Текст книги "Франция: Общественно-политические реалии"
Автор книги: Владимир Конобеев
Жанры:
Учебники
,сообщить о нарушении
Текущая страница: 1 (всего у книги 5 страниц)
Институт парламентаризма и предпринимательства
В.Н. Конобеев
Франция: Общественно-политические реалии.
(учебное пособие по лингвострановедению)
Минск, 2004
Institut du parlamentarism et du business
Vladimir Konobeyev
France:
des réalités sociales et politiques
Minsk-2004
Premiиre partie
Signes sociaux-culturels
1. Autonomie. Elle fut trop longtemps sacrifiée. La pretention du politique, vite contagieuse, a vouloir fabriquer le bonheur,sans trop se soucier de l'avis de ceux dont il se préoccupait ainsi, a fait de l'autonomie une non-valeur, au mieux une valeur seconde.
Chacun y a sa part de responsabilité. Au gouvernement par une élite, que la droite a toujours implicitement voulue, la gauche opposait l'exigence du collectif, même si sa finalité était la libération de l'individu. Si antagonistes soient-elles, ces deux conceptions se rejoignent au moins en cela qu'elles font peu de cas – et souvent pas du tout – du libre arbitre de chacun. Il est présumé stupide ici, et là illégitime : l'exercice d'une volonté propre doit s'incliner devant le chef ou bien le groupe.
II a fallu le double enseignement d'expériences douloureuses d'une part, et des moyens modernes de communication et d'action d'autre part, pour que tout ce qui compose notre société, enfin, puisse faire valoir son droit à l'autonomie. Autonomie du tissu social à l'égard de l'État, de l'entreprise à l'égard de l'administration, d'une collectivité petite à l'égard d'une plus grande, et de l'individu à l'égard du groupe. Autonomie croissante, surtout de la femme à l'égard des règles et coutumes encore trop souvent patriarcales qui nous régissent.
Reste maintenant à en tirer les conséquences. Elles sont dans l'équilibre délicat entre la définition conjointe des règles du jeu social et l'exercice du libre arbitre, qu'il soit celui de la personne, du groupe, d'un atelier, d'une entreprise ou d'une collectivité locale.
Les années récentes nous ont efficacement vaccinés contre les excès de l'étatisme puis contre ceux du libéralisme.
L'autonomie libère les énergies, permet à chacun de trouver sa
motivation propre. Mais plus cette autonomie est importante, plus
doit l'être également son corollaire : la responsabilité.
2. Chômeurs Quels que soient le sérieux et l'efficacité d'une politique en faveur de l'emploi la vérité oblige à dire que le nombre des chômeurs ne peut diminuer brutalement. La foi dans les miracles s'est dissipée, ce qui était un préalable aux efforts nécessaires, mais nous crée des obligations collectives.
Il est une chose contre laquelle l'esprit se révolte: qu'en France, à la fin du xxe siècle, il soit des gens privés de ressources et sujets à la grande pauvreté. Parce qu'ils ont perdu un emploi, ou n'ont jamais pu en trouver un, parce que les droits qui leur étaient ouverts ont pris fin, ils se trouvent privés de l'essentiel, souvent aussi de l'espoir de le reconquérir un jour.
La vie professionnelle de l'avenir ne sera sans doute plus aussi linéaire que celle qu'on a connue. Les phases de travail actif au sein d'une entreprise alterneront, de plus en plus, avec des phases de formation, de recyclage, de reconversion, voire d'inactivité relative. Et l'on changera d'entreprise de manière tout à fait habituelle.
Le problème n'est donc pas de prétendre offrir à tous un déroulement de carrière identique à celui que nous avons vécu jusqu'à une époque récente. Il est d'apporter à chacun la garantie que, s'il se trouve momentanément écarté du travail salarié, il ne soit cependant privé ni de ressources ni d'espoir de retour.
Cest à cela principalement que tient idée de minimum social garanti. Elle fait son chemin. Mais elle pose tant de problèmes qu'on ne voudrait pas d'une adhésion généreuse mais irréfléchie.
Le problème premier est évidemment celui du financement. Pour assurer à chaque ménage un revenu égal seulement à la moitié du SMIC, augmenté en fonction du nombre de personnes à charge, le coût s'élèverait, selon le détail des formules, de 5 à 8 milliards de francs par an.
