Текст книги "Arsène Lupin"
Автор книги: Maurice Leblanc
Соавторы: Francis de Croisset
Жанры:
Классические детективы
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Scène IV
BOURSIN, CHAROLAIS, DIEUSY, puis LUPIN
CHAROLAIS, dans l’antichambre.
Vous ne pouviez pas monter par l’escalier de service ?
BOURSIN, apparaissant déguisé en chasseur de l’hôtel Ritz.
Je ne savais pas, moi.
CHAROLAIS
Donnez-moi la lettre.
BOURSIN
Je dois la remettre en main propre à M. le Duc.
CHAROLAIS
Alors, attendez son retour… M. le Duc est parti chez vous, au Ritz. Ah ! non pas là… Attendez dans l’antichambre.
(Il le repousse dans l’antichambre, ferme la porte, traverse la scène et va rejoindre Victoire. Boursin passe la tête avec précaution, regarde, ressort, va ouvrir la porte d’entrée et appelle.)
BOURSIN
Dieusy !
DIEUSY, entrant.
Dis donc, Boursin, le téléphone de la petite a bien pris, hein ?… Il est parti au Ritz.
BOURSIN
Dans son auto !… Il sera rentré dans cinq minutes. Reste là ! Je vais couper le fil du téléphone.
(Il le coupe.)
DIEUSY, lui montrant la valise.
Eh, Boursin ! La valise !… Il doit y avoir gras là-dedans !…
BOURSIN, courant vers la valise.
Oui, peut-être… (Bruit à la porte de droite.) Trop tard ! Fais ce qui est convenu !
(Ils sortent. Charolais entre avec des journaux qu’il dépose sur la table. Coup de feu du côté de l’antichambre, mais en dehors.)
CHAROLAIS
Hein ?… (Bondissant, il ouvre la porte, traverse l’antichambre, où l’on aperçoit Boursin assis, et disparaît, laissant la porte ouverte. Boursin se lève en hâte, court vers la valise, prend le portefeuille et le glisse sous son dolman. Charolais revient.) Personne !… Qu’est-ce que ça veut dire ? (À Boursin.) Ta lettre toi… tu nous embêtes !…
(Il prend la lettre. Boursin va pour sortir. À ce moment Lupin entre par la porte de droite. Il a une petite boîte en carton sous le bras.)
LUPIN
Qu’est-ce que c’est ?… (Il dépose la boîte sur la table.) Ah ! du Ritz, un contre-ordre, probablement… On ne m’a pas reçu là-bas !
BOURSIN
J’ai remis la lettre… une lettre de M. Gournay-Martin.
LUPIN
Ah ! (Boursin va pour sortir.) Un instant… Vous êtes bien pressé…
BOURSIN
On m’a dit de revenir tout de suite.
LUPIN, qui a décacheté la lettre.
Non, il y a une réponse.
BOURSIN
Bien, Monsieur…
LUPIN
Attendez là… (À Charolais.) C’est de la petite : « Monsieur… M. Guerchard m’a tout dit, à propos de Sonia, je vous ai jugé : un homme qui aime une voleuse ne peut être qu’un fripon »… Elle manque de tact… « À ce propos, j’ai deux nouvelles à vous annoncer : la mort du duc de Charmerace, mort d’ailleurs depuis trois ans ! mes projets de fiançailles avec son cousin et seul héritier, M. de Relzières, lequel relèvera le nom et les armes… Pour Mlle Gournay-Martin, sa femme de chambre, Irma. » Hum ! (À Boursin qui s’est avancé peu à peu vers la sortie.) Restez donc là mon ami ! (À Charolais.) Écris, toi ! (Il lui dicte.) « Mademoiselle, j’ai une constitution extrêmement robuste, et mon malaise ne sera que passager. J’aurai l’honneur d’envoyer cet après-midi à la future Mme de Relzières mon humble cadeau de noces… Pour Jacques de Bartut, marquis de Relzières, prince de Vineux, duc de Charmerace. Son maître d’hôtel, Arsène. »
CHAROLAIS, stupéfait.
