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Pièces choisies
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Текст книги "Pièces choisies"


Автор книги: Valentin Krasnogorov



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Valentin Krasnogorov
Pièces choisies

Traduit du russe par Daniel Mérino

Rencontre facile

Легкое знакомство

La pièce en deux actes

À PROPOS

Une rencontre entre un homme et une femme a lieu dans le restaurant d’un hôtel, tard le soir. Notons que c’est la femme qui a pris l’initiative de cette rencontre. Il est très difficile de comprendre qui est cette étrange inconnue : belle de nuit ou aventurière raffinée ? L’homme n’arrive pas à savoir s’il lui plaît, si elle joue avec lui ou si elle propose simplement une relation vénale. Le duel verbal que se livrent ces deux personnages reflète une attirance et une répulsion mutuelles, leur solitude et leur effort pour la surmonter, le désir et la crainte de l’amour. 1 rôle masculin, 1 rôle féminin

Personnages :

Lui

Elle

ACTE I

La salle de restaurant d’un hôtel, tard dans la soirée. Le restaurant est presque vide. Un homme d’âge moyen achève tranquillement son repas, tout en lisant distraitement un manuscrit.

Un peu plus loin, à une distance de quelques tables, est assise une femme d’une tre_uteau. La femme, de l’air de quelqu’un qui a pris une décision, se lève et s’approche de la table de l’homme.

ELLE. Excusez-moi, la place est libre?

L’homme lève la tête, puis parcourt du regard la salle vide et regarde la femme avec étonnement.

ELLE. Je demande si la place est libre.

LUI. Oui, elle est libre.

ELLE. Je peux m’asseoir sur cette chaise?

LUI. (débarrassant sans trop d’entrain son porte-documents de la chaise). Oui, je vous en prie.

La femme s’assoit. L’homme se plonge ostensiblement dans la lecture, faisant des annotations. La femme suspend son sac au dossier de sa chaise, arrange sa coiffure et s’installe confortablement. On sent qu’elle s’apprête à rester longtemps.

ELLE. Excusez-moi, avez-vous des allumettes?

LUI. (interrompant sa lecture). Pardon?

ELLE. Je demande, si vous avez des allumettes ou un briquet.

LUI. Je ne fume pas.

ELLE. Vous prenez soin de votre santé?

LUI. Je ne fume pas, tout bonnement.

ELLE.Et vous faites bien. Moi non plus je ne fume pas.

LUI.Pourquoi, alors, demander des allumettes?

ELLE. Je n’en ai pas demandé. Je voulais simplement savoir si vous en aviez ou pas.

LUI. Admettons, que je n’en aie pas. Et alors?

ELLE. Rien.

LUI. Et si j’en ai?

ELLE. Rien, non plus.

LUI. Une manœuvre pour engager la conversation?

ELLE. Peut-être.

LUI. Considérez qu’elle a échoué.

ELLE. Il est d’usage de considérer, je ne sais d’ailleurs pas pourquoi, qu’il revient à l’homme d’engager la conversation.

LUI. S’il le veut.

ELLE. Et vous ne voulez pas?

LUI. Et je ne veux pas.

ELLE. Bon, alors restons sans parler.

L’homme s’efforce à nouveau de lire le manuscrit. La femme, silencieuse, continue de le regarder.

LUI. (se détachant avec agacement de sa lecture). Pourquoi me fixez-vous du regard? Que vous faut-il?

ELLE. Rien. Peut-être, vous taquiner un peu.

LUI. Pourquoi?

ELLE. Je ne sais pas. Sans doute, l’ennui.

LUI. Allez vous distraire ailleurs.

ELLE. Vous ne vous ennuyez pas? Vous ne faites que passer dans cette ville qui vous est étrangère et où vous n’avez rien à faire…

LUI. Pourquoi avez-vous décidé que je ne fais que passer?

ELLE. Qui d’autre peut rester tard le soir dans un restaurant d’hôtel, seul avec un porte-documents, à lire un document assommant?

LUI. Et vous me proposez de me divertir?

Elle ne répond pas. Pour la première fois, il jette sur elle un regard attentif, la jaugeant de la tête aux pieds.

ELLE. (Suivant son regard, elle se redresse, ajuste les épaules et demande, légèrement ironique, tout en esquissant une pose :). Eh bien, cela vous plaît?

LUI. (avouant malgré lui). Pas mal.

ELLE. Merci. Bon, nous pourrions, peut-être, faire enfin connaissance?

LUI. Je vous remercie pour cette proposition mais je ne cours pas après les rencontres faciles.

