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Oms en série
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 23:17

Текст книги "Oms en série"


Автор книги: Stefan Wul



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6

La sphère volait dans la nuit. Elle mit dix longues heures à franchir l’océan. Trois autres heures la menèrent à Klud.

Quand le pilote draag vit les lumières de la capitale d’A sud, il surveilla son tableau de bord, attendit que les deux courbes mauves ondulant sur l’écran se confondissent en une seule et laissa descendre l’appareil à la verticale. La sphère se posa doucement sur le sphérodrome.

Le pilote décapota et sauta sur le sol. Des phares s’avançaient vers lui, sur le terrain. Il se baissa, tassé sur lui-même comme un malfaiteur pris au piège. Puis il courut. Ses pas flasques et précipités ébranlèrent le ciment.

À gauche, d’autres phares trouèrent la nuit, aveuglant de plein fouet le fugitif. Celui-ci tourna sur lui-même et changea de direction. Mais fatigué, s’avouant soudain qu’il ne pouvait réussir, il s’immobilisa et attendit l’approche des voitures de la police.

Des voix jaillirent:

– Ne bougez pas, nos lance-rayons sont braqués sur vous!

Bientôt, les voitures stoppèrent à proximité. Cinq grands draags portant brassards métalliques furent sur le pilote clandestin en quelques secondes.

– Suivez-nous!

Le coupable garda un maintien orgueilleux.

– J’exige de comparaître immédiatement devant le chef-police du sphérodrome. C’est la loi!

– Tiens, tiens, voyez-vous ça?

– Ce citoyen connaît la loi, pas l’Édile!

– Montez dans la voiture et attendez qu’on vous interroge. Passez-lui les chaînes, vous autres!

– Vous regretterez de m’avoir brutalisé.

– Qui parle de brutalités? Taisez-vous, c’est compris.

– Oh! Sarev. C’est la sphère volée à Torm.

– Tu es sûr?

– C’est le même matricule.

– Pose les scellés sur l’ouverture du capot et fais-la remorquer au dépôt spécial. En route, vous autres!

Quelques minutes plus tard, on poussait le pilote dans un local vivement éclairé. Les draags de la police montraient tous des mines sévères ou froidement ironiques.

Assis derrière une table, un draag à brassard rouge et or commença l’interrogatoire.

– Votre nom?

– Êtes-vous le chef-police du sphérodrome?

– Non. Mais je vous ordonne quand même de répondre à mes questions.

– Je refuse. J’ai une déclaration à faire au chef-police.

Le policier eut un geste de colère, ses yeux rouges s’allumèrent. Puis il se calma d’un seul coup.

– Après tout, dit-il, ça m’est égal. Vous ne faites de tort qu’à vous-même. S’il vous plaît de moisir en cellule plusieurs jours avant de vous décider à répondre, ça vous regarde.

– Je connais la loi, clama le prisonnier. Vous ne pouvez refuser de me mettre en contact avec le chef-police.

– Parfaitement exact! Mais quand vous aurez décliné vos nom, âge, qualité et domicile. Et de toute façon pas avant demain matin. Vous figurez-vous qu’on réveille le chef-police au milieu de la nuit pour un petit voleur?

Le coupable réfléchit un instant et perdit un peu de sa morgue.

– C’est bon, dit-il enfin. Je m’appelle Xeb Liaer, vingt-sept ans, naturaliste avec grade d’assistant à la Faculté de Torm, A nord. J’ai agi d’accord avec le Maître Sinh, mon supérieur. Je demande à parler au chef-police afin qu’il me mette en rapport avec l’Édile de ce continent.

– Un rien! Que faisiez-vous dans cette sphère?

– Je n’ai plus rien à vous dire. Que ceci: il est de la plus extrême urgence de faire ce que je vous demande. À vous de prendre vos responsabilités.

Tard dans la matinée, l’Édile d’A sud reçut une communication d’un chef-police. Celui-ci parla d’un fou se prétendant mandaté par le Maître Sinh, et d’un vol de sphère. L’Édile n’y comprit rien. Toutefois, le nom du Maître Sinh lui échauffa les tympans et, voulant en avoir le cœur net, il ordonna qu’on obéît au fou en l’introduisant au Palais. Il lui réserva une audience de cinq minutes dans l’après-midi.

