355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Stefan Wul » Oms en série » Текст книги (страница 3)
Oms en série
  • Текст добавлен: 17 сентября 2016, 23:17

Текст книги "Oms en série"


Автор книги: Stefan Wul



сообщить о нарушении

Текущая страница: 3 (всего у книги 9 страниц)

7

À l’entrée du parc où nichaient les oms libres, on distinguait un rectangle de clarté dans la nuit.

Terr en fut intrigué. Brave eut beau lui démontrer que ce rectangle était un écriteau à l’usage des draags, et que les affaires des draags n’intéressaient pas les oms, le jeune garçon laissa son compagnon rentrer seul et alla prudemment rôder du côté de l’entrée normale des draags.

Il ne fut pas long à comprendre. L’écriteau disait:

«Parc fermé demain – Désomisation».

Terr courut à perdre haleine parmi les ombres du parc. Quand il arriva au bas de l’arbre, il dut rester un moment à reprendre haleine avant de grimper.

Enfin, il crispa ses ongles dans les rides de l’écorce et s’éleva parmi les branches.

Quand il déboucha à hauteur du camp, il trouva ses compagnons hilares en train de festoyer au clair des étoiles.

– Eh bien, Terr, demanda Brave, le prix du ticket d’entrée a augmenté?

Tous éclatèrent de rire. Mais Terr resta immobile, les bras ballants.

– Le parc sera fermé demain, dit-il simplement.

– Quelle horrible nouvelle! glapit Vaillant parmi de nouveaux rires.

Mais Terr ne bougea pas. Il ajouta:

– Fermé pour désomisation.

Les rires s’éteignirent. On fit taire trois bambins qui gazouillaient dans leurs nids.

– Qu’est-ce que tu dis? s’informa Brave, désimon…

– Désomisation, répéta Terr. Ça veut dire qu’ils vont essayer de supprimer tous les oms du parc.

Il posa la main sur le bras velu du chef.

– Brave, tu m’as dit un jour que deux autres tribus d’oms libres vivaient dans le parc. Il faut absolument les avertir.

Brave se mit debout sur sa branche et cracha dans le vide.

– T’es fou! Belle occasion d’en être débarrassés! La bande du Buisson Rouge a le meilleur coin du parc. Nous prendrons sa place une fois l’alerte passée. Quant aux autres, c’est que des vagabonds même pas organisés, des idiots. C’est à cause d’eux que les draags vont dis… disomer.

– Comment font-ils? demanda Charbon l’air inquiet, ils posent des pièges ou quoi?

– Je ne sais pas.

– Moi non plus, je n’ai jamais vu ça. Je n’ai même jamais entendu ça: désomition. Tu es sûr que ça veut dire… ce que t’as dit?

– Absolument sûr, dit Terr. Le mieux est de s’en aller pour…

Brave lui donna une tape sur la tête:

– Tais-toi! C’est moi qui commande ici.

Il regarda sa bande avec un certain air de majesté et dit:

– Voilà! Nous allons d’abord dormir un peu pour prendre des forces. La nuit commence à peine et nous avons beaucoup de temps devant nous. Mais pour qu’on nous surprenne pas, nous allons poster des veilleurs. Y m’en faut une main.

Il leva sa main en l’air, les doigts écartés.

– Qui se sent assez reposé pour veiller?

Plusieurs oms s’offrirent, dont Terr. Brave les compta en repliant un par un ses cinq doigts, et Terr fut compris dans son choix.

Brave fit rasseoir les autres et dit:

– Charbon veillera dans la sente du lac, à une main de double main de pas de l’arbre. Vaillant s’installera aux graviers, près du ruisseau. Terr, tu resteras à la fourche du Buisson Rouge. Vous deux, aux deux bouts de la grande allée. Quant à moi, je reste dans l’arbre sans fermer l’œil. Allez! Vous sifflerez si quelque chose ne va pas. Au moment du départ, je sifflerai pour vous rappeler au pied de l’arbre. Que les autres dorment!

