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L’Aiguille creuse
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 01:40

Текст книги "L’Aiguille creuse"


Автор книги: Maurice Leblanc



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Un éclat de rire strident lui répondit.

– Mais tu ne comprends donc pas, brigand, s’écria Beautrelet, que j’ai pris mes précautions ? Alors tu t’imagines que je suis assez naïf pour avoir, bêtement, stupidement, renvoyé mon père chez lui, dans la petite maison isolée qu’il occupait en rase campagne ?

Oh ! le joli rire ironique qui animait le visage du jeune homme ! Rire nouveau sur ses lèvres, rire où se sentait l’influence même de Lupin… Et ce tutoiement insolent qui le mettait du premier coup au niveau de son adversaire !… Il reprit :

– Vois-tu, Lupin, ton grand défaut, c’est de croire tes combinaisons infaillibles. Tu te déclares vaincu ! Quelle blague ! Tu es persuadé qu’en fin de compte, et toujours, tu l’emporteras… et tu oublies que les autres peuvent avoir aussi leurs combinaisons. La mienne est très simple, mon bon ami.

C’était délicieux de l’entendre parler. Il allait et venait, les mains dans ses poches, avec la crânerie, avec la désinvolture d’un gamin qui harcèle la bête féroce enchaînée. Vraiment, à cette heure, il vengeait, de la plus terrible des vengeances, toutes les victimes du grand aventurier. Et il conclut :

– Lupin, mon père n’est pas en Savoie. Il est à l’autre bout de la France, au centre d’une grande ville, gardé par vingt de nos amis qui ont ordre de ne pas le quitter de vue jusqu’à la fin de notre bataille. Veux-tu des détails ? Il est à Cherbourg, dans la maison d’un des employés de l’arsenal – arsenal qui est fermé la nuit, et où l’on ne peut pénétrer le jour qu’avec une autorisation et en compagnie d’un guide.

Il s’était arrêté en face de Lupin et le narguait comme un enfant qui fait une grimace à un camarade.

– Qu’en dis-tu, maître ?

Depuis quelques minutes, Lupin demeurait immobile. Pas un muscle de son visage n’avait bougé. Que pensait-il ? À quel acte allait-il se résoudre ? Pour quiconque savait la violence farouche de son orgueil, un seul dénouement était possible : l’effondrement total, immédiat, définitif de son ennemi. Ses doigts se crispèrent. J’eus une seconde la sensation qu’il allait se jeter sur lui et l’étrangler.

– Qu’en dis-tu, maître ? répéta Beautrelet.

Lupin saisit le télégramme qui se trouvait sur la table, le tendit et prononça, très maître de lui :

– Tiens, bébé, lis cela.

Beautrelet devint grave, subitement impressionné par la douceur du geste. Il déplia le papier, et tout de suite, relevant les yeux, murmura :

– Que signifie ?… Je ne comprends pas…

– Tu comprends toujours bien le premier mot, dit Lupin… le premier mot de la dépêche… c’est-à-dire le nom de l’endroit d’où elle fut expédiée… Regarde… Cherbourg.

– Oui… oui… balbutia Beautrelet… oui… Cherbourg… et après ?

– Et après ?… il me semble que la suite n’est pas moins claire : Enlèvement du colis terminé… camarades sont partis avec lui et attendront instructions jusqu’à huit heures matin. Tout va bien. Qu’y a-t-il donc là qui te paraisse obscur ? Le mot colis ? Bah, on ne pouvait guère écrire M. Beautrelet père. Alors, quoi ? La façon dont l’opération fut accomplie ? Le miracle grâce auquel ton père fut arraché de l’arsenal de Cherbourg, malgré ses vingt gardes du corps ? Bah ! c’est l’enfance de l’art ! Toujours est-il que le colis est expédié. Que dis-tu de cela, bébé ?

De tout son être tendu, de tout son effort exaspéré, Isidore tâchait de faire bonne figure. Mais on voyait le frissonnement de ses lèvres, sa mâchoire qui se contractait, ses yeux qui essayaient vainement de se fixer sur un point. Il bégaya quelques mots, se tut, et soudain, s’affaissant sur lui-même, les mains à son visage, il éclata en sanglots :

– Oh ! papa… papa…

Dénouement imprévu, qui était bien l’écroulement que réclamait l’amour-propre de Lupin, mais qui était autre chose aussi, autre chose d’infiniment touchant et d’infiniment naïf. Lupin eut un geste d’agacement et prit son chapeau, comme excédé par cette crise insolite de sensiblerie. Mais, au seuil de la porte, il s’arrêta, hésita, puis revint, pas à pas, lentement.

