Текст книги "Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir)"
Автор книги: Alexandre Dumas
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Зарубежная классика
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»—Vous! m’écriai-je, vous!
»—A l’infamie éternelle, ineffaçable!
»—Vous! répétai-je.—Oh! je vous le dis, Felton, je le croyais insensé!
»—Oui, moi! reprit-il.
»—Ah! laissez-moi, lui dis-je, sortez, si vous ne voulez pas qu’à vos yeux je me brise la tête contre la muraille!
»—C’est bien, reprit-il, vous le voulez, à demain soir!
»—A demain soir! répondis-je en me laissant tomber et en mordant le tapis de rage...
Felton s’appuyait sur un meuble, et milady voyait avec une joie de démon que la force lui manquerait peut-être avant la fin du récit.
XXVII
UN MOYEN DE TRAGÉDIE CLASSIQUE
Après un moment de silence employé par milady à observer le jeune homme qui l’écoutait, milady continua son récit:
–Il y avait près de trois jours que je n’avais ni bu ni mangé, je souffrais des tortures atroces: parfois il me passait comme des nuages qui me serraient le front, qui me voilaient les yeux: c’était le délire.
»Le soir vint, j’étais si faible, qu’à chaque instant je m’évanouissais, et à chaque fois que je m’évanouissais je remerciais Dieu, car je croyais que j’allais mourir. Au milieu de l’un de ces évanouissements, j’entendis la porte s’ouvrir; la terreur me rappela à moi. Il entra chez moi suivi d’un homme masqué, il était masqué lui-même; mais je reconnus son pas, je reconnus sa voix, je reconnus cet air imposant que l’enfer a donné à sa personne pour le malheur de l’humanité.
»—Eh bien! me dit-il, êtes-vous décidée à me faire le serment que je vous ai demandé?
»—Vous l’avez dit, les puritains n’ont qu’une parole: la mienne, vous l’avez entendue, c’est de vous poursuivre sur la terre au tribunal des hommes, dans le ciel au tribunal de Dieu!
»—Ainsi, vous persistez?
»—Je le jure devant ce Dieu qui m’entend: je prendrai le monde entier à témoin de votre crime, et cela jusqu’à ce que j’aie trouvé un vengeur.
»—Vous êtes une prostituée, dit-il d’une voix tonnante, et vous subirez le supplice des prostituées! Flétrie aux yeux du monde que vous invoquerez, tâchez de prouver à ce monde que vous n’êtes ni coupable ni folle!
»Puis s’adressant à l’homme qui l’accompagnait:
»—Bourreau, dit-il, fais ton devoir!
–Oh! son nom, son nom! s’écria Felton; son nom, dites-le-moi!
–Alors, malgré mes cris, malgré ma résistance, car je commençais à comprendre qu’il s’agissait pour moi de quelque chose de pire que la mort, le bourreau me saisit, me renversa sur le parquet, me meurtrit de ses étreintes, et, suffoquée par les sanglots, presque sans connaissance, invoquant Dieu, qui ne m’écoutait pas, je poussai tout à coup un effroyable cri de douleur et de honte; un feu brûlant, un fer rouge, le fer du bourreau, s’était imprimé sur mon épaule.
Felton poussa un rugissement.
–Tenez, dit milady en se levant alors avec une majesté de reine, tenez, Felton, voyez comment on a inventé un nouveau martyre pour la jeune fille pure et cependant victime de la brutalité d’un scélérat. Apprenez à connaître le cœur des hommes, et désormais faites-vous moins facilement l’instrument de leurs injustes vengeances.
Milady d’un geste rapide ouvrit sa robe, déchira la batiste qui couvrait son sein, et, rouge d’une fausse colère et d’une honte jouée, montra au jeune homme l’empreinte ineffaçable qui déshonorait cette épaule si belle.
–Mais, s’écria Felton. c’est une fleur de lis que je vois là!
