! ma mort ne sera donc pas pour elle la mort d’un étranger!...

La Porte fondit en larmes.

–Patrick, dit le duc, apportez-moi le coffret où étaient les ferrets de diamants.

Patrick apporta l’objet demandé, que La Porte reconnut pour avoir appartenu à la reine.

–Maintenant le sachet de satin blanc, où son chiffre est brodé en perles.

Patrick obéit encore.

–Tenez, La Porte, dit Buckingham, voici les seuls gages que j’eusse à elle, ce coffret d’argent et ces deux lettres. Vous les rendrez à Sa Majesté; et pour dernier souvenir... (il chercha autour de lui quelque objet précieux)... vous y joindrez...

Il chercha encore; mais ses regards obscurcis par la mort ne rencontrèrent que le couteau tombé des mains de Felton, et fumant encore du sang vermeil étendu sur la lame.

–Et vous y joindrez ce couteau, dit le duc en serrant la main de La Porte.

Il put encore mettre le sachet au fond du coffret d’argent, y laissa tomber le couteau en faisant signe à La Porte qu’il ne pouvait plus parler: puis, dans une dernière convulsion, que cette fois il n’avait plus la force de combattre, il glissa du sofa sur le parquet.

Patrick poussa un grand cri.

Buckingham voulut sourire une dernière fois; mais la mort arrêta sa pensée, qui resta gravée sur son front comme un dernier baiser d’amour.

En ce moment le médecin du duc arriva tout effaré; il était déjà à bord du vaisseau amiral, on avait été obligé d’aller le chercher là.

Il s’approcha du duc, prit sa main, la garda un instant dans la sienne et la laissa retomber.

–Tout est inutile, dit-il, il est mort.

–Mort, mort! s’écria Patrick.

A ce cri toute la foule rentra dans la salle, et partout ce ne fut plus que consternation et que tumulte.

Aussitôt que lord Winter vit Buckingham expiré, il courut à Felton, que les soldats gardaient toujours sur la terrasse du palais.

–Misérable! dit-il au jeune homme, qui depuis la mort de Buckingham avait retrouvé ce calme et ce sang-froid qui ne devaient plus l’abandonner; misérable! qu’as-tu fait?

–Je me suis vengé, dit-il.

–Toi! dit le baron; dis que tu as servi d’instrument à cette femme maudite; mais je le jure, ce crime sera son dernier crime.

–Je ne sais ce que vous voulez dire, reprit tranquillement Felton, et j’ignore de qui vous voulez parler, milord; j’ai tué M. de Buckingham parce qu’il a refusé deux fois à vous-même de me nommer capitaine: je l’ai puni de son injustice, voilà tout.

De Winter, stupéfait, regardait les gens qui liaient Felton, et ne savait que penser d’une pareille insensibilité.

Une seule chose jetait cependant un nuage sur le front pur de Felton. A chaque bruit qu’il entendait, le naïf puritain croyait reconnaître les pas et la voix de milady venant se jeter dans ses bras pour s’accuser et se perdre avec lui.

Tout à coup il tressaillit, son regard se fixa sur un point de la mer, que de la terrasse où il se trouvait on dominait tout entière; avec ce regard d’aigle du marin, il avait reconnu, là où un autre n’aurait vu qu’un goéland se balançant sur les flots, la voile du sloop qui se dirigeait vers les côtes de France.

Il pâlit, porta la main à son cœur, qui se brisait, et comprit toute la trahison.

–Une dernière grâce, milord! dit-il au baron.

–Laquelle? demanda celui-ci.

–Quelle heure est-il?

Le baron tira sa montre.

–Neuf heures moins dix minutes, dit-il.

Milady avait avancé son départ d’une heure et demie; dès qu’elle avait entendu le coup de canon qui annonçait le fatal événement, elle avait donné l’ordre de lever l’ancre.






La barque voguait sous un ciel bleu à une grande distance de la côte.

–Dieu l’a voulu, dit-il avec la résignation du fanatique, mais cependant sans pouvoir détacher les yeux de cet esquif à bord duquel il croyait sans doute distinguer le blanc fantôme de celle à qui sa vie allait être sacrifiée.

