Текст книги "Oms en série"
Автор книги: Stefan Wul
Жанр:
Научная фантастика
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4
Terr courait. Il avait déjà franchi une dizaine de terre-pleins et avait dévalé un plan incliné à toute vitesse lorsqu’il se sentit brusquement étranglé par son collier. Il lâcha les écouteurs et porta les mains à son cou.
Tiré par une force invisible, il fit trois pas en arrière et se retourna pour subir la traction sur la nuque et non sur la gorge. Il fit encore quelques pas malgré lui et se cramponna de toutes ses forces à une barre métallique dépassant du parapet.
À cet instant, il sentit une main dure se poser sur son épaule. Il faillit crier de rage et tourna vers l’intrus un visage congestionné par l’effort. Un grand om à barbe noire était derrière lui et lui disait:
– C’que t’es ballot!
– Aide-moi, suffoqua Terr.
En ricanant, l’inconnu pressa le bouton du collier. Celui-ci s’élargit assez pour laisser passer la tête du petit om. L’om barbu ricana encore, brandit le collier qui paraissait vouloir s’envoler et le lâcha d’un seul coup. L’objet fila dans les airs, rebondit sur un terre-plein et disparut à leurs yeux.
– Faudrait qu’ils le prennent en pleine fente nasale! s’exclama le barbu. Ça les retarderait un peu!
Il poussa Terr par les épaules.
– Filons vite!
Le petit om suivit d’abord son nouvel allié qui détalait à toutes jambes, puis il s’arrêta net et revint sur ses pas.
– T’es fou! hurla son sauveur.
Sans répondre, Terr ramassa les écouteurs qu’il allait oublier, les posa sur son épaule et, plié sous leur poids, rattrapa son compagnon qui avait charitablement ralenti.
– Jette ça, conseilla le grand om, sans perdre une foulée.
– Non, j’en ai besoin, haleta Terr.
– C’est bien ce que j’disais, t’es fou. Allez donne.
Il arracha les écouteurs au petit garçon et les hissa sur ses propres épaules.
– Je suis plus fort que toi!
– Où allons-nous?
– T’occupe pas!
Une voix lointaine cria:
– Terr! Viens chercher un sucre!
Mais Terr n’entendait pas. Ses oreilles bourdonnaient. Il chancela et s’abattit sans connaissance, épuisé par un effort auquel sa vie d’animal de luxe ne l’avait pas habitué.
Son compagnon s’arrêta, parut chercher, avisa un coin d’ombre sous un palier de ciment et y cacha les écouteurs. Puis, se baissant, il ramassa le garçon inanimé et obliqua prudemment hors de la petite agglomération.
Il se coula dans un fossé environné de hautes herbes et, marchant à couvert pendant une bonne demi-heure, atteignit un terrain vague où achevaient de rouiller et de se disloquer une grande quantité de sphères hors d’usage.
Il déposa Terr sur le sol et le gifla sans aucune douceur. À la troisième gifle, le jeune garçon hoqueta et reprit ses sens. Il ouvrit la bouche et respira bruyamment.
– Ça va mieux? s’enquit le barbu.
– Oui… Bonheur sur toi…
– Je m’appelle Brave.
– Bonheur sur toi, Brave… je, mais qui es-tu?
– Un om!
– Je veux dire… tu sais parler!
– Toi aussi, petit.
– Je croyais être une exception. Je croyais être le seul om à savoir parler.
Brave se peigna la barbe avec les doigts.
– Tu n’es pas le seul, mais c’est rare. Et en général, un om qui sait parler ne peut souffrir la servitude.
Terr s’étonna:
– Il y a des mots que tu dis… je ne les comprends pas. Que veut dire servitude?
– Je t’expliquerai. Tes maîtres savent-ils que tu parles?
– Non… c’est-à-dire qu’ils commençaient à s’en douter. Moi, j’ai appris comme ça, à force de les entendre. Et puis j’entendais les leçons de Tiwa.
– Qui est Tiwa?