–Et voilà justement où est l’infamie, répondit milady. La flétrissure d’Angleterre!... il fallait prouver quel tribunal me l’avait imposée, et alors j’aurais fait un appel public à tous les tribunaux du royaume; mais la flétrissure de France... oh! par elle, par elle, j’étais bien réellement flétrie.
C’en était trop pour Felton.
Pâle et immobile, écrasé par cette révélation effroyable, ébloui par la beauté surhumaine de cette femme qui se dévoilait à lui avec une impudeur qu’il trouva sublime, il finit par tomber à genoux devant elle comme faisaient les premiers chrétiens devant ces pures et saintes martyres que la persécution des empereurs livrait dans le cirque à la sanguinaire lubricité des populaces. La flétrissure disparut, la beauté seule resta.
–Pardon, pardon! s’écria Felton, oh! pardon! Milady lut dans ses yeux: Amour, amour!
–Pardon de quoi? demanda-t-elle.
–Pardon de m’être joint à vos persécuteurs. Milady lui tendit la main.
–Si belle, si jeune! s’écria Felton en couvrant cette main de baisers.
Milady laissa tomber sur lui un de ces regards qui d’un esclave font un roi.
Felton était puritain: il quitta la main de cette femme pour baiser ses pieds.
Il faisait plus que de l’aimer, il l’adorait.
Quand cette crise fut passée, quand milady parut avoir repris son sang-froid, qu’elle n’avait pas perdu un seul instant; lorsque Felton eut vu se refermer sous le voile de la chasteté ces trésors d’amour qu’on ne lui cachait si bien que pour les lui faire désirer plus ardemment:
–Ah maintenant, dit-il, je n’ai plus qu’une chose à vous demander, c’est le nom de votre véritable bourreau, car pour moi il n’y en a qu’un; l’autre était l’instrument, voilà tout.
–Eh quoi, frère! s’écria milady, faut-il encore que je te le nomme, et tu ne l’as pas deviné?
–Quoi! reprit Felton, lui!... encore lui!... toujours lui!... Quoi! le vrai coupable...
–Le vrai coupable, dit milady, c’est le ravageur de l’Angleterre et le persécuteur des vrais croyants, le lâche ravisseur de l’honneur de tant de femmes, celui qui pour un caprice de son cœur corrompu va faire verser tant de sang à l’Angleterre, qui protège les protestants aujourd’hui et qui les trahira demain...
–Buckingham! c’est donc Buckingham! s’écria Felton exaspéré.
Milady cacha son visage dans ses mains, comme si elle n’eût pu supporter la honte que lui rappelait ce nom.
–Buckingham, le bourreau de cette angélique créature! s’écria Felton. Et tu ne l’as pas foudroyé, mon Dieu! et tu l’as laissé noble, honoré, puissant pour notre perte à tous!
–Dieu abandonne qui s’abandonne lui-même, dit milady.
–Mais il veut donc attirer sur sa tête le châtiment réservé aux maudits! continua Felton avec une exaltation croissante, il veut donc que la vengeance humaine prévienne la justice céleste!
–Les hommes le craignent et l’épargnent.
–Oh! moi, dit Felton, je ne le crains pas et je ne l’épargnerai pas!...
Milady sentit son âme baignée d’une joie infernale.
–Mais comment lord Winter, mon protecteur, mon père, demanda Felton, se trouve-t-il mêlé à tout cela?
–Écoutez, Felton, reprit milady, car à côté des hommes lâches et méprisables, il est encore des natures grandes et généreuses. J’avais un fiancé, un homme que j’aimais et qui m’aimait; un cœur comme le vôtre, Felton, un homme comme vous. Je vins à lui et je lui racontai tout; il me connaissait, celui-là, et ne douta point un instant. C’était un grand seigneur, c’était un homme en tout point l’égal de Buckingham. Il ne dit rien, il ceignit seulement son épée, s’enveloppa de son manteau et se rendit à Buckingham-Palace.
–Oui, oui, dit Felton, je comprends; quoique avec de pareils hommes ce ne soit pas l’épée qu’il faille employer, mais le poignard.