Les pseudo-révélations du fou, ses exigences et son air arrogant mirent l’Édile dans une colère épouvantable. Il fit remettre le délinquant en cellule jusqu’à plus ample informé. Mais, par acquit de conscience, il fit envoyer un message à l’Édile d’A nord.

Celui-ci n’en prit connaissance que le lendemain. Dès qu’il eut un moment libre, c’est-à-dire vers le soir du même jour, il se mit en télérapport avec le Maître Sinh. Quand il eut compris de quoi il s’agissait, le vieux savant poussa un soupir de satisfaction et de soulagement.

– Je craignais déjà qu’il ne lui fût arrivé malheur, dit-il.

L’Édile suffoqua:

– Comment? Vous avouez que ce draag agissait sur votre ordre! Mais c’est insensé! Passez me voir sans tarder, Maître Sinh. Je vous attends au Palais.

– Je ne demande que cela, Édile. J’arrive dans un instant.

Les explications furent orageuses. L’Édile brandit la loi. Le Maître lui répondit qu’il ne respectait la loi que lorsqu’elle n’était pas absurde.

– Mais enfin, Sinh, réfléchissez. Vous savez que les vols personnels sont interdits pendant la nuit, surtout les vols intercontinentaux! Vous savez qu’un voyage aux Continents Sauvages nécessite des vaccinations et des autorisations spéciales. Pour comble de folie, vous prenez une sphère d’État! Ce n’est plus une contravention, c’est un véritable délit! Vous rendez-vous compte que vous avez violé une brochette d’édits, de règlements, de…

– Je ne dis pas le contraire, Édile. Mieux, je m’en enorgueillis.

– Comment?

– Parfaitement. Vous me parlez de règlements alors que toute notre civilisation est en jeu. Ce jeune draag nous rapporte des renseignements alarmants sur les progrès des oms et vous ne pensez qu’à des histoires de contraventions! Qui de nous deux est fou? Je sais que l’on s’est moqué de moi au Conseil. J’ai donc fait ma petite enquête personnelle, car je suis sûr d’avoir raison. L’Édile de Klud a bien ri quand il a trouvé ces trois tôles découpées en poissons. Il n’a pas compris que c’était un trompe-l’œil. Je persiste à croire que les oms ont fabriqué des vaisseaux. D’ailleurs, j’ai des preuves. On a récupéré hier soir des débris de submersible sur une plage d’A sud. Une portion de coque à demi pleine d’eau a flotté dans le Siwo jusqu’au détour équatorial et…

L’Édile fulmina:

– Assez avec vos histoires d’oms!

– Vraiment? Si vous fuyez les histoires d’oms, ce sont elles qui vont nous tomber dessus d’ici peu, mais vous l’aurez voulu. J’exige que le Conseil examine en ma présence les fiximages rapportées par mon assistant.

– Vous rêvez!

– Je le voudrais bien. Vous êtes-vous seulement donné la peine de demander des précisions à votre collègue d’A sud? A-t-on développé les fiximages?

– La sphère est sous scellés.

Le vieillard eut un soupir rauque. Il replia ses membranes avec accablement.

– Quand je pense que mon assistant a parlé de dix mille oms et que vous êtes là, à remâcher de petits griefs sans…

– L’exagération même de ce chiffre prouve son manque de sérieux! Mais avant de discuter des résultats douteux de cette expédition, il faut régler la question de son illégalité. Vous mettez les choses à l’envers.

Le maître se leva, mû par une colère froide.

– Je vois qu’il n’y a rien à faire pour vous convaincre qu’un danger nous menace tous. J’agirai donc autrement. Je suis le Maître Sinh. Vous êtes donc obligé de faire droit à ma modeste requête. Voulez-vous me donner une autorisation officielle de vol de nuit? Je pars immédiatement pour Klud. Là, je vous tiens, tout Édile que vous êtes. La loi m’autorise en outre à agir avec la même autorité auprès de l’Édile d’A sud. J’exigerai l’ouverture des scellés, j’exigerai une entrevue avec mon assistant. J’exigerai une communication scientifique à tous les journaux. Communication scientifique! Entendez-vous? Les journaux ne peuvent «légalement» s’y opposer. Mais la teneur en sera telle que le peuple va s’enflammer. Une crainte terrible va submerger les draags; une crainte terrible et salutaire! Nous verrons si vous n’êtes pas obligé de réunir le Conseil dans les deux jours, sous la poussée de l’opinion! Vous parlez toujours de loi, vous allez voir comment je sais m’en servir! Vous y risquez votre place, Édile. Je suis désolé d’en arriver à cette extrémité.