Comment oublier que c'est, à peu près, le rendement qu'apportait avant sa suppression l'impôt sur les grandes fortunes ? Cela ne signifie nullement que ce financement doive se trouver seulement auprès des plus gros contribuables. Mais cela donne une référence utile : pour cette action, qui est prioritaire, les ressources indispensables peuvent et doivent être mobilisées.
Deuxième problème naturellement évoqué : l'instauration d'un minimum social donnerait l'habitude de l'assistance au lieu du goût du risque. Il n'y a pas de chômeurs heureux, du moins durablement.
La troisième objection tient à la crainte de voir se développer une nouvelle bureaucratie. Les réseaux communaux d'aide sociale sont parfaitement adaptés à la gestion d'un tel système, même s'il est clair que son financement doit être réparti entre la commune, le département, la région et l'État. Mieux que quiconque, les communes peuvent connaître les bénéficiaires des prestations et s'assurer de leurs droits. Mieux qu'à un autre niveau, les administrés peuvent vérifier par eux-mêmes la bonne utilisation des fonds recueillis grâce à leur solidarité.
Enfin, cette mesure serait d'autant plus efficace et d'autant moins coûteuse à terme qu'elle permettrait aux traitements économique et social du chômage de se compléter et se renforcer mutuellement : un chômeur auquel le minimum social ouvre la voie d'une formation est un chômeur qui accroît ses chances de retrouver un travail productif et d'élever la richesse nationale au lieu de peser sur elle.
3. Нôpital De la maison des pauvres, qui demandaient soins et assistance, à l'hôpital moderne, centre des techniques médicales de pointe, moins de cinquante années se sont écoulées. Moins de cinquante années durant lesquelles s'est créée la Sécurité sociale, durant lesquelles des personnels hautement qualifiés se sont substitués aux ordres religieux, durant lesquelles sont entrés en force dans l'exercice de la médecine les disciplines scientifiques et techniques et les équipements sophistiqués auxquels elles ont donné naissance, durant lesquelles, encore, le nombre des salariés a été multiplié par dix.
Cette croissance hospitalière, comme d'autres, fut financée par la croissance économique. Celle-ci n'est plus à la mesure de celle-là.
Les gouvernements de gauche ont introduit des réformes saines dans le financement, que leurs successeurs ne remettent pas en cause mais dont ils retardent l'aboutissement.
Pour l'avenir, l'essentiel n'est pas a priori de réduire ou d'augmenter les dépenses ; il est de justifier leur utilisation. L'essentiel n'est pas d'appliquer des textes, de se figer dans des nomenclatures ; il est de rendre des services médicaux à une population qui aspire à vivre mieux et plus longtemps.
Voilà pourquoi il faut donner une autonomie plus grande aux gestionnaires hospitaliers, en l'assortissant, en contrepartie, de techniques mieux éprouvées de contrôle a posteriori.
Pour chaque établissement, l'autorité de tutelle devra procéder, tous les trois ans, à un examen systématique de l'activité. Pour cela, il faut utiliser, dans le public comme dans le privé, les instruments existants qui permettent de connaître le coût des services et des pathologies traitées.
Les personnels hospitaliers, le corps médical en particulier, doivent savoir qu'une bonne gestion conditionne leur mieux-être. Chacun doit également savoir que l'universalisme de la Sécurité sociale – principe éthique en même temps que bienfait économique – est le plus efficace, non seulement pour la population mais aussi pour les professions médicales et pour les employeurs, comme le démontrent de nombreux exemples (ou contre-exemples) étrangers.
Il importe de relever ici que l'invention de réseaux de soins coordonnés, intégrant médecine de ville et médecine hospitalière, reste à faire. Moins que de grandes réformes, c'est d'expériences multiples qu'il s'agit avant tout. Chercher, imaginer, innover est aussi nécessaire dans ce secteur que dans les autres, et peut être largement aussi fructueux. La puissance publique doit le permettre et, pour cela, donner de l'autonomie
4. Servicenational. Depuis les soldats de l'An II, la tradition politique française a toujours considéré qu'il n'y avait d'alternative qu'entre l'armée de métier et l'armée de conscription. Pour des raisons tenant à l'histoire, toutes nos républiques ont toujours préféré la conscription, et le rôle positif joué par le contingent, il y a moins de trente ans, lors du putsch des généraux d'Alger, n'a fait que renforcer ce choix.
