Текст книги "Если душа родилась крылатой"
Автор книги: Марина Цветаева
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Поэзия
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Des meґsanges ne soit pas obscurcie —
Par la blancheur des colombes.
D’ailleurs – fais ce qu’il te plat!
Car, si j’ai aimeґ tout le monde,
Il se peut qu’un jour sombre —
Je revienne a` moi, plus blanche que toi.
L’un est de pierre, l’autre d’argile, —
Toute d’argent, moi – je brille!
Mon affaire – trahir, mon nom – Marina,
Moi, – peґrissable eґcume de la mer.
L’un est d’argile, l’autre de chair —
Pour eux, tombes et pierres tombales…
Pour moi – la mer – et ses fonts baptismaux —
Et je suis, dans mon vol, – sans cesse briseґe!
Ma volonteґ passe au travers de tous
Les curs, au travers de tous les filets.
De moi – vois-tu ces me`ches folles? —
Personne ne tirera du sel de terre.
Je me brise contre vos genoux de granit,
Mais, avec chaque vague, – je ressuscite.
Salut a` l’oceґan – a` l’eґcume joyeuse —
La haute eґcume de la mer!
Un co teґ de la fene tre s’est ouvert.
Un co teґ de l’a me est apparu.
Ouvrons donc – aussi l’autre co teґ,
Et cet autre co teґ de la fene tre.
Chanson
Hier encore il me regardait dans les yeux,
Aujourd’hui – il louche pluto t de co teґ!
Hier encore il restait jusqu’au chant des oiseaux —
Aujourd’hui – toute alouette – corbeau!
Moi, la sottise, mais toi, l’intelligence,
La vie, et moi l’inertie.
Et ce cri des femmes de tous les temps:
«Qu’est-ce que je t’ai fait, mon amour?!»
Et les larmes pour elle – de l’eau et du sang —
De l’eau – dans le sang, dans les larmes elle se lave!
Pas une me`re, une mara tre – l’Amour:
N’attendez de lui ni justice ni pitieґ.
Les navires enle`vent les amants,
La route blanche les entrane…
Et ce geґmissement vaut pour toute la terre:
«Qu’est-ce que je t’ai fait, mon amour?!»
Hier encore – coucheґ a` mes pieds!
Il me comparait a` l’empire de Chine!
Soudain ses deux mains se sont eґcarteґes, —
Ma vie est tombeґe – comme un sou rouilleґ!
Comme une infanticide devant les juges
Je suis la` debout – mal aimeґe, sans deґfense.
Je te le dirais me me en enfer:
«Qu’est-ce que je t’ai fait, mon amour?!»
J’interroge la chaise, j’interroge le lit:
«Pour quoi, ce que j’endure, pour quoi cette
deґtresse?»
«Finis les baisers – vient la torture:
A d’autres les baisers», – reґpondent-ils.
A cette vie en plein feu, tu m’habitues,
Puis tu m’abandonnes – dans la steppe glaceґe!
Voila` ce que toi, mon amour, tu m’as fait!
Mon amour, a` toi – qu’est-ce que, moi, je t’ai fait?
Je sais tout – ne dis pas le contraire!
Lucide, a` nouveau – et deґja` plus ta matresse!
La` ou` l’Amour ce`de le terrain,
La` s’avance la Mort-Jardinier!
Seule – pourquoi secouer l’arbre! —
L’heure venue la pomme mu re tombera.
– Pour tout, pardonne-moi, mon amour —
Pour tout ce que je t’ai fait!
Ils sont partis – ils s’en sont alleґs —. Ils
Sont passeґs dans lе camp ou` tout se me le,
Dans le camp blanc des migrateurs,
Et des pigeons – et des cygnes —,
D’eux, et de toi, ma Grandeur,
Je parle, – reґponds-moi!
Pour les jeunes bois de che ne, qui poussaient
Vers le ciel – et n’ont pu grandir, pour ceux
Qui sont tombeґs et ne se sont pas releveґs, —
Pour ceux qui sont alleґs camper dans l’eґterniteґ,
Pour toi, notre Honneur,
Je geґmis – fais-moi signe!
Chaque soir, chaque soir, mes bras
Vont a` votre rencontre! La`-bas.
Dans la vaste eґtendue des colombes —
Ils sont nombreux, ceux que j’aime.
Je suis depuis trop longtemps
Dans la Russie des rouges – enle`ve-moi!
Je le sais, je mourrai au creґpuscule, ou le matin ou le soir!
Auquel des deux, avec lequel des deux – c a ne se commande
pas!
O s’il eґtait possible que mon flambeau s’eґteigne deux fois!
Je suis passeґe sur terre d’un pas de danse! – Fille du ciel!
Un tablier plein de roses! – Sans eґcraser les jeunes pousses!