7

Sur des stades et des stades de couloirs souterrains, des oms, mâles et femelles, étaient allongés les uns à côté des autres, comme des morts.

Aux carrefours, de grands feux brûlaient, rouge et or, réchauffant l’atmosphère, enfumant les voûtes. Les craquements et les soupirs des broussailles torturées par les flammes, les silhouettes noires et dansantes activant les brasiers, les reliefs tourmentés, tout rappelait l’enfer. Jusqu’à ces longues rangées de cadavres vivants, immobiles, formant d’interminables chaînes rayonnant autour des salles, peuplant les corniches et les ponts suspendus au-dessus des abîmes.

La cité semblait une immense nécropole où chacun attendait son tour d’incinération. Nus, les oms gisaient sur le dos. On leur avait transpercé les bras et les jambes avec des aiguilles qui pompaient le courant de leurs muscles. Ils étaient liés entre eux par des fils métalliques. Ils souffraient en silence depuis des heures.

Au début, les piqûres avaient été supportables.

Mais peu à peu, la présence étrangère du métal brûlait les chairs. Des crampes tordaient les membres, çà et là, diminuant ainsi le rendement de l’immense pile vivante.

En nombre insuffisant, quelques médecins couraient de couloir en couloir, distribuant des conseils, de bonnes paroles, et de rares stupéfiants pour atténuer les souffrances. D’autres se penchaient sur des muscles noués, les massaient doucement pour en chasser la raideur tétanique.

D’autres, enfin, arrachaient les aiguilles d’un coup sec et libéraient ceux dont les plaies s’étaient infectées malgré les précautions. Héroïques, certains refusaient de céder leur place.

Par moments, on entendait des soupirs tremblés ou des plaintes… «À boire!» Et des chariots poussés par des bras diligents et surmenés cahotaient d’om en om, distribuant une maigre pitance d’entretien.

On avait dû arracher presque toute l’installation électrique des souterrains pour obtenir un matériel suffisant. Mais pour l’entretien du moral, on avait laissé en place quelques diffuseurs d’où filtraient de temps en temps les encouragements officiels.

Ainsi, deux millions de citoyens se sacrifiaient en un vaste holocauste pour la cause commune. Ils donnaient leur fluide galvanique comme on donne son sang.

Et goutte à goutte, unité par unité, l’énergie s’ajoutait à l’énergie, courait en fleuve le long des fils, s’ajoutait dans les accumulateurs à la force issue des piles et des turbines hydrauliques, constituait un capital électrique nécessaire à la défense de la cité.

Par téléboîtes, les expéditions en brousse annonçaient leur retour. Elles avaient passé toute la nuit à disposer les éléments de barrage aux points stratégiques du continent. Pour atteindre certains endroits inaccessibles autrement, le dernier navire avait fait lentement le tour des côtes, lâchant ici et là des commandos qui posaient les éléments où il fallait.

D’ores et déjà, les oms pouvaient parer à une première attaque par fusées. Deux millions cinq cent mille oms pouvaient tenir tête à un milliard de draags!

Dans une salle spéciale, l’émetteur était en place.

Tous les renseignements se concentraient dans la salle du Conseil, transformée en quartier général, et d’où ricochaient les ordres de l’Édile.

– Édile! Les oms des nurseries n’en peuvent plus. Ils se surmènent depuis trop longtemps et commencent à faire des sottises.

– Faites-les relever par les oms du couloir 4. Ils échangeront la nature de leur fatigue. Les uns seront très heureux de se coucher, même avec des aiguilles dans les bras, et les autres vont pouvoir enfin bouger après deux jours d’immobilité!

Terr se tourna vers Charb.

