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Arsène Lupin
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Текст книги "Arsène Lupin"


Автор книги: Maurice Leblanc


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Scène VII

LE DUC, GUERCHARD, LE JUGE LE COMMISSAIRE

LE DUC

Monsieur Guerchard… une pareille mesure…

GUERCHARD

Ah !… Monsieur le Duc, je suis désolé, mais c’est mon métier… ou si vous préférez mon… devoir… D’autant qu’il se passe des choses que je suis encore seul à savoir et qui ne sont pas claires. Votre futur beau-père vient de se mettre au lit ayant reçu ce télégramme.

(Il lui tend un télégramme.)

LE DUC, jetant un rapide coup d’œil et haussant les épaules.

Oh !… et vous avez coupé là-dedans… quelle fumisterie !

GUERCHARD

Euh ! Euh !

LE DUC, au juge et au commissaire.

Voyons, Messieurs, je vous fais juge. Mon futur beau-père a reçu ce télégramme et monsieur que voici le prend au sérieux.

LE JUGE

Ah ! Donnez… (Il lit.) « Mille excuses de n’avoir pu tenir promesse pour diadème, avais rendez-vous aux Acacias. Prière préparer ce soir diadème dans votre chambre. Viendrai sans faute le prendre entre minuit moins un quart et minuit. Votre affectueusement dévoué : Arsène Lupin. ». C’est idiot !… Comment, vous, Guerchard, un homme… Eh bien, où est-il passé ?

LE COMMISSAIRE

Il a dû sortir.

LE JUGE

Tant mieux, nous pourrons dire deux mots librement. Messieurs, il faut nous défier de Guerchard. Quand il croit avoir affaire à Lupin, il perd la boule. Ah çà ! Messieurs, si Lupin était venu cette nuit, si Lupin avait convoité le diadème, il aurait cambriolé, tout au moins essayé de cambrioler, soit le coffre-fort de la chambre de Gournay-Martin dans lequel se trouve le diadème, soit ce coffre-fort (allant au coffre-fort) qui est ici et dans lequel se trouve la seconde clef.

LE COMMISSAIRE

Évidemment.

LE JUGE, continuant.

S’il n’a rien essayé cette nuit, quand il avait la partie belle, que l’hôtel était vide, il n’essaiera pas maintenant que nous sommes prévenus, que la police est sur pied et que l’hôtel est cerné !… Messieurs, cette dernière supposition est enfantine et inquiétante pour la mentalité de Guerchard !

(Il s’est appuyé sur le coffre-fort. À ce moment il chancelle, la porte s’est ouverte brusquement. Guerchard sort du coffre-fort.)

TOUS

Hein ?

GUERCHARD

Vous savez qu’on entend très bien d’ici.

LE JUGE

Nom de nom ! Comment êtes-vous entré là-dedans ?

GUERCHARD

Entrer n’est rien… c’est sortir qui est dangereux. On avait laissé une cartouche source. J’ai failli sauter avec la porte.

LE JUGE

Comment êtes-vous entré, sacrebleu ?

GUERCHARD

Par le cabinet noir ; il n’y a plus rien derrière…

TOUS

Allons donc.

(Guerchard rentre dans le coffre et disparaît.)

TOUS

Ah !

(Guerchard réapparaît par la porte de droite au premier plan.)

TOUS

Ah !

GUERCHARD

On a fait sauter la plaque de tôle… ah ! c’est de la belle ouvrage !…

LE JUGE

Et la clef ? La clef du coffre-fort de là-haut, lequel contient le diadème. Cette clef y est, n’est-ce pas ?

GUERCHARD

Ah ! non… mais j’ai trouvé mieux.

TOUS

Quoi ?

GUERCHARD

Je vous le donne en mille !

LE JUGE

Voulez-vous parler !

GUERCHARD

Votre langue au chat ?

LE JUGE, furieux.

Guerchard !

GUERCHARD, élevant un carton entre ses doigts.

La carte d’Arsène Lupin !

LE JUGE

Nom de nom !

Rideau


ACTE III

(Il n’y a pas d’entracte entre le deuxième et le troisième acte.)

Même décor. La nuit : lampes allumées. La fenêtre du fond est fermée. La scène est vide.


Scène première

GUERCHARD, LE DUC

GUERCHARD, penché sous le manteau de la cheminée.

Ça va, monsieur le Duc. Ça n’est pas trop lourd ?

LE DUC, dans la cheminée, invisible.

Non.

GUERCHARD

Le passage est suffisant ? Vous tenez bien la corde ?

LE DUC

Oui… Attention !

(Guerchard fait un bond en arrière. On entend un bruit formidable dans la cheminée, c’est un bloc de marbre qui est tombé.)

