Текст книги "Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur"
Автор книги: Maurice Leblanc
Жанр:
Классические детективы
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– Menus !
– Oh ! ma foi, tout cela est de médiocre importance. Il y a mieux ! Mais il suffit que l’affaire vous intéresse… Parlez donc, Ganimard.
– Dois-je vous expliquer où nous en sommes de l’instruction ?
– Inutile. J’ai lu les journaux de ce matin. Je me permettrai même de vous dire que vous n’avancez pas vite.
– C’est précisément la raison pour laquelle je m’adresse à votre obligeance.
– Entièrement à vos ordres.
– Tout d’abord ceci : l’affaire a bien été conduite par vous ?
– Depuis A jusqu’à Z.
– La lettre d’avis ? le télégramme ?
– Sont de votre serviteur. Je dois même en avoir quelque part les récépissés.
Arsène ouvrit le tiroir d’une petite table en bois blanc qui composait avec le lit et l’escabeau tout le mobilier de sa cellule, y prit deux chiffons de papier et les tendit à Ganimard.
– Ah ! ça mais, s’écria celui-ci, je vous croyais gardé à vue et fouillé pour un oui ou pour un non. Or vous lisez les journaux, vous collectionnez les reçus de la poste…
– Bah ! ces gens-là sont si bêtes ! Ils décousent la doublure de ma veste, ils explorent les semelles de mes bottines, ils auscultent les murs de cette pièce, mais pas un n’aurait l’idée qu’Arsène Lupin soit assez niais pour choisir une cachette aussi facile. C’est bien là-dessus que j’ai compté.
Ganimard, amusé, s’exclama :
– Quel drôle de garçon vous faites ! Vous me déconcertez. Allons, racontez-moi l’aventure.
– Oh ! oh ! comme vous y allez ! Vous initier à tous mes secrets… vous dévoiler mes petits trucs… C’est bien grave.
– Ai-je eu tort de compter sur votre complaisance ?
– Non, Ganimard, et puisque vous insistez…
Arsène Lupin arpenta deux ou trois fois sa chambre, puis s’arrêtant :
– Que pensez-vous de ma lettre au baron ?
– Je pense que vous avez voulu vous divertir, épater un peu la galerie.
– Ah ! voilà, épater la galerie ! Eh bien, je vous assure, Ganimard, que je vous croyais plus fort. Est-ce que je m’attarde à ces puérilités, moi, Arsène Lupin ! Est-ce que j’aurais écrit cette lettre si j’avais pu dévaliser le baron sans lui écrire ? Mais comprenez donc, vous et les autres, que cette lettre est le point de départ indispensable, le ressort qui a mis toute la machine en branle. Voyons, procédons par ordre, et préparons ensemble, si vous voulez, le cambriolage du Malaquis.
– Je vous écoute.
– Donc, supposons un château rigoureusement fermé, barricadé, comme l’était celui du baron Cahorn. Vais-je abandonner la partie et renoncer à des trésors que je convoite, sous prétexte que le château qui les contient est inaccessible ?
– Évidemment non.
– Vais-je tenter l’assaut comme autrefois, à la tête d’une troupe d’aventuriers ?
– Enfantin !
– Vais-je m’y introduire sournoisement ?
– Impossible.
– Reste un moyen, l’unique à mon avis, c’est de me faire inviter par le propriétaire du dit château.
– Le moyen est original.
– Et combien facile ! Supposons qu’un jour, ledit propriétaire reçoive une lettre, l’avertissant de ce que trame contre lui un nommé Arsène Lupin, cambrioleur réputé. Que fera-t-il ?
– Il enverra la lettre au procureur.
– Qui se moquera de lui, puisque le dit Lupin est actuellement sous les verrous. Donc, affolement du bonhomme, lequel est tout prêt à demander secours au premier venu, n’est-il pas vrai ?
– Cela est hors de doute.
– Et s’il lui arrive de lire dans une feuille de chou qu’un policier célèbre est en villégiature dans la localité voisine…
– Il ira s’adresser à ce policier.
– Vous l’avez dit. Mais, d’autre part, admettons qu’en prévision de cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l’un de ses amis les plus habiles de s’installer à Caudebec, d’entrer en relations avec un rédacteur du Réveil, journal auquel est abonné le baron, de laisser entendre qu’il est un tel, le policier célèbre, qu’adviendra-t-il ?