– Il y a trop de bébés. J’aurais dû freiner les naissances. C’est une charge inutile.

– Pas pour plus tard.

– Sans doute, mais il n’y aura pas de «plus tard» si nous flanchons maintenant.

Bourdonnement d’une téléboîte. Charb pressa le bouton:

– Oui?

– Ici, Vaill. Le rendement baisse!

– Pourquoi?

– Les médecins exemptent de plus en plus d’individus. Je me demande s’ils pourront tenir encore longtemps. Et puis… Il y a eu un accident. Presque mille oms sont morts asphyxiés par les feux dans la salle 13.

Charb jeta un coup d’œil à Terr qui communiquait avec Sav. Il jugea inutile de l’accabler de ce détail tragique.

– Cache-le aux autres, souffla-t-il dans la téléboîte. Et fais discrètement le nécessaire. Y a-t-il des rentrées d’expéditions?

– On m’annonce deux cents oms aux portes de la ville.

– Fais-les mettre immédiatement en batterie, ça les reposera.

– Il y a autre chose, quinze omes ont été électrocutées dans le couloir 7. L’une d’elles s’est endormie et a eu un geste malheureux dans son sommeil. Je te le signale en passant; j’ai fait le nécessaire…

Pendant ce temps, Terr écoutait toujours un exposé de Sav.

– Et alors? Je sais bien que nous avons des bombes, mais nous n’avons pas de fusées pour les envoyer. Il nous est impossible de faire une guerre offensive.

– Réfléchis un peu, Terr. Quand les draags vont savoir que leurs fusées et leurs bulles tombent à l’eau, que vont-ils faire?

– Ils enverront un corps de débarquement par mer, évidemment. Mais à ce moment-là, ce sera une bataille d’infanterie. Malgré nos moyens réduits, dans la brousse et avec notre mobilité, nous avons des chances de les décourager, sinon de les vaincre.

– Que dirais-tu si je te donnais le moyen d’envoyer des bombes sur les ports?

– Je dirais que tu es un génie ou un fou. Parle toujours…

– Écoute, je ne suis pas physicien, moi. Je ne connais rien aux bombes. La façon de les fabriquer, de les modifier ou de les faire exploser ne m’intéresse pas. Je laisse cela aux techniciens. Mais il m’est venu une idée simple, une idée de naturaliste, pour les envoyer sur les côtes draags. Il faut les faire voyager sur des flotteurs jusqu’à l’entrée des ports.

Terr prit un air agacé et déçu.

– Alors, tu n’es pas un génie, tu es fou. Pense au temps et aux difficultés qu’il nous a fallu surmonter pour traverser l’océan. Nous n’avons plus qu’un seul navire et tu voudrais le voir aller mouiller des bombes au nez et à la barbe des draags. Les piles du navire sont tout juste suffisantes pour son expédition autour de nos côtes. Et puis, il faudrait mettre les flotteurs au point!

– Écoute-moi bien, Terr. Je sais par les registres que cinq cents bombes se trouvent à bord du navire; où est-il en ce moment?

– Il traverse précautionneusement la baie des pronges entre deux eaux.

– C’est bien ce que je pensais. Hier, il était au Cap Noir. En somme, il ne lui faut pas beaucoup d’efforts pour atteindre le point 7.36 du Siwo?

– Pour quoi faire?

– À cet endroit, le Siwo longe les rivages de l’île Pourrie. C’est un véritable dépotoir d’œufs de pronge non fécondés qui, plus légers, s’échouent sur les plages. Beaucoup se brisent sur les récifs pendant les marées, mais il en reste assez d’intacts. Et voilà tes flotteurs! Il suffit de percer deux trous dans chaque coquille pour vider la pourriture, d’introduire une bombe à la place avec un lest permettant une immersion suffisante pour cacher l’engin aux regards. Reboucher les trous n’est pas un gros problème. Le déclenchement de la bombe pourrait être étudié par les techniciens à partir de la brisure accidentelle de la coquille, sous l’étrave d’un navire draag, par exemple.

Terr secoua la tête et dit:

– Cela ne me donne pas le moyen d’envoyer les œufs sur les continents draags.

