Текст книги "Arsène Lupin"
Автор книги: Maurice Leblanc
Соавторы: Francis de Croisset
Жанры:
Классические детективы
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Scène III
GUERCHARD, UN AGENT
L’AGENT, empressé.
Je vais prévenir M. le Juge de l’arrivée de M. Guerchard.
GUERCHARD
Non, ce n’est pas la peine, ne dérangez personne pour moi. Je n’ai aucune importance.
L’AGENT, protestant.
Oh !
GUERCHARD, inspectant des yeux.
Aucune… Pour l’instant c’est le juge d’instruction qui est tout… Je ne suis qu’un auxiliaire.
L’AGENT
Le juge d’instruction et le commissaire visitent la chambre de la femme de charge. C’est tout là-haut, on prend l’escalier de service, on tourne par le corridor. Monsieur l’inspecteur veut-il que je l’y mène ?
GUERCHARD, sortant son mouchoir.
Non, je sais où c’est.
L’AGENT
Ah !
GUERCHARD
Oui. (Il se mouche.) J’en viens.
L’AGENT, avec admiration.
Ah ! Monsieur Guerchard est plus malin à lui tout seul que tous les juges d’instruction réunis.
GUERCHARD, se levant.
Il ne faut pas dire ça, mon ami. Je ne puis vous empêcher de le penser, mais il ne faut pas le dire.
(Il se dirige vers la fenêtre.)
L’AGENT, montrant l’échelle.
Monsieur l’inspecteur a remarqué. Il est possible que c’est par cette échelle que sont arrivés et repartis les cambrioleurs.
GUERCHARD, patiemment.
Merci, mon ami.
L’AGENT
Ils ont même laissé un guéridon sur le rebord de la fenêtre.
GUERCHARD, agacé, mais poli, souriant.
Oui, merci.
L’AGENT
Et on ne croit pas que ce soit Lupin. On croit que c’est un truc.
GUERCHARD
Je vous remercie.
L’AGENT
Monsieur Guerchard n’a plus besoin de moi ?
GUERCHARD, souriant.
Non, au contraire.
(Sort l’agent. Guerchard, resté seul, allume une cigarette, va vers le coffre, puis ramasse un bouton qu’il examine, tout en restant accroupi. Il se dirige jusqu’à la cheminée, jette un regard sous le paravent, se relève en souriant, comme s’il comprenait, va vers le livre, le soulève, voit des traces de plâtre, calcule la distance vers la fenêtre à l’aide de pas égaux, examine les traces de plâtre qui sont sur la fenêtre, pareilles à celles qui sont sous le livre, aperçoit la maison en construction, enjambe et disparaît aux premiers mots du juge qui revient.)
Scène IV
LE DUC, LE JUGE, L’AGENT, puis GOURNAY-MARTIN GERMAINE, puis GUERCHARD.
LE JUGE, toujours très important.
C’est certain, le désordre de la chambre et du lit est voulu… Nous tenons un complice. Nous aurons au moins cette bonne nouvelle à annoncer à M. Gournay-Martin. À propos, à quelle heure arrive-t-il ?
LE DUC
Je ne sais pas, il devait prendre le train de 8 heures 12.
LE JUGE
Ils arriveront toujours assez tôt.
L’AGENT, entrant, solennel.
Messieurs, c’est la famille.
(Gournay-Martin arrivant par la porte de gauche avec Germaine.)
GOURNAY, d’une voix étranglée.
Misérables ! (il va vers le petit salon.) Bandits ! ! (Il revient, voit le reste de la pièce.) Canailles ! ! !
(Il s’effondre.)
GERMAINE
Papa, ne crie plus, tu es enroué !
GOURNAY-MARTIN
Oui ! oui ! ça ne sert à rien ! (Criant de nouveau.) Mon mobilier Louis XIV !… tous mes tableaux… mes merveilleux tableaux !…
LE JUGE
Monsieur Gournay-Martin… je suis désolé… je suis tout à fait désolé ! (Gournay-Martin le regarde en hochant la tête. Il se présente.) Monsieur Formery, juge d’instruction.
