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Figurante
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 21:37

Текст книги "Figurante"


Автор книги: Dominique Pascaud


Жанр:

   

Роман


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ISBN : 978-2-7324-7426-7


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TABLE DES MATIÈRES


Copyright


Chapitre 1


Chapitre 2


Chapitre 3


Chapitre 4


Chapitre 5


Chapitre 6


Chapitre 7


Chapitre 8


Chapitre 9


Chapitre 10


Chapitre 11


Chapitre 12


Chapitre 13


Chapitre 14


Chapitre 15


Chapitre 16


Chapitre 17


Chapitre 18


Chapitre 19


Également dans la collection Littérature

Clichy – Vincent Jolit

Harmonie, harmonie – Vincent Jolit

Pour Invalides, changer à Opéra – Stéphane Ronchewski

Lucky Jim – Kingsley Amis

La Maison russe – Tania Sollogoub

52nd Street – Emmanuel Solotareff

La vie à deux, ou presque – Raphaël Fejtö

Les Premiers de leur siècle – Christophe Bigot






Elle lui sourit, elle ne sait pas pourquoi, pas encore. Il doit avoir soixante-dix ans, elle en a à peine vingt. À cette heure-ci, le café dans les thermos est souvent tiède. Il a demandé d’autres croissants. Il est tard et il vient de descendre. Pour un autre elle aurait refusé mais là, elle lui sourit. Elle lui sourit et part en cuisine en réchauffer quatre qu’elle va sortir du congélateur. Si les patrons apprennent ça, c’est sûr, ils vont lui crier dessus, comme à chaque fois qu’elle remplit trop les tasses de chocolat ou les verres de vin. À ce rythme, tu vas nous couler l’hôtel. Derrière le comptoir, dans l’arrière-salle que des meubles anciens et des tapisseries jaunies décorent, ça ne rate pas, elle s’entend dire qu’à ce rythme, elle va couler l’hôtel. Pour ça, elle le pense, elle le murmure, vous n’avez pas besoin de moi, l’endroit est laid, mal entretenu, ça sent mauvais. La patronne s’approche et lui envoie au visage son haleine de moquette humide. Grasse, coiffée d’un chignon gris, ses bras épais semblent mal fixés sur le haut de son torse. Elle lui dit d’aller plutôt changer les draps du premier et de ne plus traîner en bas près des clients. Si tu reviens en salle, rajoute son mari en se grattant les aisselles, un type gras lui aussi, à l’œil qui en dit trop, vautré sur son tabouret, tu risques de ne plus rien refuser à tous les retardataires du petit déjeuner.

Elle monte au premier, prend son chariot dans le cagibi et dispose les serviettes et les taies d’oreiller propres à côté des petits savons. Avec ses gants en plastique, elle récure les salles de bains. Elle refait le lit avec la télévision allumée. Elle s’agenouille, se relève, se baisse et s’agenouille encore. Elle passe l’aspirateur puis referme la porte sur chacune des chambres qu’elle connaît par cœur, qu’elle sait sans âme et sans promesses. Sans sa bonne situation, près des marais, l’hôtel ne verrait pas traîner un chat. De l’extérieur aussi, c’est sale, c’est vieillot, mais comme ce n’est pas cher, les gens y viennent pour visiter la région, pour s’arrêter une nuit ou deux, à peu de frais. Elle se dit que, dans son propre hôtel, elle aurait toujours un mot gentil pour le visiteur solitaire, le représentant de commerce, le jeune couple et son enfant à qui elle offrirait un porte-clés. Elle se dit qu’il est facile d’accueillir quelqu’un d’un sourire, d’être bienveillante, de penser aux clients de l’hôtel et aux personnes qui y travaillent car elle sait combien c’est difficile d’inspecter derrière les lavabos, de décrasser les baignoires, de vider les sacs plastique remplis de cheveux et de papiers humides. Quand elle nettoie, quand elle frotte les salissures jaunes autour des robinets, qu’elle ramasse les miettes au pied des lits, les poils sur les rebords des plinthes, elle pense à Marc. Elle pense à ce qu’il lui a dit hier avant de partir à son travail, avant de monter sur son scooter et d’enfiler son casque qui lui écrase les joues. Aller voir un film ensemble pour qu’elle oublie la crasse, la sueur des chambres, l’odeur moite des couloirs et des réduits remplis de linges. Elle a fait la 101, la 102, la 103, il ne reste plus que la 104. Elle cherche son passe sur le chariot. Elle pense qu’elle devrait toujours l’accrocher à sa blouse, ça lui ferait gagner du temps, du temps pour fumer une cigarette, du temps pour elle.

