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История неустрашимого капитана Кастаньетта (На русском и французском языках)
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Автор книги: Эрнест Катрель



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VIII
DE MARENGO A FRIEDLAND
14 juin 1800;
14 juin 1807

C’est triste à dire, mes enfants, mais Bonaparte ne revit plus son ami des mauvais jours que lorsque les mauvais jours revinrent; non qu’il fût oublieux, mais il était absorbé par les soins de son gouvernement. Plus il devenait puissant, plus Castagnette se tenait à l’écart.

Le 2 décembre 1804, la double cérémonie du sacre et du couronnement de l’empereur Napoléon eut lieu à Notre-Dame. En dépit du froid le plus rigoureux, Castagnette tint à assister au défilé du cortège. La foule houleuse renversa le brave officier. Un de ses deux genoux de bois en fut endommagé. «Il est dit que nous aurons toujours un sort pareil, murmurait-il en se relevant. Tandis que l’on couronne le jeune aiglon, le capitaine est couronné comme un vieux cheval. A chacun selon ses mérites.»

Notre ami se distingua à Marengo, à Hohenlinden, à Ulm, où il eut un cheval tué sous lui. La veille de la bataille d’Austerlitz, c’est lui qui prépara incognito à son ancien ami la réception devenue fameuse que lui firent les grenadiers de la garde, et qui alluma le premier des feux de paille qui éclairèrent cette promenade triomphale.

A Austerlitz il fit des prodiges de valeur; mais ses ennemis mourants connaissaient seuls ses hauts faits, dont il eût trouvé indigne de lui de se faire le narrateur. Partout, à Iéna, à Eyiau, à Friedland, il fit la guerre en chasseur, pour satisfaire une passion.

IX
HISTOIRE DE L’HOMME A LA TÊTE DE BOIS

Il faut que je vous conte, mes enfants, à quoi Barnabé Castagnette, dit l’Homme à la tête de bois, dut le surnom sous lequel il devint si populaire.

«Ah ça, mon oncle! lui dit un jour le capitaine, vous maigrissez à vue d’oeil; vous avez la mine et la tristesse du coucou; si cela continue, vous deviendrez étique. Il faut que vous me disiez la cause de ce changement-là.

– C’est des bêtises que tu ne comprendrais pas.

– Des bêtises ne peuvent pas démolir un homme comme cela. Est-ce parce que vous n’êtes encore que sergent, après tant d’actions d’éclat?

– Je n’ai fait que mon devoir; ne parlons pas de cela.

– Sont-се vos blessures qui vous font souffrir?

– Est-ce que je m’occupe de si peu de chose? Non. Mais, puisque tu veux que je te dise la vérité, la voilà: j’ai demandé la main d’une jeunesse qui ne veut pas de moi, sous prétexte que j’ai six coups de sabre sur la figure, et qu’on ne sait plus trop distinguer comment j’avais le nez fait.

– Mais c’est glorieux, ça, cependant.

– C’est possible, mais ça n’est pas joli, à ce qu’il paraît. De plus, elle m’a dit qu’elle ne voulait épouser qu’un blond, et mes cheveux sont gris comme la queue de mon cheval.»

Castagnette devint tout pensif en entendant le récit des chagrins de son oncle. Il l’aimait beaucoup, et aucun sacrifice ne lui eût coûté pour assurer son bonheur; aussi un matin il alla trouver Desgenettes et lui dit:

«Docteur, vous qui m’avez si bien remis à neuf, est-ce que vous ne pourriez pas un peu rafistoler mon oncle?

– Qu’est-ce qu’il a, ton oncle?

– Six coups de sabre sur la figure, un œil crevé et les cheveux gris.

– Eh bien?

– Il voudrait n’avoir que vingt-cinq ans, les cheveux blonds, les lèvres roses et de petites moustaches en croc, histoire d’épouser une jeunesse qui le trouve trop laid pour le quart d’heure.

– Ce que tu me demandes est difficile, mais j’ai fait plus fort que cela. Seulement je ne sais vraiment pas pour qui tu me prends, en m’offrant de raccommoder ton oncle. Est-ce que tu crois que je travaille dans le vieux comme un savetier? Je ne fais que du neuf, entends-tu bien? Dis à ton oncle que je puis lui changer la tête; quant à la remettre à neuf, ce n’est pas mon affaire.

– Ce sera-t-il très cher?

– Cela dépend. Dis-lui qu’en argent cela reviendra bien à six mille francs; c’est coûteux et c’est lourd. Je lui conseillerais plutôt le buis: pour cinq cents francs on peut avoir une tête très présentable, avec les cheveux en soie, les yeux en émail et les dents en hippopotame.

– Les cheveux seront blonds?

– S’il y tient.

– Il y aura de petites moustaches?

– En croc.

– Il aura l’air d’avoir vingt-cinq ans?

– Quatorze, s’il préfère; c’est le même prix.

– Eh bien, préparez-lui une tête pour jeudi prochain. Je vous l’amènerai. Soignez cela comme pour moi.

– N’aie donc pas peur!»

Castagnette tout joyeux alla, en sortant de chez Desgenettes, trouver un orfèvre, qui lui acheta son œil droit cinq cents francs, et qui lui fournit un faux saphir pour le remplacer; puis il alla trouver son oncle:

«Vous pouvez engraisser, mon oncle: vous épouserez votre particulière.

– Comment cela?

– Dans huit jours vous aurez vingt-cinq ans!

– Tu veux dire cinquante-cinq.

– Je veux dire ce que je dis; et, de plus, vous aurez les cheveux blonds.

– Blonds!

– Avec de petites moustaches en croc et les lèvres roses. Seulement il faut vous laisser couper la tête.

– Oh! oh! cela mérite réflexion.

– Votre tête est commandée, et à jeudi la pose.»

En effet, le jeudi suivant, l’oncle et le neveu se rendirent chez Desgenettes à l’hieure indiquée. La tête était sur la cheminée, souriante et couverte d’une forêt de cheveux blonds à faire envie à une Suédoise. Barnabé, qui hésitait un peu en se rendant chez le chirurgien, n’y tint plus à la vue d’un pareil chef-d’œuvre.

«Quoi! cette tête pourrait être la mienne?

– A tout jamais.

– Vite, docteur, faites-moi l’extraction de cette horreur que j’ai sur les épaules; il me tarde de n’avoir que vingt-cinq ans.»

N’espérez pas, mes enfants, que je vous fasse la description de l’opération chirurgicale que Barnabé eut à subir; elle fut d’ailleurs si vite terminée, que le patient s’en aperçut à peine: le temps de scier le crâne, d’en enlever le sommet comme un couvercle d’un vol-auvent, d’en prendre la cervelle avec une cuiller et de la reporter dans la tête nouvelle, de couper le cou, de remplacer la tête par celle de buis, de coudre le tout, de mettre un clou d’argent par-ci, un clou d’argent par-là; ce fut moins long à faire qu’à raconter.

Quand Barnabé se regarda dans la glace, il jeta un cri d’admiration.

«Pas d’imprudence! lui dit le docteur: portez un cache-nez pendant huit jours, ou, sans cela, vous auriez d’affreux maux de gorge et des rages de dents.»

Un mois après, Barnabé épousait celle qu’il aimait, et Castagnette, enrubanné comme un mât de cocagne, disait à sa nouvelle tante:

«N’allez pas lui faire perdre la tête de nouveau! on ne réussit pas toujours des opérations comme celle-là.»

X
ESSLING ET WAGRAM
22 mai et 6 juillet 1809

A Essiing, le second jour, au lever du soleil, l’archiduc Charles dirige les efforts désespérés des masses autrichiennes. Les Français résistent à ces forces, infiniment supérieures en nombre, avec autant de fermeté et d’intrépidité que la veille. Napoléon prend l’offensive et enfonce le centre de la ligne ennemie. Le généralissime autrichien saisit le drapeau du régiment de Zach, et s’élance dans la mêlée pour ramener ses troupes au combat. Castagnette le voit, il se jette sur lui comme un lion, et finit, après avoir lutté seul contre dix, par enlever le drapeau. Que croyez-vous qu’il en fit, mes enfants? Vous auriez, à sa place, crié victoire, et vous l’auriez porté à l’Empereur, fier de renouer ainsi connaissance sur le champ de bataille avec un ancien ami devenu le maître du monde. Notre capitaine, lui, n’agit pas ainsi.

Son oncle (la fameuse tête de bois) combattait à ses côtés. Le pauvre homme n’avait pas eu de chance; malgré son courage, il n’était encore que sergent. Castagnette lui donna son drapeau et lui dit:

«Tenez, mon oncle, vous êtes marié, père de famille, vous avez besoin d’avancement; moi, je suis garçon et je n’ai pas d’ambition; prenez ce drapeau, portez-le à l’Empereur, vous reviendrez avec l’épaulette, et ça flattera joliment ma tante d’avoir un mari officier.»

N’est-ce pas une noble action? et combien d’entre vous auraient agi ainsi?

A Wagram, son cheval l’emporte au milieu des rangs ennemis; il se trouve un moment seul et désarmé au centre des masses autrichiennes. Un coup de sabre lui déchire les entrailles sans lui faire de mal; une balle s’aplatit sur sa joue droite et lui enlève une oreille.

«Ah! brigands, s’écrie Castagnette furieux, vous en voulez à mes oreilles, vous abîmez mon visage d’honneur et déchirez de superbes boyaux de cuir verni, présent de mon ami Desgenettes… Cela ne se passera pas comme cela.»

Il défait une de ses jambes de bois; elle devient dans sa main une arme terrible, et il rentre dans les rangs avec trois prisonniers.

XI
RETRAITE DE MOSCOU
PASSAGE DE LA BÉRÉSINA
KOWNO
21 octobre 1812;
29 novembre 1812

La fatale année 1812 arrivée, nous retrouvons notre héros sur les bords de la Bérésina.

Comme il ne lui restait qu’un bras, la poitrine et la cervelle, il avait fait le commencement de la campagne sans trop souffrir du froid.

Tandis que ses camarades avaient les pieds gelés, il bénissait ses jambes de bois; tandis que des milliers de martyrs mouraient de faim ou de maladie, il bénissait son estomac de cuir. Mais il lui arriva un grand malheur: son cheval fut emporté au gué de Stoudziancka, et il dut continuer sa route à pied.

Alors les forces lui manquèrent; il suivit quelque temps l’armée, mais il se trouva bientôt avec les traînards. Une dizaine de mutilés formèrent une triste arrière-garde: l’avant-garde de la mort.

Ils essayèrent quelque temps de suivre les traces de leurs compagnons plus heureux, mais sans succès; ils tombèrent un à un sur la neige qui allait les recouvrir, et ceux qui continuaient leur route, les voyant de loin devenir la proie des loups, frissonnaient en pensant que c’était là le sort qui les attendait.

Castagnette se trouva seul à son tour dans ce désert glacé, sans force pour suivre son chemin, sans espoir d’être secouru, ne demandant plus à Dieu qu’une mort rapide. Il tomba dans la neige, et bientôt les corbeaux, ces cosaques de l’air, vinrent voleter autour de lui. Il fit tous ses efforts pour se relever; mais le froid l’envahit tout entier et il eut bientôt perdu toute sensibilité.

Des oiseaux de proie vinrent en tournoyant se poser sur lui, comptant faire un bon repas. Quel ne fut pas leur désappointement en trouvant un visage d’argent, des jambes de bois et un estomac de cuir!

Une bande de cosaques, voyant de loin cette nuée de corbeaux s’abattre sur le sol, devina la présence d’un corps à dépouiller.

Ils arrivèrent au galop et entourèrent notre pauvre capitaine, après avoir chassé leurs rivaux ailés à coups de lance.

On lui prit d’abord ses armes; puis, comme il était couché la face contre terre, on le retourna pour s’assurer qu’il n’y avait pas autre chose à lui dérober.

Quelles ne furent pas la surprise et la joie de nos pillards en voyant son visage d’argent enrichi de pierreries!

Chacun voulant avoir un aussi riche butin, une dispute s’ensuivit, des coups s’échangèrent et prirent un tel caractère d’acharnement que, lorsqu’ils cessèrent, il ne restait plus qu’un seul cosaque vivant.

Celui-ci se jeta aussitôt sur sa proie; mais le visage tenait ferme, et il dut, pour s’en emparer, faire de tels efforts, qu’il tordit tant soit peu le cou de notre héros. Je vous assure, mes enfants, que tout autre que Castagnette eût succombé à une pareille épreuve.

Le cosaque remonta alors à cheval et s’éloigna au galop, laissant le malheureux officier, plus mutilé que jamais, enseveli sous les cadavres de ceux qui s’étaient battus pour le dévisager.

Cette couverture humaine rappela peu à peu la chaleur dans son corps; la douleur que lui causait l’opération qu’il venait de subir le réveilla complètement. Il regarda autour de lui, et, en se rappelant l’horrible situation dans laquelle il se trouvait, il regretta de n’être pas mort. Il ne s’expliqua pas la présence de ces cadavres ennemis qui l’entouraient; il voulut se lever pour prendre à son tour les vêtements de ceux qui avaient voulu le dépouiller; mais quelle ne fut pas sa surprise, en voulant avancer, de reculer malgré lui; en voulant essuyer son visage, de passer les doigts dans ses cheveux! Il ressentit des picotements à la gorge, il y porta la main et comprit tout.

Vous ne serez pas étonnés, mes enfants, si, par cinquante degrés de froid, un cou tordu reste tordu. Ce n’est qu’au printemps suivant, au moment du dégel, que le cou de notre héros reprit sa position première.

«Allons, se dit Castagnette résigné, ma pauvre tête a l’air d’être posée sur la pointe d’un tire-bouchon: c’est laid, mais, comme tout en ce monde, cela a son bon côté. Gare à ceux qui me poursuivront! je les défie bien maintenant de me surprendre.»

Il prit les effets les plus chauds des cosaques morts près de lui, et, sa toilette terminée, il avait tout à fait l’air d’un kalmouck. Deux chevaux étaient restés près des cadavres de leurs maîtres, il en prit un pour son usage et tua l’autre pour son repas. Pauvre Castagnette! vous voyez, mes enfants, à quoi il en était réduit.

Il voulut s’élancer à cheval comme à son ordinaire, mais il se trouva le visage du côté de la croupe, ce qui l’obligea à monter à cheval à l’envers pour se retrouver à l’endroit.

Grâce à son costume, il traversa l’armée russe sans accidents. Lorsqu’on lui adressait la parole, il montrait son oreille emportée pour faire comprendre qu’il était sourd, et son visage mutilé pour indiquer qu’il était muet.

Arrivé près de la frontière polonaise, il entra, un soir; dans une cabane pour demander à souper. Un cosaque était déjà assis auprès du feu, attablé devant un excellent repas. Quand il s’agit de le payer, Castagnette lui vit remettre à son hôtesse une perle fine.

«Oh! oh! voilà qui mérite attention, se dit-il. Cette perle n’aurait-elle pas habité ma mâchoire, et ce brigand ne serait-il pas mon voleur?»

Le capitaine laissa son souper inachevé en voyant partir le cosaque, et lui offrit de faire la route avec lui. L’offre fut acceptée et tous deux se mirent en chemin.

«J’ai bien envie de l’assommer, se disait Castagnette; il se peut que le drôle ne soit pas mon voleur, mais, dans tous les cas, c’est un de nos pillards, et la mort sera la première chose qu’il n’aura pas volée.»

Castagnette ralentit un peu l’allure de son cheval, et se trouvant à trois pas en arrière de son compagnon de voyage, il prit une hache qu’il avait trouvée pendue à l’arçon de sa selle, et vlan!., d’un seul coup il fendit le crâne du cosaque. Le malheureux tomba le nez sur le cou de sa monture, puis par terre. Castagnette se trouva aussi vite que lui à bas de son cheval. Fouiller sa victime ne fut pour lui que l’affaire d’un moment, et sa joie fut bien grande en retrouvant son visage d’honneur, auquel il ne manquait encore que trois dents.

«Il faut avouer, tout de même, que j’ai une chance infernale!» se dit Castagnette en couvrant de baisers son visage, qu’il serra ensuite soigneusement dans sa poche.

Castagnette entra à Kowno en même temps que Ney. Le maréchal y arriva seul avec ses aides de camp; il y trouva quatre cents hommes commandés par le général Marchand, et trois cents Allemands. Il prend le commandement de cette petite garnison et court à la porte de Wilna que les Russes attaquent. Les pièces sont enclouées et les artilleurs ont pris la fuite; un seul canon est intact: Ney le fait traîner devant la porte de la ville, en donne le commandement à Castagnette et court chercher les Allemands. Leur chef se brûle la cervelle et les voilà tous en déroute; impossible de les rallier. Le maréchal ramasse un fusil, et, redevenu grenadier, avec l’aide de trente hommes et de quelques officiers, il garde jusqu’au soir la porte de Wilna, résistant aux efforts de l’armée ennemie.

Honteux d’être ainsi arrêtés par une poignée de braves, les Russes lancent quelques bombes pour incendier la place. La première est pour notre pauvre capitaine; il la reçoit dans le dos, qu’il présentait courageusement à l’ennemi, elle s’y loge et brise le bras qui lui restait.

On ne reçoit pas une bombe dans le dos sans horriblement souffrir; aussi Castagnette jetait-il les hauts cris. Ney, qui a apprécié le courage du brave mutilé, s’approche de lui.

«Ah! mon maréchal, quel malheur!., moi qui ai toujours tant de chance… être blessé dans le dos comme un lâche!.. Je ne m’en consolerai jamais.

– Vous auriez tort, capitaine; je me connais en bravoure, et, croyez-moi, il n’est personne qui ne fût fier de recevoir une pareille blessure.

– Vous dites cela pour me consoler, mon maréchal; mais me voilà déshonoré.»

Un chirurgien fut appelé; il déclara que l’extraction de la bombe pourrait entraîner la mort. Castagnette rentra donc en France avec deux jambes de bois, deux bras de moins, un estomac de cuir, la tète a l’envers, le visage en argent et une bombe dans le dos.

XII
CAMPAGNE DE FRANGE
1813–1814

Depuis ce dernier événement, Castagnette, qui n’avait jamais perdu sa bonne humeur, devint sombre. Il n’osait plus se présenter nulle part, dans la crainte de passer pour un lâche. Quelques camarades s’émurent de cette mélancolie et allèrent trouver le brave Ney, le priant de faire donner la croix à leur ancien capitaine; mais les tristes événements de l’année 1813 ne permirent pas au maréchal de rappeler à Napoléon son ancien ami de 1799.

Castagnette se retira dans une petite maison de campagne à Vincennes. Il prenait plaisir à suivre les travaux de l’arsenal qui fournissait à toutes les opérations militaires. C’est là qu’il se lia avec le général Daumesnil, mutilé comme lui, alors commandant de la forteresse.

Ces deux hommes étaient bien faits pour se comprendre.

C’est de Vincennes que ces glorieux débris de l’Empire suivirent les événements à la fois si héroïques et si tristes qui s’accomplirent en 1813 et 1814: la défection de la Prusse et de l’Autriche, la bataille de Lutzen (2 mai 1813), celle de Bautzen (20 mai), la mort du grand maréchal Duroc (22 mai 1813), la bataille de Leipsick (19 octobre 1813), la mort de Poniatowski (19 octobre 1813), la retraite d’Espagne, la capitulation de Dantzick et l’envoi, au mépris des termes de la capitulation, de ses vingt mille défenseurs en Sibérie; la défection de Murat, les batailles de Brienne (29 janvier 1814), Champaubert (10 février); les combats de Montereau, de Montmirail, de la Fère-Champenoise, la capitulation de Paris (30 mars 1814), et tant d’autres désastreuses victoires et glorieuses défaites.

XIII
VINGENNES
1814

Daumesnil vit l’étranger entourer sa forteresse.

«Ma foi, mon général, je crois que mon vœu le plus ardent va s’accomplir. Je ne suis bon à rien; tout ce qui se passe me met du noir dans l’âme, et j’ai toujours eu envie de savoir quelle impression ressent l’homme qui se trouve lancé à une centaine de pieds en l’air. Comme je ne pense pas que votre intention soit précisément de tirer le cordon à des braillards qui demandent aussi grossièrement qu’on leur ouvre, je viens vous demander… mais vous ne voudrez pas…

– Enfin parle, que veux-tu? reprit Daumesnil.

– Non, ce serait vous priver peut-être… et puis c’est trop indiscret.

– Tu désires mettre le feu aux poudres, n’est-ce pas?

– Général, vous avez lu dans mon cœur comme dans un livre. Pendant que vous ferez la causette avec ces enragés, laissez-en entrer le plus possible, et je vous promets d’entonner en leur honneur un morceau à grand orchestre qui dégourdira les moins ingambes: quelque chose comme un coup de tonnerre, avec accompagnement de Vésuves en éruption.»

Après un moment de pourparlers, Daumesnil céda à son ami le poste d’honneur qu’il s’était réservé.

Avant de s’y rendre, Castagnette voulut voir l’ennemi et monta sur les remparts.

«Eh! là-bas!., cria-t-il à un officier prussien qui s’agitait plus que les autres, que voulez-vous?

– Parbleu!., qu’on nous ouvre.

– Le ventre?

– Non, la porte.

– Ah! alors ce n’est pas ici; frappez à côté.

– Laisse-moi faire, dit à Castagnette Daumesnil qui venait de descendre; rends-toi à ton poste pendant que je vais recevoir le commissaire extraordinaire qui m’est envoyé par les alliés.»

Le commissaire fut introduit.

«Puis-je savoir, monsieur, ce qui vous amène, ainsi armés, sous les murs de Vincennes?

– Nous venons vous sommer de rendre la place, et, en cas de refus…

– Un refus, comment donc! Vous ne venez pas, je pense, sans un ordre écrit m’invitant à vous ouvrir mes portes?

– En effet, cet ordre, le voilà, et je suis heureux de voir que vous ne songez pas à résister.

– Il y a sans doute erreur, interrompit Daumesnil, et vous me donnez une pièce pour une autre; celle-ci ne me concerne pas. Cet ordre est signé: Alexandre et Frédéric-Guillaume, et je ne connais pas d’autre maître que l’empereur Napoléon Ier.

– Napoléon n’est plus empereur; l’usurpateur est en fuite; vous feignez de l’ignorer.

– Je l’ignore en effet, et, jusqu’à preuve du contraire, vous trouverez bon que je ne rende la place qu’à celui qui me l’a confiée.

– Nous vous ferons sauter, alors, prenez-y garde.

– Pardon, monsieur, reprit le général avec calme, mais vous me paraissez oublier que je suis encore ici chez moi, et qu’il appartient à moi seul d’en faire les honneurs. J’aurai donc le plaisir de vous faire sauter; je m’entends mieux que vous à cette besogne… Nous sauterons de compagnie, si vous le voulez bien.»

Cette proposition, dans la bouche du général Daumesnil, n’était pas une menace banale. Tout le monde connaissait le courage indomptable de celui qui avait été proclamé brave à Saint-Jean d’Acre; aussi un frisson parcourut-il la foule.

«Songez, général, reprit le commissaire extraordinaire, que toute résistance de votre part est inutile. Que nous sautions ou ne sautions pas, la France n’en est pas moins en notre pouvoir; que Vincennes soit debout ou en ruine, la cause que vous défendez n’en est pas moins perdue.

– Je vois que vous ne paraissez pas attacher une grande importance à ce que je me déshonore oui ou non; vous ne trouverez pas extraordinaire que je n’en fasse rien. Retournez auprès de vos maîtres, et ditesleur que je rendrai la place quand ils m’auront rendu la jambe qu’un de leurs boulets m’a enlevée à Wagram.»

Et, du bout de sa canne, Daumesnil montra la porte au parlementaire furieux.

Revenons à notre brave ami Castagnette qui était allé attendre les événements auprès de dix-huit cents milliers de poudre. Quelques forcenés s’étaient mis à la recherche des magasins pour s’en emparer; il entendit le flot populaire s’engouffrer dans les escaliers, rouler de marche en marche, et venir se heurter contre la porte.

«Allons, allons, voilà le moment venu; il s’agit de bien faire les choses. Tâchons d’amuser ces enfants pour laisser à la foule le temps d’entrer. „Que voulez-vous?“ cria le capitaine par le trou de la serrure.

En entendant cette voix qui leur indiquait que la porte était gardée, quelques badauds commencèrent à réfléchir, et remontèrent l’escalier avec plus d’empressement encore qu’ils ne l’avaient descendu».

«Nous venons au nom du gouvernement pour nous emparer des poudres.

– Eh bien! emparez-vous-en.

– Vous ne voulez pas ouvrir?

– Avez-vous un ordre du général commandant?

– Ouvrez, nous vous le remettrons.

– Camarades!.. cria Castagnette de sa voix la plus forte, pour faire croire qu’il n’était pas seul, à vos postes!.. préparez vos mèches, placez-vous à l’entrée de chaque caveau et n’oubliez pas que la patrie a les yeux sur vous!»