GOURNAY-MARTIN
C’est une tragédie, monsieur le Juge, c’est une tragédie.
LE JUGE
Ne vous désolez pas. Nous les retrouverons vos chefs-d’œuvre. Et puis, quoi, ils auraient pu faire pis. Votre diadème n’a pas été enlevé.
LE DUC, près du coffre.
Non. On n’a pas touché à ce coffre-fort. Voyez, il est intact.
GOURNAY-MARTIN
C’est ça qui m’est égal… il était vide !
LE DUC
Vide… mais votre diadème ?…
GOURNAY-MARTIN, se retournant vers le juge, la voix sourde, terrifiée.
Ah ! mon Dieu !… On me l’a pris ?
LE DUC, se rapprochant.
Mais non, mais non… puisque ce coffre-fort…
GOURNAY-MARTIN
Mais le diadème n’a jamais été dans ce coffre-fort là… Il était (bas au juge)… A-t-on cambriolé ma chambre ?
LE JUGE
Non.
LE DUC
On a pénétré dans aucun des appartements du premier.
GOURNAY-MARTIN
Ah !… Alors je suis tranquille… le coffre-fort dans ma chambre n’avait que deux clefs… En voici une et l’autre est dans ce coffre-fort là !
LE JUGE, important comme s’il avait sauvé le diadème.
Vous voyez !
GOURNAY-MARTIN
Je vois, je vois… (éclatant) je vois qu’on m’a dévalisé ! pillé ! Où est Guerchard ? Avez-vous une piste, un indice ?
LE JUGE, d’un air entendu.
Oui, Victoire, la femme de charge.
GERMAINE
Victoire ?
GOURNAY-MARTIN
Où est-elle ?
LE JUGE
Elle a disparu.
GOURNAY-MARTIN
Disparu ! mais il n’y a plus une seconde à perdre… il faut…
LE JUGE
Voyons ! calmez-vous, calmez-vous. Je suis là.
LE DUC
Oui, calmez-vous, voyons !
GOURNAY-MARTIN
Vous avez raison, je suis calme.
LE JUGE
Nous avons tout lieu de croire qu’il y a d’autres complices, que ce cambriolage a été préparé de longue main et à coup sûr par des gens qui, non seulement, connaissent votre maison, mais encore sont au courant de vos habitudes.
GOURNAY-MARTIN
Oui !…
LE JUGE
Je désirerais savoir si auparavant, il n’y a jamais eu de vol commis chez vous ? Vous a-t-on déjà volé ?
GOURNAY-MARTIN
Il y a trois ans…
LE JUGE
Je sais…
GOURNAY-MARTIN
Mais, depuis, ma fille, elle, a été volée.
LE JUGE
Ah !
GERMAINE
Oui, depuis trois ans.
LE JUGE.
Ah ! par exemple… mais il eût fallu nous prévenir ! C’est très intéressant, voyez, c’est capital ! Et c’est Victoire que vous soupçonnez ?
GERMAINE
Oh ! non, les deux derniers vols ont été commis au château et Victoire se trouvait à Paris.
LE JUGE, après un silence.
Tant mieux… tant mieux. Voici qui confirme notre hypothèse…
GOURNAY-MARTIN
Laquelle ?
LE JUGE, pensif.
Laissez ! Eh bien, voyons, Mademoiselle, ces vols ont commencé chez vous, il y a trois ans ?
GERMAINE
Vers le mois d’octobre.
LE JUGE
Et c’est au mois d’octobre 1905 que Gournay-Martin, après une première lettre de menaces était, comme aujourd’hui, victime d’un cambriolage.
GOURNAY-MARTIN
Ah ! Oui ! Les canailles !