GUERCHARD

Nom d’un chien ! Encore un peu… j’y étais ! Ouf ! J’ai eu chaud. Vous avez donc lâché la corde ?

LE DUC

C’est elle qui a lâché. Vous l’aviez mal attachée. (Il est descendu et apparaît recouvert d’un cache-poussière qu’il enlève. Il est en habit.) Mais vous avez raison, la piste est claire.

GUERCHARD

Mais oui ! L’autre était enfantine. Les traces de pas dans le jardin, l’échelle, le guéridon sur le rebord de la fenêtre… C’est une piste qui ne tenait pas debout. C’est une piste pour juge d’instruction. Nous avons perdu toute une journée.

LE DUC

Alors, la piste vraie ?…

GUERCHARD

Nous venons de la voir ensemble. Les deux hôtels, celui-ci et l’immeuble voisin, lequel est inoccupé, communiquant.

LE DUC

C’est une façon de parler… Ils communiquent par l’ouverture que Lupin et sa bande ont pratiquée dans le corps de la cheminée.

GUERCHARD

Oui. C’est un truc assez connu. Les vols chez les grands bijoutiers s’opèrent parfois ainsi. Mais ce qui donne au procédé un cachet assez nouveau et de prime abord déroutant, c’est que les bandits ont eu l’audace de percer à trois mètres du foyer un orifice assez large, pour pouvoir cambrioler tout un mobilier.

LE DUC

C’est vrai, l’orifice s’ouvre en véritable baie dans une pièce de l’immeuble voisin, au deuxième étage. Ces brigands sont capables de tout, même d’un travail de maçonnerie…

GUERCHARD

Oh ! tout cela a été préparé de longue main ; mais maintenant je suivrais leur piste, chacun de leurs pas, les yeux fermés. Car toutes les preuves nous les avons… fragments de cadres dorés, fils de tapisserie, etc. Une fois le cambriolage effectué, l’immeuble voisin étant vide, ils ont pu descendre tranquillement par l’escalier et sortir par la grande porte.

LE DUC

Ils sont descendus par l’escalier, vous croyez ?

GUERCHARD

Je ne crois pas, j’en suis sûr. Tenez, ces fleurs, je les ai trouvées dans l’escalier, elles sont encore fraîches.

LE DUC

Hein ! mais j’ai cueilli des fleurs semblables hier à Charmerace. C’est du Salvia.

GUERCHARD

Du Salvia rose, monsieur le Duc ! Je ne connais qu’un jardinier qui ait réussi à obtenir cette nuance. C’est le jardinier de M. Gournay-Martin.

LE DUC

Mais alors… les voleurs de cette nuit… mais oui… ça ne peut être…

GUERCHARD

Allez… dites votre idée.

LE DUC

Les Charolais.

GUERCHARD

Parbleu !

LE DUC

C’est vrai… C’est passionnant. Ah ! si on pouvait avoir une preuve !

GUERCHARD

Nous l’aurons tout à l’heure.

LE DUC

Comment ça ?

GUERCHARD

Oui, j’ai téléphoné à Charmerace. Le jardinier était absent, mais dès mon retour, il m’appellera au téléphone. Nous saurons alors qui a pénétré dans les serres.

LE DUC

C’est passionnant ! Ces indices… ces pistes qui se croisent… Chaque fait qui peu à peu reprend sa place normale… Passionnant !… Une cigarette ?

GUERCHARD

C’est du caporal ?

LE DUC

Non, du tabac jaune, du Mercédès.

GUERCHARD

Merci.

LE DUC, allumant une cigarette.

Oui, passionnant. Alors, les voleurs venaient de Charmerace… Ce sont les Charolais… ils sont sortis par l’hôtel voisin et c’est par là qu’ils sont entrés.

GUERCHARD

Ah ! non…

LE DUC

Non ?

GUERCHARD

Non, ils sont entrés par la porte de l’hôtel où nous sommes.

LE DUC

Mais qui leur aurait ouvert ? Un complice, alors ?

GUERCHARD

Oui.

LE DUC

Qui ?

GUERCHARD, il sonne. À Boursin qui entre.

Fais venir Victoire, la femme de charge.

(Boursin sort.)

LE DUC

Comment ! Victoire ! Le juge d’instruction l’a interrogée cet après-midi ; il semblait croire à son innocence.

GUERCHARD

Oui… comme il semblait aussi n’ajouter qu’une importance secondaire à la piste de la cheminée, celle que nous venons de vérifier ensemble. L’innocence de Victoire ! Monsieur le Duc, il y a certainement un innocent dans tout ceci. Savez-vous qui c’est ?

LE DUC

Non.

GUERCHARD

Le juge d’instruction.