–Buckingham était parti depuis la veille, envoyé comme ambassadeur en Espagne, où il allait demander la main de l’infante pour le roi Charles Ier, qui n’était alors que prince de Galles. Mon fiancé revint.
«—Écoutez, me dit-il, cet homme est parti, et pour le moment, par conséquent, il échappe à ma vengeance; mais en attendant soyons unis, comme nous devions l’être, puis rapportez-vous-en à lord Winter pour soutenir son honneur et celui de sa femme.
–Lord Winter! s’écria Felton.
–Oui, dit milady, lord Winter, et maintenant vous devez tout comprendre, n’est-ce pas? Buckingham resta près d’un an absent. Huit jours avant son arrivée, lord Winter mourut subitement, me laissant sa seule héritière. D’où venait le coup? Dieu, qui sait tout, le sait sans doute, moi je n’accuse personne...
–Oh! quel abîme, quel abîme! s’écria Felton.
–Lord Winter était mort sans rien dire à son frère. Le secret terrible devait être caché à tous, jusqu’à ce qu’il éclatât comme la foudre sur la tête du coupable. Votre protecteur avait vu avec peine ce mariage de son frère aîné avec une jeune fille sans fortune. Je sentis que je ne pouvais attendre d’un homme trompé dans ses espérances d’héritage aucun appui. Je passai en France, résolue à y demeurer pendant tout le reste de ma vie. Mais toute ma fortune est en Angleterre; les communications fermées par la guerre, tout me manqua: force fut alors d’y revenir; il y a six jours j’abordai à Portsmouth.
–Eh bien? dit Felton.
–Eh bien! Buckingham apprit sans doute mon retour, il parla de moi à lord Winter, déjà prévenu contre moi, et lui dit que sa belle-sœur était une prostituée, une femme flétrie. La voix pure et noble de mon mari n’était plus là pour me défendre. Lord Winter crut tout ce qu’on lui dit, avec d’autant plus de facilité qu’il avait intérêt à le croire. Il me fit arrêter, me conduisit ici, me remit sous votre garde. Vous savez le reste; après-demain il me bannit, il me déporte; après-demain il me relègue parmi les infâmes. Oh! la trame est bien ourdie, allez! le complot est habile et mon honneur n’y survivra pas. Vous voyez bien qu’il faut que je meure, Felton; Felton, donnez-moi ce couteau!
Et à ces mots, comme si toutes ses forces étaient épuisées, milady se laissa aller débile et languissante entre les bras du jeune officier, qui, ivre d’amour, de colère et de voluptés inconnues, la reçut avec transport, la serra contre son cœur, tout frissonnant à l’haleine de cette bouche si belle, tout éperdu du contact de ce sein si palpitant.
–Non, non, dit-il; non, tu vivras honorée et pure, tu vivras pour triompher de tes ennemis,
Milady le repoussa lentement de la main en l’attirant du regard; mais Felton, à son tour, s’empara d’elle, l’implorant comme une divinité.
–Oh! la mort, la mort! dit-elle en voilant sa voix et ses paupières, oh! la mort plutôt que la honte; Felton, mon frère, mon ami, je t’en conjure!
–Non, s’écria Felton, non, tu vivras, et tu vivras vengée!
–Felton, je porte malheur à tout ce qui m’entoure! Felton, abandonne-moi! Felton, laisse-moi mourir!
–Eh bien! nous mourrons donc ensemble! s’écria-t-il en appuyant ses lèvres sur celles de la prisonnière.
Plusieurs coups retentirent à la porte; cette fois, milady le repoussa réellement.
–Écoute, dit-elle, on nous a entendus, on vient! c’en est fait, nous sommes perdus!
–Non, dit Felton, c’est la sentinelle qui me prévient seulement qu’une ronde arrive.
–Alors, courez à la porte et ouvrez vous-même.
