Текст книги "Франция: Общественно-политические реалии"
Автор книги: Владимир Конобеев
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Tout cela se trouvait encore aggravé par un curieux comportement national à l'égard de l'argent. Est-ce à l'Église que nous le devons? Le tempérament rural y a sa part également. Le goût excessif du secret, l'opprobre collectif à l'encontre du profit, ont contribué aussi à dégrader l'image générale. Très logiquement, par voie de conséquence, l'organisation patronale dispose, en France, d'une représentativité, d'une capacité à être obéie par ses membres, d'une autorité pour négocier, très inférieures à ce que connaissent tous les autres pays développés. Cela compte beaucoup dans nos difficultés nationales.
Pour la gauche, tant syndicale que politique, l'entreprise fut longtemps un champ de bataille, bien plus qu'une unité de production. Les moyens de l'entreprise étaient confondus avec la fortune du patron.
L'opinion enregistre: parmi les personnalités connues figurent désormais des capitaines d'industrie. Tandis qu'il y a trente ans un sondage révélait qu'au sein des grandes écoles d'ingénieurs 3 % des élèves souhaitaient créer leur propre entreprise, ils sont aujourd'hui plus de 40 %. Les prouesses techniques ou commerciales, enfin, prennent rang dans la liste des sujets de fierté nationale.
Dans nos sociétés en voie d'atomisation, où la cellule de base se limite au couple avec ou sans enfants, l'isolement s'aggrave. Paroisse et village tendent à disparaître, le quartier ne vit guère. L'entreprise est aujourd'hui, pratiquement, la dernière communauté d'hommes et de femmes. Elle le supporte mal, n'est pas faite pour cela ; la charge psychologique est trop lourde quand elle est d'abord préoccupée de survivre à une concurrence effrénée.
De plus, les besoins collectifs augmentent trop vite, que seule peut satisfaire la taxation de la production. Au-delà d'un certain seuil, le développement en est entravé. Nous y sommes à peu près.
L'économie d'entreprise – le capitalisme – a pris son essor dans l'Europe du Nord. On a longtemps cru l'Europe du Sud porteuse d'un maléfice à cet égard. La présente décennie bouscule des idées reçues. Le dynamisme, la volonté d'entreprendre, apparaissent en Espagne, en Italie, en France, tandis que rigidifient les sociétés du Nord, l'américaine comprise au moins en partie. Mais si l'Espagne et l'Italie enregistrent un progrès au niveau du pays tout entier, la France, globalement, piétine et prend du retard. Tout se passe comme si la pesanteur de nos structures nationales, État, administration, école, corporatismes, castes, excès de réglementation, paralysaient encore largement le dynamisme de notre appareil productif. Ce n'est pas au sommet qu'il faut du libéralisme. Plus que jamais l'Etat doit être attentif aux règles du jeu. Mais à la base, là où l'on travaille et produit, il faut désentraver. C'est l'aventure de demain et la perspective de mobiliser toutes les intelligences du pays.
Le social, aujourd'hui, tient l'économique, parce qu'il n'est d'effort que consenti. La collectivité peut et doit soulager, dynamiser, ses entreprises. Alors seulement celles-ci trouveront toute leur place dans l'ensemble social, et toute leur dignité aussi, si elles assument pleinement leurs responsabilités.
30. Président de la République. Il ne doit pas tout faire parce qu'il lui faut incarner la France dans son unité, dans son avenir, dans son mouvement. Veillant à l'essentiel, qu'il s'agisse de le préserver ou de le conquérir, le subalterne n'est pas son fait et il doit être attentif à ne pas capter ce qui relève de la compétence d'autres acteurs.
Il ne doit pas tout faire tout seul, car il est bien des domaines où sa compétence se limite à définir les lignes et à donner l'impulsion. Son efficacité alors se mesure moins à son action personnelle qu'aux relais dont il sait l'entourer, à l'écoute qu'il maintient, à la proximité qu'il conserve avec les Français, lors même que la pente naturelle de la fonction est de l'éloigner d'eux.
Il doit faire, car il n'est pas élu seulement pour être là. Porteur d'une vision, à tout le moins de perspectives, il n'a pas seulement pour fonction de regarder la France évoluer, le gouvernement gouverner, en se bornant, ça et là, à émettre quelques opinions. Il lui faut aider le pays à mettre en œuvre une politique dynamique qui contribue à régler les problèmes et non à les gommer.