Je le sais, je mourrai au creґpuscule, ou le matin ou le soir!
Dieu n’enverra pas une nuit d’eґpervier pour mon a me de
cygne!
D’une main douce, j’eґcarterai la croix sans l’embrasser,
Je m’eґlancerai dans le ciel geґneґreux pour un dernier salut.
La faille du creґpuscule, ou le matin ou le soir – et la coupure
du sourire...
– Car me me dans le dernier hoquet je resterai poe`te!
Dans les collines – rondes et brunes,
Sous les rayons – puissants et poussieґreux,
Avec des bottes – heґsitantes et douces —
Derrie`re une pelisse – rouge et deґchireґe.
Dans les sables – voraces et rouilleґs,
Sous les rayons – bru lants et avides,
Avec des bottes – heґsitantes et douces —
Derrie`re une pelisse – pas a` pas.
Dans les vagues – dangereuses et hautes,
Sous les rayons – cruels et anciens,
Avec des bottes – heґsitantes et douces —
Derrie`re une pelisse – menteuse, menteuse.
A Maiakovski
Plus haut que les croix, plus haut que les chemineґes,
Baptiseґ par le feu, baptiseґ par la fumeґe,
Archange-aux-pieds-lourds —
Salut a` toi dans les sie`cles, Vladimir!
Il est le cocher, il est aussi le coursier,
Il est la toquade, il est aussi la loi.
Il soupire, il crache dans ses mains:
– Tiens-toi bien, gloire charretie`re!
Chantre des miracles sur la place publique,
Salut a` toi, orgueilleux salopard,
Qui choisit la lourdeur de la pierre
Et non la seґduction du diamant.
Salut a` toi, tonnerre de paveґs!
Il ba ille, il respecte, – et, a` nouveau,
Il rame – avec ses brancards – avec
Ses ailes d’archange charretier.
Louange pour aphrodite
1
Bienheureux – ceux qui ont abandonneґ tes filles, Terre,
Pour la lutte et pour la course. Bienheureux, —
Ceux qui ont peґneґtreґ sur les Champs-Elyseґes
Sans e tre seґduit par la volupteґ.
Le laurier y pousse, feuilles raidies et sobres, —
Le laurier – chroniqueur, activiste au combat…
– Je n’eґchangerai pas l’aplomb de l’amitieґ,
Au-dessus des nuages, contre le foyer de l’amour.
2
Deґja` les Dieux – deґja` —, ne te comblent plus
Sur les rives – deґja` —, d’une autre rivie`re.
Vers la grande porte du couchant, vers
La porte de Veґnus, volez, colombes!
Pour moi, coucheґe sur les sables refroidis,
Je me retirerai dans ce jour qui ne se compte pas…
Car le serpent regarde sa vieille peau,
Car j’ai deґpasseґ ma jeunesse.
Jeunesse
Ma jeunesse! Mon eґtrange`re
Jeunesse! Ma bottine deґpareilleґe!
Les yeux rougis, presque fermeґs,
On enle`ve une feuille au calendrier.
La muse pensive n’a rien pris
Sur l’ensemble de ton butin.
Ma jeunesse! Je ne te rappelle pas:
Tu eґtais une charge et une corveґe.
La nuit, tu murmurais pour moi avec ton peigne,
La nuit, tu aiguisais tes fle`ches. Tu m’eґtouffais
De tes largesses, comme sous de petits galets.
Et je souffrais pour les peґcheґs des autres.
Je te rends ton sceptre avant l’heure,
Sans gou t, mon a me, pour les boissons et les mets.
Ma jeunesse! Mes deґsordres —
Jeunesse! Mon chiffon de vermeil!
Muse
Ni chartes, ni ance tres,
Ni faucon clair. Elle
Marche – elle s’ouvre, —
Lointaine!
Sous les paupie`res sombres —
L’incendie aux ailes d’or.
De sa main, haleґe par le vent,
Elle a pris, elle a oublieґ.
Le bas de sa robe non retrousseґe,
Sarcasme, qui se fa che,
Ni bonne ni meґchante,
L’une et l’autre, lointaine.
Elle ne pleure pas, ne geґmit pas:
– Il tire tre`s fort, il est gentil! —
De sa main, haleґe par le vent,
Elle a donneґ, elle a oublieґ.
Elle a oublieґ – ricanements
De gorge et de cris d’oiseaux...
– Dieu, garde-la,
Si lointaine!
Amazones
Seins de femmes! Souffle figeґ de l’a me —
Essence de femmes! Vague toujours prise
Au deґpourvu et qui toujours prend
Au deґpourvu – Dieu voit tout!
Lice pour les jeux du deґlice ou de la joie,
Meґprisables et meґprisants. – Seins de femmes! —
Armures qui ce`dent! – Je pense a` elles...