Felton obéit; cette femme était déjà toute sa pensée, toute son âme. Il se trouva en face d’un sergent commandant une patrouille de surveillance.
–Eh bien! qu’y a-t-il? demanda le jeune lieutenant.
–Vous m’aviez dit d’ouvrir la porte si j’entendais crier au secours, dit le soldat, mais vous aviez oublié de me laisser la clé; je vous ai entendu crier sans comprendre ce que vous disiez, j’ai voulu ouvrir la porte, elle était fermée en dedans, alors j’ai appelé le sergent.
–Et me voilà, dit le sergent.
Felton, égaré, presque fou, demeurait sans voix. Milady comprenant que c’était à elle de s’emparer de la situation, courut à la table et prit le couteau qu’y avait déposé Felton:
–Et de quel droit voulez-vous m’empêcher de mourir?
–Grand Dieu! s’écria Felton en voyant le couteau luire à sa main.
En ce moment, un éclat de rire ironique retentit dans le corridor. Le baron, attiré par le bruit, en robe de chambre, son épée sous le bras, se tenait debout sur le seuil de la porte.
–Ah! ah! dit-il, nous voici au dernier acte de la tragédie; vous le voyez, Felton, le drame a suivi toutes les phases que j’avais indiquées; mais soyez tranquille, le sang ne coulera pas.
Milady comprit qu’elle était perdue si elle ne donnait pas à Felton une preuve immédiate et terrible de son courage,
–Vous vous trompez, milord, le sang coulera, et puisse ce sang retomber sur ceux qui le font couler!
Felton jeta un cri et se précipita vers elle; il était trop tard: milady s’était frappée.
Mais le couteau avait rencontré fort heureusement, nous devrions dire adroitement, le busc de fer qui, à cette époque, défendait comme une cuirasse la poitrine des femmes; il avait glissé en déchirant la robe, et avait pénétré de biais entre la chair et les côtes. La robe de milady n’en fut pas moins tachée de sang en une seconde. Milady était tombée à la renverse et semblait évanouie, Felton arracha le couteau.
–Voyez, milord, dit-il d’un air sombre, voici une femme qui était sous ma garde et qui s’est tuée!
–Soyez tranquille, Felton, dit lord Winter, elle n’est pas morte, les démons ne meurent pas si facilement; soyez tranquille et allez m’attendre chez moi.
–Mais, milord...
–Allez, je vous l’ordonne.
A cette injonction de son supérieur, Felton obéit; mais, en sortant, il mit le couteau dans sa poitrine.
Quant à lord Winter, il se contenta d’appeler la femme qui servait milady, et, lorsqu’elle fut venue, lui recommandant la prisonnière toujours évanouie, il la laissa seule avec elle.
Cependant, la blessure pouvant être grave, il envoya, à l’instant même, un homme à cheval chercher un médecin.
XXVIII
ÉVASION
Comme l’avait pensé lord Winter, la blessure de milady n’était pas dangereuse; aussi, dès qu’elle se trouva seule avec la femme que le baron avait fait appeler et qui se hâtait de la déshabiller, rouvrit-elle les yeux.
Cependant, il fallait jouer la faiblesse et la douleur; ce n’étaient pas choses difficiles pour une comédienne comme milady; la pauvre femme fut complètement dupe de la prisonnière, et malgré ses instances, s’obstina à veiller toute la nuit.
Mais la présence de cette femme n’empêchait pas milady de songer. Il n’y avait plus de doute, Felton était convaincu, Felton était à elle: un ange apparût-il au jeune homme pour accuser milady, il le prendrait certainement, dans la disposition d’esprit où il se trouvait, pour un envoyé du démon. Milady souriait à cette pensée, car Felton, c’était désormais sa seule espérance, son seul moyen de salut.
Mais lord Winter pouvait l’avoir soupçonné, mais Felton maintenant pouvait être surveillé lui-même.