Il doit faire seul parfois, car il est quelques décisions qui lui reviennent en propre, qu'il ne peut déléguer, pour lesquelles il peut interroger, consulter, écouter, mais qu'il doit être en mesure de prendre seul en dernière analyse, sans autres secours que ceux de sa conscience, de son intelligence, de sa préparation.
31. Premier ministre. Constitutionnellement, il dirige l'action du gouvernement, est responsable de la défense nationale, assure l'exécution des lois, et, sous réserve des pouvoirs dévolus au chef de l'État, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.C'est dire à quel point son rôle est fondamental. Le poids du président de la République ne doit jamais faire oublier que le chef du gouvernement est, au mieux, son intermédiaire obligé, au pire, son rival au sein de l'exécutif.
Juridiquement, le président de la République n'a de pouvoirs propres qu'en nombre limité. Si, naturellement, son influence s'exerce bien au-delà de ce que la Constitution lui attribue, c'est dans la mesure (et dans la limite) de la subordination politique qu'il peut imposer au Premier ministre. Que cette subordination politique disparaisse (c'est le cas depuis mars 1986), et les pouvoirs du chef de l'État se réduisent brutalement, même s'ils restent importants. Que cette subordination dure, et le chef de l'État peut prendre les décisions qu'il souhaite, mais presque toujours à condition que le Premier ministre leur donne la force juridique.
Dans cette dernière hypothèse, le Premier ministre peut difficilement refuser de faire ce que le président attend de lui. Ou, plus exactement, il pourrait juridiquement refuser (les pouvoirs qu'il exerce sont les siens, et le président n'a pas le pouvoir de le révoquer), mais politiquement il ne le peut généralement pas.
Dans ces conditions, les deux seules assurances dont le président dispose quant à la subordination du Premier ministre résident d'une part dans la loyauté de ce dernier, d'autre part dans ceci que la majorité parlementaire est généralement plus fidèle au chef de l'État qu'à celui du gouvernement.
Potentiellement, ils sont rivaux en attributions tout d'abord, car il est bien normal que le chef du gouvernement s'estime apte à la plus grande autonomie. Rivaux en popularité ensuite, car leurs deux courbes sont présentées côte à côte sans pour autant évoluer toujours parallèlement. Et parfois même rivaux en intérêts, car le président de la République est naturellement conduit à voir dans son Premier ministre un successeur possible, tout comme ce dernier peut aspirer à l'etre.
Ainsi le Premier ministre a-t-il, par définition, une position délicate. Même dans l'ordre coutumier des choses, c'est-à-dire lorsqu'il est celui que le président a effectivement choisi sans qu'il lui soit plus ou moins imposé par les circonstances, il lui faut appliquer efficacement une politique dont il approuve les orientations sans, cependant, déterminer les grandes lignes.
32. Egalité. L'inégalité n'est qu'un autre nom de la différence. Mais l'une est rejetée quand l'autre est cultivée. En fait, pour mieux servir l'égalité, mieux en cerner le sens et préciser la portée, il faut un instant l'oublier pour lui préférer la notion d'indépendance. Ce qui est intolérable, en effet, n'est pas en soi l'inégalité.
C'est un lieu commun de rappeler qu'il n'est au pouvoir de personne d'imposer une stricte égalité d'intelligence, de force, de moyens, etc. Mais ce qu'aucun socialiste, en tout cas, ne saurait accepter, c'est l'idée que ces inégalités emportent dépendance, que celui qui est faible dépende de qui est fort, que celui qui est pauvre dépende de qui est riche, que celui, qui est inculte dépende de qui est cultivé. Il va de soi que ce qu'est dit pour des hommes vaut aussi pour les nations.
Aussi l'égalité trouve-t-elle sa traduction première en droit. Dans ce domaine, ce qu'un homme peut, un autre doit le pouvoir aussi, à charge pour chacun d'utiliser son droit au mieux de ce que lui suggèrent son désir, son intelligence, son intérêt.