– Que le rédacteur annoncera dans le Réveil la présence à Caudebec du dit policier.
– Parfait, et de deux choses l’une : ou bien le poisson – je veux dire Cahorn – ne mord pas à l’hameçon, et alors rien ne se passe. Ou bien, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il accourt, tout frétillant. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moi l’assistance de l’un de mes amis !
– De plus en plus original.
– Bien entendu, le pseudo-policier refuse d’abord son concours. Là-dessus, dépêche d’Arsène Lupin. Épouvante du baron qui supplie de nouveau mon ami, et lui offre tant pour veiller à son salut. Ledit ami accepte, amène deux gaillards de notre bande, qui, la nuit, pendant que Cahorn est gardé à vue par son protecteur, déménagent par la fenêtre un certain nombre d’objets et les laissent glisser, à l’aide de cordes, dans une bonne petite chaloupe affrétée ad hoc. C’est simple comme Lupin.
– Et c’est tout bêtement merveilleux, s’écria Ganimard, et je ne saurais trop louer la hardiesse de la conception et l’ingéniosité des détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pour que son nom ait pu attirer, suggestionner le baron à ce point.
– Il y en a un, et il n’y en a qu’un.
– Lequel ?
– Celui du plus illustre, de l’ennemi personnel d’Arsène Lupin, bref, de l’inspecteur Ganimard.
– Moi !
– Vous-même, Ganimard. Et voilà ce qu’il y a de délicieux : si vous allez là-bas et que le baron se décide à causer, vous finirez par découvrir que votre devoir est de vous arrêter vous-même, comme vous m’avez arrêté en Amérique. Hein ! la revanche est comique : je fais arrêter Ganimard par Ganimard !
Arsène Lupin riait de bon cœur. L’inspecteur, assez vexé, se mordait les lèvres. La plaisanterie ne lui semblait pas mériter de tels accès de joie.
L’arrivée d’un gardien lui donna le loisir de se remettre. L’homme apportait le repas qu’Arsène Lupin, par faveur spéciale, faisait venir du restaurant voisin. Ayant déposé le plateau sur la table, il se retira. Arsène s’installa, rompit son pain, en mangea deux ou trois bouchées et reprit :
– Mais, soyez tranquille, mon cher Ganimard, vous n’irez pas là-bas. Je vais vous révéler une chose qui vous stupéfiera : l’affaire Cahorn est sur le point d’être classée.
– Hein !
– Sur le point d’être classée, vous dis-je.
– Allons donc, je quitte à l’instant le chef de la Sûreté.
– Et après ? Est-ce que M. Dudouis en sait plus long que moi sur ce qui me concerne ? Vous apprendrez que Ganimard – excusez-moi – que le pseudo-Ganimard est resté en fort bons termes avec le baron. Celui-ci, et c’est la raison principale pour laquelle il n’a rien avoué, l’a chargé de la très délicate mission de négocier avec moi une transaction, et, à l’heure présente, moyennant une certaine somme, il est probable que le baron est rentré en possession de ses chers bibelots. En retour de quoi, il retirera sa plainte. Donc, plus de vol. Donc il faudra bien que le parquet abandonne…
Ganimard considéra le détenu d’un air stupéfait.
– Et comment savez-vous tout cela ?
– Je viens de recevoir la dépêche que j’attendais.
– Vous venez de recevoir une dépêche ?
– À l’instant, cher ami. Par politesse, je n’ai pas voulu la lire en votre présence. Mais si vous m’y autorisez…
– Vous vous moquez de moi, Lupin.
– Veuillez, mon cher ami, décapiter doucement cet œuf à la coque. Vous constaterez par vous-même que je ne me moque pas de vous.
Machinalement Ganimard obéit, et cassa l’œuf avec la lame d’un couteau. Un cri de surprise lui échappa. La coque, vide, contenait une feuille de papier bleu. Sur la prière d’Arsène, il la déplia. C’était un télégramme, ou plutôt une partie de télégramme auquel on avait arraché les indications de la poste. Il lut :
« Accord conclu. Cent mille balles livrées. Tout va bien. »
– Cent mille balles ? fit-il.