Les veilleurs descendirent le long du tronc. Arrivé sur le sol, Terr quitta les autres et se dirigea vers la fourche du Buisson Rouge, là où la piste se divisait en deux pour mener d’une part à la grande entrée des draags, d’autre part au Buisson en escaladant des rocailles moussues.

Il grimpa sur une pile de deux ou trois pierres dominant la fourche et se tapit dans une faille du roc.

Prêtant l’oreille aux moindres soupirs de la brise dans les feuilles, les yeux dilatés dans le clair-obscur de la nuit, il resta longtemps immobile. Mais il était jeune, et bientôt, sa faction l’énerva.

Il sortit de sa cachette et gravit la piste du Buisson Rouge afin d’étendre son champ visuel. Il atteignit une petite terrasse herbeuse constituant un observatoire idéal. De là, son regard portait à plus de cent cinquante pas (Brave aurait dit à trois mains de double main, s’il avait été capable de compter jusque-là sans s’embrouiller).

Au bout d’un temps qui lui parut très long, il s’impatienta encore et tourna les yeux vers le sommet de la rocaille. Sa curiosité lui souffla de monter plus haut sous prétexte de voir plus loin.

Il obéit à son envie et se haussa parmi les plantes grimpantes.

Après quelques efforts, il prit pied sur le dos du tertre. Et là, mi-effrayé, mi-content, il put balayer du regard une partie du parc interdite à sa bande: le territoire du Buisson Rouge.

Aiguisant sa vue, il devina celui-ci, violet sous la lumière des étoiles, et tout hérissé de feuilles-dards. Alors, oubliant son appréhension et poussé par un sentiment vague et puissant à la fois, il dévala l’autre versant, courut quelques pas dans la prairie et hurla:

– Oh! bande du Buisson Rouge! Gare à vous, oms! Demain, les draags vont désomiser le parc.

Il répéta son appel, se retourna pour fuir, et s’étala de tout son long, la tête pleine des échos douloureux d’un coup de gourdin.

Un grand om noir se pencha sur lui en ricanant, le jeta comme une plume sur son épaule et courut vers le Buisson.

D’autres silhouettes vinrent à sa rencontre. Des questions se croisèrent.

– Qu’est-ce qu’il a dit?

– C’est un de la bande de Brave?

– J’ai rien compris.

– Qu’est-ce qu’on en fait?

– Dis-le à la Vieille!

Terr eut vaguement conscience d’être porté de main en main. Il échoua brutalement sur un tas de foin. Une giclée d’eau en pleine figure rappela ses sens.

Il s’assit en secouant la tête et se vit au milieu de visages inconnus. Devant lui, une silhouette recroquevillée. Une vieille ome noire, aux membres secs, à la chevelure blanche et crépue, le considérait sans bienveillance. Une pluie de questions rauques s’abattit:

– Que faisais-tu sur not’ territoire?

– Je… venais vous avertir.

– De quoi?

– De la désomisation de demain. Les draags…

– Tiens, tiens! Et qui t’a dit de venir nous avertir?

– Personne. C’était une idée personnelle.

– Une idée quoi?

– Personnelle. Une idée à moi.

– Tu causes comme un draag, petit. Pourquoi que tu causes comme un draag?

– On me l’a déjà dit. C’est parce que j’ai passé mon enfance chez les draags, et parce que je me suis un peu instruit.

– Ouais… Rigolez pas, vous autres, laissez-le s’expliquer un peu. Alors, comme ça, tu venais nous avertir que… quoi donc?

– Les draags vont désomiser. Ils vont tuer tous les oms du parc, ou les faire prisonniers, je ne sais pas… C’est inscrit sur l’écriteau, à la porte du parc.

Un grand om aux cheveux rouges l’interrompit:

– L’écoute pas, Vieille, c’est un truc de la bande à Brave pour nous faire quitter le Buisson!