Ainsi, toute amputation, en temps ou en hommes, du service national, a toujours été perçue comme un pas vers une armée exclusivement composée de professionnels.
Tout le monde sait désormais que l'alternative n'est pas aussi tranchée, que si le nucléaire ne peut être manié par le contingent, en revanche il est bien des aspects de la défense qui n'exigent pas une égale spécialisation et, partant, n'exigent pas nécessairement une longue période de préparation Sur le sens, il y a au moins trois types de fonctions : l'affectation dans des unités traditionnelles, l'affectation volontaire au sein de la gendarmerie et de la police, ou encore des tâches spécifiquement civiles, qu'il s'agisse de la coopération ou de la prévention des catastrophes naturelles.
S'agissant de la localisation des affectations, il existe deux voies qui doivent être particulièrement explorées. La première consiste à rechercher des solutions européennes pour faire en sorte que puissent servir dans les mêmes unités les appelés originaires des diverses nations qui connaissent la conscription. La seconde tendrait au contraire à permettre un casernement aussi proche que possible du domicile habituel, de sorte que soit clairement perçue, et judicieusement inspirée, la nécessité de défendre l'environnement familier.
5. Suffrage universel. Voilà des dizaines d'années que la science politique tente, sans succès, de découvrir les motivations profondes qui font le vote. Nous-mêmes ne savons pas toujours ce qui en réalité nous détermine et moins encore ce qui anime notre voisin. Parfois des indices sont donnés, et il arrive qu'on trouve les raisons décevantes ou curieuses.
Non seulement le suffrage universel est légitime, mais il est efficace. Il délivre des messages d'une clarté indiscutable et prend des décisions dont l'histoire se charge de démontrer le bien-fondé, même à ceux qui ne l'avaient pas initialement perçu.
La démagogie a beaucoup moins d'emprise qu'on ne croit Ceux qui en font preuve et sont élus le sont malgré elle – parce que leurs adversaires ont été jugés moins bons encore – et non grâce à elle.
France ne sera jamais lancée dans une aventure par la voie du suffrage universel.
La grande leçon des dernières décennies, que d'autres avaient déjà pressentie mais que notre démocratie a confirmée, c'est que personne n'est plus intelligent que tout le monde.
6. Vulgate Toute finalité réside dans l'homme et non dans un système, même si l'organisation sociale peut aider l'homme à se perfectionner.
Le bonheur n'est pas affaire du politique, tandis que le malheur en relève souvent, pour ses causes et pour ses remèdes.
Seule la mort est fatale, et nullement la détresse, la violence, la misère.
Le cœur et la raison sont conciliables et s'enrichissent mutuellement. La raison peut être généreuse et le cœur efficace.
L'attachement à ce qui est consenti est supérieur à la force de ce qui est imposé.
Le respect de l'autre est nécessaire aux contrats, et les contrats nécessaires au progrès.
La vérité, la justice et la démocratie sont tout ensemble une morale, une méthode et un but.
7. Université C'est par tradition que de grands pays développés ont toujours apporté à leur université des soins, des efforts, de l'argent. Jamais riche, l'enseignement supérieur français a vu sa situation empirer. Quand triplait le nombre d'étudiants, les ressources ne faisaient que doubler.
Il faut toute l'intelligence, tout le talent de ceux qui, en son sein, font effectivement de la recherche, pour parvenir à ce résultat miraculeux qui fait que l'université française continue de jouir à l'étranger d'une réputation prestigieuse. "Mais ce n'est pas dans les finances que réside le problème majeur, même si on ne peut pas à en nier l'importance.
Il est plutôt dans la définition d'une politique de formation qui soit assez généralement admise pour qu'on cesse de refaire loi sur loi, assez ambitieuse pour mobiliser les énergies nécessaires, et assez efficace pour démontrer à qui en doute que l'argent investi l'est bien à bon escient.
Cela exige d'abord le rappel bref de quelques évidences.
Première évidence : la France n'a pas trop d'étudiants, au contraire elle en manque. Par rapport aux pays comparables, le nôtre offre des formations supérieures à beaucoup moins de jeunes, ce qui se répercute ensuite dans la compétitivité des entreprises.