– Oui, cent mille francs ! C’est peu, mais enfin les temps sont durs… Et j’ai des frais généraux si lourds ! Si vous connaissiez mon budget… un budget de grande ville !
Ganimard se leva. Sa mauvaise humeur s’était dissipée. Il réfléchit quelques secondes, embrassa d’un coup d’œil toute l’affaire, pour tâcher d’en découvrir le point faible. Puis il prononça d’un ton où il laissait franchement percer son admiration de connaisseur :
– Par bonheur, il n’en existe pas des douzaines comme vous, sans quoi il n’y aurait plus qu’à fermer boutique.
Arsène Lupin prit un petit air modeste et répondit :
– Bah ! il fallait bien se distraire, occuper ses loisirs… d’autant que le coup ne pouvait réussir que si j’étais en prison.
– Comment ! s’exclama Ganimard, votre procès, votre défense, l’instruction, tout cela ne vous suffit donc pas pour vous distraire ?
– Non, car j’ai résolu de ne pas assister à mon procès.
– Oh ! oh !
Arsène Lupin répéta posément :
– Je n’assisterai pas à mon procès.
– En vérité !
– Ah ! ça, mon cher, vous imaginez-vous que je vais pourrir sur la paille humide ? Vous m’outragez. Arsène Lupin ne reste en prison que le temps qu’il lui plaît, et pas une minute de plus.
– Il eût peut-être été plus prudent de commencer par ne pas y entrer, objecta l’inspecteur d’un ton ironique.
– Ah ! monsieur raille ? monsieur se souvient qu’il a eu l’honneur de procéder à mon arrestation ? Sachez, mon respectable ami, que personne, pas plus vous qu’un autre, n’eût pu mettre la main sur moi, si un intérêt beaucoup plus considérable ne m’avait sollicité à ce moment critique.
– Vous m’étonnez.
– Une femme me regardait, Ganimard, et je l’aimais. Comprenez-vous tout ce qu’il y a dans ce fait d’être regardé par une femme que l’on aime ? Le reste m’importait peu, je vous jure. Et c’est pourquoi je suis ici.
– Depuis bien longtemps, permettez-moi de le remarquer.
– Je voulais oublier d’abord. Ne riez pas : l’aventure avait été charmante, et j’en ai gardé encore le souvenir attendri… Et puis, je suis quelque peu neurasthénique ! La vie est si fiévreuse de nos jours ! Il faut savoir, à certains moments, faire ce que l’on appelle une cure d’isolement. Cet endroit est souverain pour les régimes de ce genre. On y pratique la cure de Santé dans toute sa rigueur.
– Arsène Lupin, observa Ganimard, vous vous payez ma tête.
– Ganimard, affirma Lupin, nous sommes aujourd’hui vendredi. Mercredi prochain, j’irai fumer mon cigare chez vous, rue Pergolèse, à quatre heures de l’après-midi.
– Arsène Lupin, je vous attends.
Ils se serrèrent la main comme deux bons amis qui s’estiment à leur juste valeur, et le vieux policier se dirigea vers la porte.
– Ganimard !
Celui-ci se retourna.
– Qu’y a-t-il ?
– Ganimard, vous oubliez votre montre.
– Ma montre ?
– Oui, elle s’est égarée dans ma poche.
Il la rendit en s’excusant.
– Pardonne-moi… une mauvaise habitude… Mais ce n’est pas une raison parce qu’ils m’ont pris la mienne pour que je vous prive de la vôtre. D’autant que j’ai là un chronomètre dont je n’ai pas à me plaindre, et qui satisfait pleinement à mes besoins.
Il sortit du tiroir une large montre en or, épaisse et confortable, ornée d’une lourde chaîne.
– Et celle-ci, de quelle poche vient-elle ? demanda Ganimard.
Arsène Lupin examina négligemment les initiales.
– J. B… Qui diable cela peut-il bien être ?… Ah ! oui, je me souviens, Jules Bouvier, mon juge d’instruction, un homme charmant…
L’ÉVASION
D’ARSÈNE LUPIN
Au moment où Arsène Lupin, son repas achevé, tirait de sa poche un beau cigare bagué d’or et l’examinait avec complaisance, la porte de la cellule s’ouvrit. Il n’eut que le temps de le jeter dans le tiroir et de s’éloigner de la table. Le gardien entra, c’était l’heure de la promenade.