Vers les quatre heures du matin, le médecin arriva. Depuis le temps où milady s’était frappée, la blessure s’était déjà refermée: le médecin ne put donc en mesurer ni la direction, ni la profondeur; il reconnut seulement au pouls de la malade que le cas n’était point grave.
Le matin, milady, sous prétexte qu’elle n’avait pas dormi de la nuit et qu’elle avait besoin de repos, renvoya la femme qui veillait près d’elle.
Elle avait un espoir c’est que Felton arriverait à l’heure du déjeuner; mais Felton ne vint pas.
Ses craintes s’étaient-elles réalisées? Felton, soupçonné par le baron, allait-il lui manquer au moment décisif? Elle n’avait plus qu’un jour: lord Winter lui avait annoncé son embarquement pour le 23, et l’on était arrivé au matin du 22. Néanmoins, elle attendit encore assez patiemment jusqu’à l’heure du dîner.
Quoiqu’elle n’eût pas mangé le matin, le dîner fut apporté à l’heure habituelle; milady s’aperçut alors avec effroi que l’uniforme des soldats qui la gardaient était changé. Alors elle se hasarda à demander ce qu’était devenu Felton. On lui répondit que Felton était monté à cheval il y avait une heure, et était parti. Elle s’informa si le baron était toujours au château; le soldat répondit que oui, et qu’il avait ordre de le prévenir si la prisonnière désirait lui parler.
Milady répondit qu’elle était trop faible pour le moment, et que son seul désir était de demeurer seule.
Le soldat sortit, laissant le dîner servi.
Felton était écarté, les soldats de marine étaient changés, on se défiait donc de Felton. C’était le dernier coup porté à la prisonnière.
Restée seule, elle se leva; ce lit où elle se tenait par prudence et pour qu’on la crût gravement blessée, la brûlait comme un brasier ardent. Elle jeta un coup d’œil sur la porte: le baron avait fait clouer une planche sur le guichet; il craignait sans doute que, grâce à cette ouverture, elle ne parvînt encore, par quelque moyen diabolique, à séduire les gardes.
Milady sourit de joie; elle pouvait donc se livrer à ses transports sans être observée: elle parcourait la chambre avec l’exaltation d’une folle furieuse ou d’une tigresse enfermée dans une cage de fer. Certes, si le couteau lui fût resté, elle eût songé, non plus à se tuer elle-même, mais, cette fois, à tuer le baron.
A six heures, lord Winter entra; il était armé jusqu’aux dents.
Cet homme, dans lequel, jusque-là, milady n’avait vu qu’un gentleman assez niais, était devenu un admirable geôlier: il semblait tout prévoir, tout deviner, tout prévenir.
Un seul regard jeté sur milady lui apprit ce qui se passait dans son âme.
–Soit, dit-il, mais vous ne me tuerez point encore aujourd’hui; vous n’avez plus d’armes, et d’ailleurs je suis sur mes gardes. Vous aviez commencé à pervertir mon pauvre Felton: il subissait déjà votre infernale influence, mais je veux le sauver, il ne vous verra plus, tout est fini. Rassemblez vos hardes, demain vous partirez. J’avais fixé l’embarquement au 24, mais j’ai pensé que plus la chose serait rapprochée, plus elle serait sûre. Demain à midi j’aurai l’ordre de votre exil, signé Buckingham. Si vous dites un seul mot à qui que ce soit avant d’être sur le navire, mon sergent vous fera sauter la cervelle, il en a l’ordre; si, sur le navire, vous dites un mot à qui que ce soit avant que le capitaine vous le permette, le capitaine vous fait jeter à la mer, c’est convenu. Au revoir, voilà ce que pour aujourd’hui j’avais à vous dire. Demain je vous reverrai pour vous faire mes adieux!
Et sur ces paroles le baron sortit.
Milady avait écouté toute cette menaçante tirade, le sourire du dédain sur les lèvres, mais la rage dans le cœur.
On servit le souper; milady sentit qu’elle avait besoin de forces, elle ne savait pas ce qui pouvait se passer pendant cette nuit qui s’approchait menaçante, car de gros nuages roulaient au ciel, et des éclairs lointains annonçaient un orage.