ELLE. Et pourquoi avez-vous décidé que faire connaissance avec moi sera facile? Je vous promets que cela sera difficile.

LUI. Cela n’aura pas lieu du tout.

ELLE. Cependant, cela est déjà en cours.

LUI. Pas du tout. Je ne vous connais pas et ne veux pas vous connaître.

ELLE. Pourquoi ce ton cassant?

LUI. Pour mettre sans attendre les points sur les i. Va aguicher un autre homme. (D’un geste décidé, il range le manuscrit dans le porte-documents.)

ELLE. Et si je veux vous aguicher, vous, précisément?

LUI. Ne perds pas ton temps, ça ne marchera pas. Les liaisons fortuites, ce n’est pas mon style. De plus, j’aime ma femme.

ELLE. (avec un étonnement joué). Que dites-vous? Un homme loge à l’hôtel et avoue à une femme qu’il est marié! Et qu’il aime sa femme! Rare exemple de sincérité et d’honnêteté.

LUI. Quoi qu’il en soit, je suis marié, et finissons-en.

ELLE. En quoi est-ce gênant? Ai-je seulement insinué que vous deviez m’épouser?

LUI. Pour l’instant non, mais à en juger par ta rapidité, peut-être ne vas-tu pas tarder à y faire allusion. (Son regard fait le tour de la salle.) Où est passé ce foutu garçon?

ELLE. (s’asseyant plus confortablement). Je sens que vous n’êtes pas sûr de votre fermeté et c’est pourquoi vous me chassez.

LUI. Écoutez, ça commence à m’agacer. Vous avez là plein de tables libres. Pourquoi êtes-vous venue vous asseoir justement à côté de moi?

ELLE. Parce que j’en ai eu envie.

LUI. Je vois que tu ne lâcheras pas comme ça, aussi mettons les choses au clair : je ne me compromets pas avec les filles des rues. Tu n’as aucune chance.

ELLE. Vous préférez, bien sûr, les honnêtes filles.

LUI. Ça va de soi.

ELLE. Et qu’est-ce que c’est, selon vous, une femme des rues?

LUI. Celle qui fait commerce de son amour.

ELLE. C’est donc par économie que vous préférez les honnêtes filles?

LUI. Ne me provoque pas.

ELLE. Entendu. Donc, selon vous, je suis une fille des rues?

LUI. Quoi d’autre?

ELLE. Est-ce que je vous racole dans la rue?

LUI. Dans la rue, au restaurant, quelle différence? Ce qui compte, c’est l’argent.

ELLE. Je vous ai demandé de l’argent?

LUI. (de mauvais gré). Pas encore.

ELLE. Dites, et si une femme trompe son mari gratuitement, elle est honnête?

LUI. (ne sachant que répondre). Lâche-moi.

ELLE. Et si je passe la nuit avec vous sans me faire payer, je serai une fille honnête?

LUI. Je t’ai dit de me lâcher.

ELLE. En somme, vous me repoussez.

LUI. Oui.

ELLE. Pourquoi?

LUI. Je crains qu’après cette nuit enflammée je doive aller chez le médecin et alors elle deviendra effectivement inoubliable.

ELLE. Vous le craignez réellement ou vous vouliez simplement m’insulter?

LUI. Je le crains réellement.

ELLE. Et moi qui croyais que c’était l’honnêteté qui vous retenait de la tentation.

LUI. Et aussi l’honnêteté.

ELLE. C’est très louable. Comme l’écrivait déjà Horace : «Fuis toutes les jouissances car la jouissance est au prix de la souffrance».

LUI. (Il ne peut cacher son étonnement.). C’est la première fois que je rencontre une femme de petite vertu qui cite Horace.

ELLE. Et vous en rencontrez souvent des femmes pareilles?

LUI. Ça, c’est mon affaire.

ELLE. Et vous, vous avez vu beaucoup d’ingénieurs citant Horace? Ou des médecins?

LUI. Pour être honnête, pas beaucoup. Pas du tout. D’où tenez-vous ces références?

ELLE. Je les moissonne chez mes clients. Car parmi eux, on en trouve aussi de tout à fait cultivés. (Posément.) Parfois même hautement diplômés.

LUI. (lui jetant un regard inquisiteur). Vous savez des choses sur moi?

ELLE. Peut-être.

LUI. Je vois, avec vous il faut être sur ses gardes. Et vous n’avez pas votre langue dans la poche.

ELLE. Hélas, je n’ai pas de poche. Seulement un petit sac.