Scène II

LES MÊMES, VICTOIRE

(Boursin fait entrer Victoire.)

VICTOIRE, entrant, à Boursin.

On va encore me cuisiner ? (Elle entre, à Guerchard.) C’est-y qu’on va encore me cuisiner ?

GUERCHARD

Asseyez-vous. Vous couchez dans une mansarde, dont la lucarne donne sur le toit…

VICTOIRE

À quoi ça sert tout ça, à quoi ça sert ?

GUERCHARD

Voulez-vous me répondre ?

VICTOIRE

J’ai déjà répondu, oui, à un autre juge. Même que celui-là est bien conciliant ; mais vous, je sais point ce que vous avez après moi !…

GUERCHARD

Vous avez donc passé la nuit dans votre mansarde, et vous n’avez entendu aucun bruit sur le toit…

VICTOIRE

Sur le toit, maintenant… Vlà un malheur…

GUERCHARD

Vous n’avez rien entendu ?

VICTOIRE

J’ai dit ce que j’ai dit ; j’ai entendu des bruits qu’étaient pas catholiques et qui sortaient des escaliers… Je suis entrée dans ce salon, et j’ai vu ce que j’ai vu.

GUERCHARD

Mais qu’avez-vous vu ?

VICTOIRE

Des maraudeurs… Ils s’enfuyaient par la fenêtre avec des sacs d’objets.

GUERCHARD

Par la fenêtre ?

VICTOIRE

Oui.

GUERCHARD

Pas par la cheminée ?…

VICTOIRE

La cheminée… Vlà encore un malheur !

LE DUC, à Guerchard.

Elle a l’air d’une brave femme pourtant.

GUERCHARD, à Victoire.

Tout à l’heure, où étiez-vous placée ?

VICTOIRE

Dans la cheminée derrière l’écran…

GUERCHARD

Mais quand vous êtes entrée…

VICTOIRE

Oh !… l’écran n’était point là.

GUERCHARD

Montrez-moi où il était… Déplacez-le… Attendez ! Ah ! il ne faut pas perdre l’emplacement exact des quatre pieds. Voyons… de la craie… Ah ! vous êtes peu coutumière ici, n’est-ce pas, ma brave femme ?

VICTOIRE

Oui. C’est moi qui raccommode pour les domestiques et qui m’occupe de la couture.

GUERCHARD

Parfait. Alors, vous devez bien avoir sur vous un bout de craie de savon !

VICTOIRE

Oh ! ça, toujours… (Elle relève sa jupe, va fouiller dans la poche de son jupon, se ravise effarée et dit :) Jsais point pourquoi j’ai dit ça… Ah ! non, j’en ai point.

GUERCHARD

Vous êtes sûre ? Voyons donc ça.

(Il fouille dans la poche de son tablier.)

VICTOIRE

Ben quoi ! v’là des manières, voulez-vous me laisser ; mais voulez-vous… vous me chatouillez…

GUERCHARD, trouvant un morceau de craie bleue.

Enfin, ça y est ! ! !… Boursin ! embarque-la.

VICTOIRE

Quoi !… mais Jésus-Marie ! Je suis innocente. C’est pas parce qu’on a du savon, de la craie de savon, qu’on est une voleuse.

GUERCHARD

C’est entendu ! Boursin, dès que la voiture cellulaire sera là, embarque-moi ça au dépôt.

VICTOIRE

Jésus-Marie ! Jésus-Marie !

(Elle sort.)

GUERCHARD

Et d’une ! ! !


Scène III

LE DUC, GUERCHARD, BOURSIN, BONAVENT

LE DUC

Victoire !… Je n’en reviens pas. Alors, cette craie… C’était la même que sur ces murs ?…

GUERCHARD

Oui, de la craie bleue. Voyez-vous, monsieur le Duc, ça et la fleur de Salvia… (À Boursin qui revient.) Qu’est-ce que c’est ?

BOURSIN

C’est Bonavent, qui a du nouveau.

GUERCHARD

Ah !… (Entre Bonavent) qu’est-ce qu’il y a ?

BONAVENT, entrant.

Voilà, patron… trois auto-camions ont stationné cette nuit devant l’hôtel voisin…

GUERCHARD

Ah ! comment le sais-tu ?

BONAVENT

Par un chiffonnier. Il a vu les camions s’éloigner vers 5 heures du matin…

GUERCHARD

Ah ! Ha ! C’est tout ?

BONAVENT

Un homme est sorti de l’hôtel en tenue de chauffeur…

GUERCHARD et LE DUC, vivement.

Ah !

BONAVENT

À vingt pas de l’hôtel, il a jeté sa cigarette. Le chiffonnier l’a ramassée.