L’orage éclata vers les dix heures du soir: milady sentait une consolation à voir la nature partager le désordre de son cœur; la foudre grondait dans l’air comme la colère dans sa pensée; il lui semblait que la rafale, en passant, échevelait son front comme les arbres dont elle courbait les branches et enlevait les feuilles; elle hurlait comme l’ouragan, et sa voix se perdait dans la grande voix de la nature, qui, elle aussi, semblait gémir et se désespérer. Tout à coup elle entendit frapper à une vitre, et, à la lueur d’un éclair, elle vit le visage d’un homme apparaître derrière ses barreaux.
Elle courut à la fenêtre et l’ouvrit.
–Felton! s’écria-t-elle; je suis sauvée!
–Oui, dit Felton! mais, silence, silence! il me faut le temps de scier vos barreaux. Prenez garde seulement qu’ils ne nous voient par le guichet.
–Oh! c’est une preuve que le Seigneur est pour nous, Felton, reprit milady, ils ont fermé le guichet avec une planche.
–C’est bien, Dieu les a rendus insensés! dit Felton.
–Mais que faut-il que je fasse? demanda milady.
–Rien, rien; refermez la fenêtre seulement. Couchez-vous, ou, du moins, mettez-vous dans votre lit tout habillée; quand j’aurai fini, je frapperai aux carreaux. Mais pourrez-vous me suivre?
–Oh! oui!
–Votre blessure?
–Me fait souffrir, mais ne m’empêche pas de marcher.
–Tenez-vous donc prête au premier signal.
Milady referma la fenêtre, éteignit la lampe et alla, comme le lui avait recommandé Felton, se blottir dans son lit. Au milieu des plaintes de l’orage, elle entendait le grincement de la lime contre les barreaux, et, à la lueur de chaque éclair, elle apercevait l’ombre de Felton derrière les vitres.
Elle passa une heure sans respirer, haletante, la sueur sur le front, et le cœur serré par une épouvantable angoisse à chaque mouvement qu’elle entendait dans le corridor. Il y a des heures qui durent une année. Au bout d’une heure, Felton frappa de nouveau.
Milady bondit hors de son lit et alla ouvrir. Deux barreaux de moins formaient une ouverture à passer un homme.
–Êtes-vous prête? demanda Felton.
–Oui. Faut-il que j’emporte quelque chose?
–De l’or, si vous en avez.
–Oui, heureusement on m’a laissé ce que j’en avais.
–Tant mieux, car j’ai usé tout le mien pour fréter une barque.
–Prenez, dit milady en mettant aux mains de Felton un sac plein de louis.
Felton prit le sac et le jeta précipitamment au pied du mur.
–Maintenant, dit-il tout bas, voulez-vous venir?
–Me voici.
Milady monta sur un fauteuil et passa tout le haut de son corps par la fenêtre: elle vit le jeune officier suspendu au-dessus de l’abîme par une échelle de corde. Pour la première fois, un mouvement de terreur lui rappelait qu’elle était femme. Le vide l’épouvanta.
–Je m’en étais douté, dit Felton.
–Ce n’est rien, ce n’est rien, dit milady, je descendrai les yeux fermés.
–Avez-vous confiance en moi? dit Felton.
–Vous le demandez!
–Rapprochez vos deux mains; croisez les: c’est bien.
Felton lui lia les deux poignets avec son mouchoir, puis par-dessus le mouchoir, avec une corde.
–Que faites-vous? demanda milady avec surprise.
–Passez vos bras autour de mon cou et ne craignez rien.
–Mais je vous ferai perdre l’équilibre, et nous nous briserons tous les deux.
–Soyez tranquille, je suis marin.
Il n’y avait pas une seconde à perdre; milady passa ses deux bras autour du cou de Felton et se laissa glisser hors de la fenêtre.