LUI. (À nouveau, il la regarde attentivement.). Je n’arrive pas à vous cerner.

ELLE. Je pense que ça n’en vaut pas la peine. Vous le regretteriez.

LUI. Vous ne ressemblez pas à une prostituée ordinaire.

ELLE. Je vois que vous avez une riche expérience. Malgré votre froideur, votre fermeté et votre dégoût vous arrivez à savoir à quoi ressemblent les prostituées.

LUI. Je vais au cinéma.

ELLE. Ne vous diminuez pas. Dites-moi plutôt à quoi ressemblent et comment se conduisent les belles de nuit.

LUI. Je ne sais pas… Sans doute avec plus de sans-gêne.

ELLE. Sans doute, vouliez-vous dire avec « plus de rentre-dedans ». Disons, comme ça. (Elle s’assoit en croisant les jambes, met à nu une épaule, remonte très haut sa robe et allume une cigarette imaginaire.) C’est ressemblant?

LUI. (souriant involontairement). Il y a de ça.

ELLE. Ça vous plaît?

LUI. Oui et non. Ça repousse… mais ça attire aussi.

ELLE. Merci pour cet aveu sincère.

LUI. (lui versant à boire). Un peu de vodka?

ELLE. Pourquoi? Dans les films ces filles-là boivent toujours de la vodka? Je vais rarement au cinéma, mais je croyais que leur occupation principale était tout autre.

LUI. Vous n’êtes pas obligée de boire. Pour être honnête, je ne l’aime pas non plus moi-même.

ELLE. Eh bien, que pensez-vous des femmes qui font le plus vieux métier du monde?

LUI. (Il hausse les épaules.). Je ne sais pas. Elles existent, c’est donc qu’elles sont nécessaires à quelqu’un.

ELLE. Mais pas à vous.

LUI. Pas à moi.

ELLE. Qu’est-ce qu’elles vous ont fait pour vous irriter à ce point?

LUI. Elles se donnent à tous venants.

ELLE. Pourquoi ne pourraient-elles pas donner du plaisir à ceux qui en ont besoin? Je dirais même que c’est notre devoir de femme. (Avec une solennité moqueuse :) Platon déjà affirmait que nous devons vivre non seulement pour nous-mêmes, mais pour partie appartenir à la société, pour partie aux amis.

LUI. Mais vous vous êtes forgé un joli savoir.

ELLE. La vie est un bon forgeron, qui apprend à battre le verbe quand il le faut.

LUI. Tu as beau dire, se vendre est immoral.

ELLE. Dans une certaine mesure, nous vendons tous notre temps, nos services et notre travail. Selon vous, si une femme travaille à la chaîne, courbe l’échine sur un chantier ou bêche la terre, c’est plus moral? Car celles que vous attaquez ainsi ne sont pas des oisives, elles travaillent. En Amérique, on appelle de telles dames des sexual workers, des travailleuses du sexe et elles sont syndiquées. En Hollande, on les nomme plus poétiquement ‒ Froelischsmädchen ‒ « les filles de joie ». Chez nous, de quels noms ne les gratifie-t-on pas, sans parler encore du vocabulaire obscène.

LUI. Selon vous, elles ne méritent pas de tels sobriquets?

ELLE. Alors, que méritent les hommes qui bénéficient de leurs services?

LUI. Voyons, il y a une différence.

ELLE. Bien sûr, qu’il y a une différence. Les femmes publiques, elles font ça, au moins, pour gagner leur vie. Les hommes, par concupiscence et débauche.

LUI. J’espère que ce n’est pas moi que tu vises?

ELLE. Non, pas vous. Bien sûr, que non. Vous êtes irréprochable. (Elle se lève et prend son sac à main.) Je crois que je ne vais plus vous imposer ma présence. Je vous ai un peu chambré, c’est bon. Votre manuscrit se languit de vous. Portez-vous bien.

LUI. Attendez… Où allez-vous?

ELLE. J’en ai suffisamment entendu.

LUI. Je ne vous chasse pas, vous savez.

ELLE. Et qui a mis les points sur les i et mis les choses au clair?

LUI. Eh bien, j’ai été un peu brusque.

ELLE. Vrai, vous n’êtes pas fâché?

LUI. Non. Pour quelle raison? Je dois l’avouer, seul je me sentais assez cafardeux. Dehors, c’est l’automne, la nuit est exécrable, il fait froid, il vente…

ELLE. Allez vous coucher, alors.

LUI. Retrouver ma chambre? J’y mourrais d’ennui. De toute façon, je ne trouverai pas le sommeil.