L'égalité de droit, ainsi conçue, n'est pas une fin mais un point de départ. Préparée par l'abolition des privilèges dans la nuit du 4 août, proclamée par la Déclaration des droits quelques semaines plus tard, l'égalité des droits est chose faite en France depuis bientôt deux siècles. Encore faut-il remarquer que pendant près de cent ans on a sans complexe parlé de suffrage universel, alors que les femmes en étaient exclues, qu'on leur refusait le droit de vote. Curieuse "universalité" qui excluait ainsi la moitié de ses membres!
Auguste Comte l'avait senti, qui définissait l'égalité comme l'accessibilité de tous à l'inégalité.
Aujourd'hui, le problème est ailleurs. Nous reconnaissons, nous acceptons, que chacun puisse par des voies différentes, rechercher son propre épanouissement.Toutes acceptables des lors qu'elles ne nuisent à personneet s'exercent dans le cadre de nos lois.
Poursuivre au-delà du droit, au-delà de la formation, la quete de l'égalité,vouloir l'imposer quand chacun, par gypothèse, n'a de comptes à demander qu'à lui-meme sur ce qu'il a fait de sa vie, c'est faire du systeme politique une machine de nivellement,un pot -pourri d'aigreurs, un éteignoir d'ambitions.
33. République. À voir certains de nos voisins, de nos amis, on peut parfaitement vivre en monarchie. Les libertés y sont égales, la démocratie comparable et parfois même plus ancienne, et le peuple est le souverain réel. Si le pouvoir royal semble une survivance, elle a cela de bon qu'elle est garante d'un état d'esprit que les siècles ont forgé, que dans la reine ou bien le roi c'est un pays qui se reconnaît, et qu'il n'est
pas nécessaire de chercher ailleurs un symbole d'unité que la couronne
suffit à offrir.
La République et la démocratie sont nées ensemble, l'aune del'autre. C'est la démocratie qui inspirait, la République qui agissait. On situe naturellement cette naissance à la IIIe, car si les précédentes, malgré les tares dont certains veulent aujourd'hui les affubler, avaient failli dans leurs espoirs, la France le devait à la violence des réactions qu'elles avaient suscitées bien plus qu'à quelque manque de générosité, d'élévation, des révolutionnaires, ceux notamment qui ont enrichi le monde de cette merveille qu'est la Déclaration de 1789.
Lorsque, à la fin du siècle précédent, les pères fondateurs ont enraciné l'idée républicaine, ils ont, à cent ans de distance, répondu au souhait de Saint-Just : "Pour fonder la République, il faut la faire aimer".
Le mot suggère plus qu'il ne dit. Il évoque à la fois une hauteur de vue un peu austère – celle d'un Jules Ferry – et une truculence bonhomme– celle des radicaux de la grande époque —, le courage dans l'épreuve – Léon Blum au procès de Riom —, une énergie farouche dans la guerre – Clemenceau – autant que dans la paix – Mendès France —, le sens des responsabilités des fonctionnaires en même temps que l'intransigeance sur les libertés.
34. Laicité. Elle est encore une idée neuve. Les nécessités de l'Histoire, celles de la lutte contre la religion d'Etat, ont à l'excès amalgamé laicité avec anticléricalisme au point que s'est opacifiée la signification d'origine, qui est de n'etre contre aucune croyance mais en dehors de toutes. La laicité les respecte mais leur refuse le droit de s'imposer dans les affaires publiques.
Celui auquel sa religion interdit le divorce, l'interruption volontaire de grossesse ou la consommation d'alcool est fidèle à lui-meme en les refisant. Il peut etre encore fidèle à lui-meme en tentant de convaincre autrui de faire de meme. Mais il est une limite qu'on ne saurait franchir: celle à partir de laquelle ces préceptes deviendraient des obligations pour ceux qui n'ont pas ces croyances.
Or des malentendus persistants ont obscurci le sens du mot et fait douter de l'mportance qu'il y a, pour la République, à en préserver la valeur. La Laicité désigne la finalité poursuivie par nos lois, et par les institutions qui les servent: les régles communes qui régissent la vie sociale, là où peuvent intervenir des croyances, doivent etre assez claires pour assurer la cohésion nationale et le dynamisme collectif; il leur faut en meme temps etre neutres et tolérantes, pour assurer le respect des conviction privées.
Il en résulte des obligations précises, concernant la famille, la santé ou l'école notamment. Il n'en découle pas de conséquences particulières sur la nature des institutions ou organismes chargés de ces taches. Ja laicisation progressive de l'hopital n'emporte aux yeux de personne la disqualification des ordres religieux dans le domaine de la santé.
