Текст книги "Франция: Общественно-политические реалии"
Автор книги: Владимир Конобеев
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Je ne peux pas vous apporter la réponse, ce n'est pas le lieu, ce n'est pas le moment. Mais pour l'avoir vécu et pour y avoir réfléchi, je pense que le role du Parlement doit etre repensé. Après tout, le Parlement a été créé, en Angleterre, pour ne pas remonter jusqu'à la Grèce, pour essentiellement permettre la volonté populaire de controler le pouvoir, lequel pouvoir était un pouvoir absolu. Ce pouvoir absolu avait besoin de recourir à l'impot. Il fallait donc avoir un minimum de consentement populaire pour avoir de l'argent. Mais là était la faille! Désireux d'obtenir les moyens de vivre, ce pouvoir vivait d'ailleurs toujours au-dessus de ses moyens, et il lui a fallu passer par certaines conditions qui lui ont été imposées par le Parlement, lequel s'est arrogé le pouvoir qui lui revenait de droit de tout controler et d'exercer ainsi une sorte de majesté, une sorte de souveraineté. La distinction entre l'exécutif et le législatif est souvent apparue téméraire. Sous la IVe République, le législatif et l'exécutif se confondaient. J'ai moi-meme participé à bien des débats à la suite de quoi sont tombés des gouvernements. Un gouvernement ne pouvait pas se maintenir contre la volonté de l'Assemblée. Le Président de la République devait se contenter de marquer les points, de constater le fait, et une fois un gouvernement tombé, d'essayer de trouver un successeur. Mais il n'exerçait aucun role actif dans tout cela.
Donc, l'Assemblée nationale, sous la IVe, pouvait tout faire. Elle était souveraine. Sous la Ve République, par réaction naturelle contre les excès parlementaires, les chutes successives des gouvernements, l'incapacité, l'impuissance de l'Etat, les hommes responsables de l'époque, en 1958, ont voulu un régime plus ferme, plus fort. Et d'un régime démocratique, qui tendait à l'anarchie, nous sommes passés à un régime démocratique qui penchait vers la monarchie.
VII
D'ailleurs, j'étais très surpris moi-meme, ayant cru qu'on avait atteint, dans ce domaine tous les sommets possibles dans les années qui ont suivi 1958, d'avoir été accusé, ici et là, de dérive monarchique. Je me demande comment j'aurais pu dériver, et de quelle façon? La dérive monarchique, tout y était déjà! Qn aurait pu dire dérive démocratique peut-etre, mais dérive monarchique, non ! Tous les pouvoirs étaient concentrés dans les memes mains, mais cela dépend aussi des tempéraments des hommes. Aucun de ceux qui ont présidé la France depuis 1958 n'avait le tempérament voulu pour vouloir exercer durablement tous les pouvoirs. Et c'est ainsi que les Présidents de la République ont successivement géré leur Etat en veillant à ce que les droits concurrents des autres pouvoirs fussent autant que possible respectés bien que tout cela dépende de l'usage et non pas de la loi. Et c'est pourquoi nous avons été nombreux à souhaiter des révisions de la Constitution. Vous l'avez fait, Monsieur le Président. Je l'ai fait, moi aussi, dans le cadre de mes fonctions. Vous n'avez pas encore réussi, et moi non plus! De telle sorte qu'en dehors des réformettes auxquelles j'ai pu procéder, faute de pouvoir agir autrement, c'est-à-dire faute de disposer d'une majorité qualifiée au Sénat, je n'ai pu réformer la Constitution comme je l'aurais souhaité.
Et vous-meme, Monsieur le Président, vous avez fait un projet assez complet. Je crois que beaucoup de nos idées se sont rencontrées, mais vous vous etes heurté au meme obstacle, pas exactement de la meme façon, vous avez rencontré un obstacle qui vous a empeché d'aller plus loin que vous ne le souhaitiez à l'époque.