ELLE. Vous souffrez d’insomnie?

LUI. (acquiesçant). En gros, oui. Insomnie chronique.

ELLE. Bon, alors je reste encore un peu.

LUI. On peut commander?

ELLE. Pas la peine, merci. Je ne voudrais pas vous ruiner.

LUI. Mon portefeuille résisterait à ce coup.

ELLE. Non, je vous remercie.

LUI. Alors, une tasse de café?

ELLE. Non.

LUI. (prenant la carafe). Peut-être quand même quelque chose d’un peu plus fort? (Et, vu qu’au lieu de lui répondre, elle se tait seulement en le regardant, il ajoute :) Au fond, qui êtes-vous?

ELLE. Vous voyez bien : une tombeuse d’hommes.

LUI. Je vois. Et plus concrètement?

ELLE. Je n’en dirai rien. Le secret rend une femme attirante. L’homme cherche tout de suite à la comprendre.

LUI. Tu crois?

ELLE. Je le sais. Autrement elle cesse d’intéresser, comme une grille de mots croisés remplie.

LUI. (Avec un sourire ironique.). Quels secrets peux-tu avoir?

ELLE. Pour parler vrai, aucun. Il va falloir que j’en invente pour être un peu plus intéressante. Comme chanté dans le romance de Tchaïkovski, « Je t’ai vue, mais un mystère voilait tes traits… » Est-ce qu’un mystère voile mes traits?

LUI. (Il la regarde attentivement.). Mystère ou pas mystère, je ne te connais absolument pas.

ELLE. C’est très bien. Nous ne nous connaissons pas, mais notre amour est devant nous.

LUI. Heu! Pour ce qui est de l’amour devant nous, j’ai des doutes.

ELLE. Ah oui, j’avais oublié : vous êtes marié. L’amour avec une autre, même pour une nuit, est pour vous inconcevable.

LUI. Pour toi, la fidélité dans le mariage n’a aucun sens?

ELLE. Si pour vous elle est si importante, alors je consens à un mariage de quelques heures.

LUI. De quelques heures?

ELLE. Et quoi? C’est plus agréable que pour une vie entière.

LUI. Il n’y a rien de sacré pour toi.

ELLE. (Méprisante.). Laissez tomber. D’ordinaire, c’est par des grands mots que l’on masque les petites mesquineries et les intentions louches. Et plus les actes sont vils, plus les mots sont subtils. Les hommes parlent avec inspiration de tes yeux envoûtants aux étoiles pareils, et dans le même temps se fourrent sous ta jupe. Tu deviens réaliste par la force des choses.

LUI. Vous pensez sincèrement que tous les hommes sont comme ça?

ELLE. Je serais ravie de penser autrement mais…

« Plaignons qui prévoit tout, la buse

Que les émois ne touchent pas,

Qui hait chaque mot, chaque pas,

Et qui craint que chacun l’abuse :

Le destin a glacé son cœur

Et muselle en lui toute ardeur. »11
  Eugène Onéguine, Roman en vers d’Alexandre Pouchkine, traduit par Charles Weinstein, éditions L’Harmattan, Janvier 2016.


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Petite pause.

LUI. Vous connaissez même des poèmes? D’où vient cette érudition?

ELLE. Allons, allons, où voyez-vous l’érudition? Tout le monde à l’école a déclamé « Eugène Onéguine ». Toutes les fillettes romantiques connaissent ces beaux vers. (Changeant de ton et avec le sourire :) Pardonnez-moi pour cette minute de spleen. Voilà, c’est fini. Me revoilà prête à vous divertir telle une geisha japonaise.

LUI. Comment t’appelles-tu?

ELLE. C’est sans importance. De toute façon nous nous séparerons demain matin et nous ne nous reverrons jamais plus.

LUI. Je vois que tu considères cela comme une affaire réglée.

ELLE. Que nous allons nous séparer?

LUI. Non, que ce sera demain matin.

ELLE. Quand alors? Après-demain?

LUI. Non, ce soir. Nous nous lèverons de table et bonjour!

ELLE. Cet homme est un moins que rien qui invite une femme à un souper sans espérer partager son petit-déjeuner avec elle.

LUI. Mais je ne t’ai pas invitée à un souper Tu t’es toi-même invitée. Di…tes, vous faites vraiment ce métier?

ELLE. J’aime mon métier et il m’a fallu du temps pour l’apprendre. Je n’ai aucune honte. Et puis, qui je suis, c’est clair depuis longtemps pour vous et il n’y a rien à ajouter. Parlez plutôt de vous.