– Je vous attendais, mon cher ami, s’écria Lupin, toujours de bonne humeur.
Ils sortirent. Ils avaient à peine disparu à l’angle du couloir, que deux hommes à leur tour pénétrèrent dans la cellule et en commencèrent l’examen minutieux. L’un était l’inspecteur Dieuzy, l’autre l’inspecteur Folenfant.
On voulait en finir. Il n’y avait point de doute : Arsène Lupin conservait des intelligences avec le dehors et communiquait avec ses affidés. La veille encore le Grand Journal publiait ces lignes adressées à son collaborateur judiciaire :
« Monsieur,
« Dans un article paru ces jours-ci vous vous êtes exprimé sur moi en des termes que rien ne saurait justifier. Quelques jours avant l’ouverture de mon procès, j’irai vous en demander compte.
« Salutations distinguées,
« Arsène Lupin. »
L’écriture était bien d’Arsène Lupin. Donc il envoyait des lettres. Donc il en recevait. Donc il était certain qu’il préparait cette évasion annoncée par lui d’une façon si arrogante.
La situation devenait intolérable. D’accord avec le juge d’instruction, le chef de la Sûreté M. Dudouis se rendit lui-même à la Santé pour exposer au directeur de la prison les mesures qu’il convenait de prendre. Et, dès son arrivée, il envoya deux de ses hommes dans la cellule du détenu.
Ils levèrent chacune des dalles, démontèrent le lit, firent tout ce qu’il est habituel de faire en pareil cas, et finalement ne découvrirent rien. Ils allaient renoncer à leurs investigations, lorsque le gardien accourut en toute hâte et leur dit :
– Le tiroir… regardez le tiroir de la table. Quand je suis entré, il m’a semblé qu’il le repoussait.
Ils regardèrent, et Dieuzy s’écria :
– Pour Dieu, cette fois, nous le tenons, le client.
Folenfant l’arrêta.
– Halte-là, mon petit, le chef fera l’inventaire.
– Pourtant, ce cigare de luxe…
– Laisse le Havane, et prévenons le chef.
Deux minutes après, M. Dudouis explorait le tiroir. Il y trouva d’abord une liasse d’articles de journaux découpés par l’Argus de la Presse et qui concernaient Arsène Lupin, puis une blague à tabac, une pipe, du papier dit pelure d’oignon, et enfin deux livres.
Il en regarda le titre. C’était le Culte des héros de Carlyle, édition anglaise, et un elzévir charmant, à reliure du temps, le Manuel d’Épictète, traduction allemande publiée à Leyde en 1634. Les ayant feuilletés, il constata que toutes les pages étaient balafrées, soulignées, annotées. Était-ce là signes conventionnels ou bien de ces marques qui montrent la ferveur que l’on a pour un livre ?
– Nous verrons cela en détail, dit M. Dudouis.
Il explora la blague à tabac, la pipe. Puis, saisissant le fameux cigare bagué d’or :
– Fichtre, il se met bien, notre ami, s’écria-t-il, un Henri Clet !
D’un geste machinal de fumeur, il le porta près de son oreille et le fit craquer. Et aussitôt une exclamation lui échappa. Le cigare avait molli sous la pression de ses doigts. Il l’examina avec plus d’attention et ne tarda pas à distinguer quelque chose de blanc entre les feuilles de tabac. Et délicatement, à l’aide d’une épingle, il attirait un rouleau de papier très fin, à peine gros comme un cure-dent. C’était un billet. Il le déroula et lut ces mots, d’une menue écriture de femme :
« Le panier a pris la place de l’autre. Huit sur dix sont préparées. En appuyant du pied extérieur, la plaque se soulève de haut en bas. De douze à seize tous les jours, H-P attendra. Mais où ? Réponse immédiate. Soyez tranquille, votre amie veille sur vous. »
M. Dudouis réfléchit un instant et dit :
– C’est suffisamment clair… le panier… les huit cases… De douze à seize, c’est-à-dire de midi à quatre heures…
– Mais ce H-P, qui attendra ?