Felton se mit à descendre les échelons lentement et un à un. Malgré la pesanteur des deux corps, le souffle de l’ouragan les balançait dans l’air.
Tout à coup Felton s’arrêta, anxieux et prêtant l’oreille.
–Qu’y a-t-il? demanda milady.
–Silence, dit Felton, j’entends des pas.
–Nous sommes découverts!
Il se fit un silence de quelques instants.
–Non, dit Felton, ce n’est rien.
–Mais enfin quel est ce bruit?
–Celui de la patrouille qui va passer sur le chemin de ronde.
–Où est le chemin de ronde?
–Juste au-dessous de nous.
–Elle va nous découvrir.
–Non, s’il ne fait pas d’éclairs.
–Elle heurtera le bas de l’échelle.
–Heureusement elle est trop courte de six pieds.
–Les voilà, mon Dieu!
–Silence!
Tous deux restèrent suspendus, immobiles et sans souffle, à vingt pieds du sol; pendant ce temps les soldats passaient au-dessous d’eux, riant et causant.
La patrouille poursuivit sa route; on entendit s’assourdir le bruit des pas qui s’éloignaient, et le murmure des voix qui allait s’affaiblissant.
–Maintenant, dit Felton, nous sommes sauvés.
Milady poussa un soupir et s’évanouit, Felton continua de descendre. Parvenu au bas de l’échelle, et lorsqu’il ne sentit plus d’appui pour ses pieds, il se cramponna avec ses mains; enfin, arrivé au dernier échelon, il se laissa pendre à la force des poignets et toucha la terre. Il se baissa, ramassa le sac d’or et le prit entre ses dents.
Puis il souleva milady dans ses bras, et s’éloigna vivement du côté opposé à celui qu’avait pris la patrouille. Bientôt il quitta le chemin de ronde, descendit à travers les rochers, et, arrivé au bord de la mer, fit entendre un coup de sifflet.
Un signal pareil lui répondit, et, cinq minutes après, il vit apparaître une barque montée par quatre hommes.
La barque s’approcha aussi près qu’elle put du rivage, mais il n’y avait pas assez de fond pour qu’elle pût toucher le bord; Felton se mit à l’eau jusqu’à la ceinture, ne voulant confier à personne son précieux fardeau. Heureusement la tempête commençait à se calmer, et cependant la mer était encore violente; la petite barque bondissait sur les vagues comme une coquille de noix.
–Au sloop, dit Felton, et nagez vivement!
Les quatre hommes se mirent à la rame; mais la mer était trop grosse pour que les avirons eussent grande prise dessus.
Toutefois on s’éloignait du château; c’était le principal. La nuit était profondément ténébreuse, et il était déjà presque impossible de distinguer le rivage de la barque, à plus forte raison n’eût-on pu distinguer la barque du rivage.
Un point noir se balançait sur la mer. C’était le sloop.
Pendant que la barque s’avançait de son côté de toute la force de ses quatre rameurs, Felton déliait la corde, puis le mouchoir qui liait les mains de milady.
Puis, lorsque ses mains furent déliées, il prit de l’eau de la mer et la lui jeta au visage.
Milady respira plus largement et ouvrit les yeux.
–Où suis-je? dit-elle.
–Sauvée, répondit le jeune officier.
–Oh! sauvée! sauvée! s’écria-t-elle. Oui, voici le ciel, voici la mer! Cet air que je respire, c’est celui de la liberté. Ah! merci, Felton, merci!
Le jeune homme la pressa contre son cœur.
–Mais qu’ai-je donc aux mains? demanda milady; il me semble qu’on m’a brisé les poignets dans un étau?
En effet, milady souleva ses bras: elle avait les poignets meurtris.
–Hélas! dit Felton en regardant ces belles mains et en secouant doucement la tête.
–Oh! ce n’est rien, ce n’est rien! s’écria milady; maintenant je me rappelle!
Milady chercha des yeux autour d’elle.
–Il est là, dit Felton en poussant du pied le sac d’or.