– Ma petite maîtresse. Alors, je savais parler, mais eux continuaient à m’adresser la parole comme à un… comme à un chien. Tu as déjà vu des chiens? C’est drôle, hein, c’est encore plus petit qu’un om! C’est gentil!.. Que disais-je?… Oui, alors je n’osais pas parler autrement que pour dire: sucre – moi content – faim… Et puis aujourd’hui, ils m’ont entendu parler normalement. Et ils faisaient des yeux terribles, et ils n’avaient pas l’air content. Ça m’a un peu effrayé, pas trop!..
– Et alors?
– Alors, je me suis dit: je ne leur montrerai plus que je sais parler, ils pourraient me fouetter comme lorsque j’ai volé du sucre à la cuisine.
– Et tu es parti?
– Non, pas tout de suite… Il faut que je t’explique qu’il y a une chose merveilleuse, une chose que j’aime par-dessus tout: les écouteurs d’instruction. Ils montrent des images, ils disent des choses. Et quand on sait ces choses-là, on se sent… comment dire… plus fort. Oui, c’est ça, plus fort!
– Alors, tu les as volés!
– Quoi?
– Les écouteurs!
– Ah! oui, j’avais l’impression qu’ils ne voulaient plus que je continue à les écouter quand Tiwa s’instruisait, alors pour moi, c’était terrible… Oui, je les ai volés.
Il se dressa d’un seul coup, le visage tout rouge.
– Où sont-ils? Tu les as perdus?
– J’les ai cachés, dit Brave. Nous les retrouverons.
Terr eut l’air très ennuyé.
– Tu es sûr?
– Oui, pour te faire plaisir. Parce que, pour moi, les écouteurs, c’est des sales trucs de draags, je trouve que ça sert à rien. Mais j’irai te les chercher. N’aie pas peur!
Brave se peigna encore la barbe et poursuivit:
– Alors, comme ça, tu es parti sans savoir où tu allais, comment t’allais vivre, manger, boire?
Terr prit un air penaud.
– Je n’ai pas pensé à tout ça!
– Ouais. Eh bien! je vais te dire. T’as eu de la chance de tomber sur moi.
– Que dis-tu?
Brave le singea en prenant une petite voix:
– Que dis-tu, que dis-tu? Va donc, eh, om de luxe! T’as tout à apprendre; des choses que les écouteurs ne disent pas!
Terr se gratta l’oreille:
– Quelquefois, je ne te comprends pas.
– Je sais, je sais. Bon, maintenant tu vas venir avec moi. Sans moi, t’es fichu. Et tu vas m’obéir. J’suis le chef de la bande.
– La bande?
– Ouais, la bande du Gros Arbre.
– Oh!
– Quoi, oh?
– Ce qui m’ennuie au fond, c’est que… j’ai peur que Tiwa soit malheureuse de m’avoir perdu.
Brave frappa ses mains avec impatience.
– Petit gars, tu dis des bêtises. Quand tu auras passé un peu de temps parmi nous, tu changeras de sentiments pour ta Tiwa, crois-moi. Allez, tu n’es plus fatigué maintenant. En route, nous avons une longue marche devant nous. La nuit tombe.
5
Ils marchèrent en effet fort longtemps dans la nuit. Si longtemps qu’à son réveil, Terr ne se rappela pas quand il s’était endormi.
Il se retrouva couché dans une espèce de nid fixé par des étais de bois entre les fourches d’un arbre. Partout, autour de lui, des rameaux se froissaient doucement sous la brise et laissaient passer d’ondoyantes taches de lumière venue du ciel étoilé.
Habituée aux coussins, sa peau fragile était irritée par les mille piqûres des brins d’herbes sèches constituant sa couche. Il se leva sur un coude en se grattant furieusement les jambes de son bras libre et appela doucement:
– Brave!
Quelque chose bougea sous lui; il baissa des yeux déjà habitués à l’obscurité et vit un om qu’il ne connaissait pas. Un vieil om à barbe et à cheveux blancs.
– Brave n’est pas là, dit le vieux, il est reparti chez les draags. Tu lui as fait perdre du temps, petit. Mais il était tout heureux de t’avoir sauvé.