– Déplie une carte, cher Édile. Tu y verras deux courants très intéressants, capables de faire dériver les œufs vers leur but, le «Siwo Retour» qui oblique vers le nord et va se perdre en éventail vers les deux bases d’A nord et d’A sud; et le grand Courant Équatorial, qui file directement vers les côtes de B nord. Pour ce dernier continent, j’avoue que les explosions auront lieu un peu au hasard!.. Si j’étais le Conseil Draag, c’est là que j’ordonnerais de prendre la mer. Le «Siwo Retour» ne peut pas manquer les navires draags au mouillage. Même si certaines bombes manquent leur but, les navires coulés perdront autant de corps de débarquement que nous n’aurons pas à combattre. Quant aux autres explosions, imagine leur effet moral sur les draags! Après leur premier échec, dû à notre télébarrage, ils vont nous prendre pour des adversaires dangereux et nous pourrons peut-être obtenir une paix basée sur la coexistence. Ce ne sera plus qu’une question de bluff diplomatique.

– Oh là! Arrête-toi un peu. Ne t’emballe pas, dit Terr. J’admets qu’il y a là une idée. Écoute, nous avons le temps, le navire ne sortira pas de la baie des pronges avant deux longues heures. Je te donne carte blanche pour réunir les spécialistes nécessaires à l’étude du projet. Débrouille-toi pour les trouver où ils sont. À propos, où es-tu affecté?

– À quoi veux-tu qu’on affecte un naturaliste, dans ces circonstances? Je suis rentré dans le troupeau, c’est-à-dire que je viens de passer deux jours allongé dans le couloir 7. Ça m’a donné le temps de penser aux pronges.

– Ça va?

– J’ai les jambes en compote et j’ai de la peine à bouger les bras. Mais ça ne m’empêchera pas de dénicher les spécialistes.

– Bonne chance!

Terr ferma la téléboîte et se tourna vers Charb. Celui-ci écrivait quelque chose sous la dictée de son appareil. Il était mortellement pâle, à sa façon d’om de couleur, ce qui lui donnait un teint grisâtre.

L’Édile se pencha sur le texte et sentit son cœur s’arrêter. Il lut ceci:

«Unité de pillage n°104, transformée unité de renseignements. Affectée Klud (A sud)… (indéchiffrable)… nouveau Grand Conseil draag exceptionnellement présidé par Maître Sinh a voté le… (indéchiffrable)… percé le secret militaire et nous annoncent que dix fusées seront lancées sur les Hauts Plateaux du Continent Sauvage à 28 heures, 7 x. – Je répète. – Nos agents ont percé le… (indéchiffrable)… Sauvage à 28 heures, 7 x».

8

Les anciens édiles draags avaient perdu leurs sièges sous la poussée populaire. Pour apaiser la frayeur et les désordres, il avait fallu annoncer que le Maître Sinh prenait les choses en main.

Toutefois, une vaste chasse à l’om s’était spontanément organisée sur les quatre continents artificiels. Les draags allaient jusqu’à brûler les parcs ou les vieux bâtiments suspects. Sous l’effet de cette frénésie de meurtre, on vit surgir des oms de partout. Ils sortaient par bandes des caniveaux enfumés, couraient par les rues en hurlant, sortaient des terrains vagues à demi cernés par les flammes, s’enfuyaient en troupes nombreuses et affolées par les campagnes. Quoique prévenus, jamais les draags n’auraient imaginé en voir autant. Il avait fallu cette chasse pour révéler le nombre incroyable d’oms libres vivant de rapines aux dépens de la Société. Plus on en tuait, plus on en trouvait à tuer.

La terreur les rendait agressifs. Ils mordaient au passage, bondissaient de leurs trous pour sauter à la figure des chasseurs penchés sur eux, lançaient des projectiles. Certains avaient envahi des arsenaux et soutenaient un siège en règle en jetant des grenades à rayons.

Néanmoins, certains draags étaient restés chez eux. Atterrés par les événements, ils caressaient en pleurant leurs oms de luxe inoffensifs avant de les sacrifier. D’autres refusaient d’obéir à leurs voisins, parfois à leurs familles. Ils clamaient bien haut que leurs oms étaient restés de bons animaux sans intelligence et les défendaient de toutes leurs forces. D’autres encore agissaient par ruse. Ils montraient des cadavres anonymes en affirmant qu’ils avaient tué leurs oms, alors qu’ils les tenaient cachés.