Faut écrire Arsène ?
LUPIN, tout en dictant, il s’est approché de la valise, et constatant qu’elle n’est pas fermée, il inspecte Boursin.
Pourquoi pas ?… ça y est ?… Donne !… (À Boursin.) Tenez, mon ami. (Il tend la lettre à Boursin qui la prend et fait un pas pour s’en aller. Lupin le saisit par le cou et le renverse.) Bouge pas, mon gros, ou t’as le bras cassé. (À Charolais.). Nos papiers, ils sont sous le dolman. (À Boursin.) C’est du jiu-jitsu, mon vieux, tu apprendras ça à tes collègues. (L’aidant à se relever et le poussant vers la porte.) Mais tu diras à ton patron que s’il a besoin de chasseur pour me fusiller, il faudra qu’il épaule lui-même… T’es pas pour gros gibier !… T’as une balle qui ne porte pas !…
BOURSIN
Le patron sera ici dans dix minutes.
(Il sort.)
LUPIN, le conduisant jusque dans l’antichambre.
Ah ! merci du renseignement !
Scène V
LUPIN, CHAROLAIS, puis VICTOIRE
LUPIN, revenant en courant.
Bougre d’idiot ! T’avais donc rien vu ?
CHAROLAIS
Sous le dolman ?
LUPIN
Mais non, imbécile, dans la valise. Et maintenant, on est bon, Guerchard sera ici dans dix minutes avec un mandat d’arrêt ! (Impérieux.) Fichez le camp, tous !
CHAROLAIS
Mais par où ?… Il y a des flics partout !… Ils ont reçu du renfort… Il y en a à la porte d’entrée, et dans la rue parallèle.
LUPIN
Mais là, devant, dans l’avenue.
CHAROLAIS, regardant.
Libre.
LUPIN
Filez par l’escalier de service. Je vous rejoins… Rendez-vous à la maison de Passy…
(Ils sortent.)
VICTOIRE
Et toi, tu viens aussi ?
LUPIN, téléphonant.
Dans un instant, je passerai par là… Ils n’ont pas encore trouvé l’issue secrète.
VICTOIRE
Qu’en sais-tu ? Mais tu es fou, tu téléphones ?…
LUPIN
Oui. Si je ne téléphone pas, Sonia va venir, elle s’enferrerait dans Guerchard.
VICTOIRE
Sonia, mais…
LUPIN, s’exaspérant.
On ne répond pas. Allô… elles sont sourdes.
VICTOIRE, effarée.
Passons chez elle, mais fuyons d’ici…
LUPIN, avec une agitation croissante.
Chez elle… est-ce que je connais son adresse ! Ah ! j’ai perdu la tête hier soir… Allô… C’est un petit hôtel près de l’Étoile… mais il y a vingt hôtels près de l’Étoile… Allô… (Hors de lui.) Ah ! ce téléphone… On lutte, on se bat contre un meuble… (Il soulève l’appareil. Avec un cri de rage.) Ah ! on m’a joué le tour du téléphone… C’est Guerchard… Ah ! la fripouille !…
VICTOIRE
Eh bien, alors… maintenant ?
LUPIN
Quoi, maintenant ?
VICTOIRE
Tu n’as plus rien à faire ici, puisque tu ne peux plus téléphoner.
LUPIN, lui tenant le bras, tout tremblant de fièvre et d’anxiété.
Mais tu ne comprends donc pas que, puisque je n’ai pas téléphoné, elle vient ! Elle est en route, tu entends, elle va venir.
VICTOIRE
Mais toi ?
LUPIN
Mais elle !…
VICTOIRE
Mais à quoi ça avance, ma doué, c’est vous perdre tous les deux !
LUPIN
Ah ! j’aime mieux ça…
VICTOIRE
Mais ils vont te prendre…
LUPIN
Me prendre !… (Posant la main sur la boîte qu’il a rapportée.) Ah ! pas vivant, je te le jure.