– H-P en l’occurrence, doit signifier automobile, H-P, horse power, n’est-ce pas ainsi qu’en langage sportif, on désigne la force d’un moteur ? Une vingt-quatre H-P, c’est une automobile de vingt-quatre chevaux.
Il se leva et demanda :
– Le détenu finissait de déjeuner ?
– Oui.
– Et comme il n’a pas encore lu ce message ainsi que le prouve l’état du cigare, il est probable qu’il venait de le recevoir.
– Comment ?
– Dans ses aliments, au milieu de son pain ou d’une pomme de terre, que sais-je ?
– Impossible, on ne l’a autorisé à faire venir sa nourriture que pour le prendre au piège, et nous n’avons rien trouvé.
– Nous chercherons ce soir la réponse de Lupin. Pour le moment, retenez-le hors de sa cellule. Je vais porter ceci à monsieur le juge d’instruction. S’il est de mon avis, nous ferons immédiatement photographier la lettre, et dans une heure vous pourrez remettre dans le tiroir, outre ces objets, un cigare identique contenant le message original lui-même. Il faut que le détenu ne se doute de rien.
Ce n’est pas sans une certaine curiosité que M. Dudouis s’en retourna le soir au greffe de la Santé en compagnie de l’inspecteur Dieuzy. Dans un coin, sur le poêle, trois assiettes s’étalaient.
– Il a mangé ?
– Oui, répondit le directeur.
– Dieuzy, veuillez couper en morceaux très minces ces quelques brins de macaroni et ouvrir cette boulette de pain… Rien ?
– Non, chef.
M. Dudouis examina les assiettes, la fourchette, la cuiller, enfin le couteau, un couteau réglementaire à lame ronde. Il en fit tourner le manche à gauche, puis à droite. À droite le manche céda et se dévissa. Le couteau était creux et servait d’étui à une feuille de papier.
– Peuh ! fit-il, ce n’est pas bien malin pour un homme comme Arsène. Mais ne perdons pas de temps. Vous, Dieuzy, allez donc faire une enquête dans ce restaurant.
Puis il lut :
« Je m’en remets à vous, H-P suivra de loin, chaque jour. J’irai au-devant. À bientôt, chère et admirable amie. »
– Enfin, s’écria M. Dudouis, en se frottant les mains, je crois que l’affaire est en bonne voie. Un petit coup de pouce de notre part, et l’évasion réussit… assez du moins pour nous permettre de pincer les complices.
– Et si Arsène Lupin vous glisse entre les doigts ? objecta le directeur.
– Nous emploierons le nombre d’hommes nécessaire. Si cependant il y mettait trop d’habileté… ma foi, tant pis pour lui ! Quant à la bande, puisque le chef refuse de parler, les autres parleront.
⁂
Et de fait, il ne parlait pas beaucoup, Arsène Lupin. Depuis des mois M. Jules Bouvier, le juge d’instruction, s’y évertuait vainement. Les interrogatoires se réduisaient à des colloques dépourvus d’intérêt entre le juge et l’avocat maître Danval, un des princes du barreau, lequel d’ailleurs en savait sur l’inculpé à peu près autant que le premier venu.
De temps à autre, par politesse, Arsène Lupin laissait tomber :
– Mais oui, Monsieur le juge, nous sommes d’accord : le vol du Crédit Lyonnais, le vol de la rue de Babylone, l’émission des faux billets de banque, l’affaire des polices d’assurance, le cambriolage des châteaux d’Armesnil, de Gouret, d’Imblevain, des Groseillers, du Malaquis, tout cela c’est de votre serviteur.
– Alors, pourriez-vous m’expliquer…
– Inutile, j’avoue tout en bloc, tout et même dix fois plus que vous n’en supposez.
De guerre lasse, le juge avait suspendu ces interrogatoires fastidieux. Après avoir eu connaissance des deux billets interceptés, il les reprit. Et, régulièrement, à midi, Arsène Lupin fut amené, de la Santé au Dépôt, dans la voiture pénitentiaire, avec un certain nombre de détenus. Ils en repartaient vers trois ou quatre heures.