LE DUC

Et il l’a fumée ?

BONAVENT

Non, la voici.

GUERCHARD

Une cigarette à bout d’or… et comme marque « Mercédès »… Tiens, monsieur le Duc, ce sont vos cigarettes…

LE DUC

Allons donc ! Ça c’est inouï !…

GUERCHARD

Mais c’est très clair, et mon argumentation se resserre. Vous aviez de ces cigarettes-là à Charmerace ?

LE DUC

Des boîtes sur toutes les tables !

GUERCHARD

Eh bien !

LE DUC

C’est vrai, l’un des Charolais aura pris une de ces boîtes.

GUERCHARD

Dame… nous savons que ça n’est pas le scrupule qui les étouffait.

LE DUC

Seulement… Mais j’y pense…

GUERCHARD

Quoi ?

LE DUC

Lupin… Lupin, alors…

GUERCHARD

Eh bien ?

LE DUC

Puisque c’est Lupin qui a fait le coup cette nuit ; puisque l’on a trouvé ces Salvias dans l’hôtel voisin… Lupin arrivait donc de Charmerace ?…

GUERCHARD

Évidemment.

LE DUC

Mais alors, Lupin… Lupin est un des Charolais ?

GUERCHARD

Oh ! ça c’est autre chose.

LE DUC

Mais c’est certain ! C’est certain, nous tenons la piste.

GUERCHARD

À la bonne heure ! vous voilà aussi emballé que moi. Quel policier vous auriez fait ! Seulement… rien n’est certain.

LE DUC

Mais si, qui voulez-vous que ce soit ? Était-il hier à Charmerace ? oui ou non ? A-t-il oui ou non organisé le vol des automobiles ?

GUERCHARD

Sans aucun doute, mais il a pu rester dans la coulisse.

LE DUC

Sous quelle forme ? sous quel masque ?… Ah ! je brûle de voir cet homme-là.

GUERCHARD

Nous le verrons ce soir.

LE DUC

Ce soir ?

GUERCHARD

Oui, puisqu’il viendra prendre le diadème entre minuit moins un quart et minuit.

LE DUC

Non ?… Vous croyez vraiment qu’il aura le culot ?

GUERCHARD

Vous ne connaissez pas cet homme-là, monsieur le Duc, ce mélange extraordinaire d’audace et de sang-froid. C’est le danger qui l’attire. Il se jette au feu, et il ne se brûle pas. Depuis dix ans, je me dis : « Ça y est ! cette fois… je le tiens !… Enfin, je vais le pincer… » Je me dis ça tous les jours…

LE DUC

Eh bien ?

GUERCHARD

Eh bien, les jours passent et je ne le pince jamais. Ah ! il est de taille, vous savez… C’est un gaillard. C’est un bel artiste ! (Un temps, puis entre ses dents.) Voyou !

LE DUC

Alors, vous pensez que ce soir, Lupin…

GUERCHARD

Monsieur le Duc, vous avez suivi la piste avec moi, nous avons ensemble relevé chaque trace. Vous avez presque vu cet homme à l’œuvre… Vous l’avez compris… Ne pensez-vous pas qu’un individu pareil est capable de tout ?

LE DUC

Si !

GUERCHARD

Alors…

LE DUC.

Ah ! peut-être… vous avez raison.

(On frappe.)

GUERCHARD

Entrez.

BOURSIN, bas, lui remettant un pli.

C’est de la part du juge d’instruction.

GUERCHARD

Donne… (Il lit.) Ah !…

(Boursin sort à gauche.)

LE DUC

Qu’est-ce que c’est ?

GUERCHARD

Rien… Je vous dirai ça.

IRMA, entrant à droite.

Mlle Krichnoff demande à M. le Duc, un instant d’entretien.

LE DUC

Ah !… Où est-elle ?

IRMA

Dans la chambre de Mlle Germaine.

LE DUC, allant vers la droite.

Bien, j’y vais.

GUERCHARD, au duc.

Non.

LE DUC

Comment…

GUERCHARD

Je vous assure…

LE DUC

Mais…

GUERCHARD

Attendez que je vous aie parlé !

LE DUC

Ah ! (Il regarde le papier que Guerchard tient à la main, réfléchit, puis, lentement, d’une voix posée.) Eh bien, dites à Mlle Krichnoff… dites que je suis dans le salon.

IRMA

C’est tout, monsieur le Duc ?

LE DUC, même jeu.

Oui !… « que je suis dans le salon… que j’en ai pour dix minutes ». Dites-lui exactement ça. (Sort Irma.) Elle comprendra que je suis avec vous… et alors… Mais pourquoi ?… je ne comprends pas.

GUERCHARD

Je viens de recevoir ceci du juge d’instruction.