– Ferme-la, Rouquin, dit la vieille. Et toi, petit, comment sais-tu ce qu’il y a sur l’écriteau?

– Je l’ai lu. J’ai appris à lire chez les draags, et ça rend toutes sortes de services.

La vieille se gratta les cheveux à deux mains puis, fatiguée de chercher un pou, fit signe à l’om noir qui avait assommé Terr.

– Gratte-moi, fils.

L’om noir lui étrilla vigoureusement la tête avec ses ongles.

– Ça va, ça va, dit la vieille. Et maintenant…

Elle attira son fils et lui dit quelque chose à l’oreille.

L’om noir s’éloigna sous une voûte de branches entrecroisées.

– Maintenant que vous êtes au courant, risqua Terr, je voudrais bien retourner avec Brave. Je…

– La ferme! dit l’ome.

Et comme il insistait, le rouquin lui envoya une gifle qui le fit rouler sur le tas de foin.

Furieux, Terr se releva lentement, l’œil mauvais. Et d’un seul coup, sans prévenir, il bondit sur son adversaire et lui envoya dans l’estomac un coup de tête qui le plia en deux.

Les autres s’en mêlèrent. Une pluie de coups abrégea sa victoire, il sentit sa main se nouer sur une gorge, ses dents crocher dans un bras et reperdit connaissance.

Quand il rouvrit les yeux, il se sentit ligoté. Des liens métalliques enserraient ses chevilles et ses poignets. Devant lui, la vieille ome se tordait de rire.

– Ben vrai! Ah! Ben vrai, tu m’en as amoché trois, petit! Hé, vous autres, ah, ah, le petit vous a donné du mal, pas vrai? C’est encore jeune, bien sûr, mais dans quelques jours, quand il aura grandi, ça fera un fameux gaillard!

Elle s’enroua dans une toux pénible, sa gorge siffla. Elle parut perdre la respiration et reprit enfin le contrôle d’elle-même, haletant et s’essuyant les yeux.

– Ouais, dit-elle plusieurs fois, ouais, ouais.

Puis se tournant vers son fils:

– Donne ça, toi.

L’om noir lui tendit un grand carré de papier bariolé. Elle le déplia devant Terr et cligna un œil.

– Voilà une étiquette, dit-elle. Si tu sais lire, dis-moi donc si ce qu’il y avait dans la boîte est bon à manger.

Terr se tut, il n’avait pas digéré sa correction. La vieille rit encore.

– Regardez-le, dit-elle, non, mais regardez-le! Ça boude, ça a mauvais caractère!

Puis soudain plus sérieuse:

– Écoute, petit. Tu me plais. J’aime bien les gars comme toi, durs et tout. T’es jeune, mais tu promets, pour sûr! Alors voilà. J’aurais plutôt envie de te croire, pour la… désomation. Mais je veux être sûre, tu comprends, sûre que tu m’as pas raconté des blagues. Si tu me réponds juste pour cette étiquette, je te laisse filer… Compris? Alors, dis-moi si c’est bon à manger, ce que dit l’étiquette. Prouve un peu que tu sais lire.

– Ça ne se mange pas, jeta brusquement Terr, c’est de la pâte Irsaan, pour colorer les vêtements des draags! De la pâte verte!

La vieille jeta autour d’elle des regards ravis.

– Bravo, dit-elle. Déliez-le, vous autres.

De mauvaise grâce, les oms obéirent et Terr se trouva libre en un clin d’œil.

– T’en vas pas tout de suite, dit la vieille tandis que l’adolescent se massait les poignets.

Elle s’approcha et lui parla sous le nez:

– Je te laisse filer, petit gars, mais si je m’aperçois que j’ai eu tort, prends garde. Je te retrouverai toujours! Au contraire, si tu nous as pas raconté des blagues, tu pourras toujours me demander quelque chose si tu en as besoin.

– J’ai dit la vérité, déclara Terr.