De Winter suivit son regard, interrogea sa souffrance et devina tout.

–Sois puni seul d’abord, misérable, dit lord Winter à Felton, qui se laissait entraîner, les yeux tournés vers la mer; mais je te jure, sur la mémoire de mon frère que j’aimais tant, que ta complice n’est pas sauvée.

Felton baissa la tête sans prononcer une syllabe.

Quant à de Winter, il descendit rapidement l’escalier et se rendit au port.






XXX

EN FRANCE

La première crainte du roi d’Angleterre, Charles Ier, en apprenant cette mort, fut qu’une si terrible nouvelle ne décourageât les Rochelais; il essaya, dit Richelieu dans ses Mémoires, de la leur cacher le plus longtemps possible, faisant fermer les ports par tout son royaume, et prenant soigneusement garde qu’aucun vaisseau ne sortît jusqu’à ce que l’armée que Buckingham apprêtait fût partie, se chargeant, à défaut de Buckingham, de surveiller lui-même le départ.

Il poussa même la sévérité de cet ordre jusqu’à retenir en Angleterre les ambassadeurs de Danemark, qui avaient pris congé, et l’ambassadeur ordinaire de Hollande, qui devait ramener dans le port de Flessingue les navires des Indes que Charles Ier avait fait restituer aux Provinces-Unies.

Mais comme il ne songea à donner cet ordre que cinq heures après l’assassinat, c’est-à-dire à deux heures de l’après-midi, deux navires étaient déjà sortis des ports: l’un emmenant, comme nous le savons, milady, laquelle, se doutant déjà de l’événement, fut encore confirmée dans cette croyance en voyant le pavillon noir se déployer au mât du vaisseau amiral.

Quant au second bâtiment, nous dirons plus tard qui il portait et comment il partit.

Pendant ce temps, du reste, rien de nouveau au camp de La Rochelle; seulement le roi, qui s’ennuyait fort, comme toujours, mais peut-être encore un peu plus au camp qu’ailleurs, résolut d’aller incognito passer les fêtes de Saint Louis à Saint-Germain, et demanda au cardinal de lui faire préparer une escorte de vingt mousquetaires seulement. Le cardinal, que l’ennui du roi gagnait quelquefois, accorda avec grand plaisir ce congé à son royal lieutenant, lequel promit d’être de retour vers le 15 septembre.

M. de Tréville, prévenu par Son Éminence, fit son porte-manteau, et comme, sans en savoir la cause, il savait le vif désir et même l’impérieux besoin que ses amis avaient de revenir à Paris, il va sans dire qu’il les désigna pour faire partie de l’escorte.

Les quatre jeunes gens surent la nouvelle un quart d’heure après M. de Tréville, car ils furent les premiers à qui il la communiqua. Ce fut alors que d’Artagnan apprécia la faveur que lui avait faite le cardinal en le faisant enfin passer aux mousquetaires; sans cette circonstance, il était forcé de rester au camp tandis que ses compagnons partaient.

Il va sans dire que cette impatience de remonter vers Paris avait pour cause le danger que devait courir madame Bonacieux, au couvent de Béthune, poursuivie sûrement par milady, son ennemie mortelle. Aussi, comme nous l’avons dit, Aramis avait écrit immédiatement à Marie Michon, cette lingère de Tours qui avait de si belles connaissances, pour qu’elle obtînt que la reine donnât l’autorisation à madame Bonacieux de sortir du couvent, et de se retirer, soit en Lorraine, soit en Belgique. La réponse ne s’était pas fait attendre, et, huit ou dix jours après, Aramis avait reçu cette lettre:

«Mon cher cousin,

»Voici l’autorisation de ma sœur à retirer notre petite servante du couvent de Béthune, dont vous croyez l’air mauvais pour elle. Ma sœur vous envoie cette autorisation avec grand plaisir, car elle aime fort cette petite fille, à laquelle elle se réserve d’être utile plus tard.

