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Arsène Lupin
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Текст книги "Arsène Lupin"


Автор книги: Maurice Leblanc


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Scène X

LE DUC, puis FIRMIN

LE DUC, rentrant.

Quel chien de temps ! (Il sifflote.) Et il y a encore de fameux éclairs. Voyons… L’écrin… Elle m’a dit : « sur le chiffonnier ». (Il le prend et l’ouvre, stupéfait.) Hein ? Comment ! il est vide ! (Il revient vers la porte.) Germaine ! Ah ! il est trop tard ! Mais ça, par exemple, vide !… Oh ! que je suis bête ! C’est Sonia ou la femme de chambre qui auront emporté les bijoux pour Germaine.

FIRMIN, entrant. Il a un fusil en bandoulière, un ceinturon de garde-chasse, une gourde et un panier de provisions avec une bouteille qui surgit.

Voilà mon fusil, mon picotin et ma gourde de rhum. Avec ça le malandrin peut venir.

LE DUC

Bravo, Firmin.

FIRMIN, résolu.

Le premier qui arrive, je lui tire dessus… Ah mais !…

LE DUC

En attendant, fermez les volets, je vais vous aider.

FIRMIN, allant à la terrasse et fermant les volets avec le duc.

Drôle d’idée tout de même qu’a eue le patron ! Pourquoi qu’il est allé à la gare ?

LE DUC

Probablement pour prendre le train.

FIRMIN

Pas pour Paris, toujours, il n’y en a point.

LE DUC, du dehors.

Tirez donc plus fort… – Il y a un train à 8 heures 12.

FIRMIN

Non point. Nous sommes le 3 septembre, c’est fini à partir de septembre.

LE DUC

Vous radotez. J’ai consulté l’indicateur.

FIRMIN

Et il y a ça dans l’indicateur ?

JEAN, entrant.

Les pneus sont posés, monsieur le Duc. Seulement… il ne fait pas un temps de chrétien.

LE DUC

Ah ! j’en ai vu bien d’autres. (Il met son manteau d’automobile, aidé de Jean.) Vous resterez ici. Vous vous installerez dans l’aile gauche du château.

JEAN

Oui, M. Gournay-Martin m’a expliqué. Il y a donc du danger pour cette nuit ?

LE DUC

Oh ! Je ne crois pas. M. Gournay-Martin était un peu affolé… mais enfin, à tout hasard, il vaut mieux être armé.

JEAN

J’ai là mon revolver, monsieur le Duc.

LE DUC

Parfait. Vous pouvez allumer les phares. J’arrive tout de suite. (Jean sort.) Voyons, j’ai tout ?… Eh bien, Firmin, je vous laisse… Vous avez votre gourde, votre fusil et votre picotin. Vous êtes un vieux militaire. Vous n’avez pas peur, hein ?

FIRMIN

Non, pas encore.

LE DUC

Firmin, vous êtes épatant ! Allons, bon courage, hein ! bon courage !

(Il sort.)


Scène XI

FIRMIN, seul.

FIRMIN, seul à jouer lentement, sensation de la peur.

8 heures 12 ! Qu’est-ce que ça prouve, moi je sais bien qu’à partir de septembre… Il y a trop de lumière, ça se glisse au travers les volets… ça peut attirer le malandrin… (Il baisse l’électricité.) C’est égal, ça n’est pas prudent de laisser comme ça un homme tout seul, dans un château… Ils n’auraient qu’à venir et me bâillonner comme Jean tout à l’heure. Il y a du danger. J’aurais dû demander à ma femme de me tenir compagnie… Enfin j’ai mon picotin, et j’ai le talon dans l’estomac. (Il déploie tout sur la table et se versant un verre de vin.) Mais quel orage ! C’est-y permis de tonner comme ça ! C’est à peine si avec le bruit du ciel on entendrait venir le malandrin. (Il commence à manger. On entend un bruit lointain. Il se lève effaré.) Nom de nom ! le voilà le malandrin ! On marche, là… (Il prend son fusil. On frappe au volet.) On a frappé. (On frappe.) Oh ! que j’ai peur : je n’ai pas eu peur comme ça depuis la guerre de 70… Nom de nom ! ils n’auront pas ma peau. (On essaie d’ouvrir la porte.) Les malandrins, ils vont crocheter les volets. Qui va là ?

UNE VOIX

Ouvrez.

FIRMIN

Allez-vous-en, ou je tire !