VICTOIRE, terrifiée.
Tais-toi ! Tais-toi !… Ah ! la maudite chose que tu as là-dedans… Je le sais bien, t’es capable de tout… et eux aussi, ils te donneront un mauvais coup… Non, vois-tu, il faut t’en aller… la petite, on ne lui fera rien… elle en sera quitte pour pas grand-chose. Tu vas t’en aller, n’est-ce pas ?
LUPIN
Non, Victoire !
VICTOIRE, s’asseyant.
Alors, comme il plaît à Dieu…
LUPIN
Quoi ! tu ne vas pas rester, toi !
VICTOIRE
Ah ! fais-moi bouger si tu peux, je t’aime autant qu’elle, tu sais… (On sonne, ils se regardent, la voix sourde, avec une angoisse effrayante.) C’est elle ?
LUPIN, bas, immobile.
Non.
VICTOIRE, bas, immobile.
Alors ?
LUPIN, bas, immobile.
Alors, oui, c’est Guerchard !
VICTOIRE, bas, immobile.
Ne bougeons pas… peut-être…
LUPIN, après un silence.
Écoute, va lui ouvrir.
VICTOIRE, épouvantée.
Quoi ! tu veux ?
LUPIN, avec un sang-froid impressionnant et une autorité extrême, lentement, gravement, tout son être tendu.
Comprends-moi bien, tu attendras qu’il soit rentré, tu feras le tour, tu t’en iras par l’escalier de service, tu la guetteras pas loin de la maison… Oh ! tu la reconnaîtras… elle est si jolie… Et puis tu verras bien quand elle voudra franchir la porte… (la voix tremblante et impérieuse) Victoire, empêche-la d’entrer, empêche-la.
VICTOIRE
Oui, mais si Guerchard m’arrête ?…
LUPIN
Non ! Il entre, tu te dissimules derrière la porte, et puis tu ne comptes pas pour lui…
VICTOIRE
Pourtant, s’il m’arrête ?… (Lupin ne répond pas. On entend un deuxième coup de sonnette.)
LUPIN, un temps, tout bas.
Vas-y tout de même, Victoire…
VICTOIRE
J’y vais, mon petit.
(Elle sort de l’antichambre.)
Scène VI
LUPIN, seul.
LUPIN, seul, il tombe assis, défaillant.
Pourvu qu’elle arrive à temps… Que Victoire l’empêche… Ah ! Sonia, ma petite Sonia… (Se dominant,) Hein ! mais je deviens gâteux, moi !… Guerchard est là et au lieu de… Ah ! mais non ! Ah !… mais non !… (Il se relève.) Ah ! mais non…
(Il prend la boîte et va la déposer sur un des rayons de la bibliothèque.)
Scène VII
LUPIN, puis GUERCHARD, puis BOURSIN, puis SONIA
GUERCHARD, entrant rapidement et s’arrêtant court sur le seuil.
Bonjour, Lupin.
LUPIN
Bonjour, ma vieille.
GUERCHARD
Tu m’attendais ?… je n’ai pas été trop long ?
LUPIN, maîtrisant son émotion.
Non, le temps a passé très vite.
GUERCHARD
C’est gentil chez toi.
LUPIN
C’est central… Seulement excuse-moi, je ne peux pas te recevoir comme je voudrais. Tous mes domestiques sont partis.
GUERCHARD
Ne t’inquiète pas de ça, je les rattraperai. (Un temps.) Et Victoire est toujours là…
LUPIN, chancelant sous le coup, la voix altérée.
Elle est arrêtée ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Ah ! (Un temps… À Guerchard qui a gardé son chapeau sur la tête.) Reste donc couvert. (Ils s’assoient tous deux l’un en face de l’autre, lentement sans se quitter des yeux.) D’où viens-tu ? (Avec gaminerie.) Tu as été faire signer ton petit mandat ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN, même jeu.
Tu l’as sur toi ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Contre Lupin, dit Charmerace ?