Reste l'école. La France vit en ce moment un armistice médiocre, à l'ombre duquel murissent des reves tantot de revanche et tantot de victoire éclatante. Soyons clair: tout comme il existe des servitudes de sécurité pour quiconque transporte du public, participe au servise public du transport, meme s'il s'agit d'une campagnie privée, tout établissement aellant du public à des fins d'enseignement, qu'il soit lui-meme public, privé non lucratif, privé lucratif, doit integrer aux finalités qu'il poursuit celle que la loi commune donne au service public d'enseignement. Neutralité devant les croyances, égalité des diplomes, programmes comparables, qualifications équivalentes des maitres sont autant de conditions nécessairas pour préserver en France l'unicité relative de l'enseignement et éviter que se multiplient les écoles ghettos, créatrices d'intolérance ou d'incompréhesion.
35. Liberté. II paraît qu'il en est de formelles. Certes, on connait l'argu ment : que signifie la liberté de la pensée pour qui est harassé par un travail pénible, la liberté de déplacement pour qui n'a pas les moyens de sortir de chez lui, la liberté d'opinion pour qui sait que le pain de sa famille dépend d'une décision d'un employeur, la liberté d'expression pour qui a bien du mal à maîtriser la sienne?
Mais à vouloir mettre la charrue de la prospérité avant les bœufs de la liberté, on écrase la liberté et on détruit toute prospérité. L'Histoire l'a démontré : elles sont indissociables.
Alors, assez de ces qualificatifs un peu condescendants, «liberté formelle », « liberté abstraite », « liberté bourgeoise », assez de cette opposition factice entre liberté individuelle et liberté collective. La liberté est une. Elle est ou elle n'est pas.
De quelle liberté s'agit-il ? La France, peuple de droit écrit, a produit là-dessus des textes inestimables. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 mériterait d'être connue de tous. Encore faut-il la compléter des apports ultérieurs, ceux que rappellent les préambules constitutionnels de 1946 et 1958.
Tout cela se retrouve dans un admirable document, que le monde doit à René Cassin et auquel lui-même a dû son prix Nobel de la paix : la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'ONU en 1948.Voilà ce qu'est le minimum de civilisation: le pain et la Déclaration des droits. On peut dire autreument: c'est là le minimum ; au-delà de celui-ci, on discute, on argumente, on critique, on améliore. En deçà, on combat.
36. Solidarité. Elle est un pari sur l'homme, un de plus, mais sur qui d'autre parier ? Pari sur sa raison et pari sur son cœur. Si l'homme, comme on a parfois la tentation de le croire, ne fait bien que le mal, alors oublions la solidarité et cherchons autre chose. Mais s'il est aussi capable du meilleur, s'il est assez conscient pour vouloir maîtriser ses pulsions mauvaises, invité à le faire par cette belle façonneuse qu'on appelle la civilisation, alors la solidarité est justement ce qui le distingue, mieux que ne font les mains ou le langage, des autres animaux. On ignore si le sentiment de solidarité relève de l'acquis ou de l'inné. Seul importe qu'il soit et que nous l'encouragions. Savoir qu'à l'échelle de l'espèce il n'est pas de sauvetage individuel, qu'aider les autres c'est également s'aider soi-même, voir que l'égoïsme peut être productif dès lors qu'on a compris qu'on ne peut généralement le satisfaire si les autres ne le peuvent aussi, voilà bien des prises de conscience qui sont dans l'air du temps, qu'il faut accélérer. Si le cœur ne suffit pas, la raison est prête à la rescousse, tant il est évident que, même économiquement, le bien-être de chacun dépend d'un minimum pour tous
La solidarité avance, dont chaque jour apporte témoignage. Mais il nous faut savoir qu'elle ne limite ni son champ ni son ambition à la préservation de notre système de protection sociale. Il n'est aucune activité, aucun secteur, aucune dimension, dont la solidarité soit absente ou puisse le demeurer.
Qu'il s'agisse de l'aide au Tiers Monde ou de l'harmonie d'un concert symphonique, du sort des personnes très âgées ou d'une rencontre sportive, de la lutte pour l'emploi ou même d'une traversée de l'Atlantique en solitaire, chacun de nous est lié aux autres par des solidarités multiples, des dénominateurs communs plus grands qu'on ne les perçoit.