LE JUGE
Il serait donc intéressant de savoir quel est celui de vos domestiques qui est entré à votre service il y a trois ans ?…
GOURNAY-MARTIN
Victoire n’est chez nous que depuis un an.
LE JUGE, dérouté, après un temps.
Précisément ! (À Germaine.) Mademoiselle, quel est le dernier vol dont vous avez été victime ?
GERMAINE
Il remonte à deux mois. On m’a volé une broche avec des perles et pouvant former pendentif… un peu comme le pendentif que vous m’avez donné, Jacques.
LE JUGE, à Germaine.
Ah ! pourrais-je voir ce pendentif ?
GERMAINE
Oui. (Au duc.) Vous l’avez, n’est-ce pas ?
LE DUC
Je l’ai… j’ai l’écrin.
GERMAINE
Comment l’écrin ?
LE DUC
Oui, l’écrin était vide.
GERMAINE
Vide ? Non, c’est impossible.
LE DUC
À peine étiez-vous sortie… j’ai ouvert l’écrin sur le chiffonnier et il était vide.
LE JUGE
Ce pendentif, ne l’aviez-vous pas déjà surpris aux mains du jeune Charolais ?
LE DUC
Oui… Trois quarts d’heure auparavant, il pouvait être 6 heures.
GERMAINE
Je réponds qu’à 7 heures et demie, quand je suis montée m’habiller, dix minutes avant de partir, le pendentif était dans l’écrin sur le chiffonnier.
GOURNAY-MARTIN
Un vol ! on l’a volé !
LE DUC
Mais non… C’est Irma certainement qui l’aura emporté pour vous, ou bien Mlle Krichnoff.
GERMAINE
Pas Mlle Krichnoff, toujours… puisqu’elle m’a dit dans le train : pourvu que le duc n’ait pas oublié d’emporter votre pendentif !
LE DUC
Alors, c’est Irma.
GERMAINE, appelant.
Irma ! Irma !
IRMA, entrant à gauche.
Mademoiselle…
GERMAINE
Ah ! justement, Irma…
LE JUGE
Non, pardon. (À Irma.) Mademoiselle, approchez… ne vous troublez pas… Avez-vous emporté le pendentif pour votre maîtresse ?
IRMA
Moi… non, Monsieur.
LE JUGE
Vous êtes sûre ?
IRMA
Dame !… oui ! Monsieur. D’ailleurs, est-ce que Mademoiselle ne l’avait pas laissé sur le chiffonnier ?
LE JUGE
Comment savez-vous ça ?
IRMA
Parce que Mademoiselle, en partant, a crié à M. le Duc, d’emporter l’écrin. Même que j’ai fait la réflexion que c’était peut-être Mlle Krichnoff qui aurait pu le mettre dans son sac.
LE DUC, vivement.
Mlle Krichnoff ! Dans quel but ?
IRMA
… Dans le but de le rapporter pour Mademoiselle.
LE JUGE
Et pourquoi aviez-vous pensé cela ?
IRMA
Parce que j’ai vu Mlle Krichnoff devant le chiffonnier.
LE JUGE
Ah ! et c’est sur le chiffonnier qu’était le pendentif ?
IRMA
Oui, Monsieur.
(Un silence.)
LE JUGE
Vous êtes au service de Mademoiselle depuis longtemps ?
IRMA
Depuis six mois, Monsieur.
LE JUGE
C’est bien, vous pouvez vous retirer… Non par ici, j’aurai peut-être besoin de vous tout à l’heure. (Sort Irma à droite. Au commissaire.) Nous allons interroger Mlle Krichnoff.
LE DUC, vivement.
Mlle Krichnoff est au-dessus de tout soupçon.
GERMAINE
Oui, c’est mon avis.
LE JUGE
Mlle Krichnoff est entrée chez vous depuis combien de temps, Mademoiselle ?
GERMAINE, réfléchissant.
Tiens.
LE JUGE
Quoi donc ?
GERMAINE
Il y a précisément trois ans.