Or, un après-midi, ce retour s’effectua dans des conditions particulières. Les autres détenus de la Santé n’ayant pas encore été questionnés, on décida de reconduire d’abord Arsène Lupin. Il monta donc seul dans la voiture.
Ces voitures pénitentiaires, vulgairement appelées « paniers à salade », sont divisées dans leur longueur par un couloir central sur lequel s’ouvrent dix cases, cinq à droite et cinq à gauche. Chacune de ces cases est disposée de telle façon que l’on doit s’y tenir assis, et que les cinq prisonniers, par conséquent, sont assis les uns sur les autres, tout en étant séparés les uns des autres par des cloisons parallèles. Un garde municipal, placé à l’extrémité, surveille le couloir.
Arsène fut introduit dans la troisième cellule de droite, et la lourde voiture s’ébranla. Il se rendit compte que l’on quittait le quai de l’Horloge et que l’on passait devant le Palais de Justice. Alors, vers le milieu du pont Saint-Michel, il appuya, du pied extérieur, c’est-à-dire du pied droit, ainsi qu’il le faisait chaque fois, sur la plaque de tôle qui fermait sa cellule. Tout de suite quelque chose se déclencha, et la plaque de tôle s’écarta insensiblement. Il put constater qu’il se trouvait juste entre les deux roues.
Il attendit, l’œil aux aguets. La voiture monta au pas le boulevard Saint-Michel. Au carrefour Saint-Germain, elle s’arrêta. Le cheval d’un camion s’était abattu. La circulation étant interrompue, très vite ce fut un encombrement de fiacres et d’omnibus.
Arsène Lupin passa la tête. Une autre voiture pénitentiaire stationnait le long de celle qu’il occupait. Il souleva davantage la tôle, mit le pied sur un des rayons de la grande roue et sauta à terre.
Un cocher le vit, s’esclaffa de rire, puis voulut appeler. Mais sa voix se perdit dans le fracas des véhicules qui s’écoulaient de nouveau. D’ailleurs Arsène Lupin était loin déjà.
Il avait fait quelques pas en courant ; mais sur le trottoir de gauche, il se retourna, jeta un regard circulaire, sembla prendre le vent, comme quelqu’un qui ne sait encore trop quelle direction il va suivre. Puis, résolu, il mit les mains dans ses poches, et de l’air insouciant d’un promeneur qui flâne, il continua de monter le boulevard.
Le temps était doux, un temps heureux et léger d’automne. Les cafés étaient pleins. Il s’assit à la terrasse de l’un d’eux.
Il commanda un bock et un paquet de cigarettes. Il vida son verre à petites gorgées, fuma tranquillement une cigarette, en alluma une seconde. Enfin, s’étant levé, il pria le garçon de faire venir le gérant.
Le gérant vint, et Arsène lui dit, assez haut pour être entendu de tous :
– Je suis désolé, Monsieur, j’ai oublié mon porte-monnaie. Peut-être mon nom vous est-il assez connu pour que vous me consentiez un crédit de quelques jours : Arsène Lupin.
Le gérant le regarda, croyant à une plaisanterie. Mais Arsène répéta :
– Lupin, détenu à la Santé, actuellement en état d’évasion. J’ose croire que ce nom vous inspire toute confiance.
Et il s’éloigna, au milieu des rires, sans que l’autre songeât à réclamer.
Il traversa la rue Soufflot en biais et prit la rue Saint-Jacques. Il la suivit paisiblement, s’arrêtant aux vitrines et fumant des cigarettes. Boulevard de Port-Royal, il s’orienta, se renseigna, et marcha droit vers la rue de la Santé. Les hauts murs moroses de la prison se dressèrent bientôt. Les ayant longés, il arriva près du garde municipal qui montait la faction, et retirant son chapeau :
– C’est bien ici la prison de la Santé ?
– Oui.
– Je désirerais regagner ma cellule. La voiture m’a laissé en route et je ne voudrais pas abuser…
Le garde grogna :
– Dites donc, l’homme, passez votre chemin, et plus vite que ça.
– Pardon, pardon, c’est que mon chemin passe par cette porte. Et si vous empêchez Arsène Lupin de la franchir, cela pourrait vous coûter gros, mon ami.
– Arsène Lupin ! qu’est-ce que vous me chantez là !