GUERCHARD
Contre Lupin, dit Charmerace.
LUPIN
Alors, qu’est-ce que t’attends pour m’arrêter ?
GUERCHARD
Rien, mais ça me fait tellement plaisir que je veux savourer cette minute dans toute sa plénitude. Lupin !
LUPIN
Soi-même.
GUERCHARD
Je n’ose pas y croire.
LUPIN
Comme tu as raison !
GUERCHARD
Oui, je n’ose pas y croire. Toi, vivant ! là, à ma merci.
LUPIN
Oh ! pas encore !
GUERCHARD
Si !… Et bien plus encore que tu ne le crois… (Se penchant vers lui.) Sais-tu où est Sonia Krichnoff, en ce moment ?
LUPIN
Hein ?
GUERCHARD
Je te demande si tu sais où est Sonia Krichnoff ?
LUPIN, bouleversé.
Et toi ?
GUERCHARD
Moi je le sais.
LUPIN
Dis voir.
GUERCHARD
Dans un petit hôtel, près de l’Étoile…
LUPIN, bouleversé.
Dans un petit hôtel près de l’Étoile…
GUERCHARD
Qui a le téléphone.
LUPIN
Ah ! quel numéro ?
GUERCHARD
555-14… Veux-tu lui téléphoner ?
LUPIN, se levant brusquement.
Eh bien, après ?
GUERCHARD
Après… rien… voilà.
LUPIN, avec dans la voix de l’émotion, de la violence contenue, parfois une sorte de supplication menaçante.
Évidemment, rien… car qu’est-ce que ça peut te faire, cette petite ? Ce n’est pas elle qui t’intéresse, n’est-ce pas ? C’est moi que tu cherches… que tu hais… C’est moi qu’il te faut… Je t’ai joué assez de tours pour ça, hein ! vieux brigand ? Alors, cette petite, tu vas la laisser tranquille… Tu ne vas pas te venger sur elle… Tu as beau être policier, tu as beau me détester ; il y a des choses qui ne se font pas… Tu ne vas pas faire ça, Guerchard… tu ne feras pas ça… Moi… tout ce que tu voudras… mais elle, faut pas y toucher.
GUERCHARD, nettement.
Ça dépend de toi.
LUPIN
Ça dépend de moi ?
GUERCHARD
J’ai à te proposer un petit marché.
LUPIN
Ah !…
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Qu’est-ce que tu veux ?
GUERCHARD
Je t’offre…
LUPIN
Tu m’offres ? Alors, c’est pas vrai… Tu me roules.
GUERCHARD
Rassure-toi. À toi personnellement, je ne t’offre rien.
LUPIN
Rien ?
GUERCHARD
Rien !
LUPIN
Alors, tu es sincère. Et à part ça ?…
GUERCHARD
Je t’offre la liberté.
LUPIN
Pour qui ? Pour mon concierge ?
GUERCHARD
Ne fais pas l’idiot, une seule personne t’intéresse, je te tiens par elle : Sonia Krichnoff !
LUPIN
C’est-à-dire que tu me fais chanter.
GUERCHARD
Tu l’as dit.
LUPIN
Soit, pour l’instant tu es le plus fort. Ça ne durera pas. Mais tu m’offres la liberté de la petite ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Sa liberté entière… Ta parole d’honneur ?
GUERCHARD, vivement.
Oui.
LUPIN, vivement.
Tu le peux ?
GUERCHARD
Je m’en charge.
LUPIN, vivement.
Comment feras-tu ?
GUERCHARD, vivement.
Je mettrai les vols sur ton dos.
LUPIN
Oui, j’ai bon dos… Et en échange… qu’est-ce qu’il te faut ?
GUERCHARD
Ah ! tout. Tu vas me rendre les tableaux, les tapisseries, le mobilier Louis XIV, le diadème, et l’acte de décès de Charmerace.
LUPIN
Oui, foutu. Je serai foutu… Veux-tu aussi ma sœur ? Enfin quoi ! tu veux ma peau ?