– Qui es-tu, vieil om? demanda Terr.
Le vieillard lui fit signe de descendre. Terr, tremblant de vertige, s’aida des fissures et des nœuds du bois pour se laisser glisser jusqu’au vieux. Il se retrouva à ses côtés dans un nid un peu plus spacieux.
– Qui es-tu? répéta-t-il.
– Mon maître m’appelait Fidèle. Et vraiment, je méritais mon nom. Mon maître était un bon draag et il était impossible de ne pas l’aimer. Mais un jour, il est parti pour un long voyage et m’a confié à des voisins qui me battaient et ne me donnaient pas à manger. Alors, j’ai profité de la première occasion pour m’enfuir. Il y a de cela bien longtemps. Et toi, petit, comment t’appelles-tu?
– Je m’appelle Terr.
– Ça ne veut rien dire…
– C’est plus vite dit que Terrible.
Le vieillard eut un mince sourire:
– Terrible! Voyez-vous ça!
Il toucha les bras du jeune garçon et ajouta:
– Tu n’es pas trop mal bâti, mais tu as besoin de te faire des muscles. Quel âge as-tu?
– Tiwa, ma maîtresse, dit que j’ai cent jours… Pourquoi portes-tu un collier, Fidèle? N’es-tu pas un om sauvage?
– Tous les oms, même sauvages, portent un collier. N’as-tu pas remarqué celui de Brave?
– Non. Il a trop de barbe et de cheveux. Je n’ai pas remarqué.
– Ce sont de faux colliers, dit Fidèle. Si un om était trouvé sans collier, on le reprendrait. À moi-même, quand j’étais plus jeune, il est arrivé de me faire prendre par un garde. Quand il a vu mon collier, il a dit: «Cet om doit appartenir à quelqu’un du voisinage.» Et il m’a relâché. Nous te donnerons un faux collier.
Terr resta un instant songeur.
– J’ai très faim, dit-il, au bout d’un moment de silence. N’as-tu pas une pâtée à me donner?
Le vieux dressa un doigt en l’air.
– Au-dessus de ton nid, tu trouveras un godet de sève.
– De sève?
– Oui, Brave a entaillé le bois de l’arbre. La sève coule dans un godet à ton intention. Tu verras, cela ressemble au sucre. Tu n’auras plus faim ni soif.
Le petit om frémit à l’idée de se livrer encore à des acrobaties dangereuses. Mais, poussé par la faim, il escalada les branches et trouva le godet placé au-dessus de son nid.
Il y but un liquide épais et tiède, avec un très vague goût sucré. Cette grossière nourriture ne lui plut pas, mais il en prit assez pour se sentir moins faible et redescendit tenir compagnie au vieux Fidèle.
– Ça va mieux, petit? demanda le vieillard.
– Oui, mais je n’aime pas beaucoup ça.
– Tu t’y feras. Et puis nous avons quand même autre chose.
– Où sont les autres oms sauvages?
– Justement, ils sont tous en chasse pour ramener tout ce qui peut nous être utile. En général, ils le volent aux draags.
Une idée trotta par la tête de Terr.
– Volent-ils des écouteurs d’instruction?
Le vieux ricana:
– Non. Pour quoi faire?
Terr éluda la question.
– Moi, j’en ai volé.
– Ah?
– Oui. J’aime bien m’instruire. Ça me rend plus fort.
– Et tu es instruit?
– Un peu, je sais lire. Je comprends aussi beaucoup de choses parce que j’écoutais Tiwa pendant ses heures d’étude.
– Crois-moi, petit, l’instruction des draags est peut-être amusante, mais elle n’est d’aucune utilité aux oms. Ce qui te serait très utile, par contre, c’est de savoir courir vite, grimper aux arbres, voler sans te faire prendre…
Des bruits de voix et des froissements de feuillage se firent entendre au pied de l’arbre. Bientôt, on vit plusieurs silhouettes escalader les branches en contrebas. Jusqu’au moment où le visage de Brave apparut à la hauteur du nid.
– Tiens, dit celui-ci, l’om de luxe est réveillé.