Ce que John Donne, repris par Hemingway, disait du glas («ne cherche pas pour qui il sonne, il sonne pour toi»), est vrai aussi de la vie, du travail, de la générosité: ne cherchez pas pour qui un autre, si éloigné soit-il, travaille, vit ou donne: il le fait pour vous, comme vous le faites pour lui. Ainsi l'exige la loi du genre humain.
37. Socialisme. Au commencement du socialisme moderne est la social-démocratie. Elle fut la rencontre entre une grande tradition humaine et un certain type d'organisation sociale.
La grande tradition humaine, largement internationale, est celle qu'ont nourrie tous ceux qu'animèrent le souci de mettre la raison au .service de l'homme et la générosité dans les rapports collectifs.
Le type d'organisation sociale est celui que définit la notion d'État-providence.
Le terme de social-démocratie est né en Allemagne. Nom de baptême du parti d'outre-Rhin, il a été repris un peu partout, et Lénine lui-même n'était initialement que le chef d'une fraction du Parti ouvrier social-démocrate russe.
A la lumière d'un siècle d'Histoire, l'apport de la social-démocratie réside dans ce qu'elle a offert à l'Europe l'exemple le plus achevé, le modèle le plus performant d'une alliance des trois critères de ce qu'aujourd'hui nous appelons une civilisation : une organisation publique fondée sur le respect des droits de l'homme, un haut niveau de développement culturel et économique, un haut niveau de protection sociale.
Mais pour en arriver là, il a fallu un changement profond. Dans ses débuts, la social-démocratie se donnait pour ambition le renversement de la société capitaliste, pour moyen essentiel l'appropriation collective des moyens de production et d'échange, pour règle le refus de tout compromis avec la "bourgeoisie"
En professant ces doctrines radicales, elle semblait disposée à tomber dans ce qui allait devenir les errements du communisme : prendre l'appareil de l'État bourgeois, le retourner contre la bourgeoisie, car seule la puissance de l'État peut réaliser le projet de justice sociale.
Cette conception, très tôt défendue par un Lassalle et tout aussi tôt rejetée par Marx lui-même, l'a pourtant emporté. La chose s'est produite au début du siècle lorsque, dans les discussions du congrès socialiste allemand, un nommé Kautsky a vaincu un certain Bernstein. Tout ce que ce dernier avait pressenti et écrit, sur la montée des employés, sur l'ouverture sociale du capitalisme et sur bien d'autres choses encore, aurait pu éviter ce socialisme qui ne croit qu'à l'État et dont la version la plus dévoyée aboutit au stalinisme.
L'Histoire a des accidents dramatiques et aux effets durables. La dynastie des Lassalle, Lénine, Staline, Mao Tsé-toung, et quelques autres, oblige tout socialiste à examiner ce passé, sans complaisance. Au cœur de la question de la justice sociale surgit alors celle de l'État.
Dans le même temps le socialisme dans l'Europe latine, incapable, faute d'une réelle puissance sociologique, de prendre le pouvoir ou de l'exercer durablement, s'est aigri dans la critique des autres et dans l'envie : de là une connotation péjorative donnée à la social-démocratie, dont les « compromis de classe » étaient perçus, quels qu'en fussent les profits pour la classe ouvrière, comme autant de trahisons de « la grande tradition socialiste » qu'on préférait stérile plutôt qu'impure.
Depuis, mais c'est encore récent, les socialistes de l'Europe du Sud ont dû faire leur mutation. Les Français peu après leur arrivée au pouvoir, les Espagnols juste avant, ont découvert que l'État n'était pas et ne pouvait pas être l'instrument exclusif de la transformation sociale. Il ne peut donner que ce qu'il a : la loi, le règlement, la police, et cela ne peut suffire.
Aujourd'hui, le socialisme est revenu de ses erreurs, mais sans qu'il puisse trouver dans la social-démocratie une solution alternative. Elle-même est en crise. L'État-providence n'est possible que dans une société prospère. Les nôtres ne le sont plus assez. Le compromis entre grands appareils n'est possible qu'à condition qu'ils existent et fonctionnent. Ce n'est pas ou plus le cas.