Merci mademoiselle. Il l’a fait sursauter, elle voit bien qu’il ne comprend pas son étonnement, sa frayeur même, elle ne l’a pas vu arriver à l’angle du couloir, entre la porte de secours et le local d’entretien. C’est pour les croissants. Il lui parle des croissants et elle sait qu’il a compris qu’elle s’est fait crier dessus par ses patrons. Vraiment, ce n’est rien, ça m’a fait plaisir, dit-elle avec une douceur gênée. Elle aurait aimé voir le vieil homme manger ses croissants chauds, boire son café et son jus d’orange. Elle aurait aimé s’asseoir en face de lui pour l’observer et se demander si son père fait de même chaque matin, vêtu de sa robe de chambre, dans sa maison vide. Cet homme ressemble à son père. Leurs traits se confondent. Ses traits à elle se figent un instant. Le vieil homme sort sa clé et pose la main sur le bras de la jeune fille. Il a la peau douce et tachée comme un papier chinois imbibé d’encre brune. Ne vous dérangez pas, je referai le lit moi-même. Il la salue en inclinant le buste et referme la porte de sa chambre.

Alors, pour la première fois de sa vie, il y a quelque chose de neuf, qu’elle ressent à peine, quelque chose qu’elle perçoit dans une brume. Des phares peut-être, au loin, qui se plaqueraient sans avertissement sur le pare-brise pour s’imprimer définitivement sous la rétine une fois tout proches et qui ne s’en détacheraient plus jamais. Et sitôt qu’elle s’est dit cela, elle oublie comment elle pouvait vivre sans cette illumination qui enflamme ce minuscule bouillonnement, cette explosion de poche à l’envergure d’un cataclysme. Elle se dit que les fréquences qui s’en échappent sont à la fois si faibles à ses oreilles et si puissantes dans son esprit qu’il faudrait un plan immense, impensable, pour le concevoir, pour le matérialiser en schémas clairs. Et elle s’étonne de ne pas avoir eu, plus tôt dans sa vie, la faculté de percevoir la brutalité du monde et d’imaginer l’absence de ceux qui l’entourent, de celles et ceux qui vivent à ses côtés. Elle ressent ça parce que, face à cet homme, dont le costume bâille un peu, dont la peau fripée s’étire doucement aux extrémités des lèvres et des sourcils, elle se dit qu’il pourrait être son père et qu’elle pourrait le perdre, pour la première fois. Le feu est apparu, en un instant, sans la prévenir, partout, sur les meubles, les draps, les petits savons, les tasses à café, les bouteilles et les serviettes en papier, dans l’ambiance froide du hall d’entrée, sur le papier peint usé et sur la banquette qui accueille les rares visiteurs près de la porte en verre. Tout a la saveur et la substance de ce vieil homme. Quand elle appelait son père, jusqu’à présent, les choses ne revêtaient rien de spécial, peu d’aspérités, aucune agglomération de peurs, de vide ou de manque. Désormais, tout semble être l’écho lointain et singulier de son être, de sa gestuelle. Et des fragments de son élocution jailliront partout où elle ira, elle le sent, elle le sait, dans la rue, au bord du canal, dans une boutique ou au contact des commerçants sur les marchés qu’elle fréquente le samedi matin.

Elle distingue les rainures de la moquette. Elle observe l’extincteur au coin du couloir, prise d’un vertige irrésistible. Elle regarde sa montre, elle a un peu d’avance. Elle range le chariot, empile les serviettes et les draps sales dans des bacs en plastique, elle redescend, ça lui laisse quinze minutes avant d’aller préparer les repas, le temps pour elle de fumer une cigarette. Il fait doux. Une légère brise fait onduler ses mèches de cheveux qui se collent ensuite à ses lèvres, aux coins de ses yeux et sous son nez. Elle regarde la zone commerciale en face et les magasins qui se ressemblent et qui s’emboîtent les uns aux autres, éclairés par des néons et des panneaux publicitaires colorés. Elle aspire de longues bouffées, même si elle se dit qu’elle fume trop vite, que ce temps-là dure trop peu, qu’elle n’a pas assez de répit. Et malgré ce décor, malgré la tristesse de ces murs, de ces vitres, de ces toits en tôle et du goudron des parkings, elle savoure ces moments où son corps se relâche, le dos collé contre le mur, le coude relevé et posé sur l’autre avant-bras, en équilibre, formant un berceau qui ne bercerait qu’elle-même, tranquillement, fumant, inspirant une dernière fois, jusqu’au filtre qui lui brûle les lèvres et qu’elle écrase du bout du pied.