UNE VOIX

Firmin, voulez-vous ouvrir ?

FIRMIN

Comment qu’ils connaissent mon nom ?

UNE VOIX

Voulez-vous ouvrir nom de nom ! il tombe des seaux d’eau, ouvrez donc !

FIRMIN

Comment, mais c’est la voix du patron !

(Il donne la lumière et va ouvrir.)


Scène XII

GOURNAY-MARTIN, GERMAINE, SONIA, IRMA, avec un parapluie retourné. Tous sont mouillés, dans un état lamentable.

GOURNAY-MARTIN, se précipitant.

L’indicateur ? Où est l’indicateur ? je vais porter plainte.

(Il éternue.)

GERMAINE

Ah ! quelle soirée ! Pas de train avant minuit. Il va falloir passer quatre heures ici. Enfin, il y a à manger.

(Elle s’assoit.)

GOURNAY-MARTIN

8 heures 12, tenez, 8 heures 12. Ça y est bien. Vous êtes témoins. Et c’est là dans l’indicateur officiel. Je vais porter plainte.

GERMAINE

Oh ! quelle horreur ! on a bu dans ce verre-là !

FIRMIN

Dame, c’est mon picotin.

GOURNAY-MARTIN, qui examine toujours l’indicateur.

Nom de nom !

GERMAINE et SONIA

(Cette dernière s’est à son tour attablée et a tiré de sa valise un gobelet et un couvert de voyage.)

Hein ?

GOURNAY-MARTIN

Cet indicateur, savez-vous de quand il date ?

FIRMIN

Moi, je le sais, Monsieur.

GOURNAY-MARTIN, furieux.

Comment, vous le savez ?

FIRMIN

Bien sûr, c’est mon indicateur, il date de l’exposition.

Rideau


ACTE II

Un grand salon dévasté dans un hôtel ancien.

À gauche, premier plan, une porte par laquelle entreront les gens qui viennent du dehors ; au fond à gauche, en pan coupé, grande baie vitrée, donnant sur un autre salon dévasté. Au milieu de la pièce, une échelle double qui a servi aux cambrioleurs.

Au fond, face au public, une fenêtre grande ouverte, dont les volets sont brisés. L’un des volets est à moitié arraché et pend. Sur le rebord de la fenêtre les montants supérieurs d’une échelle apparaissent. Un guéridon enjambe la fenêtre.

La fenêtre donne sur les jardins de l’hôtel et sur une maison en construction.

Au fond à droite, en pan coupé, une grande cheminée en bois sculpté que masque un écran de tapisserie et des chaises renversées.

À droite, deux portes ; l’une au deuxième plan, condamnée et devant laquelle est posé le coffre-fort ; l’autre porte praticable au premier plan.

Aux murs, à gauche et à droite, galerie de tableaux, mais avec des vides. Dans chaque vide le nom d’Arsène Lupin est inscrit à la craie bleue.


Scène première

LE COMMISSAIRE, LE DUC, LE JUGE, LE SERRURIER. La scène est vide.

LE COMMISSAIRE, entrant vivement.

Oui, vous avez raison, monsieur le Duc, c’est dans cette pièce que les cambrioleurs ont le mieux travaillé.

LE DUC

Ce n’est pas étonnant, monsieur le Commissaire. C’est ici que M. Gournay-Martin avait réuni ses plus précieuses collections. Puis il y avait aux portes des tapisseries flamandes, du XVe siècle, des merveilles… une composition charmante, de vieilles teintes fondues et colorées à la fois.

LE COMMISSAIRE, respectueux et empressé.

On voit que vous les aimez, monsieur le Duc.

LE DUC

Fichtre… d’autant plus que je les considérais déjà comme à moi. C’était mon cadeau de noces personnel, que m’offrait mon beau-père.

LE COMMISSAIRE

Nous les retrouverons, soyez persuadé qu’un jour ou l’autre… Oh ! je vous en prie, monsieur le Duc, ne touchez à rien. Il est nécessaire que le juge d’instruction se rende compte par lui-même… Le moindre objet dérangé peut le dérouter.

LE DUC, remonte au fond.

Vous avez raison. Ce qui m’inquiète, c’est la disparition de Victoire, la femme de charge.

LE COMMISSAIRE

Moi aussi.

LE DUC, tirant sa montre.

Neuf heures et demie. Le juge d’instruction ne peut plus tarder.