Le bruit doux des sanglots s’élevait comme la plainte triste d’un petit enfant que le chagrin accable. Les épaules marquaient le rythme navrant. Des larmes apparaissaient entre les doigts croisés. Lupin se pencha et, sans toucher Beautrelet, il lui dit d’une voix où il n’y avait pas le moindre accent de raillerie, ni même cette pitié offensante des vainqueurs :

– Ne pleure pas, petit. Ce sont là des coups auxquels il faut s’attendre, quand on se jette dans la bataille, tête baissée comme tu l’as fait. Les pires désastres vous guettent… C’est notre destin de lutteurs qui le veut ainsi. Il faut le subir courageusement.

Puis, avec douceur, il continua :

– Tu avais raison, vois-tu, nous ne sommes pas ennemis. Il y a longtemps que je le sais… Dès la première heure, j’ai senti pour toi, pour l’être intelligent que tu es, une sympathie involontaire… de l’admiration… Et c’est pourquoi je voudrais te dire ceci… ne t’en froisse pas surtout… je serais désolé de te froisser… mais il faut que je te le dise… Eh bien ! renonce à lutter contre moi… Ce n’est pas par vanité que je te le dis… ce n’est pas non plus parce que je te méprise… mais vois-tu… la lutte est trop inégale… Tu ne sais pas… personne ne sait toutes les ressources dont je dispose… Tiens, ce secret de l’Aiguille creuse que tu cherches si vainement à déchiffrer, admets un instant que ce soit un trésor formidable, inépuisable… ou bien un refuge invisible, prodigieux, fantastique… Ou bien les deux peut-être… Songe à la puissance surhumaine que j’en puis tirer ! Et tu ne sais pas non plus toutes les ressources qui sont en moi… tout ce que ma volonté et mon imagination me permettent d’entreprendre et de réussir. Pense donc que ma vie entière – depuis que je suis né, pourrais-je dire – est tendue vers le même but, que j’ai travaillé comme un forçat avant d’être ce que je suis, et pour réaliser dans toute sa perfection le type que je voulais créer, que je suis parvenu à créer. Alors… que peux-tu faire ? Au moment même où tu croiras saisir la victoire, elle t’échappera… il y aura quelque chose à quoi tu n’auras pas songé… un rien… le grain de sable que, moi, j’aurai placé au bon endroit, à ton insu… Je t’en prie, renonce… je serais obligé de te faire du mal, et cela me désole…

Et, lui mettant la main sur le front, il répéta :

– Une deuxième fois, petit, renonce. Je te ferais du mal. Qui sait si le piège où tu tomberas inévitablement n’est pas déjà ouvert sous tes pas ?

Beautrelet dégagea sa figure. Il ne pleurait plus. Avait-il écouté les paroles de Lupin ? On aurait pu en douter à son air distrait. Deux ou trois minutes il garda le silence. Il semblait peser la décision qu’il allait prendre, examiner le pour et le contre, dénombrer les chances favorables ou défavorables. Enfin, il dit à Lupin :

– Si je change le sens de mon article, et si je confirme la version de votre mort, et si je m’engage à ne jamais démentir la version fausse que je vais accréditer, vous me jurez que mon père sera libre ?

– Je te le jure. Mes amis se sont rendus en automobile avec ton père dans une autre ville en province. Demain matin à sept heures, si l’article du Grand Journal est tel que je le demande, je leur téléphone et ils remettront ton père en liberté.

– Soit, fit Beautrelet, je me soumets à vos conditions.

Rapidement, comme s’il trouvait inutile, après l’acceptation de sa défaite, de prolonger l’entretien, il se leva, prit son chapeau, me salua, salua Lupin et sortit.

Lupin le regarda s’en aller, écouta le bruit de la porte qui se refermait et murmura :

– Pauvre gosse…

Le lendemain matin à huit heures, j’envoyai mon domestique me chercher un Grand Journal. Il ne l’apporta qu’au bout de vingt minutes, la plupart des kiosques manquant déjà d’exemplaires.