– Tant mieux, petit, tant mieux. Maintenant, file… Pas par là, idiot! Guide-le, Rouquin.

Terr suivit l’om aux cheveux rouges dans un dédale d’allées couvertes où filtrait un jour d’église, et déboucha brusquement dans la prairie. Ils se quittèrent sans un mot.

Terr fit une centaine de pas vers la rocaille, puis il détala à toutes jambes, atteignit la butte et l’escalada en quelques minutes.

Arrivé à la fourche, il reprit sa faction et se demanda si sa bande avait entendu le bruit provoqué par son équipée.

Il sut bientôt qu’il n’en était rien. Deux silhouettes qu’il reconnut pour celles de Charbon et de Vaillant apparurent au détour de la piste. Pour les guider vers lui, Terr lança un faible coup de sifflet.

– Qu’est-ce que tu fais? demanda Vaillant. T’as pas entendu le signal de Brave? Tout l’monde t’attend au pied de l’arbre.

– Mais tu saignes du nez? s’inquiéta Charbon. Qu’est-ce qui se passe?

Terr mentit.

– Je me suis assommé en tombant dans la rocaille, dit-il. Je viens juste de me réveiller.

8

– Te voilà, toi! dit Brave quand il les vit arriver.

– Il s’est assommé en tombant! annonça Vaillant.

– Je commençais à m’inquiéter. T’as rien de cassé?

Terr le rassura. Brave inspecta rapidement sa petite bande, une trentaine d’individus. La plupart des omes portaient des bébés. Les mâles étaient chargés de paquets hétéroclites. Le vieux Fidèle s’appuyait sur un bâton, il soufflait encore des fatigues de la descente.

Brave réfléchit. Sa raison rudimentaire lui dictait de fractionner sa bande en plusieurs groupes, plus mobiles et moins bruyants. Mais, craignant de perdre du monde en route, il écouta ses sentiments. Une fausse sécurité, une impression de force et de chaleur l’envahit, à considérer la tribu au complet. Il donna le signal du départ.

En file indienne, les oms suivirent la piste habituelle à leurs raids de pillards. Ils serpentèrent entre les palmes, franchirent à gué le ruisseau et sortirent du parc sans difficulté.

Ils piétinèrent ensuite à la queue leu leu dans la boue d’un fossé suivant la route. Des bruits de chute et des jurons éclatèrent çà et là, tandis que Brave criait «Silence» le plus discrètement possible.

Terr et Vaillant soutenaient le vieux Fidèle.

– Où allons-nous? souffla Vaillant.

– J’ai l’impression que Brave veut nous installer dans le terrain vague, en attendant mieux. Il n’a rien dit?

– Non. Mais je crois que tu as raison.

Le vieillard soufflait trop pour donner son avis. Il trébuchait lamentablement sur les moindres bosses de terrain et sa respiration ressemblait à une plainte.

Soudain, Brave ordonna de stopper. Des «chut» coururent dans la colonne. Chacun s’immobilisa. Terr et Vaillant aidèrent Fidèle à s’asseoir dans la boue.

– Silence! souffla encore la voix impérative de Brave.

Sur la route, un pas approchait. Un pas lent et lourd de draag. Un draag circulant à pied était chose rare, mais cela se voyait quelquefois, sinon pourquoi les routes auraient-elles existé! Les battements flasques fouettaient la chaussée en cadence, comme des coups de torchon mouillé. À mesure que le bruit s’amplifiait, on distinguait un certain décalage dans le rythme des pas.

– Deux draags! murmura Terr.

– Quoi? dit Vaillant.

Terr lui montra deux doigts… Déjà, on entendait le bourdonnement grave d’une conversation. Les bouches draags hachaient les mots, à leur façon saccadée, si difficile à reproduire par une gorge d’om. On distingua les deux silhouettes géantes arpentant pesamment la route. On vit la luminescence des yeux rouges dans la nuit. Des phrases prirent forme:

– … un peu fatigant, mais cet exercice nous rapproche de la nature.