LE JUGE
Précisément au moment où les vols ont commencé ?
GERMAINE
Oui.
(Sensation.)
LE JUGE, à l’agent.
Priez Mlle Krichnoff de venir.
L’AGENT
Bien, Monsieur…
LE DUC
Non, je sais où elle est, je vais sortir.
(Il va pour sortir.)
GUERCHARD, apparaissant en haut de l’échelle.
Ah !… Mais non !…
TOUS, se retournant.
Hein ?
GUERCHARD, à l’agent.
Agent, allez-y !
(Sort l’agent.)
LE DUC
Pardon, mais…
GUERCHARD, descendant de l’échelle.
Ne vous froissez pas, monsieur le Duc… Mais M. le Juge est de mon avis ; ce serait tout à fait irrégulier.
(Il va vers le juge et lui donne la main.)
LE DUC, se rapprochant.
Mais, Monsieur…
GUERCHARD
Monsieur Guerchard, inspecteur principal de la Sûreté.
LE DUC
Ah ! enchanté. Nous vous attendions avec impatience.
(Ils se donnent la main.)
LE JUGE
Que faisiez-vous donc, sur cette échelle !
GUERCHARD
J’écoutais… Et je vous félicite. Vous avez mené l’enquête d’une façon remarquable. Nous différons d’avis sur deux ou trois petits points… mais c’est remarquable. (Saluant.) Monsieur Gournay-Martin, mon cher commissaire.
(Ils s’installent autour de la table. L’agent de police entre et vient dire quelques mots au juge.)
LE JUGE, surpris, bas.
Elle sortait donc ?
L’AGENT
Elle demandait à sortir.
LE JUGE, bas.
Montez dans sa chambre et fouillez sa malle.
GUERCHARD, qui a entendu.
Ce n’est pas la peine.
LE JUGE
Ah ! (Il répète à l’agent d’un ton vexé.) Ce n’est pas la peine.
Scène V
LES MÊMES, SONIA
(Sonia est entrée. Elle a gardé son costume de voyage et son manteau sur le bras. Elle s’arrête étonnée.)
LE JUGE
Approchez, Mademoiselle… (Commençant l’interrogatoire.) Mademoiselle…
GUERCHARD, doucement, avec tant de déférence que le juge ne peut refuser.
Voulez-vous me permettre ? (Le juge furieux s’efface et tourne le dos. Guerchard à Sonia, avec bonhomie.) Mademoiselle, il se passe un fait sur lequel M. le Juge a besoin de quelques renseignements. On a volé le pendentif que M. le Duc a donné à Mlle Gournay-Martin.
SONIA
On a volé !… Vous êtes sûr ?
GUERCHARD
Absolument, le vol s’est produit dans des conditions très déterminées. Mais nous avons tout lieu de supposer que le coupable, pour n’être pas pris sur le fait, a caché le bijou dans le sac ou la valise d’une autre personne, de sorte que…
SONIA, vivement.
Ma valise est dans ma chambre, Monsieur, voici la clef.
(Pour prendre la clef dans son sac, elle dépose son vêtement sur le canapé. Il glisse à terre. Le duc qui ne l’a pas quittée des yeux s’approche, ramasse le vêtement, fouille dans les poches et retire un papier de soie, le déplie, trouve le pendentif, remet le papier, pose le vêtement et s’éloigne.)
GUERCHARD
C’est absolument inutile. Vous n’avez pas d’autres bagages ?
SONIA
Si, ma malle… elle est là-haut, ouverte.
GUERCHARD
Mais vous alliez sortir, je crois ?
SONIA
Je demandais la permission… deux ou trois courses à faire.
GUERCHARD
Monsieur le Juge, vous ne voyez aucun inconvénient à laisser sortir Mademoiselle ?
LE JUGE
Aucun.
GUERCHARD, à la jeune fille qui s’éloigne.
Vous n’emportez que ce sac ?