Je dépliai fiévreusement la feuille. En tête apparaissait l’article de Beautrelet. Le voici, tel que les journaux du monde entier le reproduisirent :

LE DRAME D’AMBRUMÉSY

« Le but de ces quelques lignes n’est pas d’expliquer par le menu le travail de réflexions et de recherches grâce auquel j’ai réussi à reconstituer le drame ou plutôt le double drame d’Ambrumésy. À mon sens, ce genre de travail et les commentaires qu’il comporte, déductions, inductions, analyses, etc., tout cela n’offre qu’un intérêt relatif, et en tout cas fort banal. Non, je me contenterai d’exposer les deux idées directrices de mes efforts, et par là même, il se trouvera qu’en les exposant et en résolvant les deux problèmes qu’elles soulèvent, j’aurai raconté cette affaire tout simplement, en suivant l’ordre même des faits qui la constituent.

« On remarquera peut-être que certains de ces faits ne sont pas prouvés et que je laisse une part assez large à l’hypothèse. C’est vrai. Mais j’estime que mon hypothèse est fondée sur un assez grand nombre de certitudes, pour que la suite des faits, même non prouvés, s’impose avec une rigueur inflexible. La source se perd souvent sous le lit de cailloux, ce n’en est pas moins la même source que l’on revoit aux intervalles où se reflète le bleu du ciel…

« J’énonce ainsi la première énigme, énigme non point de détail, mais d’ensemble, qui me sollicita : comment se fait-il que Lupin, blessé à mort, pourrait-on dire, ait vécu quarante jours, sans soins, sans médicaments, sans aliments, au fond d’un trou obscur ?

« Reprenons du début. Le jeudi 16 avril, à quatre heures du matin, Arsène Lupin surpris au milieu d’un de ses plus audacieux cambriolages s’enfuit par le chemin des ruines et tombe blessé d’une balle. Il se traîne péniblement, retombe et se relève, avec l’espoir acharné de parvenir jusqu’à la chapelle. Là se trouve la crypte que le hasard lui a révélée. S’il peut s’y tapir, peut-être est-il sauvé. À force d’énergie, il en approche, il en est à quelques mètres lorsqu’un bruit de pas survient. Harassé, perdu, il s’abandonne. L’ennemi arrive. C’est Mlle Raymonde de Saint-Véran. Tel est le prologue du drame ou plutôt la première scène du drame.

« Que se passa-t-il entre eux ? Il est d’autant plus facile de le deviner que la suite de l’aventure nous donne toutes les indications. Aux pieds de la jeune fille, il y a un homme blessé, que la souffrance épuise, et qui dans deux minutes sera capturé. Cet homme, c’est elle qui l’a blessé. Va-t-elle le livrer également ?

« Si c’est lui l’assassin de Jean Daval, oui, elle laissera le destin s’accomplir. Mais en phrases rapides, il lui dit la vérité sur ce meurtre légitime commis par son oncle, M. de Gesvres. Elle le croit. Que va-t-elle faire ? Personne ne peut les voir. Le domestique Victor surveille la petite porte. L’autre, Albert, posté à la fenêtre du salon, les a perdus de vue l’un et l’autre. Livrera-t-elle l’homme qu’elle a blessé ?

« Un mouvement de pitié irrésistible, que toutes les femmes comprendront, entraîne la jeune fille. Dirigée par Lupin, en quelques gestes, elle pansa la blessure avec son mouchoir pour éviter les marques que le sang laisserait. Puis, se servant de la clef qu’il lui donne, elle ouvre la porte de la chapelle. Il entre, soutenu par la jeune fille. Elle referme, s’éloigne. Albert arrive.

« Si l’on avait visité la chapelle à ce moment, ou tout au moins durant les minutes qui suivirent, Lupin, n’ayant pas eu le temps de retrouver ses forces, de lever la dalle et de disparaître par l’escalier de la crypte, Lupin était pris… Mais cette visite n’eut lieu que six heures plus tard, et de la façon la plus superficielle. Lupin est sauvé et sauvé par qui ? par celle qui faillit le tuer.

« Désormais, qu’elle le veuille ou non, Mlle de Saint-Véran est sa complice. Non seulement elle ne peut plus le livrer, mais il faut qu’elle continue son œuvre, sans quoi le blessé périra dans l’asile où elle a contribué à le cacher. Et elle continue… D’ailleurs si son instinct de femme lui rend la tâche obligatoire, il la lui rend également facile. Elle a toutes les finesses, elle prévoit tout. C’est elle qui donne au juge d’instruction un faux signalement d’Arsène Lupin (qu’on se rappelle la divergence d’opinion des deux cousines à cet égard). C’est elle, évidemment, qui, à certains indices que j’ignore, devine, sous son déguisement de chauffeur, le complice de Lupin. C’est elle qui l’avertit. C’est elle qui lui signale l’urgence d’une opération. C’est elle sans doute qui substitue une casquette à l’autre. C’est elle qui fait écrire le fameux billet où elle est désignée et menacée personnellement – comment, après cela, pourrait-on la soupçonner ?