LUI. Il n’y a rien à dire.

ELLE. Pourquoi rien? Par exemple, vous avez déclaré avec fierté que vous étiez marié. Eh bien, parlez de votre femme.

LUI. À quoi bon?

ELLE. Je veux connaître vos goûts. La femme de la périphérie coute toujours avec intérêt ce qui est dit au sujet de la femme qui est au centre.

LUI. (Avec déplaisir.). Qu’est-ce qu’on peut dire? Une épouse est une épouse.

ELLE. « Une épouse est une épouse ». Du pur Tchékhov. « Les trois sœurs ». Elle est blonde? Brune?

LUI. Quelle importance?

ELLE. Aucune. Simple curiosité. Vous avez une photographie?

LUI. Non. Et si j’en avais eu une, je ne vous l’aurais pas montrée.

ELLE. Naturellement. Pour quoi faire l’étalage de la beauté d’une épouse pure devant une fille? Elle vous plaît?

LUI. Oui.

ELLE. Sous tous les rapports?

LUI. Sous tous les rapports.

ELLE. Même intimes?

LUI. Surtout intimes.

ELLE. Et vous n’avez même pas envie, parfois, de changement?

LUI. Pas envie.

ELLE. Vous mentez. C’est contraire à la nature de l’homme. Vous devriez le savoir, vous qui êtes biologiste. Ou psychologue?

LUI. (Étonné). Comment sais-tu que… (Avec méfiance.) Tu m’espionnes, ma parole. Je n’aime pas ça.

ELLE. (riant de son air intrigué). Je lis dans les traits du visage.

LUI. Non, sérieusement.

ELLE. C’est sérieux, je lis dans les traits du visage. Et aussi l’insigne que vous portez sur la veste. « Quatrième conférence internationale de psychologie ». Car vous êtes ici pour la conférence?

LUI. Oui, c’est exact.

ELLE. Vous avez fait une intervention?

LUI. Oui.

ELLE. Alors, que dit votre psychobiologie? L’homme a-t-il envie de changement ou pas?

LUI. (Sombre.). En tout cas, pas avec des femmes telles que toi.

ELLE. Merci, vous êtes très aimable.

LUI. Je dis simplement les choses comme elles sont.

ELLE. Mais si vous dites les choses comme elles sont, avouez donc que votre mariage n’est pas vraiment une réussite.

LUI. Qu’est-ce qui te fait dire ça?

ELLE. Je le vois au ton sur lequel vous en parlez, ou plus exactement ne voulez pas en parler. Du reste, les mariages, en général, sont rarement une réussite. C’est pourquoi, il n’est pas difficile de deviner.

LUI. (Sèchement.). Garde les devinettes pour toi.

ELLE. J’ai mis dans le mille et vous vous emportez.

LUI. Tu te trompes.

ELLE. Je me trompe? J’en suis ravie pour vous… Bon, et comment vivez-vous avec votre épouse qui est une épouse?

LUI. Comme tous les maris.

ELLE. Comme tous les maris? Je vois.

LUI. Qu’est-ce que tu vois?

ELLE. Tous les maris. (Elle déclame, moqueuse.)

« Mes amis vivaient avec leurs belles-mères

Et leurs épouses, portraits crachés des mères,

Les unes trop grosses, les autres osseuses,

Fatiguées et comme la pluie ennuyeuses » …

LUI. (Agacé.). Ne va pas trop loin, quand même, ma vie de famille ne te regarde pas.

ELLE. (Avec ironie.). C’est sacré.

LUI. Sacré ou pas, ça ne te concerne pas.

ELLE. Pourquoi vous vexez-vous? Je n’ai fait que dire des vers. Et en plus, pas les miens.

LUI. Parce que tu en écris?

ELLE. Peut-être.

LUI. (Grossier.). J’étais loin de penser que les putains étaient si romantiques.

ELLE. Pour vous, seules les épouses peuvent être romantiques? Eh bien, je l’ignorais.

LUI. Tu sais quoi? Tu causes trop. Bois et tais-toi, ça vaut mieux.

ELLE. Je n’ai pas envie. Je n’aime pas la vodka.

LUI. Tu comptais, sans doute, sur le champagne?

ELLE. (changeant de ton). Je comptais au moins sur une banale politesse. La politesse d’un homme envers une femme. D’un être humain envers un autre humain. Je ne vous ai pas encore fixé mon prix et vous m’avez déjà traitée de putain. Et en plus, je ne sais pas pourquoi, vous me tutoyez, bien que je vous vouvoie. (Elle se lève.) Je vous dis adieu. Je ne vous embêterai plus. (Elle laisse l’homme, retourne à sa table et s’assoit.)