SONIA, le lui tendant.
Oui… J’ai là mon argent… mon mouchoir.
GUERCHARD, plongeant son regard dans le sac.
Inutile. Je ne suppose pas qu’on ait eu l’audace…
(Sonia va pour sortir. Elle fait un pas, hésite, puis revient et prend son vêtement.)
GUERCHARD, vivement.
Voulez-vous me permettre ?
SONIA
Merci, je ne le mets pas.
GUERCHARD, doucereux et tout en insistant.
Oui… mais on a pu… avez-vous bien regardé dans les poches ?… Tenez, on dirait que celle-ci…
SONIA, effrayée, mettant sa main crispée sur la poche.
Mais, Monsieur, c’est abominable… Quoi !… vous avez l’air…
GUERCHARD
Je vous en prie, Mademoiselle, nous sommes parfois obligés…
LE DUC, sans bouger, la voix nette.
Mademoiselle Sonia, je ne vois vraiment pas en quoi cette petite formalité peut vous déplaire.…
SONIA
Mais !…
LE DUC, la regardant fixement.
Vous n’avez aucune inquiétude à avoir.
(Sonia regarde le duc et cesse de résister : Guerchard fouille dans la poche désignée. Il y trouve le papier, le déplie.)
GUERCHARD, entre ses dents.
Plus rien. (Tout haut.) Je vous adresse toutes mes excuses, Mademoiselle.
(Sonia va pour sortir et chancelle.)
LE DUC, se précipitant.
Vous vous trouvez mal ?
SONIA, bas.
Merci, merci, vous m’avez sauvée.
GUERCHARD
Je suis sincèrement désolé !
SONIA
Non, ça ne fait rien.
(Elle sort.)
GERMAINE, à son père.
Cette pauvre Sonia !… Je vais lui parler !
(Ils sortent tous trois.)
LE JUGE, à part.
Vous vous êtes lourdement trompé, Guerchard.
GUERCHARD, qui n’a cessé de tenir le papier entre ses mains et de l’examiner.
Je voudrais que personne ne sorte sans un mot de moi !
LE JUGE, souriant.
Personne excepté Mlle Sonia.
GUERCHARD
Elle moins que tout autre.
LE JUGE
Comprends pas.
L’AGENT, entrant vivement.
Monsieur le Juge ?
LE JUGE, se retournant.
Quoi ?
L’AGENT
Dans le jardin… on a trouvé ce lambeau d’étoffe au bord du puits. Les concierges ont reconnu que c’était un morceau d’une robe à Victoire.
LE JUGE
Sacrebleu !
(Il prend le morceau d’étoffe.)
GOURNAY
Voilà l’explication !… Un assassinat…
LE JUGE, vivement.
Il faut y aller… C’est possible après tout. D’autant plus qu’à propos du jardin il y a des traces de plâtre là sous ce livre. Je les ai découvertes. Oui, il faut y aller.
GUERCHARD, calmement, sans bouger.
Non, tout au moins il ne faut pas y aller pour chercher Victoire.
LE JUGE
Pardon, mon cher ! mais ce lambeau d’étoffe…
GUERCHARD, à Gournay-Martin.
Ce lambeau d’étoffe ?… Avez-vous un chien, ou plutôt un chat dans la maison ?
LE JUGE, indigné.
Guerchard.
GUERCHARD
Pardon, c’est très important.
GOURNAY
Oui, je crois, il y a une chatte, celle du concierge.
GUERCHARD
Eh bien, voilà, ce lambeau d’étoffe a été apporté ici par la chatte… tenez, regardez les griffes.
LE JUGE
Voyons ! c’est fou ! Ça ne tient pas debout. Il s’agit d’un assassinat, peut-être de l’assassinat de Victoire.
GUERCHARD
Victoire n’a jamais été assassinée.
LE JUGE
Mon cher, personne n’en sait rien.
GUERCHARD, dialogue très rapide.