GUERCHARD
Oui, je veux ta peau.
LUPIN
La peau !
GUERCHARD
Tu ne veux pas ?
LUPIN
Je peux te donner un verre de porto, mais c’est tout ce que je peux faire pour toi.
GUERCHARD
Soit !
(On sonne. Il va à la porte.)
LUPIN, courant.
Attends ! Attends !
GUERCHARD, à Boursin qui entre.
Qu’est-ce que c’est ?
LUPIN, fortement.
J’accepte, j’accepte tout.
BOURSIN, à Guerchard.
C’est un fournisseur.
LUPIN
Un fournisseur ? Je refuse.
(Boursin se retire.)
GUERCHARD
Je vais coffrer la petite.
LUPIN
Pas pour longtemps.
GUERCHARD
Tu connais ton code : minimum, cinq ans.
LUPIN
Tu mens ! tu ne peux pas !
GUERCHARD
… Article 386.
LUPIN, après un instant.
Au fait, si je te rends tout… j’en serai quitte pour tout reprendre un de ces jours…
GUERCHARD, ironique.
Parbleu ! quand tu sortiras de prison.
LUPIN
Il faudra d’abord que j’y entre.
GUERCHARD
Ah ! mais pardon, si tu acceptes, je pense t’arrêter !
LUPIN
Évidemment, tu m’arrêtes si tu peux…
GUERCHARD
Tu acceptes ?
LUPIN
Eh bien…
GUERCHARD
Eh bien ?
LUPIN, violemment.
Eh bien ! non !…
GUERCHARD
Ah !
LUPIN
Non. Tu veux m’avoir… tu me la fais… tu te fiches de Sonia au fond… Tu ne l’arrêteras pas… Et puis même… tu l’arrêtes… soit ! j’admets… C’est pas tout d’arrêter, il faut prouver. As-tu des preuves ? Oui, je sais, le pendentif, eh bien ! prouve-le. Non, Guerchard, après dix ans que j’échappe à tes griffes, me faire piger pour sauver cette petite qui n’est même pas en danger. Je refuse.
GUERCHARD
Soit. (On sonne.) Encore… On sonne beaucoup chez toi, ce matin. (À Boursin qui entre.) Qu’est-ce que c’est ?
BOURSIN
Mlle Krichnoff.
GUERCHARD
Ah ! Empoigne-la… Voilà le mandat… Empoigne-la…
LUPIN, sautant à la gorge de Boursin.
Non, jamais, pas ça ! Ne la touche pas, nom de Dieu !…
GUERCHARD
Alors, tu acceptes ? (Un grand silence. Lupin, pâle, défait, s’appuie contre la table sans répondre. Enfin il fait un signe de tête – à Boursin.) Fais attendre Mlle Krichnoff… (Boursin sort – revenant vers Lupin.) L’acte de décès de Charmerace.
LUPIN, tirant un papier du portefeuille.
Voilà !
(Guerchard déplie vivement le papier.)
GUERCHARD
Enfin ! mais les tableaux ?… les tapisseries ?
LUPIN, tirant un bout de papier plié.
Voilà le reçu.
GUERCHARD
Hein ?
LUPIN
J’ai tout mis au garde-meuble.
GUERCHARD, jetant un coup d’œil sur le papier que lui a remis Lupin.
Le diadème n’y est pas ?
LUPIN
T’as un pied dessus.
GUERCHARD
Quoi ?
(Il se baisse, ouvre le petit banc et en retire le diadème.)
LUPIN
Veux-tu l’écrin ? (Guerchard examine le diadème avec méfiance.) T’as le souvenir !
GUERCHARD, après avoir soupesé le diadème est rassuré.
Oui… celui-là est vrai.
LUPIN
Si tu le dis !… Et maintenant as-tu fini de me saigner ?
GUERCHARD
Tes armes ?
LUPIN, jetant son revolver sur la table.
Voilà.
GUERCHARD
C’est tout. Qu’est-ce que tu as là ?