Onze couverts aujourd’hui. Dans le fond de la salle, une table de trois. Elle reconnaît le vieux monsieur. Près de lui, un beau jeune homme avec une chemise sertie d’un col clair, les manches de sa veste tombant raides sur le rebord de la table. De l’autre côté, une femme d’une quarantaine d’années, les cheveux mi-longs, un pantalon foncé et un haut moulant. Ils parlent à voix haute au-dessus du vieil homme. On dirait que rien autour d’eux n’a d’importance, comme si le monde ne valait pas la peine d’être regardé, ce monde-là, celui d’une petite salle à manger d’un hôtel de province.

Elle s’avance et leur présente la formule du midi. Salade de crudités, poulet tandoori et crème brûlée. Ils prennent de l’eau pétillante, une carafe de rouge et lui tendent les cartes qu’elle récupère. L’une d’elles glisse de ses mains. Elle entraîne dans sa chute des couverts qui dégringolent bruyamment sur le carrelage. Elle se baisse pour les ramasser. Sa jupe plissée noire remonte haut sur ses cuisses. Elle croise le regard du jeune homme qui s’est attardé sur ses jambes.

Trois tomates, des feuilles de salade un peu molles, une olive noire et une sauce vinaigrette épaisse, en desservant les assiettes, elle voit qu’ils n’y ont pas touché. Le poulet qui suit n’a rien d’exotique. Soudain, la femme l’interpelle. L’interrogatoire commence sous la lumière froide du plafonnier. Vous travaillez ici toute l’année ? En disant cela, elle plisse les yeux et mordille l’une des branches de ses lunettes. Avez-vous déjà fait du théâtre, à l’école ou ailleurs ? Non, elle n’aurait jamais songé à cela. Elle était une élève plutôt réservée, elle n’était ni bonne ni mauvaise, elle faisait ses devoirs du mieux qu’elle pouvait. Elle jouait peu avec les autres, elle n’avait pas d’activité à l’extérieur de l’école, elle vivait avec son père, seule. Sa mère était morte à sa naissance. Les mercredis après-midi, les samedis et les dimanches se ressemblaient tous. Elle restait dans sa chambre à rêvasser, à dessiner, à jouer à la poupée. Parfois elle aidait son père à bricoler, elle l’aidait à tenir une planche sur l’établi, elle lui donnait un rabot, une vis, un marteau. Quelles sont vos ambitions dans la vie ? La jeune fille regarde le vieil homme qui reste impassible et ne dit rien. Devrait-elle répondre quelque chose en particulier ? Le poulet va refroidir. Elle distingue la voix du patron qui l’appelle, la huit attend sa commande, elle se contente de leur souhaiter bon appétit et repart en cuisine.

Les assiettes reviennent quasiment pleines. Ils ont à peine découpé le coin de quelques morceaux de viande et écarté les légumes. Mademoiselle, vous nous mettrez des cafés en même temps que le dessert s’il vous plaît, demande le vieil homme en secouant légèrement sa main dans sa direction. Le jeune homme vient payer en espèces au comptoir. En lui tendant la note, elle sent sa main frôler son poignet. Il est à peine plus âgé qu’elle. Ses cheveux sont bien coiffés, sa veste noire et sa chemise légèrement ouverte laissent échapper le parfum d’une grande marque qu’elle reconnaît. Un client avait oublié un flacon dans une chambre et elle l’avait donné à Marc, cet idiot l’avait cassé.

Ils sortent de l’hôtel. Elle les voit s’engouffrer dans un break. Le vieil homme a du mal à s’asseoir à l’avant, le jeune homme l’aide, c’est la femme qui conduit. Elle les regarde depuis la grande baie vitrée de la salle à manger. Elle doit ranger les tables. Après, c’est sa fin de journée. Le patron ira faire sa sieste, la patronne regardera sa série télé. Elle se dit que ça fait longtemps qu’elle n’est pas allée voir son père, il suffit de prendre le bus, s’arrêter en haut de la colline des mimosas et redescendre ensuite l’avenue jusqu’aux pavillons qui se ressemblent tous, l’un de ceux dans lequel elle a grandi et qu’elle a quitté pour s’installer dans un minuscule appartement avec Marc. Toutes les assiettes sont dans le lave-vaisselle, elle a passé le balai sous les tables, elle a disposé les nappes en papier et les bols pour le petit déjeuner, l’hôtel ne fait pas les dîners. Elle reviendra demain à 7 heures pour installer les thermos, les confitures et les croissants, ranger de nouveau les tables, aller faire les chambres, fumer une cigarette et servir les repas.