VIII
Il faudra donc réformer la Constitution. Mais cependant, je suis très méfiant à l'égard de cet exercice. Je me demande, un bon juriste législatif ici me contredira, si on n'en est pas à dix-neuf, vingt ou vingt et une constitutions depuis le début du XIXe siècle? C'est autour de ces chiffres-là. C'est dire que ce n'est pas très serieux, mais en France, on veut tout écrire, nous sommes dans un pays de droit romain. Les Anglo-Saxons qui se trouvent ici, doivent trouver pittoresque cette façon de faire! Ils préfèrent ne rien écrire puisqu'il savent qu'ils ne le tiendront pas! Nous, nous écrivons quand meme, mais nous ne le tenons pas davantage!
Alors faut-il une nouvelle Constitution? J'ai été hésitant. Je ne l'ai pas fait, d'ailleurs je ne pouvais pas le faire. Je n'avais pas la majorité qualifiée constitutionnelle pour cela. Je l'avais bien à l'Assemblée nationale mais je ne l'avais pas au Sénat et l'addition ne me suffisait pas. Donc, je me suis contenté de faire des projets, dont certains ont été adoptés, mais dont l'essentiel est resté dans les cartons. Il vous sera très utile, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur le Président du Sénat, de recueillir une part de mon héritage, croyez-le! Dans les mois ou les années qui viendront, un certain nombre de projets, qui ont été faits après avoir consulté les légistes confirmés, nécessiteront certainement un nettoyage de nos institutions.
IX
II n'est pas normal que le Parlement en soit réduit à l'état où il se trouve. Dans la lettre, le Parlement a beaucoup de pouvoirs, il peut tout controler mais, je crois qu'il n'use pas assez de cette compétence-là. Il peut tout controler, et si on l'empèche de controler, il doit l'exiger, il doit se faire entendre, il doit refuser sa confiance au Gouvernement. Il ne s'agit pas d'une politique donnée, déterminée, particulière par rapport à d'autres, il s'agit de la survie de notre République. Je vous ai parlé tout à l'heure de la création d'institutions internationales, de la loi de décentralisation que j'ai voulue en 1981 et en 1982. Il s'agit aussi d'éventuels élargissements de cette décentralisation, car la tentation est grande! J'ai remarqué qu'elle était plus grande chez ceux qui n'avaient pas voté les lois que j'avais proposées, que chez ceux qui les avaient acceptées – il y a une sorte de boulimie! Ce n'est pas pour se faire pardonner! c'est parce qu'on a gouté au gateau, et on a envie d'en manger un peu plus! Alors, tout cela fait que l'Assemblée se trouve bornée dans ses procédures, dans ses façons de faire. L'Assemblée accepte, à mes yeux, trop aisément le sort qui lui est réservé. Mais si elle avait désiré davantage de compétences ou plutot de pouvoir exercer les compétences qu'elle a, elle n'aurait pas rencontré en moi la moindre difficulté. Comme elle ne l'a pas fait, c'est qu'elle en a trouvé ailleurs! Je ne sais pas où! Il vous faudra, dans les années prochaines, savoir comment exercer votre role, et votre role est de tout controler. Rien ne doit vous échapper. Par rapport au régime présidentiel des Etats-Unis d'Amérique – ce n'est pas que je vante ce système qui serait peu applicable en France – mais, par rapport à ce système vos Assemblées disposent de bien peu de pouvoirs. Jusqu'aux ambassadeurs, il faut que vous souscriviez à leur nomination. Je vous plains d'ailleurs, parce que moi je ne m'y reconnais jamais parmi les notres, mais il faudrait passer par là pour exercer votre controle, en tout cas sur un certain nombre de postes de la haute fonction publique. Et combien de textes, qui sont législatifs à leur point de départ, et relèvent des décrets du Gouvernement que le Parlement devrait récupérer?