LUPIN
Un canif.
GUERCHARD
Il est gros ?
LUPIN
Moyen.
GUERCHARD Fais voir !… (Lupin sort un énorme coutelas.)
LUPIN, fouillant ses poches.
Un cure-dents… Alors ça y est ! J’ai ta parole !
GUERCHARD, sortant les menottes.
Tes mains d’abord.
LUPIN
Ta parole !
GUERCHARD
Tes mains. Ah ! veux-tu la liberté de la petite, oui ou non ?
LUPIN
As-tu de la veine que je sois aussi poire, aussi peu Charmerace, aussi peuple ! Hein ! pour être aussi amoureux, faut-il que je sois peu homme du monde !
GUERCHARD
Allons, tes mains.
LUPIN
Je verrai la petite une dernière fois ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Arsène Lupin, pigé, et par toi ! es-tu assez veinard ! Tiens ! (Il tend les mains. Guerchard lui met les menottes.) Veinard ! C’est pas possible, t’es marié !
GUERCHARD, goguenard.
Oui… oui… Boursin !… (Entre Boursin.) Mlle Krichnoff est libre, dis-le-lui, et laisse-la entrer !
LUPIN, sursautant.
Avec ça aux mains… jamais !… et pourtant (Boursin s’arrête.) Pourtant… j’aurais bien voulu… car si elle part comme ça… je ne sais pas quand, moi… Eh bien, oui, oui, je veux la voir… (Boursin et Guerchard passent dans l’antichambre.) Non, non…
GUERCHARD, qui n’a pas entendu revient avec Sonia.
Vous êtes libre, Mademoiselle. Vous pouvez remercier le duc. C’est à lui que vous devez cela.
SONIA
Libre ! Et c’est vous ! C’est à lui !
GUERCHARD
Oui.
SONIA, à Lupin.
C’est à vous ? Je vous devrai donc tout ! Ah ! merci, merci ! (Pour qu’elle ne voie pas ses menottes, Lupin se détourne. Sonia désespérée.) Ah ! j’ai eu tort, j’ai eu tort de venir ici, j’avais cru hier… je me suis trompée… pardon, je m’en vais…
LUPIN, douloureux.
Sonia…
SONIA
Non, non, je comprends, c’était impossible. Et si vous saviez pourtant, si vous saviez avec quelle âme transformée j’étais venue ici !… Ah ! je vous le jure maintenant, je vous le jure, tout mon passé, je le renie, et la seule présence d’un voleur me soulèverait de dégoût.
LUPIN
Sonia, taisez-vous !
SONIA
Oui, vous avez raison. Peut-on effacer ce qui a été ! Je restituerais tout ce que j’ai pris, je passerais des années de remords, de repentir, à vos yeux, j’aurais beau faire, Sonia Krichnoff, monsieur le Duc, qu’est-ce que c’est ? C’est une voleuse.
LUPIN
Sonia !
SONIA
Et pourtant si j’avais été une voleuse comme tant d’autres… mais vous savez pourquoi j’ai volé. Je ne cherche pas à m’excuser, mais enfin, tout de même, c’était pour me garder intacte et quand je vous aimais, ce n’était plus le cœur d’une voleuse qui battait, c’était le cœur d’une pauvre fille qui aimait… voilà tout… qui aimait…
LUPIN, bouleversé.
Vous ne pouvez pas savoir, vous me torturez, taisez-vous !
SONIA
Enfin, je pars ; nous ne nous reverrons jamais. Alors, voulez-vous au moins me donner la main ?
LUPIN, torturé.
Non.
SONIA
Vous ne voulez pas ?
LUPIN, très bas.
Non.
SONIA
Ah !
LUPIN
Je ne peux pas.
SONIA
Ah ! vous n’auriez pas dû… vous ne devriez pas me quitter ainsi, vous avez eu tort hier.
(Elle va pour sortir.)
LUPIN, à voix basse, balbutiant.