– Oh! tu sais, notre nature serait plutôt de nager. Je me suis toujours demandé si le vieux Zarek avait eu raison de nous faire muter.

– Ne dis pas de sottises, nous avions atteint dans l’eau un degré d’évol…

– Bigre!

– Quoi?

– Ça sent l’om sale à pleine fente!

Les pas s’arrêtèrent tout près. Une trentaine de cœurs rythmèrent des musiques de peur dans la poitrine des oms.

– Ça doit en être pourri par ici.

– De la vermine! Les édiles devraient faire nettoyer tout ça. Avoir un om chez soi n’est pas une mauvaise chose: ça distrait. Mais tous ces oms sauvages, ça pille, c’est sale et ça se reproduit à une vitesse folle. Sans compter que ces bêtes sont malheureuses en liberté, pleines de poux et de maladies de peau!

– On s’en occupe.

– Pas assez. Il faudrait une désomisation générale.

Les deux draags se remirent en marche. Un bébé om choisit cet instant pour pleurer. Les pas s’arrêtèrent.

– Il y a un nid dans le fossé, dit un draag. Le bruit venait de par là.

– Voyons un peu.

Une lampe s’alluma, inonda le fossé, éblouissant les oms.

– Ça! dit un draag. Viens voir un peu. Une vraie colonie!

– Liquidons-en quelques-uns avant que les autres ne s’enfuient. Saute à pieds joints dans le fossé.

Deux masses obscurcirent les étoiles et basculèrent vers les oms, tandis que la voix de Brave criait:

– Bataille! Mordez-les aux jambes, mordez-les partout! Bataille!

Deux chocs sourds ébranlèrent le sol, au milieu de hurlements de terreur.

– Piétine-moi tout ça, dit la voix d’un draag.

– Bataille!

Le phare rapide de la lampe balaya le visage gris du vieux Fidèle effondré aux côtés de Terr. L’adolescent eut le temps de voir le corps du vieux: une bouillie sanglante. La voix lourde des draags tomba des hauteurs:

– Ça mord! Mais… canailles!

– Piétine, piétine!

Un pilonnement flasque nivelait le fond du fossé. Dans un rêve de frayeur et d’action, Terr bondit hors du trou, rencontra la main d’un draag s’appuyant au bord de la route. Il y mordit de toutes ses forces, se sentit emporté vers les étoiles. Une dure secousse ébranla ses mâchoires, tandis qu’il volait au loin, un lambeau de chair aux dents.

Il roula dans l’herbe, se demanda brusquement s’il rêvait tandis qu’autour de lui des silhouettes braillantes fonçaient vers le lieu du combat.

– Sautez dessus, mordez! Allons, les oms!

Il reconnut la voix rauque de la Vieille du Buisson et reprit courage. Il courut en boitillant vers le fossé sanglant, se perdit dans un tumulte de violences, mordit encore il ne savait quoi d’énorme et de palpitant effondré en travers du talus, tandis qu’une course ébranlait la route, plus loin, toujours plus loin…

– Crève les tympans! Mords! L’autre se sauve!

– Allez, les oms!

Il s’acharna des crocs sur une surface molle, les oreilles emplies d’un bourdonnement de folie meurtrière. Il sentit enfin le silence s’établir, un silence d’une étrange teneur: de victoire et d’atterrement.

– Le draag est mort, dit une voix.

– L’autre a fui!

Les oms se dénombrèrent, se cherchèrent dans la nuit. Des noms étaient lancés:

– Brave! Où est Brave?

On le trouva enfoncé dans la boue, à peine reconnaissable. Une voix, celle de la Vieille, réclama le silence. Tous les yeux se tournèrent vers la silhouette nerveuse et cassée se dressant sur le talus.

– Oms du Gros Arbre, dit-elle, sans nous, vous y passiez tous. Brave est mort. On va former la même bande, tous ensemble. Mais j’sais pas si vous vous rendez compte qu’on a tué un draag. Faut filer en vitesse!