Il montra les écouteurs posés à cheval sur son épaule et ajouta:
– Regarde ce que je t’apporte, om de luxe.
– Oh! dit Terr tout heureux, bonheur sur toi, Brave!
D’autres oms apparurent; l’un d’eux, noir et crépu, riait souvent en montrant ses dents blanches et répondait au nom de Charbon. Quelques femelles faisaient partie de la bande, ainsi que quelques enfants presque aussi jeunes que Terr. Ils étaient tous musclés par leur vie rude et portaient en se jouant de lourdes boîtes de conserve, des fruits géants, des rouleaux de fils métalliques et divers objets ravis aux draags.
Ils s’assemblèrent autour de Terr avec une bienveillante curiosité.
– Quel âge t’as? lui lança un jeune garçon.
– Cent jours, répondit Terr tout intimidé.
– Cent? Qu’est-ce que ça veut dire? Moi j’ai deux fois dix mains de mains de jours, plus deux, repartit le jeune garçon en rejetant fièrement ses longs cheveux en arrière. Fais voir si t’es costaud.
Joignant le geste à la parole, il donna une poussée à Terr et faillit le faire tomber du nid. Brave s’interposa et envoya une taloche dans la figure de l’agresseur.
– Du calme, Vaillant, Terr n’est pas encore habitué à la vie que nous menons.
– Tu as surveillé le bébé, Fidèle? s’enquit une ome aux formes sculpturales.
– Oui, fillette, ton bébé n’a besoin de rien.
– Je vais monter voir, dit l’ome en sautant de branche en branche vers le sommet de l’arbre.
Elle croisa Brave qui était monté poser les écouteurs dans le nid réservé à Terr. Brave se laissa tomber à cheval sur une branche toute proche. Il leva le bras et dit:
– Écoutez, vous tous. J’veux que tout le monde soit très gentil avec Terr. Pendant quelque temps, il se contentera de rester dans l’arbre et de ranger tout ce que nous rapportons, aidé de Fidèle. Il faut que cet om de luxe s’habitue à l’effort et se fasse des muscles. Après, j’veillerai à son éducation.
Il se tourna vers Terr:
– Quant à toi, comme je t’ai déjà dit, tu m’obéiras au doigt et à l’œil. Je t’ai rapporté tes écouteurs pour te faire plaisir, mais t’auras le droit de t’amuser avec qu’après avoir fait ton travail. Compris?
– Oui, dit Terr d’une toute petite voix.
Il se sentait tout triste, regrettait Tiwa et la salle de nature. Il avait un peu froid, se sentait alourdi par la sève à laquelle il n’était pas habitué. Bref, plus malheureux que jamais, il souhaitait se trouver enfermé dans une omerie confortable, loin de toutes ces brutes bienveillantes.
– Viens avec moi, dit Brave.
Docile, Terr le suivit, escalada des branches, passa les endroits difficiles en tirant sur de souples rameaux comme sur des cordes et parvint à une branche énorme. Il vit Brave disparaître dans un trou de cette branche et s’engagea à sa suite dans une espèce de caverne grossièrement taillée à même le bois.
– Je ne vois rien, il fait noir, dit Terr.
– Attends un peu, fit la voix de Brave.
Terr entendit un gémissement d’effort et la caverne s’éclaira d’un seul coup. Brave désignait fièrement une énorme pierre posée sur une tige de métal.
– Mais c’est… hasarda Terr.
– Oui, dit Brave, c’est une lampe de draag; les autres ne sont pas assez forts. Tu vois, je pose cette grosse pierre sur le bouton. Pour éteindre, j’enlève la pierre.
Terr jeta les yeux autour de lui. Il était dans un vaste magasin de bric-à-brac. Des piles de boîtes de toutes tailles s’alignaient en vrac sur le sol.
– Voilà, dit Brave. Tu vas ranger tout ça. Tu mettras les boîtes avec les boîtes, les rouleaux de fil avec les rouleaux de fil. Tu feras de même pour le reste.
– Mais, dit Terr en désignant une pile de boîtes, dois-je ranger celles qui sont déjà empilées?