»Je vous embrasse,

»MARIE MICHON.»

A cette lettre était jointe une autorisation conçue en ces termes:

«La supérieure du couvent de Béthune remettra aux mains de la personne qui lui portera ce billet la novice qui était entrée dans son couvent sur ma recommandation et sous mon patronage.

»Au Louvre, le 10 août 1628.

»ANNE.»

On comprend combien ces relations de parenté entre Aramis et une lingère qui appelait la reine sa sœur avaient égayé la verve des jeunes gens; mais Aramis avait prié ses amis de ne plus revenir sur ce sujet, déclarant que s’il lui en était dit encore un seul mot, il n’emploierait plus sa cousine comme intermédiaire dans ces sortes d’affaires.

Il ne fut donc plus question de Marie Michon entre les quatre mousquetaires, qui d’ailleurs avaient ce qu’ils voulaient: c’était l’ordre de tirer madame Bonacieux du couvent des Carmélites de Béthune. Il est vrai que cet ordre ne leur servirait pas à grand’chose tant qu’ils seraient au camp de La Rochelle, c’est-à-dire à l’autre bout de la France; aussi d’Artagnan allait-il demander un congé à M. de Tréville, en lui confiant tout bonnement l’importance de son départ, lorsque cette nouvelle lui fut transmise, ainsi qu’à ses trois compagnons, que le roi allait partir pour Paris avec une escorte de vingt mousquetaires, et qu’ils faisaient partie de l’escorte. La joie fut grande. On envoya les valets devant avec les bagages, et l’on partit le 16 au matin. Le cardinal reconduisit Sa Majesté de Surgères à Mauzé, et là, le roi et son ministre prirent congé l’un de l’autre avec de grandes démonstrations d’amitié.

Cependant le roi, qui cherchait de la distraction, tout en cheminant le plus vite qu’il lui était possible, car il désirait être arrivé à Paris pour le 23, s’arrêtait de temps en temps pour voir voler la pie, passe-temps dont le goût lui avait autrefois été inspiré par de Luynes, et pour lequel il avait toujours conservé une grande prédilection. Sur les vingt mousquetaires, seize, lorsque la chose arriva, se réjouissaient fort de ce bon temps; mais quatre maugréaient de leur mieux. D’Artagnan surtout avait des bourdonnements perpétuels dans les oreilles, ce que Porthos expliquait ainsi:

–Une très grande dame m’a appris que cela veut dire que l’on parle de vous quelque part.

Enfin l’escorte traversa Paris le 23, dans la nuit; le roi remercia M. de Tréville, et lui permit de distribuer des congés pour quatre jours, à la condition que pas un des favorisés ne paraîtrait dans un lieu public, sous peine de la Bastille.

Les quatre premiers congés accordés, comme on le pense bien, furent à nos quatre amis. Il y a plus, Athos obtint de M. de Tréville six jours au lieu de quatre, et fit mettre dans ces six jours deux nuits de plus, car ils partirent le 24, à cinq heures du soir, et, par complaisance, M. de Tréville postdata le congé du 25 au matin.

–Eh, mon Dieu! disait d’Artagnan, qui, comme on le sait, ne doutait jamais de rien, il me semble que nous faisons bien de l’embarras pour une chose bien simple: en deux jours, et en crevant deux ou trois chevaux (peu m’importe, j’ai de l’argent), je suis à Béthune, je remets la lettre de la reine à la supérieure, et je ramène le cher trésor que je vais chercher, non pas en Lorraine, non pas en Belgique, mais à Paris, où il sera mieux caché, surtout tant que M. le cardinal sera à La Rochelle. Puis, une fois de retour de la campagne, eh bien! moitié par la protection de sa cousine, moitié en faveur de ce que nous avons fait personnellement pour elle, nous obtiendrons de la reine ce que nous voudrons. Restez donc ici, ne vous épuisez pas de fatigue inutilement; moi et Planchet, c’est tout ce qu’il faut pour une expédition aussi simple.