Des bébés braillaient. Une ome gémissait sur un petit cadavre.

– Silence, les femelles! clama la Vieille. Moi aussi, j’ai perdu mon fils dans le coup. Mais ce qui est fait est fait. Ramassez vos morts et filons sans attendre, et au trot!

Peu après, elle traversa la route, suivie par une misérable troupe d’éclopés. Ils se perdirent dans la nuit.

Au bout d’une centaine de pas, Terr se retourna. Sur le champ de bataille, il vit la tête du draag vaincu renversée en arrière, face aux étoiles. Les deux yeux rouges perdaient peu à peu leur luminescence naturelle.

Terr rattrapa les siens en claquant des dents.

DEUXIÈME PARTIE

1

Le Premier Édile du continent A nord étira ses membranes. Il jeta un œil sur son cadran axillaire et souffla d’impatience. Quittant sa table, il fit les cent pas dans sa loge de travail. Il attendait quelqu’un.

Visite étrange. Que pouvait lui vouloir le Maître Sinh? Il lui sembla se rappeler que celui-ci avait invoqué l’urgence pour obtenir ce rendez-vous.

Il avait à peine arpenté deux fois la pièce quand une voix sortit du diffuseur, annonçant l’éminent visiteur.

– Faites monter! ordonna brièvement le Premier Édile.

Et il ouvrit la porte à l’avance pour honorer le Maître Sinh, grand savant naturaliste du continent.

Quand celui-ci apparut, l’Édile le salua respectueusement.

– Bonheur sur vous, Maître. Entrez dans ma loge et mettez-vous à l’aise.

– Bonheur sur vous, Premier Édile, je suis heureux de vous voir.

Après quelques politesses, les deux draags s’allongèrent face à face sur des matelas de confort.

– Vous aviez parlé d’urgence? fit lentement le Premier tout en cachant soigneusement sa nervosité.

«Vieux fou, songeait-il, quelle idée compliquée a germé dans ta cervelle?»

– En effet, émit la gorge enrouée du vieillard. Je n’irai pas par quatre chemins. Je demande des mesures immédiates contre les oms.

– Les oms? s’étonna le Premier.

– Oui. La situation devient inquiétante. Rassurez-vous, je n’empiète pas sur vos attributions. Il ne me serait pas venu à l’idée de m’occuper des mesures nécessaires à l’hygiène du continent. Mais cela dépasse l’hygiène. Les oms constituent un danger, un danger qui s’affirme de jour en jour!

Il tira de sa tunique divers papiers et demanda:

– Combien, à votre avis, y a-t-il d’oms sur Ygam?

Abasourdi, le Premier eut un geste évasif.

– Il m’est difficile de préciser, avoua-t-il. Le recensement de cette année donne environ dix millions pour le seul continent A nord.

Il coupa de la main une interruption du Maître en ajoutant:

– Bien sûr, il faut y ajouter environ un ou deux millions d’oms errants. Mais certainement pas plus. La désomisation urbaine stoppe leur invasion tous les deux ans.

– Sans être très précis, déclara le Maître, les chiffres que j’ai là dépassent de beaucoup ceux que vous venez d’énoncer, Premier Édile.

D’un geste d’excuse, il atténua la violence de sa contradiction avant de poursuivre:

– Les estimations de la Faculté approchent certainement la vérité de plus près, sans vous offenser.

Il eut un autre geste rassurant:

– Le Conseil Continental est parfait, mon cher Premier, parfait en tout point. Et les mesures qu’il prend sont effectuées avec une régularité digne d’éloges. Mais vos collaborateurs n’ont pas été amenés, comme nous, à étudier la question d’aussi près. Ce qui est tout à fait normal, d’ailleurs. Chacun son métier.