Deuxième évidence : il ne faut donc en aucun cas rendre plus difficile l'accès à l'université, et le pacte qui fait du baccalauréat le ticket d'entrée doit naturellement être sauvegardé.
Troisièrne_évidence : la sélection en cours d'études doit être stricte, et rien ne serait plus dommageable à tous que de dévaloriser les diplômes par une formation au rabais. Le problème n'est donc pas de les rendre plus faciles. Il est d'une part de mieux préparer les étudiants à en affronter les épreuves. Il est d'autre part de faire en sorte que ceux qui échoueront n'aient pas perdu leur temps.
Quatrième évidence : il faut orienter les étudiants d'une double manière. À l'entrée à l'université, par l'information exclusivement, non pas en leur fermant des portes mais en leur faisant connaître les débouchés existant dans chacune des filières, parce que eux-mêmes sont assez conscients pour n'emprunter les voies les plus étroites qu'en en mesurant les risques. En cours d'études ensuite, en leur offrant des perspectives leur permettant de rentabiliser ce qu'ils ont déjà fait, pendant une année, ou deux, ou trois, au moment où un échec leur interdit d'aller plus avant dans la voie qu'ils avaient prioritairement choisie, ou encore au moment où ils découvrent s'être trompés de voie.
Cinquième évidence : mettre en avant l'idée de cette orientation sans avoir préalablement créé les filières qui lui sont nécessaires relève de la plus parfaite hypocrisie, n'orienterait que vers le vide et n'engendrerait que des orphelins de toute formation.
8. Service public C'est avant tout le service du public. Les activités qu'il lui revient de prendre en charge sont de celles que seule la collectivité peut assumer dans des conditions qui satisfassent aux exigences d'égalité, de continuité et d'adaptation.
Initialement limité aux tâches qu'il n'était pas possible d'abandonner à l'initiative privée et à ses règles (défense, police, justice, monnaie...) il s'est peu à peu étendu à des activités qu'on ne jugeait pas souhaitable de laisser entre les mains du privé. De ce fait, on est passé de l'indiscutable au discutable, du constat à l'appréciation, et la comparaison avec les solutions étrangères montre bien que plusieurs réponses sont concevables.
Toutes les positions intermédiaires sont imaginables, entre le collectivisme absolu – tout est service public – et le libéralisme dogmatique – seuls sont services publics ceux que l'intérêt du privé lui-même exclut qu'il les prenne en charge, soit parce qu'ils ne sont pas rentables, soit parce qu'il faut bien qu'existe une autorité garante de l'ordre social.
Généralement, les pays d'Europe ont des services publics très étoffés. La différence entre eux tient moins au nombre ou à l'importance qu'au niveau auquel ils sont gérés (central ou décentralisé) ainsi qu'à la situation faite au personnel (statut ou contrat de travail ordinaire).
Pour la France, il est de bon ton, depuis quelques années, de se gausser du service public, de ses lourdeurs, de ses dysfonctionnements, tout comme il est de bon ton de railler les fonctionnaires, ces «nantis» qui à l'occasion de chaque grève prendraient les usagers en otages.
Pourtant, c'est bien souvent grâce au service public que des performances notables ont été accomplies. Soit directement, lorsque par exemple le branchement d'une ligne téléphonique est désormais quasi immédiat ou que le trafic ferroviaire permet d'acheminer à peu près n'importe quoi en n'importe quel lieu du territoire. Soit indirectement, lorsque l'existence du service public permet au privé de profiter de ses prestations et, en conséquence, de se consacrer à ses propres missions.
9. Etat. Tout lui fut imputé, succès comme échecs, et les seconds surtout car il est bien connu que provoque moins de bruit le plaisir d'une réussite que le désagrément d'une faillite. Nous disposons en effet d'un appareil public d'une conception vieillie. La puissance publique reste à peu près celle de l'État napoléonien, le service public reste à peu près celui de l'État-providence quand l'un et l'autre ont été mis à mal. Rien de cela n'est plus adapté au monde actuel, moins encore à celui de demain : l'ouverture des frontières, le développement d'une société de communication, sont radicalement incompatibles avec toutes les formes de monopole, qu'il s'agisse de monopoles économiques ou même du monopole de définition de l'intérêt général.