38. Valeurs du socialisme.
Quant aux valeurs, elles nous sont une boussole. Elles indiquent la destination, aussi surement qu'elles montrent les directions que l'on doit refuser de prendre. Sept valeurs paraissent s'imposer.
La première est évidemment la liberté, à condition qu'on en respecte toutes les implications, à la définition qu'en donne la Déclaration des droits de l'homme de 1789 : elle «consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui». Cela suppose, quand il est nécessaire, l'existence d'un droit et son respect par tous, tant l'ordre est la matrice de la liberté, y compris dans le domaine économique. La liberté est aussi celle du consommateur: la reconnaissance du marché en est partie intégrante.
La deuxième est la démocratie. Elle soumet tout pouvoir à l'épreuve de sa légitimité, s'applique au politique mais pénètre aujourd'hui également dans le champ social et le champ économique, suppose la justice sans laquelle elle demeurerait formelle, le pluralisme, qui en est l'application la plus directe, et la laicité, qui la rend acceptable à tous. L'entreprise est aujourd'hui le lieu le plus évident des avancées nécessaires de la démocratie. Qu'il s'agisse de l'information interne, du droit d'expression des travailleurs, de la diffusion des responsabilités, de la gestion de la formation comme de la participation aux décisions et aux résultats, le champ est immense et la négociation collective le moyen préférentiel.
La troisième est la solidarité, car si l'individu reste la finalité d'une civilisation, il ne s'agit pas d'un individu isolé, mais d'un individu engagé dans l'aventure collective de l'humanité, qui interdit qu'on laisse sur le bord de la route ceux que la nature ou la vie économique a frappés de handicap.
La quatrième est l'autonomie, avec son corollaire, la responsabilité. Chacun, nation, groupe, individu, doit pouvoir prendre en main son avenir, tenir compte de l'existence des autres, mais ne pas accepter que d'autres dictent sa conduite. Chacun est alors responsable de ce qu'il fait ou ne fait pas, tient entre ses mains les clés de son futur. Autonome et responsable, il ne doit pas se laisser dominer par autrui, mais autonome et responsable, il ne doit pas non plus attendre d'autrui la solu tion de tout problème. L'expérience montre que cette référence d'éthique sociale est aussi un principe d'efficacité. Le développement économique est à ce prix, car l'autonomie concerne aussi l'entreprise.
La cinquième est la primauté du droit. Ce qui semble une évidence dans la vie courante, et figure depuis longtemps dans nos constitutions, est beaucoup moins clairement reconnu dans la vie économique. Le développement du monde est entravé aujourd'hui par la volatilité des monnaies, des prix des matières premières, des taux d'intéret, et par la rentabilité bien supérieure du placement financier par rapport à l'investissement productif. А tout cela qui nous menace, il faudra mettre bon ordre. Seules des règles y parviendront, c'est-à-dire un droit. Affirmer leur légitimité, quand le libéralisme la nie, c'est une référence fondamentale du socialisme moderne.
La sixième touche le rapport entre l'homme et la technique et postule que sont seuls acceptables les usages des techniques qui n'asservissent pas l'homme. C'est aussi vrai dans nos pays développés, soucieux de se débarrasser du taylorisme comme de protéger les libertés devant les investigations informatiques, que ce l'est dans le Tiers Monde, souvent victime de techniques imposées par d'autres, qui ont bloqué son essor et accru sa dépendance. C'est vrai encore, pour la planète entière, de la défense de notre environnement. C'est principalement au service de cette qualité de la relation entre l'homme et la technique que le Plan trouve toute sa nécessité et prend tout son sens.
La septième, enfin, est la priorité donnée à la recherche de la paix. Dans les incertitudes d'aujourd'hui, cette direction-là est largement la clé des autres.
39. Sida. Le droit des malades à demeurer libres et dignes. Le droit des autres à être préservés du terrible fléau. Ce sont ces droits apparemment contradictoires qu'il nous faut concilier, le premier au nom de nos valeurs partagées, le second au nom d'une évidence légitime. Mais un tel combat est malaisé, et certainement pas de ceux qui se gagnent seulement par des réglementations. Appel à la responsabilité, donc, incitation au dépistage, d'autant plus efficace qu'il est volontaire, information sur la prévention, d'autant mieux prise en compte qu'elle n'est pas moralisante. Certains ont posé le problème des sanctions pour ceux dont l'irresponsabilité causerait des dommages. Notre Code civil traite admirablement de la responsabilité et en renvoie l'appréciation et la compensation à la Justice. Cela doit suffire.