Pause.

La femme, à sa table, boit son café refroidi avec de longues pauses entre chaque gorgée. L’homme se lève, puis se rassoit, reprend son manuscrit et l’ouvre, mais visiblement le cœur n’y est pas. Repoussant le manuscrit, il se dirige d’un pas décidé vers la femme et commence à s’asseoir près d’elle. La femme l’arrête.

ELLE. Je ne vous ai pas permis de vous asseoir.

LUI. (se redressant). Excusez-moi. (Il recule de deux pas et se rapproche de la table. Très poliment :) Pardon, la place est libre?

ELLE. Oui.

LUI. Je peux?

ELLE. Faites.

LUI. Je vous remercie. (Il s’assoit. Après un bref silence :) Pourquoi êtes-vous partie?

ELLE. De loin, vous me faisiez l’effet d’un intellectuel. Et donc, j’ai décidé de m’éloigner de la même distance. Mais, hélas, l’illusion ne s’est pas répétée.

LUI. Je reconnais que j’ai été quelque peu grossier avec vous.

ELLE. « Quelque peu »?

LUI. Très grossier. Je le regrette.

ELLE. Je suis contente de vous entendre dire cela.

LUI. Qui que vous soyez, j’aurais dû me conduire poliment. Vous avez eu raison de me remettre à ma place. Je ne vous ai pas tout de suite appréciée à votre valeur et je me suis conduit avec vous assez dédaigneusement et avec condescendance.

ELLE. Et moi, j’ai été assez sans-gêne et je le regrette aussi. Il m’est agréable de voir qu’à présent vous vous conduisez comme un vrai homme. Vous pouvez considérer que le conflit est éteint.

LUI. J’étais obligé de présenter des excuses, mais cela ne change pas le fond de l’affaire. Votre profession ne suscite toujours pas mon enthousiasme et je n’ai pas besoin de vos services.

ELLE. Alors, maintenant que nous nous sommes excusés tous les deux, vous pouvez retourner à votre dîner et à votre travail si extraordinairement important.

LUI. (Il se lève mais ne part pas.). Pourquoi ne retournerions-nous pas ensemble à ma table?

ELLE. Qu’a-t-elle de mieux que la mienne?

LUI. Qu’a-t-elle de pire?

ELLE. Voyez-vous, quand une femme vient s’asseoir à côté d’un homme, cela est considéré comme immoral, ce que vous m’avez laissé entendre avec la délicatesse qui vous est propre. Mais lorsqu’un homme s’assoit à la table d’une femme et commence à l’importuner, on ne sait pas pourquoi, cela prend toutes les apparences de la normalité et personne ne s’en trouve dérangé. Si bien qu’il vaut mieux que je reste à ma table. Ici, au moins, je me sens maîtresse de la situation. Et personne ne pourra dire que je m’impose.

LUI. En d’autres termes, vous m’invitez à venir m’asseoir?

ELLE. Je n’ai pas dit cela. Mais si vous en demandez l’autorisation, je ne dirai pas non.

LUI. Je vois. Donc, vous m’autorisez?

ELLE. Je vous accorde un temps d’essai.

LUI. Merci.

L’homme s’assoit.

Longue pause.

ELLE. Eh bien, vous êtes bien silencieux!

LUI. Et que dois-je dire?

ELLE. Puisque vous voilà assis à ma table, c’est votre tour, maintenant, de me divertir.

LUI. Vous le faites mieux que moi.

ELLE. Merci. Au demeurant, vous ne connaissez pas encore dans toute leur étendue mes aptitudes. Comme disait une prima donna de vaudeville vantarde : « Je donnerai de la voix le soir ».

LUI. Cela promet beaucoup.

ELLE. Je tiens toujours mes promesses.

LUI. Permettez-moi encore une fois de répéter : vous êtes une interlocutrice intéressante et je suis prêt à discuter avec vous autant que vous voudrez. Mais rien de plus. De sorte que si vous escomptez un salaire, il vaut mieux que vous ne perdiez pas votre temps et que vous trouviez un autre client.

ELLE. Vous vous conduisez très bizarrement. D’ordinaire, les hommes veulent passer directement à la chose, sans aucune discussion. Et vous, vous préférez les discussions et évitez la chose.

LUI. Ce que vous appelez la chose, la première venue sait comment y conduire. Mais soutenir intelligemment une conversation intéressante n’est pas à la portée de n’importe qui. Ce serait un péché que de laisser passer l’occasion.

ELLE. Par soutenir intelligemment une conversation intéressante, vous entendez, bien évidemment, échange de grossièretés.

LUI. Je peux vous expliquer, pourquoi j’ai été brusque avec vous. J’ai senti que l’on me prenait à l’abordage. Cela ne m’a pas plu et j’ai été contraint de me défendre. Si la conversation que nous devons avoir se déroule sans allusions érotiques, je me sentirai libre et c’est avec plaisir que je parlerai avec vous d’Alice au pays des merveilles.

ELLE. Dites-moi sans ambages ce qui vous dérange chez moi. Je suis affreuse? Ennuyeuse? Désagréable?

LUI. Pas du tout.

ELLE. Alors, où est le problème?

LUI. Eh bien, voyez vous-même, pourquoi me lancer dans une aventure avec une inconnue? Vous avez du charme, je ne le nie pas. C’est sans doute agréable de s’endormir avec vous, mais peut-être que demain je me réveillerai sans argent, sans papiers. Et peut-être que votre petit ami fait équipe avec vous et qu’il me fendra le crâne pour avoir mon portefeuille.

ELLE. Quel homme raisonnable et prudent vous faites! Vous prévoyez tout.

LUI. À vos yeux, je sais, c’est un défaut. « Plaignons qui prévoit tout… ».

ELLE. Et pourquoi n’ai-je pas peur de vous? Vous aussi, vous pouvez tout me faucher.

LUI. Moi, à vous?

ELLE. Et pourquoi pas? À ce propos, j’ai pas mal d’argent sur moi. Tenez, regardez. (Elle ouvre son sac à main.)

LUI. (Après avoir jeté un œil dans le sac.). Ho! ho! D’où sortez-vous tant d’argent?

ELLE. Le salaire de ces quatre derniers jours. Votre ami ne me fracassera-t-il pas le crâne pour ça?

LUI. Je vois qu’on vous rétribue avec largesse.

ELLE. Je ne me plains pas. Mais le travail n’est pas des plus faciles. Et il exige une haute qualification.

LUI. Si ce n’est pas un secret, combien prenez-vous?

ELLE. Soyez rassuré, nous trouverons une entente.

LUI. Je ne demande pas pour moi, mais en général.

ELLE. Ça dépend de la durée, de la situation financière du commanditaire, de mon humeur et aussi de beaucoup d’autres choses.

LUI. Et malgré tout? Combien?

ELLE. Et jusqu’à combien pouvez-vous aller?

LUI. Zéro. Je n’en ai pas besoin, même pas gratuitement. Simple curiosité de ma part.

ELLE. Vous savez quoi? Lorsque, par exemple, en Espagne, une dame proposait un rendez-vous à un homme, même en pleine nuit et dans un lieu inconnu, il y allait sans hésiter, sans penser à sa bourse ou aux dangers. C’est comme ça qu’agissaient les vrais cavalleros.

LUI. Mais nous ne sommes pas en Espagne et nous ne jouons pas une comédie de cape et d’épée. Nous sommes dans notre triste réalité de tous les jours, où il y a beaucoup de filouterie, de mensonges, de criminalité et de cruauté. De plus, il ne s’agit pas seulement de prudence de ma part.

ELLE. Et de quoi donc?

LUI. Pour être franc, plonger la cuillère dans la soupe c’est agréable quand elle est dans une assiette propre et non pas dans une auge publique. Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser.

ELLE. Peut-être ne vouliez-vous pas, mais vous l’avez fait. Mais pas avec vos paroles grossières, non, j’en ai plus qu’entendu de votre part, mais tout simplement parce que vous ne voulez pas de moi. Et pour une femme, il n’y a pas plus grande offense que de savoir qu’elle n’est pas désirée.

LUI. S’il vous plaît, laissons ce sujet. Nous en étions convenus.

ELLE. Nous ne sommes convenus de rien.

LUI. Parlons d’autre chose.

ELLE. Abstenons-nous plutôt de parler d’autre chose.

Pause.

LUI. Puisque vous n’aimez pas la vodka, peut-être, commanderons-nous pour de bon du champagne?

ELLE. Pas maintenant.

LUI. Et quand?

ELLE. Demain matin.

LUI. Il n’y aura pas de demain matin.

ELLE. Si.

LUI. Non.

ELLE. Et qu’y aura-t-il? Seulement la nuit?

LUI. Il n’y aura rien, aucune coucherie.