« C’est elle qui, au moment où j’allais confier au juge d’instruction mes premières impressions, prétend m’avoir aperçu, la veille, dans le bois-taillis, inquiète M. Filleul sur mon compte, et me réduit au silence. Manœuvre dangereuse, certes, puisqu’elle éveille mon attention et la dirige contre celle qui m’accable d’une accusation que je sais fausse, mais, manœuvre efficace, puisqu’il s’agit avant tout de gagner du temps et de me fermer la bouche. Et c’est elle qui, pendant quarante jours, alimente Lupin, lui apporte des médicaments (qu’on interroge le pharmacien d’Ouvilie, il montrera les ordonnances qu’il a exécutées pour Mlle de Saint-Véran), elle enfin qui soigne le malade, le panse, le veille, et le guérit.

« Et voilà le premier de nos deux problèmes résolu, en même temps que le drame exposé. Arsène Lupin a trouvé près de lui, au château même, le secours qui lui était indispensable, d’abord pour n’être pas découvert, ensuite pour vivre.

« Maintenant il vit. Et c’est alors que se pose le deuxième problème dont la recherche me servit de fil conducteur et qui correspond au second drame d’Ambrumésy. Pourquoi Lupin, vivant, libre, de nouveau à la tête de sa bande, tout-puissant comme jadis, pourquoi Lupin fait-il des efforts désespérés, des efforts auxquels je me heurte incessamment, pour imposer à la justice et au public l’idée de sa mort ?

« Il faut se rappeler que Mlle de Saint-Véran était fort jolie. Les photographies que les journaux ont reproduites après sa disparition ne donnent qu’une idée imparfaite de sa beauté. Il arrive alors ce qui ne pouvait pas ne pas arriver. Lupin, qui, pendant quarante jours, voit cette belle jeune fille, qui désire sa présence quand elle n’est pas là, qui subit, quand elle est là, son charme et sa grâce, qui respire, quand elle se penche sur lui, le parfum frais de son haleine, Lupin s’éprend de sa garde-malade. La reconnaissance devient de l’amour, l’admiration devient de la passion. Elle est le salut, mais elle est aussi la joie des yeux, le rêve de ses heures solitaires, sa clarté, son espoir, sa vie elle-même.

« Il la respecte au point de ne pas exploiter le dévouement de la jeune fille, et de ne pas se servir d’elle pour diriger ses complices. Il y a du flottement, en effet, dans les actes de la bande. Mais il l’aime aussi, et ses scrupules s’atténuent et comme Mlle de Saint-Véran ne se laisse point toucher par un amour qui l’offense, comme elle espace ses visites à mesure qu’elles se font moins nécessaires, et comme elle les cesse le jour où il est guéri… désespéré, affolé de douleur, il prend une résolution terrible. Il sort de son repaire, prépare son coup, et le samedi 6 juin, aidé de ses complices, enlève la jeune fille.

« Ce n’est pas tout. Ce rapt, il ne faut pas qu’on le connaisse. Il faut couper court aux recherches, aux suppositions, aux espérances mêmes : Mlle de Saint-Véran passera pour morte. Un meurtre est simulé, des preuves sont offertes aux investigations. Le crime est certain. Crime prévu d’ailleurs, crime annoncé par les complices, crime exécuté pour venger la mort du chef, et par là même – voyez l’ingéniosité merveilleuse d’une pareille conception –, par là même se trouve, comment dirai-je ? se trouve amorcée la croyance à cette mort.

« Il ne suffit pas de susciter une croyance, il faut imposer une certitude. Lupin prévoit mon intervention. Je devinerai le truquage de la chapelle. Je découvrirai la crypte. Et comme la crypte sera vide, tout l’échafaudage s’écroulera.

« La crypte ne sera pas vide.

« De même, la mort de Mlle de Saint-Véran ne sera définitive que si la mer rejette son cadavre.

« La mer rejettera le cadavre de Mlle de Saint-Véran !

« La difficulté est formidable ? Le double obstacle infranchissable ? Oui, pour tout autre que Lupin, mais non pour Lupin…

« Ainsi qu’il l’avait prévu, je devine le truquage de la chapelle, je découvre la crypte, et je descends dans la tanière où Lupin s’est réfugié. Son cadavre est là !