Aussi l'Etat doit-il être réorganisé profondément, avec comme objectifs évidents ceux de la justice et de l'efficacité. Reconstituer le lien social, définir des politiques publiques qui servent de référence à tous et qui soient mesurées pour préserver les chances de chacun, voilà qui n'est simple qu'à dire. Mais si la rénovation de l'État ne peut être le centre de tout projet futur, elle doit être au centre de tout projet futur.
Passer de l'État producteur à l'État régulateur, de l'État tutélaire à l'État-vigie, de l'État puissance à l'État acteur, se heurtera à bien des résistances. D'abord réfléchir à l'étendue et aux contours de ce que doivent être les missions publiques. Substituer progressivement à la gestion directe l'intervention, à l'intervention l'incitation, à l'incitation la régulation, au fur et à mesure que les acteurs sociaux, économiques et culturels se révèlent aptes à se saisir des tâches d'intérêt collectif. Puis envisager pour l'action de l'État un début et une fin, de sorte qu'il sache quand ses interventions doivent cesser dans un domaine pour se reporter sur un autre, et être guidé par la nécessité plus que par l'habitude.
À cet État régulateur, qui ne tenterait pas de tout faire par lui-même, trois missions essentielles sont assignées : assurer les sécurités de base par une solidarité active (libertés, santé, retraites...); prévenir ou réduire les déséquilibres économiques ; entretenir les moyens de préparer l'avenir (formation, recherche, principalement).
L'État-vigie se différencie de l'État tutélaire par la conception même de ses rapports avec les citoyens. Il est de la logique de toute institution, surtout quand elle a pris les dimensions de notre administration, de perdre la conscience de l'intérêt en vue duquel elle a été créée, pour y substituer ses propres intérêts, ses propres logiques, ses propres pesanteurs.
10. Démocratie. C'est à Churchill qu'on attribue la vieille boutade : « La démocratie est le pire des régimes, excepté tous les autres. » Elle illustre bien les difficultés que connaissent ceux qui ont à conduire un pays libre, se trouvent soumis en permanence à la critique, et parfois perdent le pouvoir pour n'avoir su convaincre, lors même que la suite prouverait qu'eux seuls avaient raison.Depuis plus de deux siècles, elle est considérée comme une forme de luxe : seules les nations prospères peuvent vivre dans un système démocratique. La démocratie a besoin de civisme ; le civisme exige le pain et l'alphabétisation ; eux-mêmes nécessitent un minimum de développement collectif. Dans l'attente de celui-ci, la démocratie n'est au mieux qu'un espoir. Ensuite seulement – dans un ensuite sans cesse remis au lendemain – tout viendra d'un seul coup et la liberté couronnera la richesse. Aux pays pauvres, les gouvernements autoritaires, seuls possibles et seuls capables de conduire le processus du développement
Fariboles! Ce que les démocrates eux-mêmes ne soupçonnaient pas toujours, ce que les autres niaient, se révèle aujourd'hui aux regards attentifs : la démocratie n'est pas la conséquence du développement, elle en est le meilleur outil.Les pays sortis des dictatures, quelles qu'en soient les conditions, sont ceux dont l'activité économique est la plus vivace. Végétative ou bureaucratiquement contrainte dans un cadre abusivement autoritaire, la démocratie retrouvée lui est un stimulant, les arbitrages du marché un aiguillon et le plan, quand il existe, lui donne une cohérence.
11. Dйcentralisation. On n'en est pas quittes. Beaucoup a été fait et, sur cela, on ne reviendra pas. Mais l'œuvre passée ne nous dispense pas du travail futur. La centralisation est encore dans les têtes – celles des élus eux-mêmes en premier lieu. Le niveau a changé, passant de l'État aux collectivités locales. Le principe est trop souvent demeuré identique : tout le pouvoir remis à un appareil qui est, dans le pire des cas, rétif à la participation civique et, dans le meilleur, incapable de la provoquer. Le problème essentiel demeure. Il faut passer des attributions déléguées – la forme actuelle de la décentralisation – aux compétences pleinement assumées.