Si… moi…
LE JUGE
Vous ?
GUERCHARD
Oui.
LE JUGE
Alors, comment expliquez-vous qu’elle ait disparu !
GUERCHARD
Si elle avait disparu, je ne l’expliquerais pas.
LE JUGE, furieux.
Mais puisqu’elle a disparu.
GUERCHARD
Non.
LE JUGE
Vous n’en savez rien.
GUERCHARD
Si.
LE JUGE
Hein ? Vous savez où elle est ?
GUERCHARD
Oui.
LE JUGE
Mais dites-nous tout de suite que vous l’avez vue ?
GUERCHARD
Oui, je l’ai vue !
LE JUGE
Vous l’avez vue ! Quand ?
GUERCHARD
Il y a deux minutes.
LE JUGE
Mais sacrebleu, vous n’êtes pas sorti de cette pièce !
GUERCHARD
Non.
LE JUGE
Et vous l’avez vue ?
GUERCHARD
Oui.
LE JUGE
Mais sacré nom d’un chien, dites-nous alors où elle est, dites-nous-le.
GUERCHARD
Mais vous ne me laissez pas parler.
LE JUGE, hors de lui.
Alors, parlez.
GUERCHARD
Eh bien, voilà, elle est ici.
LE JUGE
Comment ici ? Comment serait-elle arrivée ici ?
GUERCHARD
Sur un matelas.
LE JUGE
Ah ! ça, Guerchard, vous vous foutez du monde !
GUERCHARD
Tenez. (Il va vers la cheminée, écarte les chaises et le paravent. On aperçoit Victoire bâillonnée, ligotée sur un matelas. Stupéfaction…) Hé là, elle dort bien. Il y a encore par terre le masque de chloroforme. (À l’agent.). Emportez-la.
LE JUGE, sévèrement au commissaire.
Vous n’aviez donc pas fouillé la cheminée, monsieur le Commissaire ?
LE COMMISSAIRE
Mais non.
LE JUGE
C’est une faute, monsieur le Commissaire, une faute impardonnable… Allons vite, qu’on l’emporte… Mais sapristi, vous avouez qu’il était matériellement impossible…
(L’agent et le commissaire emportent Victoire.)
GUERCHARD
À quatre pattes ; c’est possible. Quand on est à quatre pattes on voit deux talons qui dépassent. Alors, n’est-ce pas…
LE JUGE, à Guerchard.
Ça bouleverse tout. Dans ces conditions, je n’y comprends plus rien. Je suis complètement dérouté. Et vous ?
GUERCHARD, bonhomme.
Heu, heu !…
LE JUGE
Vous n’êtes pas dérouté, vous ?
GUERCHARD
Non. Est-ce que vous avez commencé votre enquête du côté du jardin ?
LE JUGE, sursautant.
J’allais la faire, naturellement ! D’autant que j’ai vu des choses très intéressantes, une maison en construction.
(Ils sortent.)
Scène VI
LE DUC, puis SONIA, puis GUERCHARD.
(Le duc jette un coup d’œil sur la pièce à côté pour regarder si on ne le voit pas, puis tire le pendentif de sa poche et le regarde.)
LE DUC, seul.
Une voleuse !
SONIA, entrant affolée.
Pardon ! Pardon !
LE DUC
Une voleuse, vous !
SONIA
Oh !
LE DUC
Prenez garde, ne restez pas là.
SONIA, même jeu.
Vous ne voulez plus me parler ?
LE DUC
Guerchard se doute de tout !… Il est dangereux que nous causions là.
SONIA
Quelle opinion avez-vous de moi, maintenant ? Ah ! mon Dieu ! Mon Dieu !
LE DUC
Parlez plus bas.
SONIA
Ah ! que m’importe ! J’ai perdu l’estime du seul être à qui je tenais, peu m’importe tout le reste.
LE DUC, regardant autour de lui.
Nous nous retrouverons… cela vaut mieux.