L’unique sein, – a` nos amies!...
Cheveux blancs
Ce sont des cendres de treґsors:
Des pertes, des offenses.
Ce sont des cendres, devant lesquelles —
Le granit – tombe en poussie`re.
La colombe, nue, lumineuse
Qui vit seule. Ce sont
Les cendres de Salomon
Sur une grande vaniteґ.
Redoutable craie
D’un temps sans fin.
Ainsi, Dieu me fait signe:
– La maison a bru leґ!
Non pas le seigneur des re ves
Et des jours, pris dans ses hardes,
Mais l’esprit – flamme verticale —
Qui jaillit des preґcoces cheveux blancs!
Vous ne m’avez pas trahie,
De mes arrie`res, anneґes!
Cette blancheur, c’est la victoire
Des forces immortelles!
Emigrant
Vous e tes ici entre vous: maisons, monnaies, fumeґes,
Et les femmes, et les ideґes,
Sans reґussir a` vous aimer, sans reґussir a` vous unir,
Alors, celui-ci ou celui-la`, —
Comme Schuman avec le printemps sous son manteau:
– Plus haut! Toujours plus haut!
Alors, comme le treґmolo en suspens d’un rossignol —
Cet eґlu ou tel autre,
Le plus craintif —, car vous avez d’abord releveґ la te te,
Puis leґcheґ les pieds!
Perdu parmi les hernies et les harpies,
Dieu, dans les lieux de perdition.
Puis un de trop! Il vient d’en-haut! Un ressortissant!
Un deґfi! Et qui n’a pas perdu l’habitude... De voir
Trop haut... Qui refuse les potences... Parmi
Les deґchets de devises et de visas...
Un ressortissant.
PoEte
Le poe`te engage son discours de tre`s loin,
Son discours engage le poe`te tre`s loin.
Et par des plane`tes, des signes, par les fondrie`res
Des paraboles deґtourneґes... Entre le oui et le non.
Et lui-me me quand il s’envole du clocher,
Il brise son crochet... puisque la voie des come`tes
Est la voie des poe`tes. Des maillons eґparpilleґs
De la causaliteґ – voila` son bien! Le front leveґ
Vous deґsespeґrez! Les eґclipses des poe`tes
Ne se repe`rent pas sur le calendrier.
Il est celui qui bat les cartes et les fausse,
Qui triche sur le poids et sur le compte,
Il est celui qui, de sa place, interpelle,
Et qui eґcrase la parole de Kant.
Dans le cercueil de pierre des Bastilles,
Il est comme un arbre dans toute sa beauteґ...
Ses traces sont toujours froides, et
Il est aussi ce train que tout le monde
Manque...
– Puisque la voie des come`tes —
Est la voie des poe`tes: il bru le, il ne reґchauffe pas,
Il brise, il ne construit pas – eґclatement, effraction —,
Ton chemin est une ligne courbe aux cheveux longs,
Il n’est pas repeґrable sur le calendrier.
Dialogue de Hamlet avec sa conscience
Par le fond, ou` sont le limon...
Et les algues... Elle est alleґe dormir,
La`, – et pas de sommeil, me me la`!
– Mais moi je l’aimais,
Plus que quarante mille fre`res
Ne peuvent l’aimer!
– Hamlet!
Par le fond, ou` sont le limon...
Le limon!... Et sa dernie`re couronne
Est venue se poser sur les troncs, la`...
Mais, moi, je l’aimais
– Plus que quarante mille...
Moins
Quand me me, qu’un seul amant.
Par le fond, ou` sont le limon...
– Mais, moi, je —
l’aimais??
La Lettre
On n’attend pas ainsi des lettres,
On attend ainsi – une lettre.
Un morceau de chiffon,
Un filet de colle
Autour. A l’inteґrieur – un mot.
Du bonheur. – Et – c’est tout.
On n’attend pas ainsi le bonheur,
On attend ainsi – la fin:
Des soldats, une salve
Et, dans le cur – trois
Eclats de plomb. Du rouge aux yeux.
Voila`. – Et – c’est tout.
Pas le bonheur – je suis vieille!
Les couleurs, – chasseґes par le vent!
Le carreґ de la cour
Et le noir des fusils.
(Le carreґ d’une lettre:
L’encre, l’envou tement!)
Pour le sommeil de la mort
Personne n’est vieux!
Le carreґ d’une lettre.
Madeleine
1
Entre nous: les Dix Commandements:
La fournaise de dix bu chers.
Le sang des miens me repousse, —
Tu es pour moi – le sang eґtranger.
Au temps des Evangiles, —
J’aurais eґteґ une de celles...
(Le sang eґtranger – le plus envieґ,
Et le plus eґtranger de tous!)