– Je regrette de n’avoir pas ma carte, dit Arsène, affectant de fouiller ses poches.
Le garde le toisa des pieds à la tête, abasourdi. Puis, sans un mot, comme malgré lui, il tira une sonnette. La porte de fer s’entrebâilla.
Quelques minutes après, le directeur accourut jusqu’au greffe, gesticulant et feignant une colère violente. Arsène sourit :
– Allons, Monsieur le directeur, ne jouez pas au plus fin avec moi. Comment ! on a la précaution de me ramener seul dans la voiture, on prépare un bon petit encombrement, et l’on s’imagine que je vais prendre mes jambes à mon cou pour rejoindre mes amis. Eh bien, et les vingt agents de la Sûreté qui nous escortaient à pied, en fiacre et à bicyclette ? Non, ce qu’ils m’auraient arrangé ! Je n’en serais pas sorti vivant. Dites donc, Monsieur le directeur, c’est peut-être là-dessus que l’on comptait ?
Il haussa les épaules et ajouta :
– Je vous en prie, Monsieur le directeur, qu’on ne s’occupe pas de moi. Le jour où je voudrai m’échapper, je n’aurai besoin de personne.
Le surlendemain, l’Écho de France, qui décidément devenait le moniteur officiel des exploits d’Arsène Lupin – on disait qu’il en était un des principaux commanditaires – l’Écho de France publiait les détails les plus complets sur cette tentative d’évasion. Le texte même des billets échangés entre le détenu et sa mystérieuse amie, les moyens employés pour cette correspondance, la complicité de la police, la promenade du boulevard Saint-Michel, l’incident du café Soufflot, tout était dévoilé. On savait que les recherches de l’inspecteur Dieuzy auprès des garçons du restaurant n’avaient donné aucun résultat. Et l’on apprenait en outre cette chose stupéfiante, qui montrait l’infinie variété des ressources dont cet homme disposait : la voiture pénitentiaire dans laquelle on l’avait transporté était une voiture entièrement truquée, que sa bande avait substituée à l’une des six voitures habituelles qui composent le service des prisons.
L’évasion prochaine d’Arsène Lupin ne fit plus de doute pour personne. Lui-même d’ailleurs l’annonçait en termes catégoriques, comme le prouva sa réponse à M. Bouvier, au lendemain de l’incident. Le juge raillant son échec, il le regarda et lui dit froidement :
– Écoutez bien ceci, Monsieur, et croyez-m’en sur parole : cette tentative d’évasion faisait partie de mon plan d’évasion.
– Je ne comprends pas, ricana le juge.
– Il est inutile que vous compreniez.
Et comme le juge, au cours de cet interrogatoire qui parut tout au long dans les colonnes de l’Écho de France, comme le juge revenait à son instruction, il s’écria d’un air de lassitude :
– Mon Dieu, mon Dieu, à quoi bon ! toutes ces questions n’ont aucune importance !
– Comment, aucune importance ?
– Mais non, puisque je n’assisterai pas à mon procès.
– Vous n’assisterez pas…
– Non, c’est une idée fixe, une décision irrévocable. Rien ne me fera transiger.
Une telle assurance, les indiscrétions inexplicables qui se commettaient chaque jour, agaçaient et déconcertaient la justice. Il y avait là des secrets qu’Arsène Lupin était seul à connaître, et dont la divulgation par conséquent ne pouvait provenir que de lui. Mais dans quel but les dévoilait-il ? et comment ?
On changea Arsène Lupin de cellule. Un soir, il descendit à l’étage inférieur. De son côté, le juge boucla son instruction et renvoya l’affaire à la chambre des mises en accusation.
Ce fut le silence. Il dura deux mois. Arsène les passa étendu sur son lit, le visage presque toujours tourné contre le mur. Ce changement de cellule semblait l’avoir abattu. Il refusa de recevoir son avocat. À peine échangeait-il quelques mots avec ses gardiens.
Dans la quinzaine qui précéda son procès, il parut se ranimer. Il se plaignit du manque d’air. On le fit sortir dans la cour, le matin, de très bonne heure, flanqué de deux hommes.