LE COMMISSAIRE

Non, il sera ici, dans quelques minutes. Dès votre arrivée au commissariat, j’ai envoyé un exprès au Parquet, avec un rapport sommaire, la lettre d’Arsène Lupin ou du soi-disant tel, l’escroquerie des automobiles, bref le résumé de vos déclarations et de vos premières découvertes. À l’heure qu’il est, le juge d’instruction en sait presque autant que nous. Évidemment j’ai téléphoné aussi à la Préfecture de police.

LE DUC

Et à la sûreté ?

LE COMMISSAIRE, souriant.

La sûreté est un des services de la Préfecture.

LE DUC

Ah ! je ne savais pas… Vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que de mon côté je téléphone à Guerchard ?

LE COMMISSAIRE

L’inspecteur principal ?

LE DUC

Oui, mon futur beau-père m’en avait prié. (Cherchant dans l’annuaire.) Guerchard… Guerchard…

LE COMMISSAIRE

673-45.

LE DUC

Merci. (Téléphonant.) Allô, 673-45. Alors, vous ne croyez pas que Lupin soit l’auteur du vol ?

LE COMMISSAIRE

Non… Et d’ailleurs j’espère bien que non.

LE DUC

Pourquoi ?

LE COMMISSAIRE

Parce que si par malheur, c’était Lupin, je craindrais fort qu’on ne retrouve pas la piste de ce gaillard-là.

LE DUC, au téléphone.

Pas libre ? Veuillez me resonner, Mademoiselle. Et qui est-ce qui vous fait croire que ce n’est pas Lupin ?

LE COMMISSAIRE

Lupin ne laisse pas de traces et ces traces-là sont très grossières.

LE DUC

Mais la lettre qu’a reçue hier au soir mon futur beau-père ? Et ces signatures à la craie bleue, car c’est de la craie de savon.

LE COMMISSAIRE

Oh ! monsieur le Duc, ça peut être imité. Un moyen pour dépister les soupçons. Voilà trois fois qu’on nous fait le coup.

L’AGENT, entrant avec le serrurier.

C’est fini, monsieur le Commissaire, nous avons ouvert toutes les portes.

LE COMMISSAIRE, au serrurier. Et vous les avez refermées ?

LE SERRURIER

Voici les clefs.

LE DUC

Les serrures des portes qui étaient fermées à clef, vous ont-elles paru intactes ?

LE SERRURIER

À moins qu’on n’ait eu des clefs de rechange je réponds qu’on n’y a pas touché.

LE DUC

Donc il n’y a rien eu de fracturé !

LE SERRURIER

Rien.

LE DUC

Bizarre ! En tout cas les cambrioleurs connaissaient la place. Ils semblent n’avoir pénétré que dans les parties de l’hôtel où ils étaient sûrs de trouver des objets de prix.

LE COMMISSAIRE, congédiant le serrurier.

Bon !

(L’agent et le serrurier se retirent.)

LE DUC

Je vous demande pardon… Quel est encore le numéro de Guerchard ?

LE COMMISSAIRE

673-45.

LE DUC, prenant l’appareil.

Merci… 673-45. Guerchard va être stupéfait quand il saura… Allô ! Je suis chez M. Guerchard ? M. Guerchard lui-même ? Le duc de Charmerace. On a cambriolé l’hôtel de mon futur beau-père. Hein ! Comment ?… Vous saviez déjà ?…, Vous vous prépariez à venir ? Ah ! mais… parfait… Oui… le nom de Lupin, mais le commissaire a des doutes… Je vous en prie n’est-ce pas ?

(Il remet le récepteur.)

L’AGENT, annonçant.

Monsieur le juge d’instruction va monter.

LE COMMISSAIRE

Le juge d’instruction, c’est M. Formery.

LE DUC

Oui, c’est un juge d’instruction remarquable, paraît-il.

LE COMMISSAIRE, étonné.

On vous a dit qu’il était remarquable ?

LE DUC

Il ne l’est pas ?

LE COMMISSAIRE

Si… si… seulement jusqu’ici, il n’a pas eu beaucoup de veine ; chacune de ses instructions s’est transformée en erreur judiciaire, tenez le voici.

(Le Juge entre très important et très affairé.)

LE COMMISSAIRE, présentant.

Monsieur le Duc de Charmerace.