Brave le regarda comme s’il avait affaire à un imbécile total.
– Tu ne vois pas qu’elles sont déjà rangées?
– Oh! non, dit Terr; tu as mis des boîtes d’aliments avec des boîtes de médicaments. Il y a même là une boîte de poudre pour soigner des membranes de draags.
Brave resta un moment silencieux.
– Toutes ces boîtes ont la même forme, dit-il enfin. Comment devines-tu ce qu’il y a dedans?
– C’est marqué dessus… Là, ces petits signes, c’est fait pour lire.
Brave se peigna la barbe d’un geste qui lui était familier. Il murmura:
– Alors, lire, ça veut dire deviner ce qu’il y a dans les boîtes avec les signes qui sont là? J’avais jamais bien compris ce que ça voulait dire: lire… Eh bien, si c’est comme ça, fais à ton idée. Ça nous évitera de passer des heures d’efforts à ouvrir des boîtes qui ne servent à rien.
– Bon!
Avant de sortir, Brave hésita:
– Dis-moi, petit… C’est avec les écouteurs d’instruction qu’on apprend à lire?
– Bien sûr.
Brave s’en alla en se grattant la tête.
6
Au bout de quelques jours, Terr fut parfaitement rompu à toutes les gymnastiques exigées par sa nouvelle vie arboricole.
Il avait un peu grandi, et ses muscles étaient plus nets sous sa peau bronzée. De plus en plus souvent, Brave l’emmenait courir dans les jardins d’alentour, lui enseignait à se cacher, à ramper sans être vu des draags, à voler des fruits et des légumes plus gros que lui.
Un jour, il lui donna un collier destiné à travestir sa situation irrégulière et l’emmena jusqu’à la ville.
– N’oublie pas, lui dit-il, qu’il ne faut jamais montrer à un draag que tu sais parler. Cela te permettra, entre autres choses, de pouvoir jouer les imbéciles si on te pose des questions sur tes maîtres ou sur les raisons pour lesquelles tu te trouves ici ou là. Pour le reste, j’t’ai appris assez de combines pour pouvoir t’en tirer tout seul.
Ils marchaient l’un derrière l’autre dans un fossé herbeux.
– Qu’allons-nous faire exactement? demanda Terr.
Brave eut un petit rire de plaisir anticipé.
– Je t’ai emmené parce que tu sais lire, dit-il. Nous allons voler. Tu liras ce qu’il y a dans les boîtes, comme ça je me donnerai pas de peine pour rien en volant des choses inutiles. Est-ce que tu sais nager?
– Oui, pourquoi?
– Tu verras bien. Maintenant, tais-toi. Nous allons continuer en silence.
Ils s’engagèrent dans un tuyau qui se perdait dans les profondeurs d’un mur de béton. Terr marchait à l’aise, mais devant lui, la grande silhouette de Brave était pliée en deux.
Ils bifurquèrent plusieurs fois dans l’ombre de plus en plus épaisse. Craignant de se perdre dans ce labyrinthe, Terr restait collé à son guide. Au bout d’un moment, ce dernier s’arrêta et lui dit à l’oreille:
– Maintenant, ça va monter. Tu grimperas facilement en t’aidant du dos et des genoux. Laisse-moi un tout petit peu d’avance pour ne pas me gêner.
Suant et soufflant, ils se hissèrent lentement dans un tube montant à la verticale. Bientôt, une lueur de jour se précisa au-dessus d’eux. Elle venait d’une petite grille obstruant l’entrée du conduit.
Les genoux et les reins bien calés contre les parois, Brave souleva doucement la grille et passa la tête au dehors. Rassuré par son observation, il émergea du tuyau et tendit la main à Terr pour l’aider à sortir.
Ils se trouvèrent dans une salle immense où des échafaudages métalliques soutenaient des machines qui ronronnaient tranquillement, sans aucune surveillance. Des roues géantes, des cames et des engrenages dansaient un ballet compliqué dans tous les angles de la salle.