LE DUC

Eh bien ?

GUERCHARD

Eh bien ! C’est un mandat d’arrêt, monsieur le Duc.

LE DUC

Quoi ! un mandat… pas contre elle ?

GUERCHARD

Si !

LE DUC

Voyons… mais ce n’est pas possible… l’arrêter !

GUERCHARD

Il faut bien. L’interrogatoire a été terrible pour elle. Des réponses louches, embarrassantes, contradictoires…

LE DUC

Alors, vous allez l’arrêter ?

GUERCHARD

Certes…

(Il va pour sonner.)

LE DUC

Monsieur Guerchard, elle est maintenant avec ma fiancée… Attendez au moins qu’elle soit rentrée dans sa chambre… Épargnez à l’une une émotion affreuse, et à l’autre cette humiliation.

GUERCHARD

Il le faut !

(Il sonne. À Boursin qui entre.)

GUERCHARD

J’ai le mandat d’arrêt contre Mlle Krichnoff… Le planton est toujours en bas devant la porte ?

BOURSIN

Oui.

GUERCHARD, appuyant sur les mots.

Dis-lui bien qu’on ne peut sortir que sur un visa de moi et sur ma carte.

(Sort Boursin.)

LE DUC, qui pendant ce temps est resté visiblement pensif.

Enfin, il faut l’arrêter… il faut l’arrêter…

GUERCHARD

Dame ! vous comprenez, n’est-ce pas ? Croyez que personnellement, je n’ai contre Mlle Krichnoff, aucune animosité. Elle me serait presque sympathique, cette petite.

LE DUC

N’est-ce pas ? Elle a l’air si perdue, si désemparée… Et cette pauvre cachette qu’elle a trouvée… Ce mouchoir roulé, jeté dans la petite pièce de l’immeuble voisin, quelle absurdité !

GUERCHARD, stupéfait.

Vous dites ?… Un mouchoir…

LE DUC

La maladresse de cette petite est désarmante.

GUERCHARD

Un mouchoir contenant les perles du pendentif ?

LE DUC

Oui, vous avez vu, n’est-ce pas, au troisième étage, c’est fou.

GUERCHARD

Mais non, je n’ai pas vu.

LE DUC

Comment non ?… Ah !… C’est vrai. C’est le juge d’instruction qui a vu.

GUERCHARD

Il a vu un mouchoir appartenant à Mlle Krichnoff… Où est-il ce mouchoir ?

LE DUC

Le juge d’instruction a pris les perles mais le mouchoir doit être resté là-haut.

GUERCHARD

Comment ! Et il ne l’a pas pris ? Non, mais quel !… Enfin…

(Il enlève son paletot, va vers la cheminée et allume la lanterne.)

LE DUC

Oh ! d’ailleurs, maintenant que vous arrêtez Mlle Krichnoff, ce détail n’a plus d’importance.

GUERCHARD

Mais si, je vous demande pardon…

LE DUC

Comment ?

GUERCHARD

Nous arrêtons Mlle Krichnoff ; nous avons des présomptions mais aucune preuve.

LE DUC, semblant bouleversé.

Hein ?

GUERCHARD

La preuve, vous venez de nous la fournir, et puisqu’elle a pu cacher les perles dans l’immeuble voisin, c’est qu’elle connaissait le chemin qui y mène. Donc elle est complice.

LE DUC

Comment, vous croyez ? Ah ! mon Dieu !… Et c’est moi… j’aurais eu l’imprudence… C’est par ma faute que vous découvrez ?…

GUERCHARD

Cette lanterne… Voulez-vous m’éclairer, monsieur le Duc ?

LE DUC, vivement.

Mais vous ne voulez pas que j’y aille ? Je sais où est le mouchoir.

GUERCHARD, vivement.

Non, non, je préfère y aller moi-même.

LE DUC, vivement.

C’est que si vous aviez voulu…

GUERCHARD, même jeu.

Non… non…

LE DUC

Permettez-moi d’insister…

GUERCHARD

Inutile !… à bout de bras, n’est-ce pas ?

LE DUC

Oui.

GUERCHARD

Cinq minutes seulement. Ça ne vous fatiguera pas ?

LE DUC

Non, non.

(Guerchard disparaît sous la cheminée. Le duc au bout d’un instant accroche la lanterne dans l’intérieur de la cheminée.)

LE DUC

Ça va. Comme ça…

VOIX DE GUERCHARD

Oui, c’est ça, c’est très bien.

(Le duc se précipite vers la porte de droite et l’ouvre. Paraît Sonia habillée pour sortir.)

LE DUC, retournant prendre la lanterne.

Vite !

SONIA

Mon Dieu !