Il toussa un peu, gêné de la brutalité de sa franchise, et dit:

– J’ai parlé de métier. Le nôtre nous a conduits à recenser les oms errants par des méthodes nouvelles, basées sur le nombre de pistes et sur la fréquence des pillages.

Le Premier rit.

– Pillage est un bien grand mot! protesta-t-il. Quelques menus larcins!

– Ne riez pas. Le nombre d’oms sans collier approche de trente millions, sur notre continent. J’ai pris contact avec mes confrères des autres continents. Ils ont utilisé la même méthode. Une simple addition nous donne un total de cent cinquante millions plus trente-cinq millions régulièrement déclarés par leurs maîtres. Il y a donc près de deux cents millions d’oms sur notre planète.

Les deux draags gardèrent un instant le silence. Le Premier reprit la parole au bout d’un instant.

– J’avoue que vous me confondez. Mais comme je n’aurais garde de douter de vos affirmations savantes, nous allons agir. Pensez-vous que dix désomisations par an soient suffisantes pour enrayer l’invasion? Je peux aussi durcir la réglementation des élevages de luxe. Qu’en pensez-vous?

Le vieux draag secoua la tête.

– Pas suffisant, dit-il. Il n’y a pas qu’un problème de multiplication des oms, mais un autre, celui de leur évolution. Et le deuxième est plus préoccupant que le premier.

– Leur… évolution? Expliquez-vous, Maître.

Le savant se redressa sur son matelas de confort et fit claquer ses membranes avec détermination.

– Je vais être obligé de vous faire un cours, s’excusa-t-il. Oh! tranquillisez-vous, je n’entrerai pas dans les détails. Vous savez que les oms ont été acclimatés sur Ygam par nos ancêtres du Deuxième Âge?

– Certes, ils les ont ramenés de la Terre.

– Leur planète d’origine! C’est cela même… Eh bien! savez-vous quelle forme d’organisation avaient les oms, chez eux?

Le premier s’étonna.

– Organisation, dites-vous? Mais ce sont des animaux! Ils erraient par familles, je suppose, ou bien en troupeaux sauvages!

– Pas du tout! Ils vivaient dans de vastes agglomérations de terriers cimentés, où chacun avait sa place. Ils constituaient des sociétés d’environ un million d’individus. Une hiérarchisation étroite y maintenait une discipline sans défaut, automatique. On y choyait les reproductrices, dont le seul travail était d’enfanter. À sa naissance, chaque bébé subissait une sélection qui le destinait à la reproduction, au travail ou au combat. Ils avaient un langage rudimentaire.

– Un langage!

– Parfaitement. Oh! juste quelques vocables servant à des ordres précis, toujours les mêmes! La rigidité de leur organisation les dispensait de perfectionner leurs moyens d’expression. Je pense à un exemple intéressant, un cri d’alerte: fourmi!

– Fourmi? Qu’est-ce que…

– Un cri d’alerte, vous dis-je. Et il est intéressant parce qu’il indiquait l’approche de leur ennemi traditionnel: un insecte géant organisé d’une manière similaire et vivant, lui aussi, dans des cités rudimentaires. Mais passons… Avez-vous entendu parler de la théorie de Spraw?

– Ma foi, non!

– Spraw était un savant du dernier lustre. Il prétendait que les oms avaient connu autrefois une civilisation plus brillante, analogue à la nôtre, mais qu’il fallait voir dans sa perfection même la raison d’une sclérose progressive, d’une fixation du mode de vie. Étroitement emprisonnés dans leurs lois et leurs règlements, les oms n’auraient plus éprouvé le besoin de penser. L’instinct aurait pris la relève de leur intelligence. Pourquoi réfléchir quand on mène une vie parfaite où chacun sait d’avance ce qu’il doit faire? L’intelligence des oms se serait, comment dirais-je, atrophiée progressivement, comme un organe inutile. Il y aurait eu légère régression du niveau de vie, puis fixation. Ainsi se seraient arrêtés les progrès de leur civilisation.