LE JUGE

Monsieur le Duc, je suis désolé, je suis tout à fait désolé. Fichtre, le volet brisé ! Ah ! Ah ! (Comme s’il faisait une découverte imprévue.) On est entré et sorti par là.

LE DUC

Oui, c’est certain.

LE JUGE, regardant autour de lui.

Hein, on vous a bien dévalisé, monsieur le Duc… Tst… Tst… Oui, c’est bien ce que vous m’avez écrit, Commissaire. Arsène Lupin pss… (À part, au commissaire.) Ça va recommencer alors, cette plaisanterie.

LE COMMISSAIRE

Je crois que cette fois, monsieur le Juge, plaisanterie est le mot, car c’est un cambriolage pur et simple… escalade… effraction…

LE JUGE, allant à la fenêtre, puis vers le coffre-fort.

Souhaitons-le… Oui, en effet, les traces sont trop grossières. On n’a pas touché au coffre-fort, à ce que je vois.

LE DUC

Non, heureusement. C’est là, je crois, du moins ma fiancée le croit, que mon beau-père enferme la pièce la plus précieuse de sa collection… un diadème.

LE JUGE

Son fameux diadème de la princesse de Lamballe ?

LE DUC

En effet.

LE JUGE

Mais d’après votre rapport, Commissaire, la lettre signée Lupin, annonçait pourtant ce vol-là ?

LE DUC

Formellement.

LE COMMISSAIRE

C’est une preuve de plus, monsieur le Juge, que nous n’avons pas affaire à Lupin. Ce bandit-là aurait mis sa menace à exécution.

LE JUGE, au duc.

Qui donc gardait la maison ?

LE DUC

Les deux concierges et une femme de charge.

LE JUGE

Oui, pour les deux concierges, je sais, je les interrogerai tout à l’heure. Vous les avez trouvés ficelés et bâillonnés dans leur loge ?

LE COMMISSAIRE

Oui, monsieur le Juge, et toujours l’imitation de Lupin… bâillon jaune, corde bleue et sur un bout de carton cette devise : « Je prends, donc je suis. »

LE JUGE, à part, au commissaire.

On va encore se payer notre tête dans les journaux. Ah ! je voudrais bien voir la femme de charge… où est-elle ?

LE COMMISSAIRE

C’est que, monsieur le Juge…

LE JUGE

Quoi ?

LE DUC

Nous ne savons pas où elle est.

LE JUGE

Comment vous ne savez pas ?

LE DUC

Non, nous ne l’avons trouvée nulle part.

LE JUGE, vivement.

Mais, c’est excellent, ça, c’est excellent !… Nous tenons un complice.

LE DUC

Oh ! Je ne crois pas… Tout au moins mon futur beau-père et ma fiancée avaient en elle la plus grande confiance… Hier encore, Victoire nous téléphonait au château, elle avait la garde de tous les bijoux.

LE JUGE

Eh bien, ces bijoux, ils ont été volés, cambriolés ?

LE DUC

On n’y a pas touché. On n’a cambriolé que les deux salons et cette pièce-ci.

LE JUGE, au duc.

Ça c’est très embêtant.

LE DUC

Je ne trouve pas.

LE JUGE

Oui, enfin je me plaçais à un point de vue professionnel… Voyons, on n’a pas bien cherché. Elle doit être quelque part la femme de charge ! A-t-on regardé dans toutes les pièces ?

LE COMMISSAIRE

Oh ! dans toutes les pièces, monsieur le Juge.

LE JUGE

Diable ! Diable ! Pas de lambeaux de vêtements ? pas de traces de sang ? pas de crime ? Rien d’intéressant ?

LE COMMISSAIRE

Rien, monsieur le Juge.

LE JUGE, entre ses dents.

Regrettable… Où couchait-elle ? Son lit est défait ?

LE COMMISSAIRE

Elle couchait en haut, au-dessus de la lingerie. Le lit est défait et il semble qu’elle n’ait pas emporté de vêtements.

LE JUGE, grave.

Extraordinaire !… Cette affaire-là m’a l’air compliquée.

LE DUC

Aussi ai-je téléphoné à Guerchard, il va venir.

LE JUGE, vexé.

Oui, oh ! oui… Oh ! vous avez bien fait ! M. Guerchard est un bon collaborateur… un peu fantaisiste, un peu visionnaire, bref un toqué. Mais quoi, c’est Guerchard… Seulement comme Lupin est sa bête noire, il trouvera encore moyen de nous embêter, avec cet animal-là. Vous allez voir encore mêler Lupin à tout cela.