Vers toi, avec tous mes malheurs, —
Je serais attireґe, coucheґe humblement —
Clarteґ de ce que tu es! – Mes yeux
De deґmons cacheґs, je verserais les onctions —
Et sur tes pieds, et sous tes pieds,
Et me me, simplement, dans le sable...
Les marchands, la passion vendue,
Repousseґe, – elle coule!
Par la bave de la bouche, et par l’eґcume
Des yeux, et par la sueur de tous les deґlices.
De mes cheveux j’enveloppe tes pieds,
Comme dans une fourrure...
Comme une quelconque eґtoffe, je m’eґtends
Sous tes pieds... Mais, es-tu vraiment celui
(Celle!) qui dit a` la creґature aux boucles de feu:
Le`ve-toi, sur!
2
Le flot du tissu, payeґ trois fois
Son prix, et de la sueur des passions,
Et des larmes, et des cheveux – le flot
Entier coule, coule et Lui
Fixe d’un regard bienheureux
L’argile rouge et sec, et:
Madeleine! Madeleine!
Ne t’offre pas ainsi, tellement.
3
Je ne vais pas t’interroger sur le chemin —
Que tu as suivi: tout eґtait deґja` eґcrit.
J’eґtais pieds nus, tu m’as chausseґ
De la pluie de tes cheveux et —
De tes larmes.
Je ne te demande pas, – de quel prix
Sont payeґes ces huiles.
J’eґtais nu, et des formes
De ton corps, toi, – comme d’un mur,
Tu m’as entoureґ.
Plus calme que l’eau, et plus bas que l’herbe,
Je toucherai ta nuditeґ de mes doigts.
Je me tenais droit, tu t’es pencheґe vers moi,
Tu m’as appris la tendresse de ce geste.
Fais-moi une place dans tes cheveux,
Serre-moi dans les langes – et qui ne soient pas
De lin – Porteuse d’onctions!
A quoi bon toutes ces huiles?
A qui bon toutes ces huiles?
Tu m’as baigneґ
Comme une vague.
Tu m’as aimeґe. La veґriteґ
Etait fausse. Le mensonge
Etait since`re.
Tu m’as aime`e – plus qu’on ne peut!
Au-dela` des limites!
Tu m’as aimeґe plus longtemps
Que le temps. – Un revers de main,
Et tu ne m’aimes plus:
La veґriteґ tient en cinq mots.
Deux
1
Il y a des rimes dans ce monde:
On les seґpare – et il freґmit.
Home`re, tu eґtais aveugle.
La nuit – sur tes sourcils,
La nuit – ton manteau de rhapsode,
La nuit – le rideau sur tes yeux.
Sans cela aurais-tu seґpareґ
Heґle`ne et Achille?
Heґle`ne. Achille. Donne
Des noms plus harmonieux.
Oui, le monde est construit
Contre le chaos, pour l’harmonie,
Et pousseґ a` la division,
Il tient sa vengeance,
– L’infideґliteґ des femmes —
Il se venge – Troie en flammes!
Rhapsode aveugle: tu as gaspilleґ
Ton treґsor comme une chose de peu.
Il y a des rimes assembleґes —
Dans l’autre monde. Et notre
Monde s’eґcroule dans la division. Mais
Qu’importent les rimes? Heґle`ne, vieillis donc!
...Et le meilleur des hommes d’Achaїe!
Et Sparte la voluptueuse!
Il n’y a que le freґmissement des myrtes,
Et le sommeil de la cithare:
Heґle`ne, Achille:
Une paire deґpareilleґe.
2
Il n’est pas eґcrit, en ce monde,
Qu’un puissant s’unisse a` un puissant.
Ainsi Siegfried et Brunhild, seґpareґs,
Un mariage reґgleґ par le glaive,
Dans la haine fraternelle de cette union
– Comme des buffles! – Roc contre roc.
Il a quitteґ le lit nuptial, lui, inconnu,
Elle, non reconnue – elle dormait.
Seґpareґs! – me me sur le lit nuptial —
Seґpareґs! – me me les mains jointes —
Seґpareґs! – en notre langue double —
Tardive et deґsunie – voila` notre union!
Mais il est une offense encore
Plus ancienne: l’Amazone abattue,
Comme un lion, le fils de Theґtis
N’a pas rencontreґ la fille d’Are`s:
Achille n’a pas rencontreґ
Pentheґsileґe.
Souviens-toi, son regard vient d’en bas —
Elle regarde comme un chevalier abattu!
Son regard ne descend plus de l’Olympe —
L’argile! – Et pourtant il vient d’en haut!
Qu’importe cette jalousie qui seule
L’occupe: gra ce a` sa femme, il tire
Cela des teґne`bres. Ce n’est pas eґcrit,
Il n’est qu’un eґgal – face a` un eґgal...
Et nous ne nous rencontrons pas.
3
Dans un monde ou` chacun
S’abaisse et s’exteґnue,
Je sais – un seul
Egale ma vertu.
Dans un monde ou` tant
Et plus nous seґduit,
Je sais – un seul
Egale mon eґnergie.
Dans un monde ou` tout
Est lierre, moisissure,
Je sais – un seul,
Toi, – dans l’absolu,
Mon eґgal.
Tentative de jalousie
C a va comment, la vie, pour vous —
Avec une autre – Plus simple, non?
Un coup de rame, et la meґmoire aussito t,
Comme la rive, au loin s’eґcarte
De moi, le a` la deґrive, (dans le ciel
Pas dans l’eau!). Ames! Vous serez
Des surs, toutes deux, vous,
Les a mes, pas des amantes!
C a va comment, la vie, pour vous —
Avec une simple femme? Sans
Les diviniteґs? Vous avez deґtro neґ
Votre reine (vous aussi, par la` me me),
C a va comment, la vie, pour vous —
Les tracas – les tendresses? Et le reґveil —
Comment? Et que faites-vous, malheureux,
De l’immortelle vulgariteґ?
«Des affrontements, puis des sursauts —
C a suffit! Je trouverai ailleurs!»
C a va comment, la vie, pour vous – avec
N’importe qui, vous, que j’avais choisi?
Plus traditionnelle, plus mangeable —
La cuisine? On s’en lasse – a` qui la faute…
C a va comment, la vie, pour vous – avec
Un fanto me, vous, qui avez trahi le Sinaї?
C a va comment, la vie, pour vous – avec
L’une ou l’autre, ici ou la`? Votre moitieґ,
Vous aimez? Et la honte, comme les re nes de Jupiter,
Est-ce qu’elle fouette votre front?
C a va comment, la vie, pour vous —
La santeґ – c a va? Et le chant – comment?
Et la plaie de l’immortelle conscience,
Comment la matrisez-vouz, malheureux?
C a va comment, la vie, pour vous – avec
Votre sous-produit? Et le prix – lourd?
Apre`s les marbres de Carrare, c a va
Comment, la vie, pour vous – avec la camelote,
Le pla tre? (Il est sculpteґ dans la masse,
Dieu, et le voici reґduit en morceaux!).
C a va comment, la vie, avec la cent-millie`me —
Pour vous – qui avez connu Lilith!
Est ce qu’elle s’use la nouveauteґ
D’un article de pacotille? Las des philtres,
C a va comment, la vie, pour vous —
Avec la femme pratique, sans sixie`me
Sens?
Alors, te te entre les mains: heureux?
Non? Dans le fond sans profondeur,
Comment c a va, mon cheґri? Pire, ou
Comme pour moi
Aupre`s d’un autre?
Amour
Le yatagan? Les flammes? C’est trop! —
Plus modestement, un mal, familier,
Comme la paume de mains aux yeux, —
Comme le nom d’un enfant —
Aux le`vres.
Il est vivant, le deґmon
En moi, il n’est pas mort!
Dans le corps: dans une cale,
En soi-me me: en prison.
Le monde: – les murs.
Une issue: – la hache.
(Le monde – une sce ` ne, —
Balbutie le comeґdien.)
Le bouffon boiteux,
Lui, n’a pas heґsiteґ.
Dans le corps: – dans la gloire,
Dans le corps: – dans une toge.
Vis longtemps! Tu es
Vivant, – tiens a` ta vie!
(Seuls les poe`tes sont dans
Leurs os: – dans leur mensonge!)
Non, pas de promenade pour
Nous, confreґrie de chantres.
Dans le corps: – dans un peignoir
Paternel et douillet.
Nous valons mieux. Dans
Le coton, nous deґpeґrissons.
Dans le corps: – dans une stalle,
En soi-me me: – dans un four.
Nous n’accumulons pas de
Denreґes peґrissables.
Dans le corps: – dans un mareґcage,
Dans le corps: – dans un caveau.
Dans le corps: – en exil
Extre me. – Deґperdition!
Dans le corps: – dans un myste`re,
Sur les tempes: – dans l’eґtau
Du masque de fer.
Petite torche
La Tour Eiffel – a` porteґe de la main!
Va, a` ta main, grimpe.
Mais, tous, nous l’avons vue, et
Aujourd’hui la voyons, et d’autres choses,
Il nous parat ennuyeux
Et pas beau, votre Paris…
«Russie, ma Russie, pourquoi
Bru ler d’un feu si clair?»
Poeme a son fils
Notre conscience – n’est pas votre conscience.
Allez – Assez! – Oubliez tout, enfants,
Ecrivez vous-me mes le reґcit
De vos jours et de vos passions.
Loth, et sa famille de sel —
C’est notre album de famille.
Enfants, reґglez vous-me mes les comptes
Avec la ville qu’on veut faire passer pour —
Sodome. Tu n’as pas frappeґ ton fre`re —
C’est clair, pour toi, mon ange!
Votre pays, votre sie`cle, votre jour, votre heure,
Et notre peґcheґ, notre croix, notre dispute, notre
Cole`re. Serreґs dans une pe`lerine
D’orphelin de`s votre naissance —
Cessez de prendre le deuil
Pour cet Eden que vous n’avez pas
Connu! Et pour des fruits – que vous n’avez
Jamais vus. Comprenez: il est aveugle —
Celui qui vous emme`ne a` l’office des morts
Pour le peuple, et qui mange du pain,
Et qui vous en donnera – comme
C’est rapide, de Meudon au Kouban…
Notre querelle – n’est pas votre querelle.
Enfants, creґez vous-me mes vos propres
Deґsaccords.
Je te remercie, cher fide`le bureau!
Tu m’as donneґ ton arbre
Pour devenir bureau – et
Tu restes – un arbre vivant!
Avec ce jeu de jeunes feuillages
Au-dessus des sourcils, cette eґcorce vivante,
Les larmes d’une reґsine vivante, et
Des racines jusqu’au treґfonds de la terre.
Jardin
Pour cet enfer,
Pour ce deґlire,
Donne-moi un jardin,
Pour mes vieux jours.
Pour les vieilles anneґes,
Pour les vieux malheurs:
Le travail – les anneґes,
Les sueurs – les anneґes…
Pour les vieilles anneґes,
Les anneґes de chien —
Les bru lantes anneґes —
Le frais jardin…
Pour le fugitif
Donne-moi ce jardin:
Sans – ni – personne,
Sans – ni – a me!
Un jardin: ne pas marcher!
Un jardin: ne pas voir!
Un jardin: ne pas rire!
Un jardin: ne pas se moquer!
Sans aucune oreille,
Donne-moi un jardin:
Sans nulle odeur!
Sans a me aucune!
Tu diras: assez de douleur – prends ce
Jardin – solitaire, comme toi.
(Mais tu n’y resteras pas, toi, la`!).
Un jardin, solitaire, comme toi.
Pour les vieux jours, ce jardin, pour moi…
– Ce jardin autre? Et, peut-e tre, cet autre monde? —
Donne-le-moi pour mes vieux jours —
Et pour le pardon de l’a me.
Lecteurs de journaux
Le serpent souterrain glisse,
Il glisse, il transporte les gens.
Et chacun, – avec son
Journal (son eczeґma!).
Un tic a` la ma choire,
La carie des journaux.
Ma cheurs de mastic!
Lecteurs de journaux.
Le lecteur – qui? – Un vieillard, un athle`te?
Un soldat? – Ni traits, ni visages,
Ni a ge. Un squelette – sans visage:
Une feuille de journal!
Celle dont tout Paris – , du front
Jusqu’au nombril, est habilleґ.
Laisse donc, jeune fille!
Tu accoucheras d’un lecteur
De journaux!
Ils se bal – «Il couche avec sa sur» —
ancent – «Il a tueґ son pe`re!» —
Ils se balancent – et se remplissent
De vaniteґ.
Qu’importe a` ces messieurs —
L’aube ou le coucher de soleil?
Des avaleurs de vide,
Les lecteurs de journaux!
Lire – les journaux: calomnies,
Lire – les journaux: deґtournements,
Dans chaque colonne – mensonges,
Dans chaque colonne – deґgou t. —
Avec quoi, vous preґsenterez-vous —
Au Jugement dernier – dans la clarteґ —
Accapareurs d’instants,
Lecteurs de journaux!
– Au loin! Disparu! Perdu!
La peur maternelle est ancienne,
Me`re! La presse de Gutenberg est
Plus horrible que la poussie `re de Schwartz!
Pluto t e tre au cimetie`re, – que
Dans une infirmerie purulente,
Gratteurs de croutes,
Lecteurs de journaux!
Qui laisse pourrir nos fils
A la fleur de l’a ge?
Les incestueux e ґcrivains
Pour journaux!
C’est cela, amis, – que je pense —
Et bien plus fortement encore
Que dans ces vers, – lorsque,
Mon manuscrit a` la main,
Je me trouve en face, ou pluto t
– Il n’y a pas de lieu plus vide! —
Devant la non-face
Du reґdacteur
des saleteґs du journal.
Tu ouvres en grand tes yeux vers le ciel bleu —
Et tu t’exclames: – un orage!
Un audacieux passe, tu le`ves les sourcils —
Et tu t’exclames: un amour!