La colline des mimosas, on l’appelle comme ça parce qu’une dizaine de mimosas vous accueillent en haut de la butte. De là, on aperçoit d’un côté la ville qui s’étend et se prolonge avec la zone commerciale, de l’autre, le début de la campagne et les marais que l’on distingue au milieu des arbres. Elle s’est assise près du chauffeur. À l’arrière, ça lui fait mal au cœur. Elle porte sur ses genoux un sac de viennoiseries pour le goûter. Peut-être sera-t-il en train de dormir ? Elle ne lui a pas téléphoné, elle vient à l’improviste, elle a besoin aujourd’hui de le voir, elle qui, habitant à quatre kilomètres, ne vient que rarement, tout juste un week-end par mois. Quand elle est là, il ne le lui reproche pas, ils ne se parlent pas. Elle fait un peu de rangement pendant qu’il prend son café, elle trie des papiers, vide les poubelles et change les draps du lit. Ici ou à l’hôtel, finalement, elle ne fait pas la différence. Ils ne savent pas trop quoi se raconter alors elle nettoie. Ça, elle sait faire. Discuter de la pluie et du beau temps, pas trop. Entre son père et elle, ça a toujours coincé. Elle aurait parfois voulu que leurs discussions s’accordent en un bruit de fond, mais cela ne fonctionne pas. Une étape a été omise, une brèche s’est formée entre elle et lui. L’absence de sa mère, la tristesse de cet homme inconsolable qui voit en sa fille la forme incarnée de son malheur, puisqu’en venant au monde elle a pris la vie de celle qu’il aimait.

Elle a actionné le bouton pour descendre. Elle se retrouve devant l’abribus. Elle laisse passer deux voitures puis traverse la route pour s’engager dans une allée assez large pour se garer des deux côtés. Les pavillons sont bien tenus même si sur nombre d’entre eux le crépi est couvert de coulures brunâtres sous les gouttières et sur les pans entiers où il n’y a pas de fenêtres, juste une petite ouverture, plein nord. Elle marche sur le trottoir pendant trois cents mètres jusqu’à la maison de son père qu’un portail vert et un grillage encerclent. Elle a ses propres clés mais elle préfère sonner. Elle a l’impression de ne plus vivre ici, malgré sa chambre, laissée intacte depuis son départ.

De derrière la porte, son père demande qui c’est. Elle lui répond que c’est elle, sa fille. Quelques secondes passent puis il ouvre la porte et la laisse entrer. Son étonnement ne se remarque pas sur son visage, elle ne vient jamais sans prévenir mais il ne dit rien, il la laisse se diriger vers la cuisine où elle dépose les pains au chocolat. Tu veux prendre un café ? lui demande-t-elle. Il ne répond rien et se met à tousser. Il resserre la ceinture de son peignoir et relève le col autour de son cou. Non, non, ça ira. Elle prend la bouilloire et la remplit d’eau au robinet. Je me fais un thé, ça ne te dérange pas ? Et je nous ai apporté quelque chose à grignoter, dit-elle en montrant du doigt le sac en papier marron de la boulangerie. Il s’assoit et se racle la gorge, sort un mouchoir de son peignoir et crache. Tu prends toujours tes médicaments ? Oui, oui. Silence. Elle est debout, les hanches contre l’évier, les bras croisés, attendant que la bouilloire atteigne les cent degrés. Il te reste du café ? Tu as besoin de quelque chose ou Mme Taine t’achète tout ce qu’il faut ? Oui, oui, répète-t-il en rangeant son mouchoir. Elle se tourne et ouvre le placard, elle saisit une tasse et les sachets de thé. La bouilloire se met à frémir, elle l’éteint et verse l’eau chaude. En tirant la chaise vers elle, un crissement résonne dans la petite pièce où la table en formica, le buffet en bois sombre et les carreaux marron près de la hotte semblent suspendus dans le temps. Elle souffle à la surface de l’eau, repose la tasse, y plonge le sachet, le laisse reposer encore un peu puis le retire de la tasse en prenant soin de l’enfermer dans la pochette en papier pour ne pas mettre des gouttes sur la table. Elle dispose sa main gauche sous le sachet qui, malgré ses efforts, suinte et lui brûle légèrement la paume. Elle se lève et se dirige vers l’évier, ouvre le placard, le sachet de thé est désormais lové dans sa main, elle actionne du pied la poubelle et jette le sachet, puis elle se rince la main sous le robinet. Elle revient s’asseoir en face de son père qui ne dit rien, qui ne la regarde pas non plus, qui attend, qu’elle ait fini son thé, peut-être, qu’elle soit partie, que son jeu télévisé commence, que la porte s’ouvre et se referme sur elle. Elle souffle encore et se met à boire, trop vite, le thé lui chauffe les lèvres, puis instantanément le palais et la langue, c’est encore trop chaud. Elle repose la tasse, un doigt dans l’anse, elle hésite à engager une conversation, elle s’empare du sac et en sort un pain au chocolat, elle lui tend le paquet. Son père répond non merci, elle croque dans le pain au chocolat, des miettes éclatent sur la table, elle boit une petite gorgée alors qu’elle n’a pas fini de mâcher, le thé est toujours aussi chaud, elle s’y habitue. Elle a envie d’en finir avec ce goûter, son père ne la regarde pas, il attend, elle sent sa respiration lourde et incertaine, elle finit le pain au chocolat et, du petit doigt, récupère dans son autre main les miettes qu’elle emporte vers la poubelle. La chaise crisse encore. Elle verse de l’eau froide dans sa tasse qu’elle boit d’une traite avant de la rincer dans l’évier. Son père n’a pas bougé, il attend. Je vais faire un tour dans ma chambre, dit-elle. Oui, oui, si tu veux. Son père se lève et part au salon, il allume la télévision et s’assoit dans un fauteuil recouvert d’un plaid.