LE DUC

Il y a un mandat d’arrêt contre vous.

SONIA, affolée.

Je suis perdue !

LE DUC

Non. Vous allez partir.

SONIA

Partir !… Mais comment ?… Guerchard ?

LE DUC

Écoutez. Je vous téléphonerai demain matin à…

VOIX DE GUERCHARD

Monsieur le Duc !

SONIA

Mon Dieu !

LE DUC

Chut !

VOIX DE GUERCHARD

Vous ne pourriez pas lever la lanterne un peu plus haut ?

LE DUC, dans la cheminée.

Attendez, je vais essayer… Ah ! non, je ne peux pas.

VOIX DE GUERCHARD

Alors un peu plus à droite.

(Le duc d’un geste impérieux fait signe à Sonia de venir prendre la lanterne. Tandis qu’elle la tient, il prend vivement le portefeuille de Guerchard dans le paletot, en tire une carte, écrit quelques mots et retourne à la cheminée, Sonia suit ses mouvements avec une stupeur craintive.)

LE DUC, parlant dans la cheminée.

Ça va comme ça ?

VOIX DE GUERCHARD

Oui, très bien.

LE DUC, à, Sonia.

Vous remettrez cette carte au planton de garde.

SONIA, regardant la carte.

Comment ! Mais… c’est…

LE DUC

Partez…

SONIA

Mon Dieu ! mais c’est fou !… quand Guerchard découvrira.

LE DUC

Ne vous inquiétez pas de ça… Ah ! dans le cas où il arriverait quelque chose… à huit heures et demie, demain matin, oui, c’est ça. Attendez… (Il court vers la cheminée et appelle.) Vous voyez assez clair ? (Pas de réponse.) Il est dans l’hôtel à côté. À huit heures et demie, puis-je vous téléphoner ?

SONIA

Oui. C’est un petit hôtel près de l’Étoile… Mais cette carte, je ne peux pas… pour vous-même…

LE DUC

L’hôtel a le téléphone ?

SONIA

Oui. 555.14.

LE DUC, inscrivant le numéro sur sa manchette.

Si je ne vous avais pas téléphoné à huit heures et demie, venez directement chez moi.

SONIA

Bien. Mais quand Guerchard saura… Si jamais Guerchard découvre…

LE DUC

Partez Sonia. Partez, partez !

SONIA, revenant au duc.

Ah ! comme vous êtes bon !

(Il la pousse vers la porte et sur le seuil de la porte, ils se regardent, hésitent… Il l’attire dans ses bras, elle s’y laisse tomber ; ils s’embrassent. On entend la voix de Guerchard, le duc se dégage.)

LE DUC

Pas maintenant, je t’adore. Pars, pars !

(Elle sort.)


Scène IV

GUERCHARD, LE DUC, BOURSIN, GERMAINE, GOURNAY-MARTIN

(Resté seul, le duc retourne en courant vers la cheminée et saisit la lanterne. À ce moment on entend le bruit sourd d’une porte qui se ferme. Il s’appuie avec émotion contre le manteau de la cheminée.)

GUERCHARD, tout en regardant le duc d’un air goguenard, et avec un étonnement soupçonneux.

Rien !… Eh bien ! Je n’y comprends rien. Je n’ai rien trouvé !

LE DUC

Vous n’avez rien trouvé ?

GUERCHARD

Non. Vous êtes sûr d’avoir vu le mouchoir dans la petite pièce du troisième étage ?

LE DUC

Certain… Vous n’avez pas vu de mouchoir ?

GUERCHARD

Non.

LE DUC, avec une nuance d’ironie.

Vous n’avez pas bien cherché… À votre place, je retournerais voir.

GUERCHARD

Non… mais tout de même ; c’est assez drôle… (Le regardant.) Vous ne trouvez pas ça drôle ?

LE DUC

Si… Je trouve ça drôle.

(Guerchard fait quelques pas, puis il sonne. Entre Boursin.)

GUERCHARD

Boursin… Mlle Krichnoff… il est temps.

BOURSIN

Mlle Krichnoff ?

GUERCHARD

Oui, il est temps… qu’on l’emmène.

BOURSIN

Mais Mlle Krichnoff est partie, patron.

GUERCHARD, sursautant.

Partie ! Comment, partie ?

BOURSIN

Mais oui, patron.

GUERCHARD

Voyons, voyons… tu es fou ?

BOURSIN

Non, patron.

GUERCHARD

Partie !… Qui l’a laissée partir ? Qui ?

BOURSIN

Mais le planton de garde.

GUERCHARD, violemment.

Quoi ! Quoi… le planton de garde ?

BOURSIN

Mais ?

GUERCHARD

Il fallait mon visa… mon visa sur ma carte.