LE DUC

Dame ! (Regardant les signatures.) On l’y mêlerait à moins.

LE JUGE

Monsieur le Duc, croyez-moi. C’est surtout en matière criminelle qu’il faut se défier des apparences… Oh ! non, je vous en prie, ne touchez à rien.

LE DUC, qui s’est baissé.

Oh ! ce n’est qu’un livre. (Le remettant.) Tiens !

LE JUGE

Quoi donc ?

LE DUC

Ça n’a peut-être pas d’importance, mais c’est certainement un livre que les voleurs ont fait choir de cette table.

LE JUGE

Eh bien ?

LE DUC

Eh bien, il y a une trace de pas sous ce livre.

LE JUGE, incrédule.

Une trace de pas sur un tapis ?

LE DUC

Oui, le plâtre se voit sur un tapis.

LE JUGE se baisse. Le commissaire reste accroupi près de lui.

Du plâtre… pour quelles raisons ?

LE DUC

Supposez que les voleurs venaient du jardin ?

LE JUGE, se relevant.

Je le suppose.

LE DUC

Eh bien, au bout du jardin il y a une maison en construction.

LE JUGE

C’est vrai ?… Dites toute votre pensée, continuez.

LE DUC

Si les cambrioleurs ont essayé d’effacer les traces de pas sur le tapis, ils ont oublié de les effacer là où se trouvaient les objets que dans leur hâte ils avaient fait tomber.

LE JUGE

Oui.

LE DUC

Et si, en effet, les cambrioleurs sont entrés par la fenêtre, ou sortis par là… Je ne serais pas étonné que sous ce coussin…

LE JUGE, vivement et reprenant la direction de l’enquête. Vous ne seriez pas étonné de trouver une trace de pas ?

LE DUC

Non.

LE JUGE

Vous ne seriez pas étonné, mais moi j’en suis sûr !

LE DUC

Oh !

LE JUGE

J’en suis sûr et la preuve. (Il se baisse et soulève lentement le coussin.) Regardez… (Un silence. Il regarde le duc, et d’un ton convaincu :) Vous vous êtes trompé, monsieur le Duc, il n’y a rien.

LE DUC

Enfin, il y a toujours un guéridon qui enjambe cette fenêtre.

LE JUGE

Et une échelle, Monsieur ! Et cette échelle vient de la maison en construction ! Je poursuivrai l’enquête de ce côté.

L’AGENT, entrant.

Monsieur le Juge, ce sont les domestiques qui arrivent de Bretagne.

LE JUGE

Qu’ils attendent dans la cuisine et dans les offices. (L’agent sort. Le juge à qui le greffier a remis des papiers qu’il consulte… au duc :) Ah ! j’ai quelques petites questions à vous poser, monsieur le Duc… (Les yeux sur le rapport.) J’ai vu qu’hier au soir, au château, avant même l’escroquerie des automobiles, vous aviez déjà surpris un vol, tout au moins une tentative de vol… Un des escrocs avait voulu prendre un pendentif.

LE DUC

Oui, mais le malheureux suppliait. Alors, ma foi… Je le regrette maintenant.

LE COMMISSAIRE

Est-ce que vous ne pensez pas, monsieur le Juge que cette escroquerie ait un rapport avec le cambriolage de cette nuit ?

LE JUGE, convaincu.

Oh ! du tout, aucun. (Regardant le rapport.) Vous êtes arrivé ici à 6 heures et demie… et naturellement personne ne vous a ouvert quand vous avez sonné à l’hôtel ?

LE DUC

Naturellement… Aussitôt, j’ai réveillé un serrurier. J’ai été chercher le commissaire, et c’est avec eux que j’ai pénétré dans la maison. Je crois avoir bien fait, n’est-ce pas ?

LE JUGE, sérieux.

Vous avez agi de la façon la plus correcte. Je vous en félicite. – Eh bien, maintenant, nous n’allons pas attendre Guerchard. Nous allons interroger les concierges.


Scène II

LE JUGE, LE COMMISSAIRE, LE DUC, LA CONCIERGE, LE CONCIERGE

LE JUGE

Entrez, ne vous troublez pas, asseyez-vous. Voyons, vous êtes remis ? (Ils s’assoient tous les deux.) Vous êtes en état de répondre ?

LE CONCIERGE

Oh ! oui… On nous a un peu bousculés, mais on ne nous a pas fait de mal.