SONIA, assise.
Non, non, tout de suite… il faut que vous sachiez… il faut que je vous parle. Ah ! mon Dieu… je ne sais plus quoi vous dire. Et puis c’est trop injuste après tout. Elle, Germaine, elle a tout. Hier, devant moi, vous lui avez remis ce pendentif… elle a souri… elle était orgueilleuse… j’ai vu sa joie. Alors, oui, je l’ai pris, je l’ai pris, je l’ai pris, et si je pouvais lui prendre sa fortune… je la hais.
LE DUC, s’approchant.
Quoi ?
SONIA
Eh bien, oui… je la hais.
LE DUC
Comment ?
SONIA
Ah ! c’est une chose que je ne vous aurais pas dite… mais maintenant j’ose… j’ose parler… eh bien… oui… je… je vous… je vous… (Elle n’achève pas l’aveu, désespérée.) Je la hais.
LE DUC, s’inclinant un peu sur elle.
Sonia !
SONIA, confirmant.
Oh ! je sais, ça n’excuse rien, vous pensez : « C’est bien trouvé, mais elle n’est pas à son premier vol. » Oui, c’est vrai, c’est le dixième, le vingtième peut-être, oui, c’est vrai, je suis une voleuse, mais il y a une chose qu’il faut croire : depuis que vous êtes revenu, depuis que je vous ai connu, du premier jour où vous m’avez regardée ; eh bien, je n’ai plus volé.
LE DUC
Je vous crois.
SONIA
Et puis vous saviez comment cela a commencé… l’horreur de ça…
LE DUC
Je vous plains…
SONIA
Oui, vous me plaignez, en me méprisant, avec dégoût ! Ah ! il ne faut pas ! Je ne veux pas !
LE DUC
Calmez-vous, voyons.
SONIA
Écoutez… Avez-vous jamais été seul, seul au monde ?… Avez-vous jamais eu faim ?… Pourtant dans la grande ville où j’agonisais, aux étalages, quand on n’a qu’à tendre la main… Les pains… les pains… d’un sou, c’est banal… c’est banal, n’est-ce pas ?
LE DUC
Continuez.
SONIA
Eh bien, non, je ne l’ai pas fait. Mais ce jour-là, je mourais, vous entendez, je mourais… Une heure après je frappais à la porte d’un homme que je connaissais un peu. C’était ma dernière ressource… Je fus contente d’abord… il me donna à manger… à boire… du champagne… et puis il me parla, il m’offrit de l’argent…
LE DUC
Quoi ?
SONIA
Non, je n’ai pas pu… Alors je l’ai volé… j’aimais mieux ça ! C’était plus propre ! Ah ! j’avais des excuses alors. J’ai commencé à voler pour rester honnête femme… J’ai continué pour avoir l’air d’une femme honnête. Vous voyez… je plaisante. Ah ! mon Dieu ! Ah ! mon Dieu !
(Elle pleure.)
LE DUC
Pauvre petite !
SONIA
Oh ! vous avez pitié… vous êtes ému.
LE DUC, levant la tête.
Ma pauvre petite Sonia.
SONIA, se levant.
Ah !
(Ils se regardent un instant, très près l’un de l’autre.)
LE DUC
Adieu ! Adieu !
(Il hésite comme s’il allait parler, mais il entend du bruit et s’éloigne d’elle. Elle va pour sortir. Entre Guerchard.)
GUERCHARD
Ah ! Mademoiselle… je vous cherchais… (Sonia s’arrête.) Le juge a changé d’avis. Il est impossible que vous sortiez… C’est une mesure générale.
SONIA
Ah !
GUERCHARD
Nous vous serions même très obligés de monter dans votre chambre. On vous servira votre repas là-haut.
SONIA
Comment !… mais, Monsieur !… (Après un temps elle regarde le duc, il fait signe qu’elle peut obéir.) Bien… je vais monter dans ma chambre !
(Elle sort.)