BOURSIN

La voilà… votre carte… et voilà le visa…

GUERCHARD, stupéfait.

Hein ? Un faux ? Ah ! ça… (Un assez long jeu de scène où il cherche à comprendre, où il entrevoit la complicité du duc dans cette évasion.) C’est bien ! (Sort Boursin, un temps. Il va vers son paletot, en tire son portefeuille, compte les cartes, s’aperçoit qu’il en manque une. Le duc est près de lui, séparé de lui par l’écran, les mains sur cet écran et se balançant. Guerchard met son paletot. Le duc lui propose de l’aider, ce qu’il refuse. Puis il sonne de nouveau.) Boursin… Victoire a bien été embarquée dans la voiture cellulaire, n’est-ce pas ?

BOURSIN

Il y a belle lurette, patron. La voiture attendait dans la cour depuis 9 heures et demie.

GUERCHARD

Neuf heures et demie !… Mais la voiture ne devait arriver que maintenant, à dix heures et demie. Enfin c’est bien.

BOURSIN

Alors, on peut renvoyer l’autre voiture ?

GUERCHARD

Quelle autre voiture ?

BOURSIN

La voiture cellulaire qui vient d’arriver ?

GUERCHARD

Quoi ? Qu’est-ce que tu me chantes ?

BOURSIN

Vous n’aviez pas commandé deux voitures cellulaires ?

GUERCHARD, bouleversé.

Deux voitures ! Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?

BOURSIN

Mais si, patron…

GUERCHARD

Tonnerre ! Dans quelle voiture a-t-on installé Victoire ? dans laquelle ?

BOURSIN

Dame ! dans la première, patron.

GUERCHARD

Tu as vu les agents, le cocher ? Tu les connaissais ?… Tu les as reconnus ?

BOURSIN

Non.

GUERCHARD

Non ?

BOURSIN

Non, ça devait être des nouveaux, ils m’ont dit qu’ils venaient de la Santé.

GUERCHARD

Bougre d’idiot ! C’est toi qui en as, une santé.

BOURSIN

Comment, alors ?

GUERCHARD

Nous sommes roulés, c’est un tour de… un tour de…

LE DUC

De Lupin ?

GUERCHARD

Ah ! mais… Ah ! mais… (À Boursin.) Eh bien, quand tu resteras là, la bouche ouverte, quand tu resteras là. Fouille la chambre de Victoire.

BOURSIN

Bonavent l’a fouillée, patron.

GUERCHARD

Ah ! Eh bien, où est-il ? qu’il entre !

(Entre Bonavent.)

BOURSIN

Bonavent !

GUERCHARD

Tu as fouillé les malles de Victoire ?

BONAVENT

Oui, rien que du linge, des vêtements… sauf ça.

GUERCHARD

Donne… un livre de messe, c’est tout ?

BONAVENT

Il y a une photographie dedans.

GUERCHARD

Ah ! une photographie de Victoire… presque effacée… une date… Il y a dix ans… Tiens ! quel est ce garçon, qu’elle tient par le cou… Ah çà ! Ah ! çà !

(Jeu de scène très lent. Assailli de pensées, il regarde la photo, l’éloigne, la rapproche, regarde de côté vers le duc, sans toutefois fixer ses yeux sur lui. Le duc est toujours près de la cheminée, il se dresse sur la pointe des pieds pour voir la photo. Se sentant découvert il cherche un instant des yeux, avec une certaine anxiété, par où il pourrait s’enfuir le cas échéant, Guerchard se rapproche et le regarde en se frottant les mains.)

LE DUC

Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai quelque chose qui ne va pas… ma cravate…

(Guerchard continue de le regarder sans répondre. On sonne au téléphone. Le duc fait mine d’y aller.)

GUERCHARD

Non, je vous en prie… (Au téléphone) Allô ! oui, c’est moi, l’inspecteur principal de la Sûreté. (Au duc.) Le jardinier de Charmerace, monsieur le Duc.

LE DUC

Ah ! vraiment ?

GUERCHARD

Allô, oui, vous m’entendez bien… bon. Je voudrais savoir qui a pénétré hier dans la serre ? Qui a pu cueillir du Salvia rose ?…

LE DUC

C’est moi, je vous l’ai dit tout à l’heure.

GUERCHARD

Oui… oui… je sais. (Au téléphone.) Hier, après midi… oui, personne d’autre ?… Ah ! personne sauf le duc de Charmerace… Vous êtes bien sûr !… Tout à fait sûr ?… Tout à fait sûr… Oui, c’est tout, merci. (Il remet le cornet de l’appareil et, au duc.) Vous avez entendu, monsieur le Duc ?

LE DUC

Oui.