La curiosité publique cependant ne s’était pas affaiblie. Chaque jour on avait attendu la nouvelle de son évasion. On la souhaitait presque, tellement le personnage plaisait à la foule avec sa verve, sa gaieté, sa diversité, son génie d’invention et le mystère de sa vie. Arsène Lupin devait s’évader. C’était inévitable, fatal. On s’étonnait même que cela tardât si longtemps. Tous les matins le Préfet de police demandait à son secrétaire :
– Eh bien, il n’est pas encore parti ?
– Non, Monsieur le Préfet.
– Ce sera donc pour demain.
Et, la veille du procès, un monsieur se présenta dans les bureaux du Grand Journal, demanda le collaborateur judiciaire, lui jeta sa carte au visage, et s’éloigna rapidement. Sur la carte, ces mots étaient inscrits : « Arsène Lupin tient toujours ses promesses. »
⁂
C’est dans ces conditions que les débats s’ouvrirent.
L’affluence y fut énorme. Personne qui ne voulût voir le fameux Arsène Lupin et ne savourât d’avance la façon dont il se jouerait du président. Avocats et magistrats, chroniqueurs et mondains, artistes et femmes du monde, le Tout-Paris se pressa sur les bancs de l’audience.
Il pleuvait, dehors le jour était sombre, on vit mal Arsène Lupin lorsque les gardes l’eurent introduit. Cependant son attitude lourde, la manière dont il se laissa tomber à sa place, son immobilité indifférente et passive, ne prévinrent pas en sa faveur. Plusieurs fois son avocat – un des secrétaires de Me Danval, celui-ci ayant jugé indigne de lui le rôle auquel il était réduit – plusieurs fois son avocat lui adressa la parole. Il hochait la tête et se taisait.
Le greffier lut l’acte d’accusation, puis le président prononça :
– Accusé, levez-vous. Votre nom, prénom, âge et profession ?
Ne recevant pas de réponse, il répéta :
– Votre nom ? Je vous demande votre nom ?
Une voix épaisse et fatiguée articula :
– Baudru, Désiré.
Il y eut des murmures. Mais le président repartit :
– Baudru, Désiré ? Ah ! bien, un nouvel avatar ! Comme c’est à peu près le huitième nom auquel vous prétendez, et qu’il est sans doute aussi imaginaire que les autres, nous nous en tiendrons, si vous le voulez bien, à celui d’Arsène Lupin, sous lequel vous êtes plus avantageusement connu.
Le président consulta ses notes et reprit :
– Car, malgré toutes les recherches, il a été impossible de reconstituer votre identité. Vous présentez ce cas assez original dans notre société moderne de n’avoir point de passé. Nous ne savons qui vous êtes, d’où vous venez, où s’est écoulée votre enfance, bref, rien. Vous jaillissez tout d’un coup, il y a trois ans, on ne sait au juste de quel milieu, pour vous révéler tout d’un coup Arsène Lupin, c’est-à-dire un composé bizarre d’intelligence et de perversion, d’immoralité et de générosité. Les données que nous avons sur vous avant cette époque sont plutôt des suppositions. Il est probable que le nommé Rostat qui travailla, il y a huit ans, aux côtés du prestidigitateur Dickson n’était autre qu’Arsène Lupin. Il est probable que l’étudiant russe qui fréquenta, il y a six ans, le laboratoire du docteur Altier, à l’hôpital Saint-Louis, et qui souvent surprit le maître par l’ingéniosité de ses hypothèses sur la bactériologie et la hardiesse de ses expériences dans les maladies de la peau, n’était autre qu’Arsène Lupin. Arsène Lupin, également, le professeur de lutte japonaise qui s’établit à Paris bien avant qu’on n’y parlât du jiu-jitsu. Arsène Lupin, croyons-nous, le coureur cycliste qui gagna le Grand Prix de l’Exposition, toucha ses 10 000 francs et ne reparut plus. Arsène Lupin peut-être aussi celui qui sauva tant de gens par la petite lucarne du Bazar de la Charité… et les dévalisa.
Et, après une pause, le président conclut :
– Telle est cette époque, qui semble n’avoir été qu’une préparation minutieuse à la lutte que vous avez entreprise contre la société, un apprentissage méthodique où vous portiez au plus haut point votre force, votre énergie et votre adresse. Reconnaissez-vous l’exactitude de ces faits ?