Lorsqu'il sera clair pour chacun que la qualité de la vie quotidienne est de la responsabilité des communes, que l'innovation en matière de protection sociale – 4e âge, handicapés, prévention de la délinquance et de la drogue – est départementale, que l'animation du développement économique, incluant la recherche appliquée, la formation et le financement de la création, est régionale, alors l'État sera désencombré de tâches qu'il accomplit mal. Il pourra se concentrer sur les siennes propres. Il lui restera à garantir un niveau minimal de prestations et à assurer les répartitions nécessaires. Plutôt qu'au national libéralisme d'État sous lequel nous vivons, nos concitoyens aspirent à une vraie libéralisation des comportements quotidiens et des décisions à la base, accompagnée par un État qui, lui-même, ne renonce pas à sa responsabilité de fixer des règles du jeu équitables.
12. Еurope. Voilà nos vraies frontières. À ces 320 millions de femmes et d'hommes qui peuplent un espace exigu mais que soudent des siècles d'une histoire commune, le patrimoine d'une immense culture, à ces 320 millions de femmes et d'hommes, rien n'est impossible.
D'où vient alors que, trente ans après le traité de Rome, l'édification ait si peu avancé ? On y voit une double cause.
La première tient à ce qu'on a fait les choses à rebours. Parce que la création d'une Europe politique était malheureusement impossible si peu de temps après la guerre, les pères fondateurs ont dû se contenter d'actions sectorielles. Elles ont produit des résultats dont certains furent grandioses mais dont aucun, jamais, ne pourra suppléer une volonté politique commune que le Marché commun, et son cortège d'égoïsmes nationaux, n'a pas vraiment fait naître.
Pour surmonter ce handicap, il fallait une pression très forte des opinions publiques nationales. Et celle-ci, longtemps, n'a pas existé pour une raison laquelle est la seconde cause de stagnation.
Rappelons-nous : dans les vingt dernières années, le discours européen s'articulait presque exclusivement autour de l'alternative "l'Europe ou la mort". Déclinée sur tous les modes, illustrée de toutes sortes d'exemples, elle était présentée comme le motif principal rendant nécessaire la construction européenne. Mais si fondés qu'en soient les arguments, si pertinentes les démonstrations, ce discours ne peut pas convaincre parce qu'il est négatif.
Complexée à l'égard des États-Unis par un sentiment de vieillesse, complexée à l'égard du Tiers Monde par le souvenir du colonialisme, complexée à l'égard de la planète entière d'avoir été le lieu où commencèrent les guerres mondiales, l'Europe, pendant des décennies, a voulu timidement se faire pardonner d'exister, a trouvé beau ce qui venait d'ailleurs pour cela seul que ce n'était pas d'elle.
Mais le moment est venu d'une Europe décomplexée.Car enfin, faut-il avoir honte de dire que nous voulons cette construction non pas parce qu'elle est vitale, mais tout simplement parce qu'elle est belle ? Revenus d'un sentiment d'infériorité pleurnichard, nous avons toutes les raisons de penser et de dire que l'Europe, c'est au monde l'endroit où il fait le meilleur vivre.
Elle a la liberté. Elle a la richesse. Elle a la protection. La liberté, sans laquelle il ne fait pas bon vivre. La richesse, sans laquelle la liberté est formelle. La protection, sans laquelle la richesse est oppressive. À l'Est, manquent les droits de l'homme. Au Sud, manque le développement. À l'Ouest, manque la protection sociale qui corrigè les injustices de la nature et de l'économie. Et en Europe occidentale seulement on trouve, à un tel niveau, la liberté flanquée de l'opulence d'un côté, de la solidarité de l'autre, et le tout couronné d'une richesse culturelle sans équivalent.
13.Santй. Ce qui devrait être la source d'une joie sans mélange devient la cause d'inquiétudes grandissantes. L'élévation du niveau sanitaire a permis d'augmenter l'espérance de vie des femmes et des hommes. Ils vivent mieux et plus longtemps, et s'il est un signe auquel se mesure le progrès, c'est bien celui de ce double resultat.
Les causes du développement des dépenses de santé sont multiples, parfois inattendues, tantôt communes à tous les pays occidentaux, tantôt propres à la France.
Les causes communes tiennent d'abord à une demande accrue de soins qu'il faut avoir le courage d'évoquer avec une froideur clinique.