Sonia ! (Sonia s’arrête.) Sonia ! vous avez dit quelque chose… Vous avez dit que la présence d’un voleur vous soulèverait de dégoût… est-ce vrai ?
SONIA
Oui, je vous le jure.
LUPIN
Et si je n’étais pas celui que vous croyez ?
SONIA
Quoi ?
LUPIN
Si je n’étais pas le duc de Charmerace ?
SONIA
Quoi ?
LUPIN
Si je n’étais pas un honnête homme ?
SONIA
Vous ?
LUPIN
Si j’étais un voleur ?… Si j’étais…
GUERCHARD, goguenard.
Arsène Lupin.
SONIA, balbutiant.
Arsène Lupin… (Elle aperçoit ses menottes et pousse un cri.) C’est vrai ?… mais alors, vous vous êtes livré à cause de moi ?… et c’est à cause de moi que vous allez être mis en prison ? Ah ! mon Dieu que je suis heureuse. (Elle se jette sur lui et l’embrasse.)
GUERCHARD, avec un grand geste.
Et voilà ce que les femmes appellent le repentir.
(Tout en surveillant Lupin, il passe dans l’antichambre donner des ordres.)
LUPIN, à Sonia, transporté de joie comme un enfant.
Ah ! vois-tu, laisse-le dire, c’est inoubliable ça… malgré tout, et sachant que tu m’aimes assez pour m’aimer encore… je ne sais pas si je suis touché de la grâce, je ne sais pas si j’ai des remords, je ne sais pas si c’est ça qu’on peut appeler du repentir, mais je dois être changé, je dois être meilleur, je dois être devenu honnête… Ah ! je suis trop heureux !
GUERCHARD, revenant.
En voilà assez.
LUPIN
Ah ! Guerchard, je te dois, après tant d’autres, la meilleure minute de ma vie.
BOURSIN, entrant essoufflé.
Patron !
GUERCHARD, à part.
Quoi ?
BOURSIN
L’issue secrète… on l’a trouvée… c’est par les caves…
GUERCHARD
Ah ! cette fois, ça y est, nous le tenons.
(Boursin sort.)
SONIA, à part.
Mais alors il va t’emmener, nous allons être séparés.
LUPIN
Ah ! maintenant, moi ça m’est égal.
SONIA
Oui, mais moi pas.
LUPIN, nettement.
Va-t’en, sois tranquille, je n’irai pas en prison.
GUERCHARD
Allons, la petite, il faut filer.
LUPIN
Va-t’en, Sonia ! va-t’en. (Elle s’éloigne. Lupin bondit. Guerchard se précipite mais Lupin se baisse.) Elle avait laissé tomber son mouchoir. (Il le lui rend. Elle sort. Alors tranquillement Lupin va s’étendre sur le canapé.)
GUERCHARD
Allons lève-toi. Voilà qui va te faire retomber de ton rêve, la voiture cellulaire est en bas.
LUPIN
Tu as des mots vraiment malheureux.
GUERCHARD
Tu ne veux pas sortir avec moi ? Tu ne veux pas sortir ?
LUPIN
Si.
GUERCHARD
Alors viens.
LUPIN
Ah ! non, c’est trop fort. (Il se recouche.) Je déjeune à l’ambassade d’Angleterre.
GUERCHARD
Ah ! Prends garde… les rôles sont changés maintenant. Tu te raccroches à une dernière branche, c’est pas la peine. Tous tes trucs, je les connais, tu entends, voyou, je les connais.
LUPIN
Tu les connais ? (Il se lève.) Fatalité ! (Il fait deux ou trois gestes, détache les menottes et les jette à terre.) Et celui-là, est-ce que tu le connais. Je te l’apprendrai un jour que tu m’inviteras à déjeuner.
GUERCHARD, furieux.
Allons, en voilà assez… Boursin ! Dieusy !
LUPIN, l’arrête et d’un ton saccadé.