Le Premier Édile ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis il y renonça, faisant simplement signe à son hôte de poursuivre.

– Ce n’était qu’une théorie, dit le Maître. Depuis quelques jours, nous savons que Spraw avait raison. Une mission archéologique a découvert sur la Terre une ville d’oms. Pas une cité primitive de terriers, comprenez-vous? Une ville! Et mille indices nous affirment que cette ville fut l’œuvre d’oms civilisés! On l’a trouvée par miracle sous les boues littorales d’un océan. Le résultat des fouilles nous étonne un peu plus tous les jours. C’est un événement considérable.

De ses poings fermés, le Premier Édile se frotta vigoureusement les tympans.

– Je vois où vous voulez en venir, devina-t-il. Vous craignez que les oms errants ne reconstituent leur ancienne civilisation, avec tous les dangers que cette éventualité créerait pour la nôtre. Cela me paraît…

– Excessif? coupa le savant. Écoutez bien, mon cher Premier. Chacun sait que l’om est un animal intelligent. Ce qui est grave, c’est qu’il le devient de plus en plus. Certains oms parlent. Non pas seulement quelques mots! Ils forment des phrases! L’om savant est devenu une attraction fréquente dans les spectacles, à tel point que la foule s’en désintéresse. C’est un numéro sans aucune originalité. Or, au dernier lustre, alors que j’étais enfant, cette attraction n’existait pas! J’ai ici…

Il fouilla dans ses papiers.

– J’ai apporté des relevés de statistiques. Dans la seule ville de Torm, il a été déclaré à la police par des propriétaires…

Il lut:

– Au mois du Lion 713: cent trois pertes d’oms. Au mois de l’Oiseau: cent quarante-cinq pertes. Mois du Poisson: deux cent dix. Ensuite, de mois en mois, nous avons successivement: deux cent vingt-sept, trois cent deux, sept cent vingt et un, bond fantastique! Pour arriver au mois dernier avec (tenez-vous bien) mille deux cent trente-six déclarations de perte! On devrait dire déclarations de fugue. Dans chaque cas, l’om en question se montrait particulièrement intelligent. Dans un cas sur trois, la fugue volontaire est prouvée.

Il parla encore longtemps, donna d’autres chiffres, s’appuya sur des faits et conclut:

– Voilà ce que nous avons provoqué! Nous avons… détribalisé l’om, nous l’avons rendu à son individualité. Il y a certes perdu les trois quarts de ses instincts sociaux tyranniques, mais non son instinct grégaire. Et il retrouve en plus son intelligence, son goût de la liberté; peut-être demain son goût de la conquête. Nous l’avons sorti de l’impasse de l’instinct pour le replacer sur la route du progrès.

Le Premier Édile se leva.

– Vous m’avez convaincu, Maître Sinh, dit-il. Je vais intervenir au Grand Conseil. Mais tranquillisez-vous un peu, ajouta-t-il dans un sourire, la conquête des draags par les oms n’est pas pour demain!

– Ne riez pas, Premier, nous n’en savons rien!

– Il ne faut rien exagérer.

– Vraiment? Et l’accident de Klud?

Le Premier leva les bras au plafond:

– Cette vieille histoire! Il n’est même pas prouvé que ces deux draags aient été agressés par des oms. Personnellement, j’ai peine à le croire!

Le Maître fouilla sa poche de tunique:

– Moi, j’ai des preuves, dit-il. Regardez ce que m’a donné un confrère du continent Sud.

Il tendit une fiximage au Premier Édile et commenta:

– L’endroit était peu fréquenté. On n’a retrouvé les cadavres qu’au bout de six jours et la décomposition en était avancée. Impossible de rien tirer du premier cadavre, celui du fossé. Mais à deux stades de là, le draag effondré sur la route avait moins souffert. Regardez ça!

– C’est?

– Le flanc droit, au niveau de la vingt-troisième côte. Une belle morsure d’om, n’est-ce pas?


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю