Текст книги "Если душа родилась крылатой"
Автор книги: Марина Цветаева
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Поэзия
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Au-dessus de la plaine,
La neige fatale, en tourbillons.
Jeune fille, n’as-tu pas reconnu ton ami?
Chasuble deґchireґe, ailes en sang...
Lui, et son dernier mot: – Vis!
Au-dessus de cette maudite...
L’envol aureґoleґ. Le juste
S’empare d’une a me: hosanna!
Le forc at trouve – une couchette – la chaleur.
Et le fils adoptif la maison d’une me`re. – Amen.
14
Pas une co te casseґe —
Une aile briseґe.
Pas la poitrine traverseґe
Des fusilleґs. Cette balle
Ne peut s’extraire. Les ailes sont
Irreґparables. Il vivait mutileґ.
Tenace, elle est tenace la couronne d’eґpines!
Qu’importe au deґfunt – l’eґmotion de la masse,
Et le duvet de cygne des flatteries feґminines...
Lui, il passait, solitaire, sourd,
Il figeait les couchers de soleil,
Absent, comme une statue sans regard.
Une seule chose vivait encore en lui:
Une aile briseґe.
15
Sans cri, sans appel: un couvreur
Qui tombe d’un toit. – Mais,
Peut-e tre es-tu revenu, —
Peut-e tre, coucheґ dans un berceau?
Tu bru les et ne te consumes pas,
Flambeau, pour peu de temps...
Laquelle parmi les mortelles
Te berce, en ton berceau?
Fardeau bien-heureux!
Roseau propheґtique!
Qui donc me dira
Dans quel berceau?
«Pas vendu, pour l’instant!»
Je ferai seulement, avec, en moi,
Cette jalousie, un vaste monde
Sur la terre de Russie.
Je traverserai d’un bout
A l’autre les terres de minuit.
Ou` est sa bouche – sa blessure – ,
Ou` sont le plomb, le bleu de ses yeux?
Le saisir! Toujours plus fort!
L’aimer, n’aimer que lui!
Qui me dira tout bas
En quel berceau tu es?
Des perles, une a` une, et l’ombre,
Mousseline endormie. Ombre
D’une couronne aiguiseґe,
D’eґpines, pas de laurier.
Pas un rideau, un oiseau
Qui deґplie ses ailes blanches!
– Et natre a` nouveau
Pour qu’a` nouveau la neige te couvre?
L’attirer plus fort! Le tenir
Plus haut! Ne garder que lui!
Qui me soufflera
En quel berceau tu es?
Mon exploit est peut-e tre faux,
Et mes efforts – vains.
Tu vas peut-e tre dormir,
Comme en terre, jusqu’au dernier chant.
Je vois a` nouveau – le creux
Profond de tes tempes.
Aucune musique ne pourra
Effacer une telle fatigue.
La souveraine pature,
Le silence sur, rouilleґ.
Le gardien me montrera
Le berceau.
16
Comme endormi, comme ivre,
Au deґpourvu, sans preґparation,
Creux des tempes:
Conscience aux aguets.
Orbites transparentes:
Mort et clarteґ.
Vitre transparente
Du re veur, du voyant.
N’est-ce pas toi
Qui n’as pas supporteґ
Le son de sa robe bruyante
De retour au pays de chez Hade`s
N’est-ce pas cette te te
Qui flottait, pleine de cliquetis
Argentins, le long
De l’He`bre endormi?
17
Rec ois, mon Dieu, rec ois mon obole
Pour la soliditeґ du temple. Je ne chante
Pas l’arbitraire de mon amour, je chante
La blessure de ma patrie...
Non le coffre rouilleґ de l’avare —
Ni le granit – useґ par les genoux!
Mais, pour tous: le heґros et le tzar,
Pour tous – un juste – un chantre – la mort.
Le Dniepr brise la glace et la Russie
Coule vers toi, comme Pa ques. —
Et bouscule les planches du cercueil
Dans une grande crue de mille voix.
Pleure ainsi mon cur, et chante la gloire!
Et que l’amour mortel soit jaloux
De tes cris – pour quelle autre millie`me fois? —
Car cet amour-la` se reґjouit de ton chant.
J’aime embrasser
Les mains, et j’aime
Donner des noms,
Et aussi – ouvrir
Des portes!
– Grandes-ouvertes – sur la nuit noire!
Et me tenir la te te,
Ecouter ce pas, lourd,
Quelque part, qui devient leґger,
Et le vent, qui secoue
La somnolante, l’insomniaque
Fore t.
Et la nuit!
Quelque part, des sources coulent,
Le sommeil me gagne.
Je dors presque.
Quelque part, un homme,
Dans la nuit, s’enfonce.
Dans ma tre`s grande ville – la nuit.
Je quitte – la maison endormie.
Les gens pensent: une femme, une fille, —
Mon seul souvenir: – la nuit – .
Le vent de juillet me pousse – en chemin,
Et la` une musique par la fene tre – un rien.
Le vent, aujourd’hui, jusqu’a` l’aube – soufflera
Au travers de la poitrine – dans la poitrine.
Un peuple noir, et, par la fene tre – une lumie`re,
Et le carillon de la tour, et dans la main – une fleur,
Et ce pas-la` n’embote le pas de personne,
Et cette ombre-la` – n’est pas la mienne.
Les feux de la feuille nocturne dans la bouche,
Comme les chanes des colliers en or – le gou t!
Deґlivrez-moi des liens diurnes, amis,
Comprenez, je ne suis pour vous qu’un re ve.
Noire comme la pupille, comme la pupille tu suces
La lumie`re – et je t’aime, nuit – qui vois si bien.
Laisse ma voix te chanter, aїeule des chants,
Qui tiens la bride des quatre vents. Je t’appelle,
Je chante tes louanges et ne suis qu’un coquillage
Que la voix de l’oceґan n’a pas encore deґserteґ.
J’ai deґja` trop regardeґ dans la pupille des hommes!
Nuit! Reґduis-moi en cendres, soleil noir, – nuit!
Qui dort, la nuit? Personne ne dort!
L’enfant, dans son berceau, crie,
Le vieillard veille a` sa propre mort,
Et le jeune garc on parle a` sa jolie;
Il souffle sur ses le`vres,
Il la regarde dans les yeux.
Si tu t’endormais, ou` serais-tu, a` ton reґveil?
Nous aurons, nous aurons bien le temps de dormir!
Le garde au regard vigilant passe
De maison en maison, avec sa lanterne rose.
Et, sur l’oreiller, ce qui, par morceaux, gronde,
Agite sa bruyante creґcelle: – ne dors pas —
Tiens bon! J’insiste! Sinon – l’eґternel
Sommeil! – Sinon – la maison eґternelle.
Voici – de nouveau – une fene tre,
Ou` – de nouveau – on ne dort pas.
On y boit du vin – peut-e tre —,
On n’y fait rien – peut-e tre —.
Ou alors, tout simplement,
Deux mains ne peuvent se seґparer.
Il y a, dans chaque maison,
Ami, une fene tre pareille.
Le cri des seґparations, des rencontres —
Toi, fene tre dans la nuit!
Des centaines de bougies – peut-e tre —,
Trois bougies – peut-e tre... —
Pas cela, et pas de repos
Pour mon esprit.
Et cela – cette chose me me —
Dans ma maison.
Prie, mon ami, pour la maison sans sommeil,
Pour la fene tre eґclaireґe!
Poemes pour Akhmatova
1
O muse des pleurs, la plus belle des muses!
Toi, acolyte perdue de la nuit blanche!
Tu jettes sur les Russes ta sombre tempe te,
Et tes hauts cris nous percent, comme des fle`ches.
Nous bondissons de co teґ, et sourdement: ah! —
Des milliers de fois – nous te jurons fideґliteґ. – Anna
Akhmatova! – Ce nom me me – vaste soupir,
Tombe dans des profondeurs qui n’ont pas de nom.
Nous portons une couronne, a` seulement fouler
La me me terre que toi, sous le me me ciel – que toi!
Et celui que blesse ton destin mortel
S’eґtend immortel deґja` sur son lit de mort.
Sur ma ville qui chante, les coupoles brillent,
Et l’aveugle qui passe ceґle`bre les louanges du seigneur...
– Moi, – je t’offre ma ville avec ses cloches,
Akhmatova! – et aussi mon cur, en plus.
3
Encore un immense battement —
Et les cils dorment.
Corps gentil! Poussie`re
D’un oiseau leґger!
Que faisais-tu dans le brouillard
Des jours? J’attendais, je chantais...
Et tant de soupirs en elle,
Et si peu de chair...
Gentille – inhumainement,
Sa somnolence.
Avec quelque chose
De l’ange et de l’aigle.
Elle dort, et le chur l’appelle
Vers les jardins de l’Eden.
Comme si le deґmon endormi
N’eґtait pas satureґ de chansons.
Les heures, les anneґes, les sie`cles. —
Sans nous – sans nos chambres.
Et le monument, qui se penche, —
Ne se souvient plus.
Depuis longtemps, le balai reste inactif,
Et se fleґtrissent, obseґquieusement,
Au-dessus de la Muse de Tsarskoeґ Selo,
Les croix d’orties.
5
Tant de compagnons, tant d’amis —
Et tu n’es l’eґcho de personne.
L’amertume et la fierteґ
Commandent cette tendre jeunesse.
Tu te souviens de cette journeґe folle
Et enrageґe: le port, la menace des vents du sud,
Les hurlements de la Caspienne – et,
Dans la bouche, l’aile d’une rose.
Et cette tzigane qui t’a donneґ
Cette pierre, si bien sertie, – et
Cette tzigane qui t’a menti
A propos de la gloire...
Et, – tre`s haut, pre`s des voiles —
L’adolescent en caban bleu.
Le grondement de la mer – et l’appel,
– Redoutable de la Muse blesseґe.
6
Tu ne traneras pas. Moi, – je suis le prisonnier.
Toi, – le gardien. Nous avons le me me destin.
Nous avons la me me feuille de route
Pour ce territoire vide, vide.
Moi, – je suis d’une humeur tranquille!
Mes yeux sont transparents!
Gardien, laisse-moi aller
Jusqu’a` ce pin.
8
Sur le marcheґ, les gens criaient,
La fumeґe sortait de la boulangerie
J’ai le souvenir de la bouche vermeille
D’une chanteuse de rue au visage allongeґ.
Dans un cha le sombre – avec des fleurs —,
– Pour e tre honoreґe – et
Toi, les yeux baisseґs, dans la foule
Des croyants, devant la catheґdrale.
Prie pour moi, beauteґ
Triste et diabolique,
On eґle`vera pour toi des eґchafaudages,
Comme pour la vierge du village.
9
Vers Anne, a` la bouche d’or,
De toute la Russie, son verbe, et
Son expiation, – toi, vent, porte
Ma voix, et ce lourd soupir.
Parle, horizon en feu, parle
De ces yeux, noirs de douleur,
Et, doucement, salue, jusqu’a` terre,
Parmi les champs doreґs.
Raconte, eau verte des ruisseaux,
Dans les bois, raconte cette nuit-la`
Ou` j’ai vu en toi, et quel visage
J’ai vu, de mes propres yeux.
Toi, retrouveґ,
Dans la hauteur, avec le tonnerre,
Toi, l’anonyme,
Porte mon amour
A Anne, bouche d’or de toutes les Russies.
11
Tu me caches le soleil, – la`-haut,
Toutes les eґtoiles dans le creux de ta main!
Et si, – portes grandes-ouvertes —
Comme le vent – j’entrais chez toi!
Et puis balbutier et rougir,
Baisser les yeux tout a` fait,
Et sangloter pour m’apaiser,
Comme un enfant pardonneґ.
12
Les deux bras me sont donneґs – pour les tendre a` tous, —
Mais ils me fuient. Les le`vres – pour donner des noms,
Les yeux – pour ne pas voir, les sourcils tout au-dessus —
Pour s’eґtonner tendrement de l’amour et de l’absence d’amour —
Plus tendrement encore. La cloche, la`-bas, plus lourde
Que celle du Kremlin, sonne, et sonne dans ma poitrine, —
ainsi,
Qui sait? – Je ne sais pas, – peut-e tre, – il se peut, – ainsi,
Je ne m’inviterai pas longtemps sur la terre russe!
Un soleil blanc et de tre`s, tre`s bas nuages,
Le long des potagers – derrie`re le mur blanc —,
Un cimetie`re. Et sur le sable des rangeґes d’eґpouvantails
De paille, sous des linteaux a` hauteur d’homme.
Pencheґe par-dessus les pieux de la palissade,
Je vois des routes, des arbres, des soldats en deґsordre.
Une vieille paysanne, pre`s d’un portillon ma che,
Ma che une tranche de pain noir avec du gros sel...
Pourquoi ce courroux contre ces maisons grises, —
Seigneur! – Et pourquoi trouer tant de poitrines?
Le train passe et hurle, et hurlent les soldats,
Et le chemin se couvre de poussie`re, et il s’eґloigne...
—Pluto t mourir! Pluto t ne jamais e tre neґe,
Que, la`, pour ce pitoyable cri plaintif de forc at
Vers les belles aux sourcils noirs. – Comme ils chantent
Aujourd’hui les soldats! O Seigneur mon Dieu!
Tu es ma rivale, et je viendrai chez toi,
Un jour quelconque, une certaine nuit claire,
Quand les grenouilles hurleront dans l’eґtang,
Et que les femmes seront folles de pitieґ.
Je m’attendrirai sur le palpitement
De tes paupie`res et sur tes cils, jaloux,
Je te dirai: je n’existe pas vraiment,
Je ne suis qu’un re ve, dans ton sommeil.
Je te dirai: console-moi, console-moi.
Quelqu’un enfonce des clous dans mon cur!
Je te dirai, a` toi: le vent est frais,
Les eґtoiles – au-dessus des te tes – sont chaudes...
Aux juifs
Toi, buisson de roses ardentes, qui
Ne t’a pieґtineґ, qui ne t’a eґcraseґ!
Seul immuable laisseґ sur terre,
Apre`s lui, par le Christ.
Israёl! Ton deuxie`me re`gne
Approche. Vous nous avez payeґ
De votre sang toutes les oboles:
Heґros! Tratres! Prophe`tes, mercantiles!
En chacun de vous – me me s’il compte son or
Dans son baluchon, pre`s d’une chandelle —
Le Christ parle plus fort qu’en Marc,
Ou Matthieu, ou Jean, ou Luc.
D’un bout a` l’autre de la terre:
Crucifixion et descente de Croix...
Avec le dernier de tes fils, Israёl,
C’est le Christ que nous enterrons.
J’aimerais vivre avec Vous —
Dans une petite ville
Aux creґpuscules eґternels,
Aux eґternelles cloches —
Avec la sonnerie deґlicate
D’une horloge ancienne – les gouttes du temps —
Dans une petite auberge de campagne.
Et le soir, quelquefois, d’une mansarde ou l’autre —
Une flu te,
Et le flu tiste a` la fene tre.
Et de grandes tulipes aux fene tres.
Vous ne m’aimeriez, peut-e tre, me me pas.
Au milieu de la chambre – un poe le de faїence eґnorme,
Avec sur chacun des carreaux – une image:
Une rose – un cur – un bateau —
Et derrie`re l’unique fene tre:
La neige, la neige, la neige.
Vous seriez coucheґ – comme je vous aime: insouciant,
Indiffeґrent, paresseux.
De temps en temps, le brusque frottement
D’une allumette.
La cigarette s’allume, s’eґteint,
Et longtemps, longtemps, tremble a` son extreґmiteґ
Un court cylindre gris – la cendre.
Vous e tes trop paresseux pour la secouer.
Et toute la cigarette vole dans le feu.
Don Juan
1
A l’aube froide,
Sous le sixie`me bouleau,
Au coin, pre`s de l’eґglise,
Attendez, Don Juan!
Je vous le jure, sur mon fianceґ,
Heґlas, et sur ma vie,
On ne sait, dans mon pays,
Ou` s’embrasser!
Chez nous, pas de fontaine
Et les puits sont geleґs, —
Et les Saintes Vierges
Ont des yeux seґve`res.
Et pour que les belles
N’eґcoutent pas les vaines
Paroles, – nous avons
Un tre`s sonore carillon.
Je pourrais vivre ainsi,
Mais j’ai peur – de vieillir,
Et puis, mon beau, ce pays
Ne vous convient pas.
Dans un manteau d’ours,
Qui vous reconnatrait? —
Si ce n’eґtait les le`vres,
Vos le`vres, Don Juan!
2
Longtemps la tempe te, et les pleurs
De la neige. – A l’aube brumeuse,
On a coucheґ Don Juan
Dans un lit de neige.
Ni bruyantes fontaines,
Ni chaudes eґtoiles...
Sur la poitrine de Don Juan,
Une croix orthodoxe.
Afin que la nuit eґternelle
Soit plus claire – pour toi,
J’ai apporteґ un eґventail,
Noir, de Seґville....
Et pour que tu vois
De tes propres yeux, la beauteґ
Des femmes, – cette nuit
Je t’apporterai un cur.
Dormez en paix, maintenant!
De tre`s loin vous e tes venu,
Ici, chez moi. Votre liste
Est comple`te, Don Juan!
3
Apre`s tant de roses, de villes, de toasts —
Comment n’e tes-vous pas fatigueґ
De m’aimer? Vous – presque un squelette,
Moi – presque une ombre.
Vous avez du recourir aux forces
Ceґlestes? – Que m’importe! – Et
Que m’importe cette odeur de Nil
Qui vient de mes cheveux?
Moi – c’est mieux —, je vous raconte
Le conte: c’eґtait en janvier. Quelqu’un
A jeteґ une rose. Un moine masqueґ
Portait une lanterne. Une voix
Ivre, – priait et s’emportait,
Pre`s du mur de la catheґdrale.
Don Juan de Castille, alors,
Rencontra Carmen.
4
Il est minuit – juste.
La lune – un eґpervier.
– Tu regardes – quoi?
– Je regarde – c’est tout!
– Je te plais? – Non.
– Tu me reconnais? – Peut-e tre.
– Je suis Don Juan.
– Et moi – Carmen.
5
Don Juan avait – une eґpeґe,
Don Juan avait – Dona Ana.
C’est tout ce que les gens m’ont dit
Du beau, du malheureux Don Juan.
Mais aujourd’hui, j’ai ruseґ:
A minuit juste, je suis alleґe sur la route.
Quelqu’un a marcheґ pre`s de moi,
Il reґpeґtait des noms.
Et une eґtrange crosse – blanchissait dans la brume...
– Don Juan n’a jamais eu – Dona Ana!
6
Et la ceinture de soie, – le serpent
Du paradis, – tombe a` ses pieds...
Et on me dit – Je me calmerai,
Un jour, la`-bas, sous la terre.
Je vois mon profil hautain et
Vieux, sur le brocard blanc.
Et quelque part – des gitanes – des guitares —
Et de jeunes hommes en manteaux noirs.
Alors, quelqu’un, cacheґ sous un masque:
– Reconnaissez-moi! – Je ne sais pas —
Reconnaissez-moi! —
Et la ceinture de soie tombe
Sur la place – ronde, comme le paradis.
Tu es sortie d’une catheґdrale auste`re et fine
Pour les criailleries de la place publique...
– Liberteґ! – La Belle Dame
Des marquis et des princes russes.
Voici, en cours, la terrible reґpeґtition
Du chur, – la messe continuera!
– Liberteґ! – Fille de joie
Sur la poitrine folle d’un soldat!
Embrasser sur le front – efface les soucis.
J’embrasse sur le front.
Embrasser sur les yeux – supprime l’insomnie.
J’embrasse sur les yeux.
Embrasser sur la bouche – donne a` boire.
J’embrasse sur la bouche.
Embrasser sur le front – efface la meґmoire.
J’embrasse sur le front.
Brumes Anciennes de L’Amour
1
Au-dessus des contours du cap noir —
La lune – chevalier dans son armure.
Sur le quai – haut de forme, fourrures,
Je voudrais: une actrice, un poe`te.
Vaste souffle du vent, —
Souffle des jardins du nord, —
Vaste souffle malheureux:
Ne laissez pas trai ner mes lettres.
2
Ainsi, les mains enfonceґes dans les poches,
Je suis la`, debout. La route bleuit.
– Aimer de nouveau, et quelqu’un d’autre?
Toi, tu pars, le matin to t.
Chaudes brumes de la City —
Dans tes yeux. Eh bien, c’est ainsi.
Je me souviendrai – seulement ta bouche
Et ton cri passionneґ: – vivre!
3
Il lave le rouge le plus lumineux —
L’amour. Essayez un peu leur gou t,
Elles sont saleґes – les larmes. J’ai peur,
Moi, demain matin – de me lever morte.
Des Indes, envoyez-moi des pierres.
Quand nous reverrons-nous? – En re ve.
—Quel vent! – Salut a` l’eґpouse,
Et a` l’autre dame, – aux yeux verts.
4
Le vent jaloux fait bouger le cha le.
Cette heure m’eґtait preґdestineґe, depuis toujours.
– Je sens, autour des le`vres et sur les paupie`res
Une tristesse presque animale.
Cette faiblesse le long des genoux!
– Ainsi la voila`, la fle`che divine! —
– Quelle lueur d’incendie! – Aujourd’hui
Je serai la farouche Carmen.
... Ainsi, les mains enfonceґes dans les poches,
Je suis la`, debout. – Entre nous, l’oceґan.
Au-dessus de la ville – brumes, brumes,
Brumes anciennes des amours.
Je me souviens du premier jour, la feґrociteґ des nouveaux-neґs,
La brume divine des langueurs, et la gorgeґe,
L’insouciance totale des mains, le cur qui manque de cur,
Et qui tombe comme une pierre – ou un eґpervier —
sur la poitrine.
Et puis voila`, dans les gestes de la pitieґ et de la fie`vre,
Une seule chose: hurler comme un loup, une seule:
se prosterner,
Baisser les yeux – comprendre – que le cha timent
de la volupteґ
Est cet amour cruel, cette passion de forc at.
Rouen
Je suis entreґe, et j’ai dit: – Bonjour!
Il est temps, roi, de revenir en France, chez toi!
Et de nouveau, je te conduis vers le sacre,
Et de nouveau, tu vas me trahir, Charles VII!
N’espeґrez pas, prince avare et morose,
Prince exsangue et sans courage,
Que Jeanne n’aime plus – les voix,
Que Jeanne n’aime plus – son eґpeґe.
Il y a dans Rouen, a` Rouen – le vieux marcheґ...
– Et de nouveau: le dernier regard du cheval,
Le premier creґpitement du petit bois innocent,
Puis la premie`re flamme des fagots.
Et derrie`re mon eґpaule – mon compagnon aileґ
Chuchotera de nouveau pour moi: courage, Sur! —
Quand le sang du bois de mon bu cher
Fera briller les armures d’argent.
J’ai fe teґ seule la nouvelle anneґe.
Moi, riche, j’eґtais pauvre,
Moi, avec mes ailes, j’eґtais damneґe.
Quelque part, beaucoup, beaucoup de mains
Serreґes – et beaucoup de vins vieux.
Avec ses ailes, elle eґtait damneґe!
Et elle, l’unique eґtait – seule!
Comme la lune – seule, sous le regard de la fene tre.
Tu t’es leveґ pour la Patrie,
Sur ton poignard, tu as eґcrit —: Marina.
J’ai eґteґ la premie`re et l’unique
Dans ta vie extraordinaire.
Je me souviens: la nuit, un visage aureґoleґ,
Dans l’enfer d’un wagon pour soldats.
Je laisse mes cheveux au vent, et
Dans un coffret, je garde les eґpaulettes.
Le Don
Garde blanche, haute est ta destineґe:
Le trou noir vise ta poitrine et ta tempe.
Tu combats pour Dieu, ta cause est juste:
Le sable engloutira ton corps douloureux et pur.
Ce n’est pas un vol de cygnes dans le ciel:
C’est la sainte force blanche qui s’efface,
Qui s’efface comme une vision blanche...
Dernier re ve – de l’ancien monde:
Vaillance, – Jeunesse, – Vendeґe, – Don.
Celui qui en reґchappe – va mourir, celui qui en meurt —
revivra.
Et puis les descendants, au souvenir de ces temps anciens:
– Ou` eґtiez-vous? – La question, comme un coup de tonnerre,
Et la reґponse, comme un coup de tonnerre – sur le Don!
– Qu’avez-vous fait? – Nous avons souffert dans
les tourments,
Puis, fatigueґs, – nous nous sommes coucheґs pour dormir.
Et, dans le dictionnaire, les petits enfants re veurs
Apre`s le mot: devoir, eґcriront le mot: DON...
Difficile et miraculeuse – fideґliteґ jusqu’a` la mort!
La magnificence des tzars – au sie`cle des places
envahies!
Ames reґsistantes, poitrines reґsistantes, —
Ou` e tes-vous, hommes des temps anciens?!
La licence, comme un Tatar roux, deґvaste
Et reґduit en poussie`re l’autel et le tro ne.
Au-dessus des cendres – les clameurs du festin
De soldats deґserteurs et de femmes adulte`res.
Je rentre a` la maison – non comme un imposteur,
Et non comme une servante – je n’ai pas besoin de pain.
Moi – ta passion, ton repos du dimanche,
Ton septie`me jour, ton septie`me ciel.
La`-bas, sur terre, on me donnait des pie`ces,
On attachait des meules de pierre a` mon cou.
– Mon bien-aimeґ! – Pourrais-tu ne pas me reconnatre?
Moi, – ton hirondelle – ta Psycheґ!
Recois, ma douceur, des guenilles
Qui furent autrefois une chair deґlicate.
Tout est useґ, tout est deґchireґ, —
Seules restent encore les deux ailes.
Reve ts-moi de ta splendeur,
Pardonne-moi, sauve-moi, mais
Les pauvres haillons en poussie`re —
Porte-les a` la sacristie.
Je te raconterai – la grande duperie:
Je te raconterai le brouillard, quand il tombe
Sur les jeunes arbres et sur les vieilles souches.
Je te raconterai les lumie`res qui s’eґteignent
Dans les petites maisons – et le tzigane – eґtranger
Venu des lointains eґgyptiens – qui souffle dans son roseau.
Je te raconterai – le grand mensonge:
Je te raconterai le couteau, serreґ entre des doigts
Etroits, – les boucles des jeunes et la barbe des vieux,
Souleveґes par le vent des sie`cles.
Et la rumeur du sie`cle.
Et les bruits des fers, sous les sabots.
On frappe prudemment trois fois.
Tendre ennemi, ami peu su r, – Tu
Ne me tromperas pas! Tu n’es pas un pe`lerin
Au terme de sa route. – C’est ainsi
Qu’on frappe au cur – pour l’amour.
C’est ainsi que l’Enfer noir
Baisse les yeux pour frapper au Paradis.
Je suis. Tu – seras. Entre nous – un gouffre.
Je bois. Tu as soif. S’entendre – en vain.
Dix ans, cent milleґnaires nous seґparent. —
Dieu ne ba tit pas de ponts.
Sois! – C’est mon commandement.
Laisse-moi passer, je n’eґcraserai pas les jeunes pousses.
Je suis. Tu – seras. Dans dix printemps, tu diras:
– Je suis! Moi, je dirai: – C’est trop tard.
Je mourrai, et ne dirai pas: j’ai e ґ te ґ . Sans
Me plaindre, et sans chercher de coupables. Il est
Au monde des choses plus seґrieuses que les orages
Passionnels et les hauts faits de l’amour.
Toi, tu cognais de l’aile a` ma poitrine,
Jeune coupable de mon inspiration —
Moi – je te l’ordonne: – Sois!
Moi, et sans sortir de la soumission.
Ces mains, dont l’amoureux n’a pas besoin,
Servent – le Monde. Et la Lyre
Nous couronne de ce titre glorieux:
Epouse du Monde.
Beaucoup ne sont pas convieґs au festin royal, —
Il leur faut alors, pour tout souper, un chant!
L’amant n’est pas eґternel, le Monde est eґternel.
On ne le sert pas en vain.
La Blancheur menace la Noirceur.
Le temple blanc menace tombeaux et tonnerre.
Le juste pa le menace Sodome, non pas
De son glaive – mais du lys de son bouclier!
Blancheur! Cercle symbolique!
Cuves baptismales! Cheveux blancs fatidiques!
Et les vilains reconnatront leur seigneur
A la fleur qui fleurit de ses mains.
Le loup – n’a peur que de l’agneau, et
La forteresse ne se rend qu’a` un ange.
Festoiements – dans les caves et les sentines!
Il gagne la capitale, le reґgiment blanc!
Ma journeґe, le deґsordre et l’absurde:
Au pauvre, je reґclame du pain,
Au riche, je donne, pour sa pauvreteґ!
J’enfile dans l’aiguille – une lueur,
Au voleur, j’offre – la clef,
Je mets du blanc sur ma pa leur.
Le pauvre ne me donne pas de pain,
Le riche n’accepte pas mon argent,
La lueur ne passe pas dans l’aiguille.
Le voleur entre sans la clef,
Et l’idiote pleure a` chaudes larmes —
Ce jour sans gloire, ce jour inutile.
– Ou` sont les cygnes? – Et les cygnes sont partis.
– Et les corbeaux? – Et les corbeaux sont resteґs.
– Ou` sont-ils partis? – La` ou` sont les grues.
– Pourquoi sont-ils partis? – Pour ne pas perdre leurs
plumes.
– Et papa, ou` est-il? – Dors, dors, le Sommeil,
Sur son cheval des steppes va venir nous chercher. —
– Ou` nous emme`nera-t-il? – Sur le Don des cygnes,
– La`, j’ai, tu le sais! – un cygne blanc.
Les poe`mes poussent,
des eґtoiles,
des roses,
Et de la beauteґ
– inutiles pour la vie familiale.
Quant aux couronnes
et aux apotheґoses —
Une seule reґponse:
– d’ou` cela me vient-il?
Nous dormons —
et puis, au travers des dalles de pierre,
L’ho te ceґleste
avec ses quatre peґtales.
O monde, comprends!
Le chantre – dans son sommeil —
Deґcouvre les lois de l’eґtoile
et la formule de la fleur – .
Chaque poe`me – un enfant de l’amour,
Un enfant eґternel, deґmuni de tout.
Un premier-neґ – poseґ pre`s
De l’ornie`re, en plein vent.
L’enfer au cur, l’autel au cur,
– Le paradis et la honte. – Qui
Est le pe`re? Un tzar, peut-e tre?
Peut-e tre un tzar – peut-e tre un voleur.
Il nous faut courageusement l’avouer, Lyre!
Nous avions du gou t pour les grands de ce monde:
Pour les ma tures et les drapeaux, les eґglises, les tzars,
Les bardes, les heґros, les aigles et les vieillards,
Quand on jure fideґliteґ aux royaumes,
On ne confie pas le Pavillon a` tous les vents.
Tu connais le tzar – reste a` distance du piqueur!
La fideґliteґ nous tenait comme un grappin:
Fideґliteґ a` la grandeur – a` la faute – au malheur,
Fideґliteґ a` la grande faute de la couronne!
Quand on jure fideґlite au – Khan,
On ne jure pas obeґissance a` la horde.
En ce sie`cle, nous n’avons trouveґ que du vent, Lyre!
Le vent a mis en lambeaux les tuniques, et
Le dernier chiffon flotte sur le Pavillon...
De nouvelles foules, pour de nouveaux drapeaux!
Nous, nous resterons fide`les a` nos serments,
Car ce sont de mauvais chefs, les vents.
Si l’a me est neґe avec des ailes
Que lui importe les palais et les masures!
Que lui importe Gengis-Khan ou la horde!
J’ai deux ennemis, ici-bas,
Deux jumeaux – inseґparables:
La faim des affameґs – et la richesse des riches.
Je ne te ge ne pas, je ne te donne
Pas un poison de femme.
Je te donne ma main fide`le —
La droite, celle qui eґcrit.
Celle avec laquelle je beґnis,
Pour la nuit – ma fille cheґrie.
Celle avec laquelle j’eґcris
Ce que Dieu me commande.
La gauche – est impertinente,
Maligne, astucieuse; tiens,
Je te donne ma main – ma main
Droite, celle qui est juste.