ELLE. Mais je ne vous l’ai même pas promise. En général, un homme marié n’est pas disposé à coucher dans deux cas : ou bien sa femme l’a à ce point ensorcelé, qu’il n’est pas attiré par d’autres femmes, ou bien elle l’a à ce point réfrigéré qu’il en a perdu le goût. Avec laquelle de ces deux variantes avons-nous affaire dans votre cas?

LUI. (Sèchement.). Je vous ai priée, me semble-t-il, de ne pas toucher à ma vie privée. De ne pas prononcer un mot sur ma femme. Et, plus largement, de ne pas parler de moi.

ELLE. Et de quoi alors?

LUI. De ce que vous voulez, mais pas de moi.

ELLE. Et moi, justement, j’ai envie de ne parler que de vous.

LUI. Ça vous sert à quoi?

ELLE. Ça vous sert vous. Vous n’êtes pas heureux. Vous n’avez personne à qui vous confier.

LUI. Tout va bien pour moi.

ELLE. Et puis, vous avez peur de moi.

LUI. Moi, peur de vous?

ELLE. Oui. Vous avez peur de me céder, mais plus encore de me laisser, de retourner dans votre chambre et de rester seul à seul avec vous-même. Voilà pourquoi vous restez avec moi et me proposez du champagne, bien qu’au fond de vous-même vous me méprisiez. Vous me méprisez et vous me voulez. Je me trompe?

LUI. Foutaise!

ELLE. C’est la vérité.

LUI. Non, vous vous trompez.

ELLE. Vous ne me méprisez pas, mais me voulez seulement?

LUI. Non.

ELLE. Vous ne me voulez pas, mais me méprisez seulement?

LUI. Vous avez une habileté consommée à chambrer les gens et à vous cramponner au moindre mot.

ELLE. Je me cramponne, parce que je veux vous accrocher. N’est-ce pas suffisamment clair?

LUI. Et vous l’avouez?

ELLE. Est-ce que je vous l’ai caché? Depuis le tout début, je ne vous parle que de cela. Mais, pour une raison que j’ignore, vous avez peur de moi.

LUI. Je n’ai peur de rien. Simplement, je trouverais désagréable de me réveiller le matin aux côtés d’une inconnue.

ELLE. Et de ne pas savoir comment vous en débarrasser.

LUI. Je n’ai pas dit ça.

ELLE. Mais vous l’avez pensé.

LUI. (Sèchement.). Je ne veux pas vous froisser, mais je suis contraint de répéter pour la dixième fois, je ne suis pas de ceux qui trouvent leur plaisir dans des amours facturées à l’heure. Je suis peut-être vieux jeu, mais on ne se refait pas.

ELLE. Et ce n’est pas la peine. Vous me plaisez précisément tel que vous êtes.

L’homme prend son portefeuille, en sort de l’argent et le pose sur la table.

LUI. Tenez, prenez.

ELLE. Qu’est-ce que c’est?

LUI. Votre rémunération, pour le temps que vous avez perdu. Il vous fallait gagner de l’argent, je suis prêt à payer. À la condition que vous me lâchiez.

ELLE. Nous discuterons de cette transaction plus tard.

LUI. Non, maintenant. Si ce n’est pas assez, je suis prêt à payer plus. (Il rouvre son portefeuille.)

ELLE. J’ai l’habitude de gagner ma vie honnêtement et de ne pas recevoir d’aumône.

LUI. En me divertissant, vous la gagnez plus honnêtement que d’habitude. Je ne cache pas que j’étais d’humeur exécrable et vous m’avez quelque peu aidé à me distraire. Mais maintenant, suffit. Prenez et partez.

ELLE. (Peinée et sincèrement déçue.). Visiblement, ça doit être vrai que je ne vous plais pas beaucoup. (Après un court silence.) Mais, peut-être, au contraire, êtes-vous très attiré par moi? Je crois que pour me rassurer, je vais rester sur la deuxième variante.

LUI. Je ne vous retiens pas.

ELLE. Pourquoi me chassez-vous?

LUI. Parce que j’ai effectivement comme l’impression de commencer à m’intéresser à vous plus qu’il ne convient.

ELLE. Et vous savez toujours ce qu’il convient de se permettre?

LUI. Naturellement. Comme on dit, bois mais sans excès, aime mais sans t’éprendre.

ELLE. Vous méritez vingt sur vingt pour votre conduite.

LUI. Absolument. Prenez l’argent.

ELLE. Si je le prends, ce sera seulement au matin.

LUI. J’admire votre persévérance.

ELLE. Et moi votre caractère inflexible.

LUI. Vous avez tout tenté, mais vous avez perdu.


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