L’escalier se remplit de nouveaux fuyards; mais il restait là une trentaine d’hommes déterminés qui commencèrent à se servir de leviers pour forcer la porte du caveau.

«Si ce n’est pas désolant de penser qu’il y a des braves pour servir les plus mauvaises causes. Tâchons de gagner du temps; chaque minute m’amène une centaine de pratiques nouvelles et je veux mourir en grande compagnie.»

Un des gonds cédait déjà… Castagnette glissa une de ses jambes de bois sous la porte pour la consolider quelques minutes de plus; mais enfin, sous la pression formidable qu’il avait à soutenir, le panneau céda, brisant en tombant les deux jambes de notre brave capitaine.

Il lui était impossible de se relever, une de ses jambes avait deux pieds et l’autre sept pouces. Il se roula alors jusqu’à un monceau de poudre, s’y plongea comme dans un bain, et certain de réussir, il se mit à crier: «Vive l’Empereur!» comme s’il avait eu dix voix à lui tout seul.

Il fut bien vite entouré.

«N’approchez pas!., n’approchez pas… mille millions de cartouches! ou je vous renvoie au premier étage plus vite que vous n’en êtes descendus. Ah! vous voulez déshonorer de brave poudre française, en vous en servant contre des Français!.. Ça ne sera pas; c’est moi, le capitaine Castagnette, qui vous le dis, car vous allez finir avec elle.»

Cet être bizarre privé de bras et de jambes, ce tronc difforme, ce je ne sais quoi qui se démenait, présentant pour sa défense un tronçon de jambe de bois, fit reculer les plus résolus. N’était-ce pas un être fantastique qui se roulait ainsi dans l’obscurité, n’ayant d’humain que la voix, et disposant d’une force plus grande que celle du tonnerre?

Castagnette s’enfonça dans la poudre jusqu’au menton; sa pipe, qu’il tenait entre ses dents, projetait à chaque bouffée des lueurs étranges sur son masque d’argent couvert de pierreries; chaque aspiration, en ranimant le foyer de cette terrible pipe, faisait briller, comme une apparition de l’autre monde, cette tête de métal qui rentrait aussitôt dans l’obscurité. A cette vue, les plus braves sentirent leurs jambes trembler et leur langue se glacer.

«Je vous donne deux minutes pour crier: „Vive l’Empereur!“ Si l’un de vous hésite, je laisse tomber ma pipe, et…»

Trente formidables cris de: «Vive l’Empereur!» retentirent aussitôt, en dépit des langues paralysées; les plus troublés eux-mêmes retrouvèrent leurs jambes pour fuir, et ce n’est que lorsqu’ils furent bien loin de la forteresse qu’ils cessèrent leurs cris de: «Vive l’Empereur!»

Daumesnil rencontra les fuyards dans l’escalier; ce fut pour eux l’occasion de recevoir quelques coups de canne, dont ils n’avaient pas besoin cependant pour presser le pas. Après avoir congédié le commissaire extraordinaire, le général s’était rappelé les ordres donnés à Castagnette et il courait aussi vite que le lui permettait sa jambe de bois pour empêcher une catastrophe.

«Castagnette!.. arrête, Castagnette!.. c’est moi, Daumesnil… Où es-tu?

– Par ici, mon général. Vous arrivez à temps.

– Qu’est-ce que tu fais là?

– Je prends un bain de poudre pour ma santé. Quand vous êtes venu, j’allais le réchauffer en y laissant tomber ma pipe.

– Pas de bêtise!.. Tiens-la bien, au contraire. Lève-toi avec précaution et suis-moi.

– Je suis bien fâché de vous désobéir, mon général, mais cela m’est impossible, vu que j’ai les deux jambes cassées.»

Daumesnil, préoccupé, oublia un instant que Castagnette avait deux jambes de bois.

«Ils t’ont cassé les jambes, les brigands?.. Nous les leur ferons payer cher. Je vais t’envoyer un chirurgien.

– Si cela vous est égal, mon commandant, j’aimerais autant un menuisier. Un coup de rabot et quelques clous sur mes blessures me feraient le plus grand bien.»

Daumesnil rit de sa méprise, et, dix minutes plus tard, Castagnette, porté en triomphe, traversait les cours de la forteresse, salué par les vivats de la petite garnison.


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