Pour toi, je noie dans un verre
Une poigneґe de cheveux bru leґs.
Tu ne mangeras plus, tu ne chanteras plus,
Ne boiras plus, ne dormiras plus.
Pour que ta jeunesse – soit sans joie,
Pour que ton sucre – soit sans douceur,
Pour que la nuit c a ne marche pas, dans le noir,
Avec ta jeune eґpouse.
Comme l’or de mes cheveux est
Devenu cendre grise, les anneґes
De ta jeunesse deviendront
Blanches comme l’hiver.
Tu seras aveugle, – sourd,
Tu te desseґcheras, – comme la mousse,
Tu expireras, – comme un soupir.
Tzar, Dieu! Pardonnez aux faibles —
Aux petits, – aux naїfs, – aux peґcheurs, – aux
extravagants,
Entraneґs dans l’horrible tourmente,
Seґduits, trompeґs, —
Tzar, Dieu! Dans l’atroce supplice,
Ne tuez pas Stenka Razine!
Tzar! Dieu te le rendra! Nous avons
Eu assez de cris d’orphelins! Assez
De morts! – Fils de tzar,
Pardonne au Brigand!
Vers la maison paternelle – les chemins sont divers!
Gra ce pour Stenka Razine!
Razine! Razine! Ton histoire est termineґe!
L’animal rouge mateґ, attacheґ.
Ses dents horribles briseґes.
Mais pour sa vie, sa sombre vie
Et pour sa bravoure absurde,
Libeґrez Stenka Razine!
Patrie! Source et embouchure!
Et quelle joie! De nouveau c a sent la Russie!
Etincelez, yeux ternis!
Reґjouis-toi, cur russe!
Tzar, Dieu! C’est la fe te:
Libeґrez Stenka Razine!
Je n’ai plus besoin de toi,
Mon cher, – non parce que
Tu n’as pas eґcrit aussito t,
Non parce que tu vas
Deґchiffrer en riant
Ces lignes eґcrites avec tristesse,
(Ecrites par moi, seule —
A toi, seul! – Pour la premie`re fois! —
Tu les devineras, sans e tre seul.)
Non parce que des boucles
Fro leront ta joue – je sais,
Moi aussi, lire a` deux! —
Non parce qu’ensemble —
Sur des majuscules incertaines —
Vous allez vous pencher et soupirer.
Non parce que, bien ensemble,
Soudain, vos paupie`res se fermeront —
Mon eґcriture est difficile, —
Et, en plus des vers!
Non, cher ami, – c’est plus simple,
C’est plus fort qu’un deґpit:
Je n’ai plus besoin de toi —
Parce que, parce que
Je n’ai plus besoin de toi!
Non, personne ne le saura —
Ne pourra et ne voudra le savoir! —
Combien, dans l’insomnie, ma conscience passionneґe
Use ma jeune vie!
Elle m’eґtouffe sous l’oreiller, elle sonne le tocsin,
Elle murmure toujours le me me mot…
– Elle transforme en cet enfer trois fois damneґ
Un petit, un idiot peґcheґ veґniel.
Une eґtoile au-dessus du berceau – et une eґtoile
Au-dessus du cercueil! Et, au milieu —
Comme un tas de neige bleue – une longue vie. —
Bien que je sois ta me`re,
Je n’ai plus rien a` te dire,
Mon eґtoile.
Je confie ce livre au vent
Et aux cygnes qui passent.
Pour crier plus fort que la seґparation —
Il y a peu, j’ai briseґ ma voix.
Ce livre, comme une bouteille a` la mer,
Je le jette dans le tourbillon des guerres;
Afin qu’il voyage, simplement, de la main
A la main, comme un cierge dans une fe te.
Vent, vent, mon fide`le teґmoin,
Va dire a` ceux que j’aime
Que chaque nuit, dans mes re ves,
Je fais le chemin – du Nord au Sud.
Il s’approchera sans bruit, furtivement —
Comme minuit dans une fore t impeґneґtrable.
Je sais: dans un vaste tablier,
Je vous apporterai une colombe.
Ainsi: je serai sur le seuil, – immobile!
Avec le poids du plomb – la honte. Mais,
L’oiseau dans le tablier sera a` l’eґtroit,
Et l’oiseau – s’envolera, de lui-me me!
Tu observes ma peґrissable fragiliteґ
Presque en silence. – Toi,
Tu es de pierre, – moi, je chante, —
Toi, tu es un monument, moi, je vole.
Je sais, au regard de l’eґterniteґ,
Le plus tendre mai n’est rien.
Je suis un oiseau, ne m’en veux pas, si
Je n’applique pas pour moi une loi si leґge`re.
Ne juge pas trop vite: le jugement
Terrestre est fragile! Et que la couleur