Au travers de la mousse grise des indiffeґrences —
Moi, je m’exclame: – des poe`mes.
Cendres
Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas
– L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —
Apre`s avoir joueґ avec les facettes de Bohe me!
– La cendre, ainsi, couvre les ba timents,
La tempe te de neige, ainsi, balaye les jalons…
De l’Eden – Tche`ques, dites-le! —
Que reste-t-il? Des cendres.
– La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!
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Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas
– L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —
Une deґcision – c’est votre dernier deґlai:
– L’eau, ainsi, s’approche des fene tres,
La cendre, ainsi, couvre les ba timents…
Par-dessus les ponts et les places
Pleure, il pleure le lion biceґphale…
– La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!
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Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas
– L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —
L’eґtouffement, sans freґmir
– La cendre, ainsi, couvre les ba timents:
Faites signe, a mes vivantes! Prague
Aujourd’hui plus deґserte que Pompeґi:
Un pas, un bruit – nous cherchons en vain…
– La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!
A l’allemagne
Oh, jeune fille aux joues les plus roses
Parmi les montagnes vertes —
Allemagne!
Allemagne!
Allemagne!
Quelle honte!
Tu as empocheґ la moitieґ de la carte du monde,
Ame astrale,
Jadis, tu faisais re ver par tes contes,
Aujourd’hui, – tu avances tes chars.
Devant la paysanne tche`que —
Tu foules le bleґ de ses espoirs
Sous les roues de ton char
Et ne baisses pas les yeux?
Devant l’infinie tristesse
De ce petit pays —
Vous, les Germains, fils
De la Germanie, que sentez-vous?
O manie! O momie
De la grandeur!
Tu vas bru ler,
Allemagne!
Folie,
Folie,
Ce que tu fais.
L’hercule triomphera
Des liens du serpent!
A ta santeґ, Moravie!
Et toi, Slovaquie, sois slovaque!
Tu recules, dans les sous-sols
Du cristal et – tu preґpares le coup:
Bohe me!
Bohe me!
Bohe me!
Salut!
Ils ont pris
Les Tche`ques s’approchaient des Allemands
et crachaient.
(Voir les journaux mars 1939)
Ils prenaient – vite et ils prenaient – largement:
Ils ont pris les sommets et ils ont pris les treґfonds,
Ils ont pris le charbon et ils ont pris l’acier,
Et notre plomb, et notre cristal.
Ils ont pris le sucre et ils ont pris le tre`fle,
Ils ont pris l’Ouest et ils ont pris le Nord,
Ils ont pris la ruche et ils ont pris le bleґ,
Ils ont pris notre Sud et l’Est aussi.
Vary – ils ont pris et les Tatras – ils ont pris,
Ils ont pris le proche et ils ont pris le lointain,
Et – pire encore que le paradis sur terre! —
Ils ont vaincu – sur le sol natal.
Ils ont pris les balles et ils ont pris les fusils,
Ils ont pris les minerais et ils ont pris l’amitieґ...
Mais tant qu’il y a de la salive dans la bouche
Tout le pays est en armes.
Foret
On taille – tu as vu! – On taille,
On taille! – Apre`s un che ne – un che ne.
Abattu, il ressuscite. Elle
Ne meurt pas – la fore t.
Elle meurt; la fore t, puis
Elle reverdit – a` la minute! —
(La mousse – une fourrure verte)
Il ne meurt pas, le Tche`que.
Non pas des diables, qui poursuivraient un moine,
Non pas le malheur – qui poursuivrait un geґnie,
Et non pas l’avalanche, qui n’est pas un amas,
Et non la vaste monteґe des inondations.
Non pas le rouge incendie des fore ts,
Non pas le lie`vre – dans la colline,
Non pas le roseau – sous l’orage, —
Apre`s le fuhrer – les furies.
Tu ne mourras pas, peuple!
Dieu te garde!
De ton cur tu as donneґ – le grenat,
De ta poitrine tu as donneґ – le granit,
Prospe`re, peuple —
Dur comme les Tables de la loi,
Chaud comme le grenat,
Pur comme le cristal.
Il est temps! Pour ce feu-la` —
Je suis vieille!
– L’amour – est plus vieux que moi!
– De cinquante fois janvier,
Une montagne!
– L’amour – est encore plus vieux:
Vieux, comme un pre`le, vieux, comme le serpent,
Plus vieux que l’ambre de Livonie!
Et plus vieux que tous les bateaux fanto mes!
Que les pierres, plus vieux que les mers…
Mais le mal, dans ma poitrine – est plus vieux
Que l’amour, plus vieux que l’amour.
Sur le cheval rouge
a` Anna Akhmatova
Et grand ouverts, grand ouverts – les bras,
Les deux en croix.