A ceci Athos répondit tranquillement:

–Nous aussi, nous avons de l’argent; car je n’ai pas encore bu tout à fait le reste du diamant, et Porthos et Aramis ne l’ont pas tout à fait mangé. Nous crèverons donc aussi bien quatre chevaux qu’un. Mais songez, d’Artagnan, ajouta-t-il d’une voix si sombre, que son accent donna le frisson au jeune homme, songez que Béthune est une ville où le cardinal a donné rendez-vous à une femme qui, partout où elle va, mène le malheur après elle. Si vous n’aviez affaire qu’à quatre hommes, d’Artagnan, je vous laisserais aller seul; vous avez affaire à cette femme, allons-y quatre, et plaise à Dieu qu’avec nos quatre valets nous soyons en nombre suffisant!

–Vous m’épouvantez, Athos, s’écria d’Artagnan; mais que craignez-vous donc?

–Tout! répondit Athos.

D’Artagnan examina les visages de ses compagnons, qui, comme celui d’Athos, portaient l’empreinte d’une inquiétude profonde, et l’on continua la route au plus grand pas des chevaux, mais sans ajouter une seule parole.

Le 25 au soir, comme ils entraient à Arras, et comme d’Artagnan venait de mettre pied à terre à l’auberge de la Herse-d’Or pour boire un verre de vin, un cavalier sortit de la cour de la poste, où il venait de relayer, prenant au grand galop, et avec un cheval frais, le chemin de Paris. Alors qu’il passait de la grande porte dans la rue, le vent entrouvrit le manteau dont il était enveloppé, quoiqu’on fût au mois d’août, et enleva son chapeau, que le voyageur retint de sa main, au moment où il avait déjà quitté sa tête, et l’enfonça vivement sur son front.

D’Artagnan, qui avait les yeux fixés sur cet homme, devint fort pâle et laissa tomber son verre.

–Qu’avez-vous, monsieur? dit Planchet... Oh! là, accourez, messieurs, voilà mon maître qui se trouve mal!

Les trois amis accoururent et trouvèrent d’Artagnan qui, au lieu de se trouver mal, courait à son cheval. Ils l’arrêtèrent sur le seuil de la porte.

–Eh bien! où diable vas-tu donc ainsi? lui cria Athos.

–C’est lui! s’écria d’Artagnan, c’est lui! laissez-moi le rejoindre!

–Mais qui, lui? demanda Athos.

–Lui, cet homme!

–Quel homme?

–Cet homme maudit, mon mauvais génie, que j’ai toujours vu lorsque j’étais menacé de quelque malheur: celui qui accompagnait l’horrible femme lorsque je la rencontrai pour la première fois, celui que je cherchais quand j’ai provoqué notre ami Athos, celui que j’ai vu le matin même du jour où madame Bonacieux a été enlevée! Je l’ai vu, c’est lui! Je l’ai reconnu quand le vent a entr’ouvert son manteau.

–Diable! dit Athos rêveur.

–En selle, messieurs, en selle; poursuivons-le, et nous le rattraperons.

–Mon cher, dit Aramis, songez qu’il va du côté opposé à celui où nous allons; qu’il a un cheval frais et nous des chevaux fatigués; que par conséquent nous crèverons nos chevaux sans même avoir la chance de le rejoindre. Laissons l’homme, d’Artagnan, sauvons la femme.

–Eh! monsieur! s’écria un garçon d’écurie courant après l’inconnu, eh! monsieur! voilà un papier qui s’est échappé de votre chapeau! Eh! monsieur! eh!

–Mon ami, dit d’Artagnan, une demi-pistole pour ce papier!

–Ma foi, monsieur, avec grand plaisir! le voici!

Le garçon d’écurie, enchanté de la bonne journée qu’il avait faite, rentra dans la cour de l’hôtel; d’Artagnan déplia le papier.

–Eh bien? demandèrent ses amis en l’entourant.

–Rien qu’un mot! dit d’Artagnan.

–Oui, dit Aramis, mais ce mot est un nom de ville ou de village.

–«Armentières,» lut Porthos. Armentières, je ne connais pas cela!


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