(Un silence encore.)

GOURNAY, entrant sa valise à la main.

Tu veux aller au Ritz ? Allons au Ritz. (Au duc.) Qu’est-ce que vous voulez ? Il était dit que je ne coucherai plus jamais chez moi.

LE DUC

Vous partez ? Qu’est-ce qui vous oblige à partir ?

GOURNAY

Le Danger ! Vous n’avez donc pas lu le télégramme de Lupin : « Viendrai ce soir entre minuit moins un quart et minuit prendre le diadème ! » Et vous croyez que j’allais l’attendre quand le diadème était dans ma chambre à coucher.

LE DUC

Mais il n’y est plus… Vous avez eu la bonté de me le confier, et nous l’avons changé de place ensemble.

GOURNAY

Oui et même je l’ai repris, je l’ai là dans ma valise, je l’emporte avec moi.

(Pendant ce dialogue, Guerchard est resté à part et réfléchit, puis il interroge Germaine.)

LE DUC

Hein !

GOURNAY

Quoi ?

LE DUC

Est-ce très prudent ?

GOURNAY

Quoi !

LE DUC

Si Lupin est décidé à s’emparer du diadème, même par la force, vous risquez gros.

GOURNAY

Ah ! c’est vrai. Je n’avais pas pensé à cela. Alors que faire ?

LE DUC

Il faut se méfier.

GOURNAY

De tout le monde, comme c’est vrai. Dites-moi. (À Guerchard qui s’avance,) Non, pardon, un instant ; dites-moi, vous avez confiance en Guerchard ?

LE DUC

En Guerchard !

GOURNAY

Vous croyez qu’on peut avoir en lui pleine confiance ?

LE DUC

Oh ! Je crois.

GOURNAY

Eh bien, alors, je vais lui confier le diadème. (Ouvrant sa valise.) Tenez, il est beau, n’est-ce pas ?

LE DUC, tenant le coffret ouvert.

Ah ! merveilleux !

GOURNAY, à Guerchard.

Monsieur Guerchard, il y a du danger, alors je vous confie le diadème. Ça ne vous ennuie pas ?

GUERCHARD

Au contraire. C’est précisément ce que je voulais vous demander.

LE DUC, lui tend le diadème très lentement. Tous deux ont les bras tendus et tiennent le coffret en même temps.

Il est beau, n’est-ce pas ? (Le duc abandonne le coffret.)

GUERCHARD

Ah ! merveilleux !

GOURNAY, au duc.

Ah ! Jacques, s’il y avait du nouveau, je suis au Ritz. Alors, n’est-ce pas ?…

(Il continue à causer avec lui.)

GUERCHARD, à Germaine.

Vous connaissez cette photographie du duc, Mademoiselle ? Elle date de dix ans.

GERMAINE

Elle date de dix ans ? Eh bien, ce n’est pas le duc.

GUERCHARD, vivement.

Quoi ?

GERMAINE

Comment ?

GUERCHARD

Rien… pourtant elle ressemble…

GERMAINE

Au duc, tel qu’il est, oui, un peu ; mais pas au duc tel qu’il était. Il a tellement changé.

GUERCHARD

Ah !

GERMAINE

Le voyage, la maladie… Vous savez qu’il a passé pour mort…

GUERCHARD

Oui.

GERMAINE

C’est même ce qui inquiétait papa quand il est parti. Maintenant il va très bien.

GUERCHARD

Vous partez aussi, monsieur le Duc ?

LE DUC

Oui, vous n’avez pas besoin de moi ?

GUERCHARD

Si !

LE DUC

C’est que j’ai à faire.

GUERCHARD

Vous avez peur ?

(Un silence. Le duc réfléchit. Puis comme s’il prenait son parti et qu’il se décidât à jouer le tout pour le tout.)

LE DUC

Ah ! monsieur Guerchard, vous avez trouvé le moyen de me faire rester.

GOURNAY

Oui. Restez. Vous n’êtes pas trop de deux. Et merci… Mais quand pourrai-je enfin coucher chez moi ?

(Il serre la main à Guerchard et sort.)

GERMAINE, qui rentre à droite

Vous ne venez pas ?

LE DUC

Non, je reste avec M. Guerchard.

GERMAINE

Eh bien, vous serez frais demain matin pour aller à l’Opéra. Déjà vous n’avez pas dormi cette nuit. (Guerchard tressaille.) Partir à huit heures du soir de Bretagne pour arriver à six heures du matin en automobile.

GUERCHARD, avec un sursaut.

En automobile.

GERMAINE

Mais je vous préviens. Malade ou non, vous m’accompagnerez à l’Opéra, je veux voir « Faust », c’est le jour chic.

(Ils sortent.)


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