Et renverseґe! Va, pieґtine-moi, l’eґquestre!
Que mon esprit, jailli des co tes, monte – vers Toi,
Creґature
De femme non terrestre!
Pas la Muse, non, pas la Muse,
Qui donc, au-dessus de mon pauvre landau
Me berc ait de chansons,
Par la main – qui donc me conduisait?
Pas la Muse. Qui donc reґchauffait
Mes mains froides, mes paupie`res bru lantes
Qui les rafrachissait?
Qui deґgageait les me`ches de mon front? – Pas la Muse,
Qui m’emmenait a` travers les grands champs? – Pas la
Muse.
Pas la Muse, nulle tresse noire, nul bijou,
Nulle fable – deux ailes cha tain clair: voila` tout.
Courtes – surplombant chaque sourcil aileґ.
Torse harnacheґ.
Panache.
Lui n’a pas veilleґ sur mes le`vres,
Ni beґni mon sommeil.
Ni pleureґ avec moi
Sur ma poupeґe briseґe.
Tous mes oiseaux – pour la partance
Il les la chait – puis – l’eґperon nerveux,
Sur son cheval rouge – entre les monts bleus
De la deґba cle fracassante.
– Oh! les pompiers! Partout c a hurle!
Lueur du feu – partout c a hurle!
– Oh! les pompiers! L’a me qui bru le!
Pas la maison, qui bru le?
La cloche d’alarme hulule.
Vas-y, balance-le, ton bulbe,
O cloche d’alarme! Pullulent
Les flammes! L’a me bru le!
Dansant des ravages du beau,
Aux gerbes rouges des flambeaux
J’applaudis – je bondis – rugis,
De moi l’eґclair – jaillit.
Qui m’a tireґe d’ou` c a crache et gronde?
Quel aigle m’a ravie? – Je m’y perds.
J’ai sur moi une chemise – longue —
Avec un rang de perles.
Clameur du feu, cliquetis de vitres...
Sur chaque visage, au lieu d’orbites —
Deux brasiers luisent! – les lits s’eґplument!
On bru le! On bru le! On bru le!
Craque donc, milleґnaire bahut!
Crame, toi – magot, masseґ, reclus!
Ma maison: souveraine au-dessus.
Que souhaiter de plus?
Oh! les pompiers! – Que le feu redouble!
Fronts peintureґs d’or, tous – au fourneau!
Incendie: oh! tiens debout, debout!
Que croulent les poteaux!
Soudain quoi – a crouleґ – si soudain!
Un poteau? – Pas crouleґ!
Vers le ciel – fol appel de deux mains —
Et le cri: Ma poupeґe!
Qui – me suivant – galope, deґvale,
Me jetant un il-juge?
Qui – me suivant – roule d’un cheval
Rouge – a` la maison rouge?
Un cri. De ceux qui passent le mur
Du cri. La foudre, et lui:
Brandit la poupeґe comme une armure,
Droit comme l’Incendie.
Tsar dresseґ parmi les feux fugaces,
Et son front se laboure.
– Je te l’ai sauveґe, – a` preґsent: casse!
Et libe`re l’Amour!
Soudain quoi – a crouleґ? Pas le monde,
Non! Lui n’a pas crouleґ!
Mais deux mains – suivant – l’eґquestre, montent
D’une enfant – sans – poupeґe.
Cruelle lune – aux volets s’ache`ve.
Voila` mon premier ra ve.
Enlaceґs rudement.
Plus bas: bruit du torrent.
Monte a` nos pieds leґgers
De l’eґcume envoleґe.
Enlaceґs sans murmure:
Les colonnes d’eґcume!
Je suis tous ses harems,
Il est tous mes emble`mes.
Brusque entrelacs d’eґpaules:
Flanc contre flanc, et paumes...
A nos pieds deґchausseґs
L’eґcume vient mousser.
– Du pont... Chiche! Et sur l’heure!
Que j’y lance une fleur...
Il voit – et – simplement
D’un bond – dans le torrent!
Est-ce le pont, ou bien moi – qui tremble?
Sang ou vague – en eґmoi?
Glaceґe, je regarde – sans comprendre
Ma vie – qui se noie.
Qui soudain – d’un grand geste de cape
Me jeta – vers les cieux?
Qui soudain – rutilant, fit qu’eґclate
Flamme rouge – en feu bleu?!
L’eґclat. Du gouffre triomphe un son:
Lui, d’un saut – souplement
Soule`ve le corps comme un poisson
Droit comme le Torrent.
Tsar dresseґ parmi les flots pointus,
Et son front se laboure.
– Je te l’ai sauveґ, – a` preґsent: tue!
Et libe`re l’Amour!
Soudain quoi – s’est rueґ? Pas la trombe,
Non! Nulle intempeґrie!