Mais la plupart des victimes furent des oms sauvages à peine dégrossis, ahuris de la subite colère des draags après tant d’années de tolérance. Ceux qui avaient appartenu à l’organisation du vieux port flairaient depuis longtemps le danger. Ils s’étaient mis à l’abri dans des cachettes introuvables et continuaient tant bien que mal à renseigner par téléboîte la ville du Continent Sauvage. Ou bien, plus actifs, ils faisaient sauter des bâtiments publics ou des voies de communication.

Cependant, le Maître Sinh bénéficiait d’un vieux titre tombé en désuétude depuis des lustres. On l’appelait Édile Suprême et son pouvoir était absolu.

Pour lors, environné de conseillers, il était installé dans une salle du Palais de Klud et fixait un planisphère lumineux d’Ygam.

À vingt-huit heures sept, on vit s’allumer trois points bleus au sud d’A nord, et sept autres points le long des côtes d’A sud. Les fusées étaient lancées vers le Continent Sauvage. Elles portaient des charges de mort à destination des Hauts Plateaux et l’on pouvait suivre leurs lentes trajectoires sur la carte qui se rayait peu à peu de lignes convergentes.

Quand les trajectoires furent à quelques stades du continent, le Maître Sinh serra les accoudoirs de son matelas de confort et pencha sa grosse tête en avant.

– Cette fois!.. dit-il.

Mais, à la stupéfaction générale, les lignes lumineuses s’éteignirent brusquement. Une seconde d’épais silence régna parmi les draags. Puis, chacun s’exclama, douta du bon fonctionnement de l’écran-planisphère, commenta désobligeamment la valeur des techniciens. Le Maître Sinh déploya une membrane pour calmer du geste le tumulte.

– Faites vérifier! dit-il.

Un draag s’empara d’une téléboîte, mais celle-ci bourdonnait déjà d’un appel.

– Comment? Oui, les fusées… Eh bien? Vous êtes sûr!.. J’en réfère immédiatement à l’Édile Suprême.

Il reposa l’appareil et une douloureuse stupéfaction peinte dans ses yeux rouges:

– Les dix fusées sont tombées à la mer.

Le Maître Sinh ne laissa rien paraître de son émotion.

– Faites envoyer dix autres fusées des continents B, dit-il d’une voix froide.

Un quart d’heure plus tard, les dix nouveaux projectiles subissaient le même sort.

– Ils ont un barrage! dit quelqu’un. C’est incroyable!

L’Édile Suprême ordonna de bombarder sans arrêt pendant une heure. Pendant une heure on vit les trajectoires s’éteindre régulièrement à quelques stades du continent.

On fit envoyer des bulles de reconnaissance. Elles ne revinrent pas. Alors, la mort dans l’âme, le Maître Sinh ordonna le départ des vaisseaux de débarquement.

– Il est probable que les moteurs s’arrêteront à dix stades des côtes, dit-il. Nos draags continueront à la nage. Nous avons au moins cette supériorité sur les oms, nous sommes d’excellents nageurs.

Une heure plus tard, une terrible nouvelle arrivait au Palais. Sur quarante navires, trente avaient été frappés par des engins inconnus et coulés à deux stades des ports. Puis, à cinq stades en mer, deux nouvelles explosions envoyaient trois autres navires par le fond.

L’affolement gagnant les troupes rescapées, l’Édile Suprême annula ses ordres et se prit la tête dans les mains, au milieu de la consternation générale.

– C’est épouvantable, murmura-t-il. Je n’imaginais pas avoir raison à ce point!

C’est alors qu’une téléboîte bourdonna pour la centième fois de la journée.

– Quelle catastrophe nous annonce-t-on encore! soupira le Maître Sinh.

Un draag se pencha sur la téléboîte et s’exclama:

– Envoyez le texte immédiatement.

Il se tourna vers le vieux draag découragé:

– Édile Suprême, dit-il. On vient de capter une émission des oms. Ils nous font des propositions.


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