Elle se dirige vers l’escalier et monte à l’étage. Rien n’a bougé, il y a toujours sur la porte un panneau, interdit d’entrer. Les murs sont couverts de posters, les meubles d’autocollants et le lit d’une vieille couverture rose. Sur sa table de nuit, un réveil arrêté. L’abat-jour de la lampe est de travers. Les volets sont fermés, l’odeur est sèche, il n’y a rien à sentir, c’est froid et impersonnel malgré tous ces souvenirs, toutes ces reliques de ses années d’enfance, de collège et de lycée, ce n’est plus tout à fait sa chambre, elle n’ouvre pas les volets, elle se contente de la lumière glacée du lustre, elle reste peu, ne saisit aucun objet. Il n’y a pas de photos d’elle petite, ni de sa mère, ni de son père, que des héros de cinéma et des chanteurs déjà passés de mode. Elle referme la porte et aperçoit à côté le lit de son père dans la chambre voisine, elle n’ose pas y entrer. La porte est entrouverte car il ne l’attendait pas. C’est toujours bizarre d’avoir à lui changer les draps, aujourd’hui elle ne le fait pas, elle n’en a pas envie, et puis ce n’était pas prévu qu’elle vienne. Elle redescend l’escalier. Le papier peint se déchire en haut des murs et le bois craque lorsqu’elle pose les pieds sur les marches. Son père est dans le salon, il regarde son jeu télévisé. Elle revient dans la cuisine et sort de sous l’évier la poubelle, elle prend une éponge, y dépose du liquide et nettoie l’évier, puis le plan de travail, puis la gazinière, elle passe le balai, puis un chiffon sur le buffet. Elle ne rentre pas dans le salon. L’aspirateur, ce sera pour une autre fois, un jour où elle l’aura prévenu de sa visite, alors elle pourra faire à fond le salon pendant qu’il sortira dans le jardin. Papa, je vais y aller, je t’appelle. Oui, oui, au revoir, referme bien avec ta clé en partant. Au revoir, papa. Elle ouvre la porte, la poubelle à la main, ferme à clé, dépose le sac dans le container et s’en va au-delà du grillage, au-delà du portail. Elle avance dans la rue, croise quelques voitures qui roulent au pas.

Son téléphone vibre, elle écoute son répondeur en marchant, c’est Marc. Louise, t’as vu dans le journal, ils vont tourner un film ici, le studio fait des repérages, je n’ai pas bien compris l’histoire, ils cherchent des figurants, ils veulent des types pour une scène de bagarre, je crois que je vais y aller, et c’est payé en plus, je vais aller récupérer une photo, celle où j’ai mon costume à l’enterrement de mon oncle, ils cherchent aussi l’actrice principale, ne m’attends pas, il faut que j’aille prévenir Guillaume, on va regarder des films ce soir, je t’appelle tout à l’heure, au fait, il paraît que le réalisateur dort dans ton hôtel, si tu le vois, parle-lui de moi.


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