Guerchard, écoute et je ne blague plus. Si Sonia, tout à l’heure, avait eu un geste, une parole de mépris pour moi, eh bien, j’aurais cédé… à moitié seulement, car, plutôt que de tomber entre tes pattes triomphantes je me faisais sauter le caisson ! J’ai maintenant à choisir entre le bonheur, la vie avec Sonia ou la prison. Eh bien, j’ai choisi : je vivrai heureux avec elle, ou bien, mon petit Guerchard, je mourrai avec toi. Maintenant, fais entrer tes hommes, je les attends !
GUERCHARD
Allons-y ! (Il court vers l’antichambre.)
LUPIN
Je crois que ça va barder !
GUERCHARD
Tu parles !
LUPIN
Charles…
(Tandis que Guerchard est dans l’antichambre, il saute vers la boîte et en sort une bombe. En même temps, il a pressé le bouton. La bibliothèque glisse, les volets se lèvent et l’ascenseur apparaît.)
GUERCHARD, rentrant avec ses hommes.
Ligotez-le !
LUPIN, terrible.
Arrière vous autres ! (Tous reculent, tumulte.) Les mains en l’air !… Vous connaissez ça les enfants ?… Une bombe ! C’est mon passage à tabac, moi. Eh bien, venez donc me ligoter maintenant !… (À Guerchard.) Toi aussi, les mains en l’air !
GUERCHARD
Poules mouillées ! Vous croyez donc qu’il oserait…
LUPIN
Viens-y voir !
GUERCHARD
Oui donc ! (Il s’avance.)
TOUS, se jetant sur lui terrifiés.
Patron ! vous êtes fou ! Regardez ses yeux… il est enragé !
LUPIN, tout en gardant la bombe à la main.
Nom de nom que vous êtes laids ! Vous avez des gueules de forçats ! (Mouvement de Guerchard.) Hep ! (Il lève le bras, tous reculent.) Dommage qu’il n’y ait pas un photographe. Et maintenant, voleur, rends-moi mes papiers.
GUERCHARD
Jamais !
BOURSIN
Patron, prenez garde.
LUPIN
Tu veux donc les faire crever tous ?… Regardez, les enfants, si j’ai l’air de blaguer.
DIEUSY
Faut céder, patron.
BOURSIN
Faut céder.
(Ils entourent tous Guerchard.)
GUERCHARD
Jamais !
BOURSIN
Allons ! patron, allons donnez-les-moi.
(Il lui arrache le portefeuille.)
LUPIN
Sur la table… Bien. Et maintenant gare la bombe.
(Mouvement de panique. Il saute dans l’ascenseur.)
BOURSIN, à Guerchard.
Il va filer !
GUERCHARD
L’issue est gardée !
(Les volets descendent. Tous se précipitent. Trop tard. Ils se heurtent aux volets. Affolement. Ils courent de tous côtés.)
GUERCHARD, essayant d’enfoncer les volets.
La porte ! il faut l’ouvrir ! (À Dieusy et aux autres hommes.) Vous autres, dans la rue… à l’issue secrète ! (Les hommes sortent précipitamment par la porte de droite.) La porte, c’est une question de minutes. Il doit lutter avec nos hommes dans la rue !
(À ce moment les volets remontent d’eux-mêmes. Guerchard et Boursin se précipitent dans l’ascenseur. Guerchard pousse un bouton, l’ascenseur s’élève. Affolement de Guerchard.)
GUERCHARD
Mais nous montons, nom de nom ! nous montons ! Nom de nom ! Le bouton d’arrêt ! Le bouton d’arrêt, nom de nom !
(L’ascenseur monte lentement. On entend les cris de Guerchard. Lupin apparaît dans un second compartiment inférieur, identique à l’autre. Il est assis devant une table de toilette. Au moment où la plate-forme est de plain-pied, il pousse un déclic : « Bloqués ! » Et il continue à s’arranger devant la glace, met un pardessus et un chapeau pareils à ceux de Guerchard, un large foulard blanc. Il apparaît : c’est Guerchard à s’y tromper.)