« Toute personne qui eût admis la mort de Lupin comme possible eût été déroutée. Mais, pas une seconde, je n’avais admis cette éventualité (par intuition d’abord, par raisonnement ensuite). Le subterfuge devenait alors inutile et vaines toutes les combinaisons. Je me dis aussitôt que le bloc de pierre ébranlé par une pioche avait été placé là avec une précision bien curieuse, que le moindre heurt devait le faire tomber et qu’en tombant il devait inévitablement réduire en bouillie la tête du faux Arsène Lupin de façon à le rendre méconnaissable.

« Autre trouvaille. Une demi-heure après, j’apprends que le cadavre de Mlle de Saint-Véran a été découvert sur les rochers de Dieppe… ou plutôt un cadavre que l’on estime être celui de Mlle de Saint-Véran, pour cette raison que le bras porte un bracelet semblable à l’un des bracelets de la jeune fille. C’est d’ailleurs la seule marque d’identité, car le cadavre est méconnaissable.

« Là-dessus je me souviens et je comprends. Quelques jours auparavant, j’ai lu, dans un numéro de La Vigie de Dieppe, qu’un jeune ménage d’Américains, de séjour à Envermeu, s’est empoisonné volontairement, et que la nuit même de leur mort leurs cadavres ont disparu. Je cours à Envermeu. L’histoire est vraie, me dit-on, sauf en ce qui concerne la disparition, puisque ce sont les frères mêmes des deux victimes qui sont venus réclamer les cadavres et qui les ont emportés après les constatations d’usage. Ces frères, nul doute qu’ils ne s’appelassent Arsène Lupin et consorts.

« Par conséquent, la preuve est faite. Nous savons le motif pour lequel Arsène Lupin a simulé le meurtre de la jeune fille et accrédité le bruit de sa propre mort. Il aime, et il ne veut pas qu’on le sache. Et, pour qu’on ne le sache pas, il ne recule devant rien, il va jusqu’à entreprendre ce vol incroyable des deux cadavres dont il a besoin pour jouer son rôle et celui de Mlle de Saint-Véran. Ainsi il sera tranquille. Nul ne peut l’inquiéter. Personne ne soupçonnera la vérité qu’il veut étouffer.

« Personne ? Si… Trois adversaires, au besoin, pourraient concevoir quelques doutes : Ganimard, dont on attend la venue, Herlock Sholmès qui doit traverser le détroit, et moi qui suis sur les lieux. Il y a là un triple péril. Il le supprime. Il enlève Ganimard. Il enlève Herlock Sholmès. Il me fait administrer un coup de couteau par Brédoux.

« Un seul point reste obscur. Pourquoi Lupin a-t-il mis tant d’acharnement à me dérober le document de l’Aiguille creuse ? Il n’avait pourtant pas la prétention, en le reprenant, d’effacer de ma mémoire le texte des cinq lignes qui le composent ? Alors, pourquoi ? A-t-il craint que la nature même du papier, ou tout autre indice, ne me fournît quelque renseignement ?

« Quoi qu’il en soit, telle est la vérité sur l’affaire d’Ambrumésy. Je répète que l’hypothèse joue, dans l’explication que j’en propose, un certain rôle, de même qu’elle a joué un grand rôle dans mon enquête personnelle. Mais si l’on attendait les preuves et les faits pour combattre Lupin, on risquerait fort, ou bien de les attendre toujours, ou bien d’en découvrir qui, préparés par Lupin, conduiraient juste à l’opposé du but.

« J’ai confiance que les faits, quand ils seront tous connus, confirmeront mon hypothèse sur tous les points. »

Ainsi donc, Beautrelet, un moment dominé par Arsène Lupin, troublé par l’enlèvement de son père et résigné à la défaite, Beautrelet, en fin de compte, n’avait pu se résoudre à garder le silence. La vérité était trop belle et trop étrange, les preuves qu’il en pouvait donner trop logiques et trop concluantes pour qu’il acceptât de la travestir. Le monde entier attendait ses révélations. Il parlait.

Le soir même du jour où son article parut, les journaux annonçaient l’enlèvement de M. Beautrelet père. Isidore en avait été averti par une dépêche de Cherbourg reçue à trois heures. Notes :

↑ Arsène Lupin, pièce en quatre actes.

↑ Arsène Lupin contre Herlock Sholmès.


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