Premièrement, la population vieillit, et les personnes âgées consomment naturellement près de deux fois plus de soins que la moyenne. Deuxièmement, des affections qui, autrefois, entraînaient un décès rapide sont aujourd'hui soignées, mais le sont au prix de traitements longs et coûteux. Troisièmement, les conditions de la vie moderne sont pathogènes (accidents de la route, modification du régime alimentaire, conditions de travail, etc.). Quatrièmement, le seuil d'acceptation de la douleur et de l'inconfort s'est abaissé. Cinquièmement, enfin, nombre de problèmes sociaux ou psychologiques, qui jadis n'étaient pas pris en charge ou l'étaient d'une autre manière, sont désormais médicalisés (hébergement des personnes âgées, traitement de l'angoisse, de la toxicomanie, de l'alcoolisme, des difficultés familiales, voire sexuelles...).
Mais l'accroissement considérable des dépenses de santé ne tient pas seulement à la demande, nouvelle ou rénovée ; elle tient aussi à l'offre, et particulièrement au rôle grandissant des établissements hospitaliers.
L'extension de l'assurance maladie a permis d'assurer à toute la population un véritable droit aux soins. C'est un progrès social essentiel que celui qui a fait passer de 29 millions en 1955 à 53 millions aujourd'hui le nombre de personnes couvertes par cette assurance. Mais on ne saurait s'étonner de ce qu'il contribue, dans une proportion difficile à apprécier, à accroître la consommation médicale.
14. Idйologies. «Ensemble d'idées, d'opinions, constituant une doctrine » selon le Petit Larousse. Le langage courant rassemble sous ce ,terme les systèmes articulés d'idées prétendant à une philosophie du monde et de la vie. Intégrées à un projet politique, les idéologies se sont, au long de l'Histoire, révélées d'une nuisance extrême à la fois par le fanatisme auquel appelle leur caractère global et par l'autoritarisme auquel leur systématisme les incite pour combattre toute résistance, des faits ou des hommes. L'idéologie produit de la violence soit parce qu'elle la revendique (Hitler, Khomeiny), soit parce qu'elle l'accepte comme moyen (Staline).
Or aucune expérience ne permet d'enregistrer une harmonie naturelle ni entre individus ni entre États. Les rapports naturels sont des rapports de force, les relations spontanées sont de domination. Force est de constater que la liberté de chacun s'accommode mal de celle d'autrui.
À l'évidence, l'homme a besoin de rêve pour soutenir son action, tout comme les peuples pour conserver leur cohésion. Mais il est nécessaire d'équilibrer l'élan du rêve dans une architecture sociale pour défier l'aspect destructeur qu'il charrie immanquablement.
L'homme aspire à la liberté, mais sa liberté ne se conçoit que par rapport à un cadre. Il lui faut des bornes pour qu'elle puisse s'appréhender comme telle, sans quoi elle n'est que désorganisation et anarchie, sans quoi triomphe la loi du plus fort.
Imputer à la propriété privée la responsabilité de la violence, c'est inverser la relation de causalité. La propriété privée est un instrument puissant de cette violence, son levier d'action, mais non sa cause. La même perversion intellectuelle conduit à accuser la planification d'amoindrir l'esprit de solidarité, à faire croire que les égoïsmes individuels sont exacerbés car acculés à lutter contre des organisations qui broient la personne, alors que c'est l'oubli de la violence des hommes qui conduit le système à devenir autoritaire pour les rendre bons, ce qui à l'évidence ne marche pas.
La conclusion est limpide : le mal à être ne peut se réduire aux insuffisances de l'avoir. Et l'organisation sociale sera d'autant moins oppressive que, prenant l'homme tel qu'il est pour le conduire seulement à respecter ses semblables, elle ne prétendra point le façonner à l'image d'un projet mythique.
15. Mode de scrutin. Il est des moments dans la vie où chacun fait des choix. Les criitères peuvent en être l'efficacité, le goût, l'opportunité ou bien d'autres encore. Mais il est un mobile qui domine tous les autres – au point que ce qu'il dicte relève à peine d'un choix —, c'est la fidélité à des principes.
La France est confrontée à l'un des défis les plus grands d'une histoire qui, pourtant, n'en fut jamais avare. Pour relever ce défi, notre pays a en tout cas besoin de fermeté dans sa conduite. Cela peut n'être pas suffisant, nul ne doute que ce soit nécessaire.