X
Personnellement, je ne vois pas de limite au pouvoir de controle du Parlement autre que celle qu'implique la Constition. Le premier Parlement a été créé pour controler les finances de l'Etat, pour savoir ce que les citoyens – qui ne s'appelaient pas comme cela à l'époque – devaient fournir comme contribution à celui qui régnait. Au moins, gardons cette latitude de pouvoir controler, sous une République, chacun des actes que le pouvoir exécutif peut accomplir, dans les limites, je le répète, de la Constitution. Parce que si le pouvoir législatif se mèle de tout, bientot personne ne pourra agir en France sans une contradiction permanente qui amènera naturellement la chute du régime, c'est-à-dire la chute de la République. J'ai vécu deux régimes. J'ai participé à deux d'entre eux, et j'attends le troisième! Je ne l'attends pas forcément d'une réunion, d'un congrès, ici, dans la salle d'à coté, mais je l'attends du bon sens du Gouvernement et des Assemblées pour qu'ils s'accordent à eux-memes la plus exacte définition possible de leurs compétences respectives. Et si le Gouvernement s'y refuse, il aura grand tort, je ne serai plus là pour dire au Parlement que je suis de son coté, mais je le dis aujourd'hui, je suis de son coté, comme je l'ai dit naguère. Et je souhaite que le Parlement soit en mesure à ce moment là de prendre le pouvoir qu'il n'a pas, c'est-à-dire celui de controler tous les actes de l'exécutif. D'autant plus que ce pouvoir là, s'il ne l'a pas, d'autres le prennent ! Vous voyez le pouvoir dont dispose la presse! Vous voyez le pouvoir dont disposent les juges! Je pourrais ajouter à cette liste trois ou quatre catégories de citoyens qui sont en mesure aujourd'hui de décider, bien avant les parlementaires, ce qui serait utile pour la France! Et meme aujourd'hui, il n'est pas nécessaire de recourir au juge, enfin au juge tel qu"on l'imagine, de l'ordre judiciaire. Il suffit que quelqu'un, quelque part, s'interroge sur le degré de culpabilité d'un citoyen pour que ce citoyen n'ait plus qu'à rentrer chez lui, s'il ne rentre pas dans une maison forte à coté!
Il y a là une déviation extraordinaire à laquelle seul peut remédier le Parlement. Le Parlement doit retrouver son role. S'il y renonce, d'autres pouvoirs sont prets à se substituer à lui et ce ne sera ni pour le bien de la République, ni pour celui des citoyens.
XI
Donc, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur le Président du Sénat, qui est également indispensable pour ce type de réformes, je ne vous demande pas de faire une VIe République ni une énième Constitution, mais je vous demande de parve-_ nir à un accord suffisant pour que le Parlement retrouve son droit de controle, j'allais dire sans limite. Et cette limite est souvent procédurière ou procédurale. Il faut que vous refusiez le pouvoir gouvernemental qui, par la procédure, vous interdit en réalité de
débattre de ce dont vous voulez débattre, et de pouvoir aller jusqu'au terme de votre débat. C'est vrai que c'était beaucoup plus distrayant lorsque l'on pouvait renverser les gouvernements! Cela m'est arrivé deux fois et j'en garde un souvenir qui n'a rien d'amer, croyez-le! Mais attention à la contagion. Il faut faire très attention au fait que les institutions ont besoin de stabilité et vous n'y arriverez que par votre adhésion commune aux propositions, qui vous seront faites et parmi lesquelles vous ferez votre tri. Etant entendu qu'il y a une règle: c'est le gouvernement qui gouverne, ce sont les assemblées qui légifèrent et depuis 1958 – c'est surtout ce que j'en ai retenu – c'est le Président qui préside! Mais présider ne veut pas dire se méler de tout. On m'en a fait quelque fois le reproche, croyez-moi, par rapport à mes trois devanciers, je suis un mauvais élève! Si j'avais le temps et le gout d'écrire – mais je ne le ferai pas – un texte de droit comparé entre les pouvoirs exercés par mes trois prédécesseurs et par moi-meme, on verrait la différence ! Je craindrais meme un peu le jugement de lа postérité qui pourrait penser que j'ai affadi ou affaibli les règles strictes de la Ve République ! Si on disait cela de moi, de façon posthume, je m'en réjouirais là où je serai.