On approchait du sloop. Le marin de quart héla la barque, la barque répondit.
–Quel est ce bâtiment? demanda milady.
–Celui que j’ai frété pour vous.
–Où va-t-il me conduire?
–Où vous voudrez, pourvu que, moi, vous me jetiez à Portsmouth.
–Qu’allez-vous faire à Portsmouth? demanda Milady.
–Accomplir les ordres de lord Winter, dit Felton avec un sombre sourire.
–Quels ordres? demanda milady.
–Vous ne comprenez donc pas? dit Felton.
–Non; expliquez-vous, je vous en prie.
–Comme il se défiait de moi, il a voulu vous garder lui-même, et m’a envoyé à sa place faire signer à Buckingham l’ordre de votre déportation.
–Mais s’il se défiait de vous, comment vous a-t-il confié cet ordre?
–Étais-je censé savoir ce que je portais?
–C’est juste. Et vous allez à Portsmouth?
–Je n’ai pas de temps à perdre: c’est demain le 23, et Buckingham part demain avec la flotte.
–Il part demain, pour où part-il?
–Pour La Rochelle.
–Il ne faut pas qu’il parte! s’écria milady, oubliant sa présence d’esprit accoutumée.
–Soyez tranquille, répondit Felton, il ne partira pas.
Milady tressaillit de joie; elle venait de lire au plus profond du cœur du jeune homme: la mort de Buckingham y était écrite en toutes lettres.
–Felton... dit-elle, vous êtes grand comme Judas Macchabée! Si vous mourez, je meurs avec vous: voilà tout ce que je puis vous dire.
–Silence! dit Felton, nous sommes arrivés.
En effet, on touchait au sloop.
Felton monta le premier à l’échelle et donna la main à milady, tandis que les matelots la soutenaient, car la mer était encore fort agitée.
Un instant après ils étaient sur le pont.
–Capitaine, dit Felton, voici la personne dont je vous ai parlé, et qu’il faut conduire saine et sauve en France.
–Moyennant mille pistoles, dit le capitaine.
–Je vous en ai donné cinq cents.
–C’est juste, dit le capitaine.
–Et voilà les cinq cents autres, reprit milady en portant la main au sac d’or.
–Non, dit le capitaine, je n’ai qu’une parole, et je l’ai donnée à ce jeune homme; les cinq cents autres pistoles ne me sont dues qu’en arrivant à Boulogne.
–Et nous y arriverons?
–Sains et saufs, dit le capitaine, aussi vrai que je m’appelle Jack Buttler.
–Eh bien! dit milady, si vous tenez votre parole, ce n’est pas cinq cents, mais mille pistoles que je vous donnerai.
–Hurrah pour vous alors, ma belle dame, cria le capitaine, et puisse Dieu m’envoyer souvent des pratiques comme Votre Seigneurie!
–En attendant, dit Felton, conduisez-nous dans la petite baie de... vous savez qu’il est convenu que vous nous conduirez là.
Le capitaine répondit en commandant la manœuvre nécessaire, et vers les sept heures du matin le petit bâtiment jetait l’ancre dans la baie désignée.
Pendant cette traversée, Felton avait tout raconté à milady: comment, au lieu d’aller à Londres, il avait frété le petit bâtiment, comment il était revenu, comment il avait escaladé la muraille en plaçant dans les interstices des pierres, à mesure qu’il montait, des crampons pour assurer ses pieds, et comment enfin, arrivé aux barreaux, il avait attaché l’échelle; milady savait le reste.
De son côté, milady essaya d’encourager Felton dans son projet; mais aux premiers mots qui sortirent de sa bouche elle vit bien que le jeune fanatique avait plutôt besoin d’être modéré que d’être affermi. Il fut donc convenu que milady attendrait Felton jusqu’à dix heures; si à dix heures il n’était pas de retour, elle partirait. Alors, en supposant qu’il fût libre, il la rejoindrait en France, au couvent des Carmélites de Béthune.