LA CONCIERGE

On a même pris son café au lait !

LE CONCIERGE

Oh ! oui !

LE JUGE

Allons, tant mieux… voyons, vous dites qu’on vous a surpris pendant votre sommeil, mais que vous n’avez rien vu ni entendu ?

LE CONCIERGE

Dame ! On n’a pas eu le temps, ça a été fait… on n’aurait pas pu dire ouf !

LE JUGE

Vous n’avez pas entendu des bruits de pas dans le jardin ?

LE CONCIERGE

Oh ! monsieur le Juge, de notre loge, on n’entend rien du jardin !

LA CONCIERGE

Même la nuit, quand Monsieur avait son chien, le cabot réveillait toute la maison, il n’y avait que nous qui dormions bien.

LE JUGE, à lui-même.

S’ils dormaient aussi bien, je me demande pourquoi on les a bâillonnés. (Aux concierges.) Voyons, vous n’avez pas entendu de bruit à la porte ?

LE CONCIERGE

À la porte ?… Rien !

LE JUGE

Alors de toute la nuit vous n’auriez rien entendu du tout ?

LE CONCIERGE

Ah ! Si… dès que nous avons été bâillonnés, spa.

LE JUGE

Oh ! mais c’est important ça… Et d’où venait le bruit ?

LE CONCIERGE

Eh bien, d’ici, la loge est juste au-dessous.

LE JUGE

Quel genre de bruit ?

LE CONCIERGE

Des bruits sourds, des bruits de pas et comme si on cassait des meubles.

LE JUGE

Vous n’avez pas entendu des bruits de lutte, des cris comme si on entraînait quelqu’un ?

LES DEUX CONCIERGES, se regardant.

Non.

LE JUGE

Vous en êtes bien sûrs ?

LES DEUX CONCIERGES

Oui.

LE JUGE

Hum ! Il y a combien de temps que vous êtes au service de M. Gournay-Martin ?

LES DEUX CONCIERGES

Il y a un an.

LE JUGE

C’est bien, je vous reverrai tout à l’heure. (Les deux concierges se lèvent à ce moment, l’agent entre et remet une liasse de papiers au juge.) Attendez !… (D’un ton sévère, au concierge.) Ah ! mais, dites donc, je vois que vous avez été condamné deux fois…

LE CONCIERGE

Monsieur le Juge, mais…

LA CONCIERGE, vivement.

Mon mari est un honnête homme, Monsieur, vous n’avez qu’à demander à monsieur le Duc !

LE JUGE

Je vous en prie ! (Au concierge.) Vous avez eu une première condamnation à un jour de prison avec sursis et une deuxième condamnation, où vous avez fait trois jours de prison. (Au commissaire.) Oui, regardez…

LE CONCIERGE

Dame ! Monsieur le Juge, je ne peux pas nier, mais c’est de la prison honorable.

LE JUGE

Comment ?

LE CONCIERGE

Oui, monsieur le Juge, la première fois, j’étais alors valet de chambre, c’est pour avoir crié le 1er mai : « Vive la Grève ! »

LE JUGE

Vous étiez valet de chambre, chez qui ?

LE CONCIERGE

Chez M. Jaurès.

LE JUGE

Ah ! bon, et votre deuxième condamnation ?

LE CONCIERGE

C’est pour avoir crié sur le seuil de Sainte-Clotilde : « Mort aux vaches ! »

LE JUGE

Hein ! Et vous serviez alors chez M. Jaurès ?

LE CONCIERGE

Non, chez M. Baudry d’Asson.

LE JUGE

Vous n’avez pas de convictions politiques bien arrêtées.

LE CONCIERGE

Si ! Je suis dévoué à mes maîtres.

LE JUGE

C’est bien, vous pouvez vous retirer. (Ils sortent.) Ces imbéciles-là disent l’absolue vérité, ou je ne m’y connais plus.

LE DUC

Oh ! Je crois que ce sont de braves gens.

LE JUGE, au commissaire.

Sur ce, Commissaire, nous allons visiter la chambre de Victoire… Ce lit défait ne m’inspire qu’une médiocre confiance. (Au duc, citant.) Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille.

LE DUC

Je vous accompagne ? Je ne suis pas indiscret ?

LE JUGE

Vous plaisantez ! Tout ceci vous touche, d’assez près.

(Ils sortent. La scène reste vide un moment.)


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