XII
C'est qu'il faut en effet rendre au Parlement son droit et ce sera la première façon de défendre la République. Ce sera la meilleure façon de donner à l'exécutif son plein droit, car ce dont dispose l'exécutif, il doit pouvoir en disposer pleinement. N'essayez pas de lui "chipoter" son role ou bien alors, il n'y a plus de gouvernement de la France, et il n'y a plus d'Etat. Je m'inquiète tous les jours de voir de quelle façon, dans nos gouvernements et dans nos Assemblées, on voit se dissoudre peu à peu l'autorité de l'Etat. Autant j'ai voulu décentraliser, autant je reste fidèle à la notion qu'il n'y a pas de République sans Etat. Et l'Etat doit etre respecté dans ses personnes comme dans ses institutions.
Donc, les réformes que je vous demande ne sont pas des réformes qui tendent à détruire les organes essentiels de la République: la Présidence de la République, le Gouvernement, le Parlement, les pouvoirs de la justice, la liberté de la presse, le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de la magistrature et tout le reste... Tout ceci constitue, finalement, un ensemble assez harmonieux, à la condition que la victime ne soit pas le Parlement, qui finirait par envoyer dans ses deux Assemblées un millier de personnes qui ne serviraient à rien. Ce qui est parfois le sentiment que j'ai de là où je suis. Pardonnez-moi de vous dire que c'est parfois le cas. Les parlementaires ne servent pas à grand-chose, du moins pas autant qu'ils le devraient.
XIII
S'il y avait des coups à donner pour que la France prenne de bonnes directions, ces coups devraient parfois etre donnés dans la direction du Gouvernement. Le Gouvernement n'est pas infaillible: il faut le lui dire! Mais il y a une sorte de lien naturel qui s'établit entre la majorité et le Gouvernement. Le Gouvernement dépend de la majorité. J'ai lu, quelque part, qu'il faudrait, parmi les réformes prochaines, permettre au chef du Gouvernement de rester au pouvoir, meme si le Président de la République le priait de s'en aller, alors qu'il disposerait de la majorité à l'Assemblée nationale. Mais c'est déjà le cas! On invente des Constitutions chaque matin en se réveillant. Je ne pourrais pas – je n'en ai d'alleurs pas l'intention – renvoyer le Gouvernement! Et si ce Gouvernement gardait la confiance des Chambres, c'est la question qui se poserait aujourd'hui d'ailleurs, le Président ne pourrait pas le faire. C'est l'Assemblée qui continue de pouvoir maintenir en place un Gouvernement choisi par le Président de la République. Et cela a meme disparu de nos mémoires, au point que certains juristes viennent nous le rappeler dans plusieurs articles qui ont été lus avec le plus grand sérieux, au lieu d'etre reçus par d'énormes éclats de rire! C'est dire non pas l'abaissement – le terme serait excessif, je suis trop ancien parlementaire pour employer ce terme —, mais le déclin du Parlement. Et je voudrais que ce déclin fut réparé. Une réunion comme celle-ci, je l'espère, vous y aidera. En tout cas, elle vous apporte le témoignage d'un Président de la République qui n'a plus devant lui qu'un mois, et meme moins, d'exercice, qui tente et tentera de tirer la leçon de son expérience. Le Président doit présider et il ne doit pas tout faire. La tentation existe, mais il est difficile d'y succomber, croyez-moi! Le Parlement doit légiférer: est-ce qu'il en a tellement envie ? Il faut que ceux qui le représentent n'hésitent pas à le dire très haut. Il faut que le Gouvernement gouverne. Déjà, des systèmes qui ont été mis en place depuis quelques années donnent au Gouvernement plus de pouvoir, dans les faits, qu'il n'en a eu au cours des années précédentes, et tout cela a besoin d'e tre déterminé d'une façon plus claire. C'est le travail que je vous propose, Mesdames et Messieurs.