Pour le reste, c'est naturellement vers la recherche qu'il nous faut nous tourner. Elle aura d'autant plus de chances de gagner la course contre la montre de la pandémie que nous la soutiendrons activement. Après les victoires successives remportées sur les fléaux qui avaient décimé l'humanité pendant des siècles – peste, syphilis, variole, tuberculose, microbes divers —, nous nous sommes crus un peu rapidement prémunis contre ces maladies d'agression. On en a alors découvert d'autres – cancer, affections cardio-vasculaires, dépressions nerveuses... Mais avec le Sida, voici revenu le temps des grandes épidémies, ou au moins de leur spectre.
40. Franc. L'histoire des soixante dernières années est douloureuse. Les Français ont mal vécu cette suite de crises et de dévaluations, trop rarement interrompue par des accalmies. Comme citoyens, ils souffrent de l'affaiblissement de notre monnaie qui fait sourire à l'étranger et réduit nos marges de manœuvre dans le monde. En tant que détenteurs d'avoirs liquides, ils subissent l'effritement de la valeur de leurs revenus et de leur patrimoine. Et ce sont les plus faibles – généralement silencieux – qui sont les plus atteints.
C'est dire que le franc n'est jamais absent des préoccupations, conscientes ou non, des Français et de leurs dirigeants. La monnaie rélève d'un domaine où affleurent l'émotivité et la passion, ce qui interdit de la gérer uniquement en fonction de critères rationnels. Mais, là aussi, la gauche a beaucoup appris. En mettant depuis 1983 la lutte contre l'inflation au cœur de notre politique économique, elle a franchi une étape, même si le coût des désindexations a parfois été élevé. L'exigence de compétitivité comme l'appartenance au Système monétaire européen ne nous laissent plus le choix, l'action de désinflation est un impératif permanent.
Si l'accord sur l'objectif n'est plus guère contesté, il subsiste des divergences sur la méthode. Avoir une monnaie stable est plus affaire de comportements individuels et collectifs, notamment dans le domaine des revenus et des prix, que de ratios décrétés autoritairement par la Banque Centrale ou l'autorité budgétaire. Or, sous l'influence de doctrines monétaristes largement diffusées dans les années 1980 à partir des États-Unis, on s'est attaché de façon excessive à contrôler la croissance d'agrégats monétaires aux définitions changeantes, principalement par le maniement des taux d'intérêts. Le résultat, ce sont aujourd'hui des taux d'intérêts prohibitifs, qui sont incompatibles avec une reprise de la croissance et qui privilégient les placements purement financiers.
41.Langue française. Parmi les quelque quatre mille langues parlées à travers le monde, le français fait partie de cette poignée d'idiomes privilégiés qui sont depuis des siècles l'objet d'une défense systématique et assidue de la part d'un pouvoir politique centralisateur et internationalement influent. La place du français en France n'a cessé de se renforcer, au détriment inévitable des autres langues historiques du pays (alsacien, basque, breton, catalan, flamand, langues d'oc, langues d'oïl), et l'allongement de l'enseignement obligatoire lui assure une domination entière sur tout le territoire, là même où les parlers locaux occupaient l'essentiel des échanges il n'y a pas si longtemps. La pénétration généralisée des médias nationaux fait qu'aujourd'hui, dans la plus reculée des fermes bretonnes ou auvergnates, on entend plusieurs heures par jour résonner le français de Paris. Voilà pourquoi, paradoxalement, on peut dire qu'on n'a jamais autant parlé français en France, et probablement jamais aussi bien – en moyenne statistique, s'entend.
Quant à la francophonie, si elle ne compte qu'un nombre relativement faible d'individus (environ 110 millions de personnes ont le français comme première ou comme deuxième langue) loin derrière la communauté des usagers de l'hindi ou du bengali par exemple, elle reste internationalement déterminante, ne serait-ce que sur le plan diplomatique : langue officielle dans 32 États du monde, le français est une des deux langues de travail de l'ONU, employée par pratiquement un quart des délégations. Et, dans presque chaque pays non francophone, un nombre important d'élèves choisissent d'apprendre le français, qui représente pour eux l'accès naturel à la culture classique de l'Europe.