L’attention de Terr fut attirée par des files de boîtes cylindriques avançant par saccades sur des glissières parallèles. Ces glissières se perdaient dans un tunnel obscur que Brave désigna du doigt.
– Il faut passer par là, dit-il en entraînant son jeune compagnon.
Ils grimpèrent par des croisillons métalliques et se hissèrent chacun sur une boîte. Secoué à chaque pulsation de la file, Terr se cramponna comme sur le toit d’un wagon en marche, tandis que Brave prenait de l’avance en sautant de boîte en boîte pour aller plus vite. Par orgueil, Terr se mit debout et le suivit aussi rapidement que possible, guidé dans l’ombre par de vagues reflets argentant les couvercles où il posait les pieds.
Ils parvinrent à une seconde salle où d’autres machines saisissaient les boîtes l’une après l’autre, les roulaient, les frappaient de divers caractères draags et les relâchaient dans un second tunnel.
Imitant son guide, Terr sauta à terre avant de se faire happer par les machines et courut au second tunnel.
La troisième salle était beaucoup plus grande que les autres. Le bruit y était supportable. Guidées par des glissières mobiles se décalant d’un cran par seconde, les boîtes s’empilaient le long des murs en colonnades bariolées.
– Voilà, dit Brave. Tu sais lire. Tu vas me dire quelles boîtes il faut prendre.
Terr lut des inscriptions qui ne lui apprirent pas grand-chose de bon. Il s’approcha d’une pile de boîtes et lut:
RECONSTITUANT MX
Extrait de foies de jeunes mammifères
associé à microéléments 1 et 2;
présenté sous forme de dragées.
– Celui-là est bon, affirma-t-il.
– Bien, dit Brave. Nous allons en voler dix boîtes. Terr regarda avec appréhension les boîtes aussi grandes que lui.
– Comment pourrons-nous emporter tout ça? dit-il. Ce n’est pas possible.
– J’vais t’expliquer. Viens près de cette fenêtre. Terr s’approcha docilement. Brave lui montra en contrebas un fort courant d’eaux sales recrachées par l’usine.
– Nous allons faire tomber les boîtes dans l’eau. Elles flotteront et seront poussées par le courant très loin d’ici. Je sais où. Il n’y aura plus qu’à aller les chercher avec les autres oms.
– Mais alors, s’exclama Terr, pourquoi seulement dix boîtes?
– Parce que ça se verrait! Ils se méfieraient et feraient surveiller l’usine. Nous ne pourrions plus revenir sans nous faire prendre. Tandis qu’avec dix boîtes de temps en temps, ils ne s’aperçoivent de rien; tu comprends? Allez, couche-les par terre une par une et roule-les jusqu’à moi, c’est pas difficile. Moi, j’vais les soulever pour les passer par-dessus le bord de la fenêtre.
Terr saisit une première boîte à pleins bras et tira de toutes ses forces, il réussit à la faire basculer et d’une poussée, l’envoya rouler près de Brave. Celui-ci se baissa, crispa les doigts sous la boîte et la remonta le long du mur avec un gémissement d’effort. Il la hissa sur le bord de la fenêtre et l’envoya dans le vide.
Pendant ce temps, Terr lui envoyait une deuxième boîte et se retournait déjà pour en saisir une autre lorsqu’il fut glacé sur place par la voix d’un draag.
– Je vous y prends, bande de voyous!
– Saute, s’exclama Brave, saute par la fenêtre!
Figé, Terr vit arriver sur lui l’immense stature du draag en colère. Alors que la main du géant s’inclinait vers le sol, le petit om bondit et courut à la fenêtre. Brave le saisit sous les aisselles et l’envoya dans la rigole qui coulait un demi-stade plus bas.
Terr plongea dans l’eau sale, refit surface et, entraîné à toute vitesse, tourna la tête pour voir Brave tomber à son tour. Il nagea de toutes ses forces dans le sens du courant, mais fut bientôt rattrapé par son compagnon.
– Je croyais qu’il allait te prendre, dit Terr.
– Il m’a pris, sourit Brave dans sa barbe humide, il m’a pris par les cheveux, mais je l’ai mordu et il a tout lâché.